N° 309
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 avril 2006 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur l'état d'application de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique ,
Par M. Alain MILON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente, Patricia Schillinger, M. Jacques Siffre, Mme Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi, André Vézinhet.
Bioéthique. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
L'élaboration de la législation française relative à la bioéthique a suivi un cheminement lent et complexe, dû à l'acuité des problèmes juridiques, moraux et éthiques que pose cette matière délicate.
Les trois premières lois de juillet 1994 qui en ont forgé le socle ont été longuement débattues et sont plus lentement encore entrées en vigueur en raison de la publication tardive des décrets nécessaires à leur application intégrale.
Situation assez rare pour être soulignée, ces lois prévoyaient, dans leur dispositif même, un calendrier de réexamen pour adapter les mesures votées à l'évolution attendue des connaissances scientifiques et, le cas échéant, des mentalités. Cette révision devait avoir lieu dans un délai de cinq ans après leur promulgation, soit en 1999. Or, elle n'a pu être entreprise qu'en juin 2001, date du dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale du second projet de loi relatif à la bioéthique.
Les aléas du calendrier parlementaire n'ont permis l'examen de ce texte que par une seule assemblée, avant les échéances électorales de 2002, qui ont conduit une nouvelle majorité au pouvoir.
Jean-François Mattei, ministre chargé de la santé dans le premier gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, a donc repris à son compte le texte voté par l'Assemblée nationale, le 22 janvier 2002. L'examen par le Sénat des dispositions du projet de loi a finalement eu lieu en janvier 2003 et a débouché sur un dispositif profondément remanié.
A ce stade, un équilibre a pu être trouvé au-delà des clivages partisans sur des sujets majeurs : le clonage, la recherche sur l'embryon, la brevetabilité du vivant, l'aide médicale à la procréation (AMP) et le don d'organes. De fait, la poursuite de la navette n'a pas ensuite apporté de nouveaux éléments essentiels à cet ensemble de mesures.
Malgré tout, les secondes lectures - en décembre 2003 à l'Assemblée nationale puis au Sénat en juin 2004 - se sont échelonnées sur une très longue période. Au total, le dialogue entre les deux chambres aura donc duré trois ans.
Après l'aboutissement du long processus législatif et la publication de la loi le 6 août 2004, on aurait pu penser que les pouvoirs publics auraient à coeur de permettre l'application rapide de mesures très attendues par les chercheurs, par le corps médical, mais aussi par les personnes en attente d'une AMP ou d'une greffe.
Tel n'a pas été le cas. Quel est l'état exact de l'application de la loi ? Quelles sont les raisons du retard pris dans la parution des textes réglementaires ? La recherche française s'est-elle trouvée pénalisée par cette situation ? C'est à ces questions que le présent rapport se propose de répondre.
I. LES LOIS BIOÉTHIQUE : LE CHOIX DE PROCÉDER PAR ÉTAPES
Les avancées de la génétique et de la médecine de la reproduction ont conduit le législateur à répondre, depuis une quinzaine d'années, à de nouvelles interrogations d'ordre éthique et juridique. Il convenait, en effet, de doter la France d'un cadre législatif qui concilie le respect de la dignité de la personne humaine et les exigences du progrès scientifique et thérapeutique. Cet arsenal juridique s'est construit progressivement, dans le souci de rassembler largement les citoyens et les professionnels autour de principes consensuels et symboliques forts.
A. 1994 : LE SOCLE FONDATEUR
1. La fixation de grands principes
Le bloc législatif de 1994 comprend trois textes : la loi n° 94-548 du 1 er juillet 1994 relative au traitement de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ; la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. C'est ce dernier texte qui est aujourd'hui communément appelé « loi de bioéthique ».
Le législateur de 1994 avait souhaité définir les règles d'ordre juridique et moral applicables aux activités scientifiques et médicales touchant au corps humain et à la procréation.
En matière de don et d'utilisation d'organes et de produits du corps humain, l'objectif visé était de protéger à la fois le donneur et le receveur par :
- l'affirmation du caractère non marchand des activités de prélèvement et de transplantation à l'abri des pratiques mercantiles en instaurant la gratuité et l'anonymat du don ;
- l'établissement du consentement libre et éclairé du donneur ;
- l'égalité d'accès au don pour les receveurs en attente ;
- la garantie de la sécurité sanitaire des transplantations.
Dans un contexte de raréfaction des greffons et après le scandale du sang contaminé, il s'agissait de rétablir une relation de confiance forte entre les praticiens de la transplantation et la population.
Pour les dispositions relatives à l' assistance médicale à la procréation (AMP) et au diagnostic prénatal, le législateur a mis en place un encadrement juridique strict reposant sur :
- une approche médicalisée de la procréation à partir d'une définition fondée sur l'évolution possible des techniques ;
- l'intérêt de l'enfant à naître plutôt que sur le droit à l'enfant, en posant des conditions d'ordre médical et social à la mise en oeuvre d'une AMP ;
- le caractère subsidiaire de l'AMP avec tiers donneur ;
- enfin, la protection de l'embryon.
2. Une application lente et imparfaite
La loi de bioéthique avait confié à l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) le soin de procéder à l'évaluation de son application avant la révision du texte par le Parlement, prévue cinq ans après son entrée en vigueur. L'office a effectué ce bilan en février 1999 1 ( * ) , alors qu'il était déjà évident que la seconde étape de la législation sur la bioéthique n'interviendrait pas dans les délais impartis. En outre, il a choisi d'élargir le champ de son évaluation à l'ensemble du socle législatif de juillet 1994.
a) La publication tardive des textes d'application
Le constat de l'Opecst est sans appel : près de cinq ans après sa promulgation, la loi du 29 juillet 1994 n'était pas encore intégralement applicable du fait des retards pris dans la parution des textes réglementaires nécessaires.
S'agissant de la partie « greffes » de la loi, plusieurs décrets essentiels pour sa mise en oeuvre (autorisation des établissements, registre des refus, règles de sécurité sanitaire) ont subi un retard variant entre 32 et 39 mois . L'installation du registre des refus n'a été effective qu'au début de l'été 1998. Restent par ailleurs en souffrance les dispositions relatives au remboursement des frais engagés par les donneurs et la réglementation applicable aux activités de greffe de tissus et cellules, d'une part, de conservation, transformation, distribution, cession, importation et exportation de tissus et cellules, d'autre part. Il convient en outre de souligner le blocage qui affecte la mise en oeuvre des dispositions relatives aux thérapies génique et cellulaire , primitivement renvoyées au pouvoir réglementaire par la loi de 1994 puis insérées dans la loi du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire. Plus de 32 mois après la promulgation de ce texte, les procédures d'autorisation des établissements ou organismes, d'autorisation des produits de thérapies génique et cellulaire et les protocoles d'essai de thérapie génique sont toujours suspendus à la parution des décrets d'application. Dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation et du diagnostic prénatal, les retards ont été beaucoup moins sensibles pour ce qui touche à l'organisation et au fonctionnement des structures d'AMP, les difficultés venant ici davantage des conditions dans lesquelles ont été délivrés les autorisations et les agréments. Sur deux points essentiels, cependant, la loi n'a pu être mise en oeuvre que très tardivement : - les conditions d'autorisation des études menées sur l'embryon ont été fixées par le décret du 27 mai 1997 ; - la pratique du diagnostic préimplantatoire ne débutera que dans le courant de l'année 1999 : le décret fixant les conditions d'autorisation des établissements n'a été publié que le 24 mars 1998 et l'évaluation des praticiens admis à le mettre en oeuvre pose des problèmes délicats tenant au faible nombre d'experts français en cette matière. Quant à la procédure d'accueil d'un embryon par un couple tiers , elle n'a pu recevoir, faute de texte, aucun commencement d'application. En ce qui concerne, enfin, les dispositions relatives à la médecine prédictive, à l'identification génétique et à la recherche génétique, le décret du 6 février 1997 a bien fixé les conditions d'agrément des personnes habilitées à pratiquer les tests, mais la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social a ensuite renvoyé les conditions de prescription et de réalisation des tests à un texte réglementaire qui n'est pas encore paru et toute évaluation de la loi est donc sur ce point impossible.
Source : Rapport n° 232 (1999-2000)
précité
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Les auteurs du rapport ont, à l'époque, invoqué plusieurs raisons techniques aux retards constatés, notamment pour la partie de la loi relative aux dons d'organes :
- la nécessité de recourir à une expertise médico-scientifique et de former les personnels pour appliquer au mieux les dispositions qui touchaient à des activités encore mal connues. Par ailleurs, l'élaboration de règles de bonne pratique devait parfois précéder la parution du décret d'application ;
- la complexité de certaines dispositions, en particulier celles concernant les régimes juridiques différents qui s'appliquent aux cellules à usage thérapeutique (cellules sanguines, cellules souches hématopoïétiques, cellules à autre destination que la thérapie cellulaire, thérapie génique, moelle osseuse) ;
- la difficulté d'interprétation des règles touchant au consentement applicable aux prélèvements post mortem ;
- le nombre élevé de textes d'application à élaborer (trente-deux au total) avec les moyens limités en personnel de la Direction générale de la santé (DGS).
Le temps passant, les lois de 1994 ont été également victimes de la perspective de nouvelles dispositions législatives. Ainsi, la parution des décrets relatifs à la vigilance et au régime des cellules a été retardée jusqu'à l'adoption de la loi n° 98-535 du 1 er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
b) Les difficultés de mise en oeuvre
En outre, l'application de certaines mesures s'est heurtée à des difficultés juridiques et pratiques.
Ainsi, le champ d'application du principe du consentement au don d'organes (préalable en règle générale, présumé pour une personne décédée) n'a pas été suffisamment clairement précisé dans la loi, ce qui a engendré des difficultés d'interprétation en fonction du type de prélèvements (à visée scientifique ou thérapeutique). Par ailleurs, les actions d'information du public sur la réglementation applicable en la matière ont été trop limitées pour garantir une application juste du principe du consentement présumé.
Par ailleurs, la loi du 29 juillet 1994 n'est pas allée jusqu'à conférer un véritable statut juridique à l'embryon . Des lacunes sont donc apparues en matière d'autopsie et de recherche.
Enfin, la pénurie de greffons a parfois conduit à des prélèvements d'organes ne présentant pas toutes les garanties sur le plan fonctionnel et sanitaire. Ces situations ont pu porter atteinte au principe de sécurité sanitaire inscrit dans la loi et faire douter de l'efficacité du système mis en place.
L'application intégrale des lois de juillet 1994 a donc été longue et, sur certains points, chaotique. Il est, en conséquence, rapidement apparu aux pouvoirs publics et aux scientifiques, que le second volet de la législation relative à bioéthique ne pourrait être voté en 1999, comme le texte de 1994 le prévoyait initialement.
* 1 L'application de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. Alain Claeys et Claude Huriet. Rapport de l'Opecst n° 1407 (AN) et n° 232 (Sénat), 1999-2000.