I. LA RÉVOLUTION SILENCIEUSE DE L'INTERCOMMUNALITÉ À FISCALITÉ PROPRE EST ACCOMPLIE
A. UNE BRÈVE HISTOIRE DE L'INTERCOMMUNALITÉ
L'organisation territoriale de la France est objet de réflexion depuis 1789 : l'Assemblée constituante lui a consacré un de ses premiers débats dont l'issue pèse encore aujourd'hui. En effet, tandis que Thouret, Sieyes et Condorcet défendaient une division géométrique du territoire en 6.500 grandes municipalités égales en territoire, Mirabeau fit prévaloir le point de vue de la tradition humaniste : pour durer, les nouvelles communes devaient se construire sur les paroisses existantes, et c'est ainsi que 44.000 paroisses donnèrent naissance à 38.000 communes. Ce choix peut paraître lointain, mais il ne fut jamais possible par la suite, sinon à la marge, de réduire le nombre de communes. La commune, héritière de la paroisse, apparaît définitivement comme la cellule fondatrice. Plus tard, Tocqueville la consacrera même comme creuset de la démocratie. Quant au débat sur la taille idéale de l'échelon administratif de base, il fut ouvert ce jour-là et il dure encore. L'intercommunalité certes n'existait pas, mais dès 1789 la nécessité pour les communes de se réunir et de se porter secours fut envisagée.
1. Les textes fondateurs
• La loi du 22 mars 1890
Toutefois, les vraies prémices de l'intercommunalité datent de la loi du 5 avril 1884 qui favorisa les accords et les conférences intercommunales. Quant à la première loi sur l'intercommunalité, c'est celle du 22 mars 1890 instituant les syndicats intercommunaux à vocation unique. Il s'agissait alors d'une simple association entre communes qui mettent en commun des moyens en vue d'assumer ensemble des obligations auxquelles elles ne peuvent faire face seules. C'est pourquoi cette forme d'intercommunalité primitive encore pratiquée aujourd'hui est nommée « intercommunalité associative ou intercommunalité de gestion ». Ce type d'intercommunalité a surtout favorisé le développement de l'électrification et l'installation des réseaux d'eau, mais aussi l'exercice de toutes les compétences qui dépassaient le simple cadre du territoire communal.
• L'ordonnance du 5 janvier 1959 et la loi du 31 décembre 1966
Il faut attendre 1959 et l'ordonnance du 5 janvier créant les districts, puis la loi du 31 décembre 1966 instituant les communautés urbaines pour franchir une nouvelle étape et instaurer une intercommunalité plus ambitieuse. Les nouveaux établissements de coopération intercommunale (EPCI) issus de ces textes exercent des compétences imposées par la loi et disposent du droit de lever l'impôt. Cette intercommunalité resserre davantage les liens entre les communes-membres. On l'appelle l'intercommunalité « fédérative » ou « à fiscalité propre » ou encore « de projet ».
Si le but premier reste le même : « faire ensemble mieux et à moindre coût pour le contribuable, ce que chaque commune seule ne peut faire ou ferait moins bien et à un coût plus élevé », s'ajoute maintenant l'idée d'un « projet » commun aux communes membres de l'EPCI à fiscalité propre. Ce but supplémentaire induit une plus grande intégration des communes-membres à l'intérieur du cadre donné par l'EPCI, un renforcement de la cohésion et de la solidarité entre elles et des choix politiques importants pour l'avenir du territoire. On comprend que ces trois ambitions, pour louables qu'elles soient, fassent éclater le cadre de la simple mise en commun de moyens et celui de la stricte gestion ; elles contiennent en germe et justifient a priori un accroissement de la dépense publique.
Ainsi, tout en conservant à l'intercommunalité sa première raison d'être (dépasser le territoire communal pour rationaliser la dépense publique), on lui adjoint désormais un but nouveau très ambitieux mais antinomique du premier (préparer l'avenir d'un territoire au moyen d'un projet commun qui ne saurait être que politique au sein d'un périmètre de solidarité qui tendrait à abolir les différences entre les communes...).
Cette nouvelle intercommunalité va se mettre en place progressivement ; elle doit servir de substitut à l'impossible fusion des communes après l'échec de la loi du 16 juillet 1971 sur les fusions de communes ou du moins apparaître comme un compromis acceptable ; on considère cependant qu'elle naît véritablement en 1959 (date essentielle puisque c'est celle où apparaît la notion de compétence obligatoire et où disparaît l'unanimité au profit de la majorité qualifiée pour la création d'un ECPI). Elle progresse avec la loi du 13 juillet 1983 relative aux syndicats d'agglomération nouvelle et la loi d'orientation relative à l'administration territoriale de la République du 6 février 1992. Mais c'est la loi du 12 juillet 1999 qui va rationaliser et accélérer le processus.
• La loi du 6 février 1992
La loi de 1992 a été précédée d'une importante réflexion qui s'est concentrée sur les compétences liées au développement économique et à l'aménagement du territoire, concepts fondateurs de la nouvelle intercommunalité, aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural. Les deux catégories d'établissements publics de coopération intercommunale qui ont été créées par cette loi, les « communautés de communes » et les « communautés de villes », ont donc été dotées, à titre obligatoire de ces deux compétences essentielles, mettant ainsi en oeuvre le volet institutionnel de la loi. Celle-ci a été complétée par un volet fiscal reposant essentiellement sur la taxe professionnelle unique (TPU), obligatoire pour les communautés de villes que le législateur avait conçues pour le milieu urbain, et optionnelle et modulable avec la taxe professionnelle de zone dans le milieu rural, pour lequel le législateur avait prévu les communautés de communes. Cette mise en commun de l'impôt sur la richesse économique, représentant à peu près la moitié des ressources fiscales communales, constituait le fondement du développement de l'intercommunalité urbaine.
La loi de 1992 lançait un objectif clair qui était destiné à développer un véritable aménagement du territoire, indépendant du seul critère de taux de taxe professionnelle en matière d'implantation des entreprises. Cette implantation devait désormais se faire au sein d'un territoire géographiquement et économiquement cohérent, celui de l'établissement public de coopération intercommunale, échelon où la compétence appartient en propre à la commune et par délégation au groupement. Le schéma semblait limpide.
Or, contrairement à ce qu'avait prévu le législateur de 1992, la ligne de partage simple entre le développement des aires urbaines dotées de la taxe professionnelle d'agglomération, et celui du milieu rural, pour lequel la fiscalité propre additionnelle et la taxe professionnelle de zone étaient jugées suffisantes, n'a pas été respectée. Diverses raisons paraissent pouvoir expliquer ce phénomène.
En premier lieu, les modalités de calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF) intercommunale, ont parfois motivé le choix de la taxe professionnelle unique sans que la nécessité économique d'une spécialisation de la taxe professionnelle autour d'un projet s'impose vraiment, en milieu rural notamment. Ce phénomène ira en s'aggravant.
En outre, le milieu urbain, dès lors que la rapide évolution de la loi de 1992 le lui a permis, a été facilement découragé par la lourdeur « intégratrice » de la communauté de villes et lui a nettement préféré la souplesse de la communauté de communes. Ce choix institutionnel rendait facultative la taxe professionnelle unique en milieu urbain alors qu'elle avait été considérée comme le fondement de l'aménagement des agglomérations. Cette raison est la cause du succès de la communauté de communes et corrélativement de l'échec de la communauté de villes.
Un bilan réalisé en 1997 par l'Assemblée des Communautés de France (ADCF) auprès de 68 établissements publics de coopération intercommunale à taxe professionnelle unique illustre de façon particulièrement nette le caractère rural de la taxe professionnelle unique. En 1997, 72 % des établissements publics de coopération intercommunale à taxe professionnelle unique comptent moins de 20.000 habitants, 18 % moins de 10.000 habitants. Seules les six agglomérations de Marseille, Rennes, Avignon, Aix-en-Provence, La Rochelle et Perpignan ont constitué une intercommunalité autour d'une taxe professionnelle unique.
L'analyse du bilan de la loi de 1992 par rapport aux objectifs initialement assignés montre que la taxe professionnelle unique s'est développée en milieu rural, précisément là où le législateur de 1992 ne l'imaginait pas, alors qu'elle n'a pas été forcément choisie par le milieu urbain pour lequel elle était justement instituée. L'échec est particulièrement patent pour les communautés urbaines, aucune des douze n'adoptant alors le régime de la taxe professionnelle unique et seules cinq communautés de villes étant créées.
• La loi du 4 février 1995 (loi Pasqua)
En 1995, la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, dite loi « Pasqua » montre que le débat se poursuit et qu'il porte ses fruits ; elle permet la création des « pays », espaces non institutionnels de rencontre, de dialogue et de projet entre urbains, périurbains et ruraux. Le principe d'action est celui du volontariat et de la réflexion collective, grâce à l'incitation à contracter. L'Etat propose aux territoires de s'organiser en pays sur la base d'un projet fédérateur à une échelle cohérente. Cette loi traduit la recherche de solutions face à la maigreur des premiers résultats de la loi de 1992 et la nécessité de poursuivre la réflexion ou en tout cas de la stimuler.
• La loi du 12 juillet 1999 (loi Chevènement)
La loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi « Chevènement », va mettre en place solennellement un nouveau cadre institutionnel pour l'intercommunalité ainsi que des modalités permettant d'adapter les structures existantes à ce nouveau cadre. Ainsi, les communautés de ville, les districts et à terme les syndicats d'agglomération nouvelle (SAN) sont appelés à disparaître au profit des trois structures principales que sont la « communauté urbaine », la « communauté de communes » et la « communauté d'agglomération » nouvellement créée. En outre, la loi tend à favoriser les EPCI à fiscalité propre au détriment des syndicats de communes, c'est-à-dire de l'ancienne intercommunalité de gestion.
Ces structures, dotées d'une fiscalité propre, doivent être d'un seul tenant et sans enclave (afin de constituer un périmètre cohérent). Elles ont des règles de fonctionnement communes en ce qui concerne notamment :
- leur mode de création et de dissolution ;
- leurs modalités de transformation et un autre type de structure intercommunale ;
- leur organe délibérant ;
- leurs compétences ;
- les modalités d'information et la transparence.
Les grandes étapes de l'intercommunalité
• Décembre 1789 : la France des provinces et des paroisses cède la place à celles des départements et des communes.
• 22 mars 1890 : première loi sur l'intercommunalité avec le syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU).
c'est l'intercommunalité « associative » ou « de gestion »
• 5 janvier 1959 (ordonnance créant les districts ) et la loi du 31 décembre 1966 (instituant les communautés urbaines )
Appelée intercommunalité « fédérative », ou à « fiscalité propre », ou encore « de projet ».
• Echec de la loi du 16 juillet 1971 sur les fusions de communes
• La loi dite « ATR » du 6 février 1992 (Administration Territoriale de la République)
création des communautés de communes et des communautés de villes
affirmation du principe de « libre volonté des communes en vue d'élaborer des projets communes de développement au sein de périmètres de solidarité »
les objectifs assignés à la loi étaient :
La création de communautés de villes en agglomération, avec l'instauration de la TPU au sein d'un territoire cohérent géographiquement et économiquement (fin de la compétition entre communes relevant d'un même territoire).
La création de communautés de communes en zones rurales, où la TPZ et la fiscalité propre additionnelle avaient été jugées suffisantes, la problématique étant différente.
• Loi du 4 février 1995 (loi Pasqua d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire)
Part du constat d'échec relatif de la loi de 1992,
Instaure toujours sur la base du volontariat les « Pays », espaces non institutionnels, de dialogues, d'échanges et de projets entre les urbains, les péri-urbains et les ruraux.
• Loi du 12 juillet 1999 (dite loi Chevénement)
Création :
de communautés urbaines (500.000 hab. au moins)
de comunautés d'agglomération (50.000 hab. au moins)
des communautés de communes
• Loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales
Apporte des précisions concernant le périmètre, le fonctionnement et les conditions d'exercice des compétences intercommunales
fixe un délai pour définir l'intérêt communautaire au-delà duquel l'intégralité de la compétence transférée est exercée par les EPCI.
2. Un nouvel assouplissement de l'intercommunalité : la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales
A côté du transfert de compétences de l'Etat vers les régions et les départements, la loi du 13 août 2004 apporte un certain nombre de précisions concernant le périmètre, le fonctionnement et les conditions d'exercice des compétences intercommunales.
La loi impose désormais un délai pour définir l'intérêt communautaire, notion introduite par la loi Chevènement pour répartir l'exercice d'une compétence entre un EPCI à fiscalité propre et ses communes-membres. Cette notion est capitale, car elle conditionne les trois principes de l'intercommunalité : spécialité, exclusivité, subsidiarité.
La loi permet aux maires de transférer certains pouvoirs de police spéciale (circulation, stationnement, assainissement non collectif, traitement des ordures ménagères, accueil des gens du voyage, manifestations culturelles et sportives dans des équipements communautaires) au président de communauté. Toutefois les pouvoirs ainsi transférés seront exercés par arrêté conjoint du président et du maire. Les conditions de constitution de services communs à la commune et à la communauté sont assouplies et rendues plus opérationnelles.
Les EPCI à fiscalité propre ont la faculté de demander au département ou à la région d'exercer au nom de ces derniers, tout ou partie de leurs compétences dans des conditions prévues par une convention.
On voit que cette loi cherche à mieux délimiter la frontière entre les compétences, les services et les ressources de l'EPCI et ceux des communes et des départements, voire des régions. En outre, elle ouvre le spectre des compétences qui peuvent être transférées à l'EPCI.
Enfin, et c'est révélateur, la loi encourage la fusion des EPCI et la transformation des EPCI d'une catégorie en EPCI d'une autre catégorie, généralement plus intégratrice.