N° 142

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 décembre 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom des délégués élus par le Sénat (1), sur les travaux de la délégation française à l' Assemblée de l' Union de l' Europe occidentale au cours de la seconde partie de la 51 ème session ordinaire - 2005 - de cette assemblée, adressé à M. le Président du Sénat, en application de l'article 108 du Règlement,

Par M. Jean-Pierre MASSERET,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Denis Badré, Mme Josette Durrieu, MM. Francis Grignon, Jacques Legendre, Jean-Pierre Masseret et Philippe Nachbar, Délégués titulaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Jean-Guy Branger, Michel Dreyfus-Schmidt, Daniel Goulet, Jean-François Le Grand et Yves Pozzo di Borgo, délégués suppléants.

Union de l'Europe occidentale.

INTRODUCTION

A. PRÉSENTATION DES ACTIVITÉS DE LA DÉLÉGATION PENDANT LE SECOND SEMESTRE DE 2005

La seconde partie de la 51 ème session ordinaire 2005, du 5 au 7 décembre, a permis, soit à l'occasion des réunions de commissions, soit au cours des séances plénières, de débattre des compétences respectives entre l'Union européenne et l'UEO en matière de marchés d'armements, de l'organisation de la politique européenne de sécurité et de défense, de l'opération de l'Union européenne ALTHEA dans les Balkans, de l'industrie navale européenne de défense et la surveillance de l'espace maritime en Europe, des relations entre l'Union européenne et l'OTAN, de la lutte contre le terrorisme international et, enfin, du maintien de la paix en Afrique sub-saharienne.

Le texte intégral des documents et des débats de l'Assemblée de l'UEO sont consultables sur le site : http://www.assembly-weu.org/ fr/accueil.php

B. LA COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE À L'ASSEMBLÉE DE L'UNION DE L'EUROPE OCCIDENTALE DURANT LA SECONDE PARTIE DE LA 51ÈME SESSION ORDINAIRE DE 2005

La délégation parlementaire française aux Assemblées du Conseil de l'Europe et de l'UEO, identique, comprend vingt-quatre députés (douze titulaires, douze suppléants) et douze sénateurs (six titulaires, six suppléants) . L'Assemblée nationale renouvelle ses délégués après chaque élection législative générale et le Sénat après chaque renouvellement triennal. En outre, des remplacements peuvent intervenir entre ces dates, notamment pour cause de démission d'un délégué.

1. Représentants de l'Assemblée nationale

La Délégation de l'Assemblée nationale aux Assemblées du Conseil de l'Europe et de l'UEO était composée, au cours de ce second semestre 2005 de :

Délégués titulaires (12) : MM. René ANDRÉ (Manche - UMP), Georges COLOMBIER (Isère - UMP), Claude ÉVIN (Loire-Atlantique - Soc), Pierre GOLDBERG (Allier - CR), Armand JUNG (Bas-Rhin - Soc), Jean-Pierre KUCHEIDA (Pas-de-Calais - Soc), Édouard LANDRAIN (Loire-Atlantique - UMP), Jean-Claude MIGNON (Seine-et-Marne - UMP), Marc REYMANN (Bas-Rhin - UMP), François ROCHEBLOINE (Loire - UDF), André SCHNEIDER (Bas-Rhin - UMP), Bernard SCHREINER (Bas-Rhin - UMP).

Délégués suppléants (12) : MM. Alain COUSIN (Manche - UMP), Jean-Marie GEVEAUX (Sarthe - UMP), Mmes Claude GREFF (Indre-et-Loire - UMP), Arlette GROSSKOST (Haut-Rhin - UMP), MM. Michel HUNAULT (Loire-Atlantique - UDF), Denis JACQUAT (Moselle - UMP), Jean-Claude LEFORT (Val-de-Marne - CR), Jean-Marie LE GUEN (Paris - Soc), Guy LENGAGNE (Pas-de-Calais - Soc), François LONCLE (Eure - Soc), Gilbert MEYER (Haut-Rhin - UMP), Rudy SALLES (Alpes-Maritimes - UDF).

2. Représentants du Sénat

Les 12 représentants du Sénat sont :

Délégués titulaires (6) : M. Denis BADRÉ (Hauts-de-Seine - UC-UDF), Mme Josette DURRIEU (Hautes-Pyrénées - Soc), MM. Francis GRIGNON (Bas-Rhin - UMP), Jacques LEGENDRE (Nord - UMP), Jean-Pierre MASSERET (Moselle - Soc), Philippe NACHBAR (Meurthe-et-Moselle - UMP).

Délégués suppléants (6) : MM. Jean-Marie BOCKEL (Haut-Rhin - Soc), Jean-Guy BRANGER (Charente-Maritime - UMP), Michel DREYFUS-SCHMIDT (Territoire de Belfort - Soc), Daniel GOULET (Orne - UMP), Jean-François LE GRAND (Manche - UMP), Yves POZZO DI BORGO (Paris - UC-UDF).

3. Bureau de la délégation

Le Bureau de la Délégation française était ainsi composé jusqu'au 12 décembre 2005 (1 ( * )) :

Président :

M. Bernard SCHREINER

Député

UMP

Président délégué :

M. Jean-Pierre MASSERET

Sénateur

S

Vice-Présidents :

M. Jean-Claude MIGNON

Député

UMP

M. René ANDRÉ

Député

UMP

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT

Sénateur

S

M. Claude ÉVIN

Député

S

M. Daniel GOULET

Sénateur

UMP

M. Francis GRIGNON

Sénateur

UMP

M. Denis JACQUAT

Député

UMP

M. Jean-Pierre KUCHEIDA

Député

S

M. Jacques LEGENDRE

Sénateur

UMP

M. François LONCLE

Député

S

M. François ROCHEBLOINE

Député

UDF

Membre associé :

Mme Josette DURRIEU, en qualité d'ancienne Présidente de la délégation française

Sénatrice

S

Le mardi 6 décembre 2005, M. Bernard Schreiner a réuni la Délégation française afin d'envisager la nouvelle composition du Bureau après l'élection de M. Jean-Pierre Masseret à la Présidence de l'Assemblée de l'UEO.

Assistaient à cette réunion :

M. Jean-Guy Branger, Sénateur (Charente-Maritime - UMP), Mme Josette Durrieu, Sénateur (Hautes-Pyrénées - Soc), M. Jean-Marie Geveaux, Député (Sarthe - UMP), M. Jean-Pierre Kucheida, Député (Pas-de-Calais - Soc), M. Jean-Pierre Masseret, Sénateur (Moselle - Soc), M. Marc Reymann, Député (Bas-Rhin - UMP), M. François Rochebloine, Député (Loire - UDF), M. André Schneider, Député (Bas-Rhin - UMP), M. Bernard Schreiner, Député (Bas-Rhin - UMP).

Le Président Bernard Schreiner a souligné que cette réunion avait pour but de mettre la Délégation française en mesure de se préparer aux conséquences de l'élection prévisible de M. Jean-Pierre Masseret à la Présidence de l'Assemblée de l'UEO. Il a rappelé que M. Jean-Pierre Masseret détenait actuellement deux postes :

- celui de Président délégué de la Délégation française pour l'UEO ;

- celui de Vice-Président de l'Assemblée de l'UEO au titre de la France.

Il a indiqué qu'il avait reçu une seule candidature pour chacune de ces deux fonctions

- celle de Mme Josette Durrieu pour la Présidence déléguée de la Délégation française pour l'UEO ;

- celle de M. Marc Reymann pour la Vice-Présidence de l'Assemblée de l'UEO au titre de la France.

Aucune opposition ne s'étant manifestée, il a donc été décidé, dans l'hypothèse où M. Jean-Pierre Masseret serait élu à la Présidence de l'UEO, que :

- Mme Josette Durrieu deviendrait Présidente déléguée de la Délégation française pour l'UEO ;

- M. Marc Reymann serait proposé par la Délégation française pour le poste de Vice-Président de l'Assemblée de l'UEO.

M. Jean-Pierre Masseret ayant été élu Président de l'Assemblée de l'UEO le 7 décembre 2006, la Délégation, convoquée par son Président, M. Bernard Schreiner, s'est réunie à l'Assemblée nationale le 13 décembre 2006 et a arrêté formellement la composition du Bureau de la Délégation, lequel se trouve ainsi constitué :

Président :

M. Bernard SCHREINER

Député

UMP

Présidente déléguée :

Mme Josette DURRIEU (pour l'UEO)

Sénateur

S

Vice-Présidents :

M. Jean-Claude MIGNON

Député

UMP

M. René ANDRÉ

Député

UMP

M. Michel DREYFUS-SCHMIDT

Sénateur

S

M. Claude ÉVIN

Député

S

M. Daniel GOULET

Sénateur

UMP

M. Francis GRIGNON

Sénateur

UMP

M. Denis JACQUAT

Député

UMP

M. Jean-Pierre KUCHEIDA

Député

S

M. Jacques LEGENDRE

Sénateur

UMP

M. François LONCLE

Député

S

M. Jean-Pierre MASSERET (2 ( * ))

Sénateur

S

M. François ROCHEBLOINE

Député

UDF

C. RENOUVELLEMENT DU BUREAU DE L'ASSEMBLÉE DE L'UEO ET DU BUREAU DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE

1. Élection de M. Jean-Pierre Masseret à la Présidence de l'UEO

Le mercredi 7 décembre 2006, M. Jean-Pierre Masseret, Sénateur (Moselle - Soc), ancien ministre, a été élu par acclamation Président de l'Assemblée de l'UEO et, par conséquent, appelé à succéder à M. Stef Goris (Belgique - Libéral) à compter du 1 er janvier 2006 (3 ( * )) .

2. Élection de M. Marc Reymann à la Vice-présidence et de Mme Josette Durrieu à la Présidence, déléguée pour le Sénat, de la Délégation française à l'Assemblée de l'UEO

Proposé par ses collègues de la Délégation française, c'est M. Marc Reymann, Député (Bas-Rhin - UMP), qui a été élu, le mercredi 7 décembre, Vice-Président de l'Assemblée de l'UEO au titre de la France.

Et, en application des décisions du Bureau de la Délégation française, réuni par M. Bernard Schreiner, Président de la Délégation française aux Assemblées du Conseil de l'Europe et de l'UEO, les 6 et 13 décembre 2006, Mme Josette Durrieu, Sénatrice (Hautes-Pyrénées - Soc), devient Présidente déléguée, pour le Sénat, de la Délégation française.

D. PRÉSIDENCE DU CONSEIL DES MINISTRES DE L'UEO : PROLONGATION DE LA PRÉSIDENCE BRITANNIQUE PENDANT LE SEMESTRE DE LA PRÉSIDENCE AUTRICHIENNE DE L'UNION EUROPÉENNE

À l'issue de la Présidence du Conseil de l'Union européenne par la Grande-Bretagne, c'est l'Autriche qui a pris la Présidence de l'Union.

En raison du choix de l'État autrichien de demeurer observateur et non membre plénier de l'UEO, c'est la Grande-Bretagne qui assure formellement la présidence de l'UEO pendant le premier semestre 2006.

E. NOMINATION DE MME CHRISTINE ROGER, AMBASSADEUR, REPRÉSENTANT PERMANENT DE LA FRANCE AUPRÈS DE L'UNION DE L'EUROPE OCCIDENTALE - UEO À BRUXELLES ET DU COMITÉ POLITIQUE ET DE SÉCURITÉ AUPRÈS DE L'UNION EUROPÉENNE

Le 3 novembre 2005, en remplacement de Mme Sylvie Bermann, Mme Christine Roger, Conseiller des Affaires étrangères hors classe, a été nommée Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l'Union de l'Europe occidentale - UEO à Bruxelles et du Comité politique et de sécurité auprès de l'Union européenne - COPS.

I. ACTIVITÉS DES MEMBRES DE LA DÉLÉGATION EN DEHORS DE LA SECONDE PARTIE DE LA SESSION PLÉNIÈRE 2005

Outre les réunions des Commissions qui ont permis d'adopter les Rapports devant être inscrits à l'ordre du jour de la deuxième partie de la session 2005, les membres de la Délégation ont participé à divers évènements organisés, certains en partenariat, par l'Assemblée de l'UEO.

A. CONFÉRENCE SUR LE MAINTIEN DE LA PAIX EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE : UNE APPROCHE CONCRÈTE (BRUXELLES - 20 ET 21 SEPTEMBRE 2005)

À l'invitation du Parlement belge, cette conférence s'est tenue dans l'hémicycle de la Chambre des représentants de Belgique.

Elle a permis à des parlementaires appartenant aussi bien à des parlements nationaux qu'au Parlement européen et, bien sûr, à l'Assemblée de l'UEO, d'échanger leurs vues sur les conflits, qu'ils soient déjà en cours ou encore larvés, avec des officiers, y compris rattachés aux structures de l'Union européenne ainsi qu'avec des responsables politiques et militaires africains, outre de nombreux diplomates.

Le programme de cette conférence comprenait :

Mardi 20 septembre

Discours d'ouverture

- M. Herman De Croo (Belgique), Président de la Chambre des Représentants de Belgique ;

- M. Stef Goris (Belgique), Président de l'Assemblée de l'UEO ;

- M. François Roelants du Vivier (Belgique), Président de la Commission des relations extérieures et de la défense du Sénat de Belgique.

Première séance Président : M. Stef Goris (Belgique), Président de l'Assemblée de l'UEO.

Les menaces pesant sur la paix et la sécurité en Afrique sub-saharienne

Discours de M. Armand De Decker (Belgique), Ministre de la coopération au développement (ancien Président de l'Assemblée de l'UEO).

Exposés présentés par :

- M. Arnauld Akodjenou (Bénin), Directeur du Service des urgences et de la sécurité, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ;

- M. Matadi Nenga Gamanda, Vice-Président de l'Assemblée nationale de la République démocratique du Congo remplaçant M. Olivier E. Kamitatu, Président de l'Assemblée nationale.

Discussion

Deuxième séance : Président : M. Philippe Monfils (Belgique), Président de la délégation belge et Vice-Président de la Commission de défense de l'Assemblée de l'UEO.

Expériences en matière d'opérations militaires de maintien de la paix en Afrique subsaharienne

Discours du Lieutenant-Général Frédéric Vandingenen (Belgique), Sous-chef d'Etat-Major, Opérations et Entraînement.

Introduction sur la politique menée par l'UE pour organiser le maintien de la paix dans le domaine militaire en Afrique :

- Général Jean-Paul Perruche, Directeur de l'Etat-major de l'Union européenne.

Exposés présentés par :

- Général Bruno Neveux (France), Chef de l'Etat-Major interarmées de force et d'entraînement (Opération Artemis - République démocratique du Congo) ;

- Général Jean-Marie Mokoko, Conseiller du Président pour la paix et la sécurité, Congo Brazzaville ;

- Général de brigade Emmanuel Beth (France), Chef du Centre de planification et de conduite des opérations de l'Etat-Major des Armées (Opération Licorne - Côte d'Ivoire).

Discussion

Troisième séance : Président : M. Pedro Agramunt (Espagne), Président de la Commission politique de l'Assemblée de l'UEO.

Expériences dans le domaine de la gestion de crises et du maintien de la paix : l'exemple du Darfour

Exposés présentés par :

- Général de division Henry Anyidoho, Chef d'État-Major de la Task Force intégrée de l'Union européenne au Darfour ;

- M. Christian Manahl, Chargé du Darfour au sein de la « Task Force Afrique » de l'Union européenne ;

- M. Al Derderi Mohamed Ahmed (Soudan), Membre de l'Assemblée nationale ;

- Dr. Alexia Mikhos, Section Politique de gestion des crises, Division Opérations, OTAN

Discussion

Mercredi 21 septembre

Quatrième séance : Président : M. Stef Goris (Belgique), Président de l'Assemblée de l'UEO.

Perspectives futures de la coopération euro-africaine en matière de maintien de la paix

Discours de M. Koen Vervaeke, Chef de la « Task Force Afrique » de l'Union européenne.

Exposés présentés par :

- Dr. Sven Biscop, Directeur de recherches, Institut royal des relations internationales (Belgique) ;

- M. Alain Deletroz (France), Vice-Président (Europe), International Crisis Group.

Discussion

Conclusions

M. Charles Goerens (Luxembourg), rapporteur de l'Assemblée (ancien Ministre de la défense et du développement, ancien Président de l'Assemblée de l'UEO).

Discours de clôture

M. Louis Michel (Belgique), Commissaire européen au développement et à l'aide humanitaire.

Toutes les allocutions et les discussions auxquelles cette conférence a donné lieu peuvent être consultées sur le site de l'Assemblée de l'UEO :

assembly-weu.org/fr

Sont reproduites ci-dessous les interventions de quelques uns des participants :

M. Armand De DECKER (Ministre de la coopération au développement, Belgique ) :

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers amis, je voudrais tout d'abord remercier mon ami Stef Goris de m'avoir invité à prendre la parole à cette conférence organisée par l'Assemblée de l'UEO, une institution qui m'est chère puisque j'y ai siégé pendant plus de 18 ans et que j'ai même eu le privilège d'en être le Président.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, iI y a des hasards de calendrier qui sont heureux, ou plutôt qui viennent introduire dans un discours une note d'espoir et d'optimisme. Si l'Assemblée parlementaire de l'UEO s'était réunie il y a dix jours plutôt qu'aujourd'hui, je vous aurais adressé la parole dans un autre état d'esprit, cherchant certes à vous convaincre de la nécessité de rechercher des solutions concrètes au maintien de la paix en Afrique sub-saharienne, mais en vous parlant comme un homme presque démuni, n'ayant dans son arsenal que ses espérances et ses convictions, et ne pouvant évoquer comme exemple à suivre que des opérations de maintien de la paix reposant sur le seul bon vouloir des nations.

Revenant du Sommet du Millénaire+5 qui vient de se tenir à New York, je vous parle aujourd'hui avec une confiance et un espoir nouveaux, que me donnent, que nous donnent, les courageuses et ambitieuses décisions que les Nations unies ont adoptées en ce qui concerne l'établissement de la paix, la responsabilité de protéger, responsabilité qui légitime et instaure un véritable droit d'ingérence de la communauté internationale, une meilleure protection des droits de l'homme, et consacre le principe d'interconnexion entre les différentes menaces, et en particulier le lien entre paix et développement, lien essentiel pour empêcher les dérives de conflits internes, lien essentiel aussi pour faire des opérations de maintien de la paix le fondement d'une véritable reconstruction pacifique et démocratique des Etats en crise.

Ce colloque vient donc à son heure, d'autant plus que le Burundi vient de connaître un processus électoral qui met un terme à plus de dix ans de conflit, et que la République démocratique du Congo s'est elle aussi engagée dans la voie de la transition démocratique. Je forme le voeu que notre réunion nous permette, tous ensemble, de dégager un certain nombre de pistes de réflexion pour envisager l'avenir.

Je souhaiterais, pour ma part, rappeler trois éléments qui, à mon sens, doivent guider cette réflexion :

Premièrement, la constatation que la coopération au développement ne relève plus aujourd'hui d'une démarche caritative, vaguement paternaliste, qui permettait aux pays riches de se donner bonne conscience à peu de frais. Elle relève d'une prise de conscience de la modification de notre environnement stratégique et du fait que désormais l'instabilité du Sud constitue la principale menace pour la stabilité du Nord. Cette évidence fut rappelée récemment dans le rapport des experts de haut niveau désignés par le Secrétaire général de l'ONU et dans la Déclaration finale adoptée vendredi dernier à New York lors du Sommet mondial. C'est cette interconnexion que je viens d'évoquer entre la paix et le développement et dont je parlerai plus longuement dans quelques instants. Notre politique européenne de coopération au développement doit donc être considérée dans le cadre plus global de l'ensemble des politiques mises en oeuvre, y compris la dimension de sécurité et de défense.

Le deuxième élément qui doit guider notre réflexion est que le développement est subordonné à un certain nombre de préalables incontournables, au rang desquels figurent bien entendu la bonne gouvernance, le juste et libre échange mais aussi, et surtout, la paix et la sécurité. Il est illusoire d'envisager le développement économique et social d'un territoire si ses habitants ne jouissent pas de la possibilité de s'y déplacer, d'y cultiver la terre, de commercer en toute liberté, à l'abri des menaces, des exactions. Je ne parle même pas de l'éducation, de l'instauration et du maintien d'un système de santé, des infrastructures de base, ni bien sûr de la croissance économique ou de la recherche, vitales elles aussi pour l'avenir de ces pays et qui s'avèrent impossibles dans un contexte de guerre dont les jeunes sont les premières cibles en général.

La troisième constatation est que le contexte dans lequel nous devons oeuvrer à la paix s'est largement modifié au cours de la dernière décennie. Tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, l'Afrique a subi les effets des deux principaux courants géopolitiques que furent le mouvement de décolonisation d'une part, et la guerre froide d'autre part. Elle se trouve aujourd'hui confrontée à des conflits qui n'ont pas -- ou plus - de fondement idéologique, ils relèvent tantôt de tensions interethniques, tantôt d'exactions de bandes armées, largement incontrôlées ou manipulées (selon les cas), mais dont les comportements barbares touchent au premier chef les populations civiles et singulièrement les plus faibles d'entre elles : femmes, enfants et vieillards.

Les opérations de maintien de la paix en Afrique centrale n'ont pas toujours été couronnées de succès dans le passé. Le cas dramatique, scandaleux même, de l'échec de 1a MINUAR au Rwanda en témoigne suffisamment.

Nous savons pourtant, comme l'exemple de l'ONUB l'a démontré au Burundi, que ces missions peuvent réussir, ont un sens, si elles sont poursuivies avec détermination et soutenues par la communauté internationale. Nous savons les difficultés que rencontre la MONUC sur le terrain, dont la moindre n'est sans doute pas une bonne communication entre les unités qui la composent et la population congolaise. Mais la MONUC est présente, et son action, aussi critiquée soit-elle par certains, reste essentielle pour la transition en République démocratique du Congo. Son rôle est d'autant plus crucial qu'elle se déploie dans un territoire immense, et qu'elle apporte, dans les localités et les provinces où ses soldats patrouillent, le minimum de stabilité indispensable au fonctionnement des infrastructures de base, et qu'elle assure, alors que le processus électoral se met lentement en route, une présence militaire sécurisant les électeurs et la classe politique et intimidant les groupes et les personnes qui refusent la transition démocratique.

La Belgique continuera d'appuyer les Nations unies dans cette mission, et continuera de mobilier les consciences en Europe et auprès d'autres pays pour souligner l'indispensable nécessité de la poursuite des efforts financiers permettant à la MONUC - qui est l'opération de maintien de la paix la plus importante de l'histoire des Nations unies -- de poursuivre et d'achever son mandat.

Comme vous le savez peut-être, la Belgique est également prête, dans le cadre d'une action trilatérale avec les Nations unies, à financer le déploiement au sein de la MONUC d'un bataillon en provenance du Bénin.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, j'ai déjà eu l'occasion de répéter dans d'autres enceintes que la Belgique entend pleinement assumer sa charge et son devoir de solidarité à l'égard des pays les plus démunis, et d'oeuvrer ainsi à la concrétisation des objectifs de développement du Millénaire - un projet dont l'incontournable pertinence fut encore rappelée la semaine dernière à New York. L'aide publique au développement de la Belgique passera cette année de 0,40 à 0,45% de notre revenu national brut, et notre objectif reste d'y consacrer 0,7% à l'horizon 2010.

Mais permettez-moi de revenir quelque peu au Sommet mondial d'évaluation de la Déclaration du Millénaire adoptée, auquel j'ai participé la semaine dernière. J'ai déjà dit l'importance des décisions de New York. Je suis à titre personnel très satisfait des résultats engrangés à cette occasion, ceux-ci étant bien meilleurs que ce que l'on craignait au départ.

Bien sûr, ils ne sont pas parfaits et ne répondent pas à toutes les attentes de chacun, mais ce qui compte, à mes yeux, c'est que nous avons été en mesure d'établir un nouvel agenda pour le futur, et de proposer un projet avec les ingrédients nécessaires afin de renforcer les rôles à jouer par les Nations unies et d'approfondir le processus de réforme déjà en cours. En effet, dans le Document final officiellement adopté vendredi dernier, un nouveau cadre conceptuel est proposé, lequel fédère autour d'un nouveau consensus de sécurité : le développement, la sécurité et les droits de l'homme.

Dans la Déclaration finale, les Etats membres :

- réaffirment les objectifs du Millénaire pour le développement,

- condamnent le terrorisme,

- décident d'instituer une Commission de consolidation de la paix,

- reconnaissent la responsabilité internationale de protéger les populations entre autres contre les génocides,

- souhaitent réformer le Conseil de sécurité et

- conviennent de créer un Conseil de droits de l'homme.

Autre sujet de satisfaction : le concept de « bonne gouvernance » qui occupe une place centrale dans le texte adopté. Comme chacun sait, sans bonne gouvernance, pas de stabilité ni de développement économique soutenable et durable.

S'agissant de la paix et de la sécurité collective, je retiens pour l'essentiel ce qui suit :

Le concept d'interconnexion entre les différentes menaces et en particulier le lien entre paix et développement qui était au coeur du rapport du Panel à haut niveau est maintenu. Ce qui est déjà en soi une grande victoire.

En ce qui concerne le recours à la force, l'idée de développer des critères spécifiques n'a pas survécu, mais ce qui est essentiel c'est l'affirmation que les dispositions de la Charte des Nations unies en la matière sont toujours valables et suffisantes. Autrement dit, le message est que la crise irakienne de 2002-2003 n'a pas conduit à une remise en cause fondamentale du système de paix et de sécurité basé sur le droit international, lequel ne permet le recours à la force que dans deux cas : la légitime défense et l'autorisation par le Conseil de sécurité.

En ce qui concerne le terrorisme, on a décidé une condamnation politique du terrorisme claire et sans qualification. En effet, les Etats membres condamnent pour la première fois « tous les actes de terrorisme, quels qu'en soient les motifs, où qu'ils soient commis et quels qu'en soient les auteurs » et s'engagent à conclure, au cours de la Soixantième session de l'Assemblée générale, une Convention générale relative au terrorisme international. Mais il est vrai qu'ils ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur une définition commune du terrorisme. Le concept d'une stratégie globale de lutte contre le terrorisme est soutenu, sur la base du projet de Kofi Annan - en l'occurrence, les « 5 D » : décourager le recours au terrorisme, dénier aux terroristes les moyens d'agir, dissuader les Etats de soutenir le terrorisme, développer les capacités d'action des Etats, et défendre les droits de l'homme dans la lutte contre le terrorisme.

Sans vouloir bien sûr réduire les causes de l'apparition du terrorisme à l'extrême pauvreté et au sous-développement - il y a des nations démunies dont les enfants ne recourent pas à la violence aveugle et assassine - il me paraît évident que le développement économique et social, la lutte contre les inégalités et les exclusions permettent d'atténuer les colères et les frustrations devant la lenteur des évolutions sociales et contribuent certainement à empêcher l'apparition d'une culture de violence et de terreur. Quant à l'établissement de la paix, le « peace-building », nous devons nous féliciter de voir que la proposition la plus originale du Panel à haut niveau, la création d'une Commission de consolidation de la paix, en tant qu'organe intergouvernemental consultatif et qui sera chargée d'aider les pays sortant d'un conflit armé, a fait l'objet d'une décision concrète et opérationnelle. Certes certaines de ses modalités devront être encore mises au point au cours des prochains mois, mais la décision est en soi suffisamment forte pour entraîner l'adhésion de tous. Il conviendra dans les semaines et les mois à venir de faire en sorte que la volonté politique des Etats subsiste, et que l'instance suprême qui en aura la tutelle, le Conseil de sécurité ou l'Assemblée générale, ne vienne pas réduire ses ambitions et ces moyens avant même qu'elle ne puisse agir.

L'essentiel est que le mandat de cette commission fasse l'objet d'un accord, à savoir l'accompagnement des pays sortant de crise pendant la phase de consolidation et de reconstruction, par le biais d'une approche intégrée permettant la coordination stratégique entre acteurs politiques et de développement, tant à l'intérieur du système onusien qu'à l'extérieur, comme par exemple l'implication active des institutions financières internationales. Cette nouvelle architecture devrait permettre un engagement plus cohérent et plus soutenu de la communauté internationale durant la phase de transition où les pays sortant d'un conflit retombent souvent dans la violence, comme on a pu par exemple le constater en Afrique.

Pour la Belgique, la mise en place de cette commission revêt un caractère particulièrement important et nous plaidons - d'ores et déjà et sous réserve de l'analyse de ses (futures) modalités de fonctionnement - pour une mise en oeuvre de ses moyens d'action dans la région des Grands Lacs et en particulier en République démocratique du Congo et au Burundi.

Il y a enfin l'adoption du principe de la responsabilité de protéger. Ce principe consacre la responsabilité de la communauté internationale en cas de génocide, de nettoyage ethnique, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, et instaure aussi la légitimité d'une action collective à cet égard, y compris par l'usage de la force si nécessaire. Sur le plan conceptuel, c'est sans doute l'avancée la plus remarquable et la plus significative de ce Document final de New York, car jusqu'à présent l'idée de « l'ingérence » dans les affaires intérieures d'un Etat était tout simplement taboue au sein de l'ONU.

Je voudrais saluer ici la détermination de tous nos partenaires de l'Union européenne, dont la diplomatie collective a été essentielle pour voir ces décisions adoptées, et saluer aussi les États-Unis qui ont su vaincre leurs réticences initiales et se joindre avec détermination à ces avancées remarquables du droit international.

Certes, ce serait malhonnête de ne pas reconnaître que le Sommet de New York n'a pas réussi à faire progresser davantage d'autres domaines fondamentaux pour la stabilité internationale et pour une représentation plus universelle des principaux acteurs de la scène internationale au Conseil de sécurité.

Comme vous le savez, la question du désarmement et de la non-prolifération n'a pas permis de dégager de nouvelles avancées. C'est là le point faible du document, puisqu'il n'a pas été possible d'arriver à un accord sur un texte dans ce domaine. Cependant, il subsiste un paragraphe qui endosse le Programme d'action sur les armes légères et de petit calibre ainsi qu'un paragraphe sur le Traité d'interdiction des mines antipersonnel, deux sujets importants pour la Belgique.

Quant au Conseil de sécurité, sa réforme n'a pas abouti. Les chefs d'Etat et de gouvernement se sont bornés à souhaiter que « le Conseil de sécurité soit réformé sans tarder, afin de le rendre plus largement représentatif » et ils se sont engagés à « s'efforcer de faire aboutir, d'ici à la fin 2005, les progrès accomplis sur cette voie ». A ce propos, les positions belges sont bien connues : nous sommes en faveur d'un Conseil de sécurité plus représentatif des réalités géopolitiques contemporaines.

A présent, il importe de mettre en oeuvre rapidement ce qui a été convenu. C'est pourquoi la Soixantième session de l'Assemblée générale - dont la présidence est tenue par la Suède et qui se déroule cette semaine est si importante. Elle devra d'abord, dans le domaine de la paix et de la sécurité collective, se pencher sur la stratégie globale des Nations unies de lutte contre le terrorisme et faire ratifier et appliquer les douze instruments juridiques universels, la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire et surtout le projet de convention générale sur le terrorisme international, qui devra être négocié lors de cette session.

Au-delà des initiatives que nous prenons dans le cadre de notre politique bilatérale - et je voudrais évoquer ici le rôle que nous jouons avec des partenaires africains et européens dans la réforme des forces armées congolaises - la Belgique n'a cessé de plaider depuis six ans pour que l'Afrique revienne en bonne place à l'agenda de la communauté internationale. J'ose pouvoir affirmer que dans une large mesure, nous y sommes parvenus, Cette démarche relève tant de notre conception de la solidarité internationale que de notre souhait de voir la coopération au développement « s'européaniser » davantage.

Même si l'heure est parfois à « l'europessimisme », je ne cesserai pour ma part de continuer à plaider pour « plus d'Europe », et mes nombreux voyages officiels renforcent ma conviction que, notamment en Afrique, beaucoup souhaitent que l'Europe rééquilibre un monde devenu trop unipolaire. Pour revenir à la situation en République démocratique du Congo, chacun se souvient sans doute du succès de l'opération Artemis en 2002 dans l'Ituri, dans laquelle il faut voir, au-delà de son rôle de maintien, voire de rétablissement de la paix, sur le terrain, l'ébauche de ce que pourrait, de ce que devrait être une politique européenne de sécurité.

L'Union européenne reste présente en République démocratique du Congo, puisque les opérations EUSEC et EUPOL, sans être des opérations de maintien de la paix, se placent résolument dans le cadre d'une approche rétablissant la confiance du citoyen congolais dans son armée et dans les services de la police.

Je crois que nous devons poursuivre ces efforts, même si parmi nos partenaires de l'Union européenne, certains sont plus réticents, ou moins enthousiastes. Je vois dans cette dimension européenne de notre participation à l'établissement de conditions favorisant le retour à la paix et à la stabilité un double défi. Celui d'abord d'être dans le monde ce que nous voulons être, une puissance de paix et un exemple pour d'autres. Celui ensuite, tout aussi crucial peut-être, de créer au sein de nos propres sociétés un double intérêt, une double solidarité. Celle que notre action suscitera évidemment envers les pays où nous agirons ensemble en tant qu'Union, celle qui doit naturellement se développer et se renforcer entre nous lorsque ensemble, nous agissons concrètement pour le bien de tous.

Cet exemple européen viendra par ailleurs renforcer notre plaidoyer pour que l'Afrique elle-même établisse des mécanismes de coopération et ose agir en Afrique même, lorsque la situation d'un pays le requiert. Il convient de se féliciter de la volonté politique de l'Union africaine et de saluer le processus qu'elle met en place aujourd'hui au Darfour pour assurer le rétablissement et le maintien de la paix.

L'exemple de ce que l'Union européenne peut faire, l'exemple de ce que l'Union africaine tente de faire, devraient nous amener à nous projeter dans l'avenir, et à envisager d'ores et déjà la mise en oeuvre de structures qui nous permettront d'agir à long terme.

La formation, l'entraînement et l'équipement d'armées régulières sont une tâche immense, mais incontournable pour l'établissement d'un climat de paix et de sécurité. Certains exercices militaires communs ont déjà lieu entre pays européens et pays africains. Ces coopérations militaires sont utiles, d'autant plus qu'elles visent à renforcer les capacités de maintien de la paix des unités africaines qui y prennent part, et qu'elles s'accompagnent de cours qui dépassent les leçons tactiques pour aborder d'autres domaines, tels le droit humanitaire et des conflits armés, ou un approfondissement des connaissances médicales de base données lors de l'instruction. Toutefois, l'ampleur de la tâche dépasse largement les capacités de tout Etat membre de l'Union européenne qui agirait à titre individuel.

Je crois donc qu'il y a ici un chantier important pour la mise en oeuvre d'un « projet européen », et je soumets à votre réflexion l'idée de créer, en Afrique centrale, une grande base militaire commune à l'Union africaine et à l'Union européenne.

Outre des avantages logistiques non négligeables, une telle infrastructure permanente, bien équipée et entretenue, nous permettrait de poursuivre et d'approfondir le processus de formation et d'entraînement de forces armées africaines selon les critères les plus élevés d'efficacité, d'opérationnalité et d'éthique. De plus, elle permettrait aux forces armées européennes de continuer à s'entraîner régulièrement en Afrique et ainsi d'entretenir leur connaissance, leur expertise de ce continent.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'heure n'est plus aujourd'hui aux arrière-pensées ou aux faux-fuyants. Les drames humanitaires qui se déroulent au Darfour, l'insécurité persistante dans l'est du Congo ou le nord de l'Ouganda, la situation sécuritaire incertaine en Côte d'Ivoire exigent une action urgente mais aussi fondée sur une perspective à long terme, l'Union européenne ayant un rôle crucial à jouer à cet égard.

La paix n'est pas un concept abstrait, et elle n'est pas seulement l'absence de guerre. « Elle ne vient », disait Saint-Exupéry, « que des enfants nés, que des moissons faites, que des maisons enfin rangées ». Puisse l'Union européenne inscrire son destin dans cette ambition, et s'affirmer dans le monde comme `celle qui recoud les fissures et pacifie la force des volcans'. »

Général Jean-Paul PERRUCHE (Directeur de l'Etat-major de l'Union européenne) :

« Pour introduire ce thème, il convient de rappeler d'emblée les deux principes qui sous-tendent l'action de la PESD en Afrique et qui constituent le fil conducteur de sa contribution.

L'Union entend respecter pleinement le principe de la maîtrise de son destin par l'Afrique. C'est le concept essentiel de «l'African ownership». En d'autres termes, le maintien de la paix sur leur continent incombe aux Africains eux-mêmes et l'Union les épaule dans la poursuite de cet objectif stratégique, qu'elle partage.

A cet égard, l'opération militaire Artemis dont le Général de division Neveux parlera en détail devrait faire figure d'exception, dans la mesure où il s'est agi alors d'apporter un soutien ponctuel à une mission des Nations unies en phase de redéploiement. L'engagement direct de contingents militaires de la PESD en Afrique ne saurait donc constituer la règle, même si l'UE reste prête à répondre à ces circonstances exceptionnelles, notamment par son concept de groupements tactiques (« battlegroups » - 1 500 hommes).

Les actions menées dans le cadre de la PESD doivent répondre à des demandes précises émanant de l'ONU, de l'UA, d'organisations sous-régionales africaines ou d'Etats africains.

1. Le plan d'action PESD pour le soutien apporté à la paix et à la sécurité en Afrique (novembre 2004)

En novembre 2004, le Conseil a approuvé un plan d'action relatif au soutien apporté dans le cadre de la PESD à la paix et à la sécurité en Afrique. Ce plan d'action recense les moyens pratiques qui devraient permettre d'aider concrètement les organisations africaines à se doter de capacités autonomes de prévention et de gestion des conflits. Il traite principalement :

- de la mise en place de capacités ;

- du soutien à la planification ;

- du concept de désarmement, démobilisation, réintégration (DDR) ;

- enfin, de la réforme du secteur de la sécurité (SSR).

À titre d'exemple et sans entrer dans les détails, l'UE a établi une liste de documents agréés, sur lesquels les organisations africaines pourraient se fonder pour rédiger leurs propres documents de planification.

L'EMUE est prêt à participer au développement des concepts en cours d'élaboration pour la Force africaine en attente, un dispositif militaire réparti sur quatre sous-régions du continent (ouest, est, centre et sud).

Enfin, l'UE entretient un officier de liaison permanent auprès de l'UA et pourrait étendre ce dispositif de liaison aux organisations subrégionales à leur demande.

2. Les actions de conseil : construire des capacités africaines

Bien dans l'esprit de l'appui qu'elle entend apporter aux Africains pour les mettre en mesure de promouvoir la paix et la sécurité en Afrique, l'UE mène de nombreuses actions de conseil, dont je voudrais donner trois exemples concrets :

- la Mission de police EUPOL, qui a permis la mise sur pied en juin dernier d'une première Unité de police intégrée (UPI) à Kinshasa. La mission pourrait être étendue, dans la perspective en particulier des élections à venir en RDC ;

- toujours en RDC, la Mission de conseil EUSEC, dont le mandat initial d'un an permet à une équipe d'experts de conseiller les autorités civiles et militaires congolaises dans des domaines aussi étendus que l'élaboration du plan stratégique congolais, la logistique, l'administration de la solde et des vivres au sein de forces armées en cours de refonte. Sur le terrain et en dehors de la capitale, EUSEC a contribué au choix de l'emplacement de six centres d'orientation et de brassage des militaires, qui intégreront les forces armées congolaises restructurées. Après des efforts initiaux très encourageants, la mission pourrait être étendue à un nouveau programme d'assistance technique en RDC ;

- EUSEC en RDC constitue la première manifestation tangible des actions de conseil en matière de réforme du secteur de la sécurité (SSR), que l'UE s'efforce actuellement de codifier dans le cadre d'un concept SSR de l'UE, en cours de rédaction au sein de l'EMUE. L'objectif est de finaliser ce concept d'ici la fin de la présidence en exercice et ainsi d'arrêter un premier corps de doctrine UE, qui pourra encadrer les activités de conseil dans ce domaine sur le continent africain et ailleurs.

3. Les actions de soutien

L'action militaire de l'UE en Afrique ne se limite pas au conseil, elle prend un tour encore plus actif au travers du soutien apporté aux opérations africaines de maintien de la paix, dans le respect toutefois du principe de « l'African ownership », que j'ai énoncé en introduction.

A cet égard, l'effort principal porte actuellement sur le soutien apporté à l'Union africaine au titre du déploiement de la mission AMIS II. Comme vous le savez, lors de la Conférence internationale des donateurs tenue à Addis-Abeba le 26 mai 2005, l'UE a présenté une offre globale et substantielle pour soutenir la mission AMIS II déployée par l'Union africaine dans la région du Darfour. Suite à l'action commune adoptée le 18 juillet dernier, outre les importantes contributions financières et en nature qu'elle apporte (92 millions d'euros), l'UE couvre dans son offre la planification logistique (20 experts), une part du transport aérien stratégique et tactique au profit des unités africaines (un bataillon, trois contingents de police) et le renforcement des capacités d'observation de l'UA avec 11 observateurs militaires en place actuellement (ce chiffre pourrait monter à 16 dans le futur).

Grâce à ce soutien, AMIS II a pu étoffer son dispositif à hauteur de 5 700 hommes en l'espace de trois mois et marque de ce fait une pause opérationnelle, afin d'adapter le dispositif logistique en conséquence. La reprise du déploiement reste l'objet d'une attention soutenue de la part du Comité politique et de sécurité de l'UE des ambassadeurs des 25. Le cas du Darfour sera également abordé lors de votre troisième séance.

Dans le même esprit et bien qu'il ne s'agisse pas d'activités directement opérationnelles, il me semble utile de citer au chapitre du soutien le cycle RECAMP, dont la cinquième édition est en préparation. Initié par la France et placé sous le signe d'un double partenariat avec l'Union européenne et l'Union africaine, il a pour objectif d'associer étroitement, pour la première fois, l'UA et la Communauté économique des États d'Afrique centrale (CEEAC) à l'ensemble du cycle. Cela contribuera ainsi à la valorisation des structures de prévention et de gestion de crise de ces organisations. Dans ce cadre, il est proposé à l'UE d'assurer un rôle actif dans la conception et le déroulement d'un séminaire politico-militaire initial, à Brazzaville, en mai 2006. Ce serait là une contribution significative à la paix et à la sécurité en Afrique, au travers d'une activité bien rôdée, dont les mérites ne sont plus à démontrer. RECAMP repose précisément sur les principes qui inspirent l'action européenne, l'appropriation par les Africains et la création de capacités.

Conclusion

Comme vous le voyez et sans empiéter sur le terrain des orateurs suivants, qui couvriront des opérations militaires davantage nationales, à l'exception d'Artemis, la gamme des actions de l'UE est d'ores et déjà très étendue.

J'ajoute que les activités menées dans le cadre de la PESD sont étroitement coordonnées avec les activités communautaires et les actions menées au titre de l'article 11 de l'Accord de Cotonou, afin de garantir une approche globale et intégrée, tant à l'occasion de la prévention des conflits que pendant les crises et lors de la stabilisation à l'issue des conflits ouverts. Les 250 millions d'euros alloués à la Facilité de paix pour l'Afrique sur la période 2004-2007 donnent une idée précise de l'efficacité qu'on peut attendre d'actions bien coordonnées sur le continent africain.

Quoi qu'il en soit, l'engagement de l'UE pour appuyer les capacités africaines de soutien à la paix doit être considéré comme un processus à long terme. »

Général Bruno NEVEUX (Chef de l'Etat-major interarmées de forces et d'entraînement, France) (Opération Artemis, RDC) :

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les parlementaires, j'ai l'honneur de m'adresser à vous en tant qu'ancien commandant de l'opération Artemis et je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de vous livrer quelques enseignements et réflexions sur une opération déjà ancienne, qui date de 2002, et qui, en comparaison d'autres plus importantes et plus récentes, ne retiendrait pas votre attention si elle n'était quelque peu « emblématique » par les « premières » qu'elle a réalisées et « fondatrice » à bien des égards : les groupements tactiques en sont bien des avatars.

En effet, Artemis a représenté :

- la première opération autonome de l'Union européenne,

- la première opération menée en situation de réaction rapide,

- la première opération en dehors de l'Europe,

- la première lancée par une nation pilote (« lead nation ») puis endossée par l'UE,

- la première coopération opérationnelle avec les Nations unies dans une opération de gestion de crise (opération « relais » - bridging operation).

Elle illustre de plus deux questions au coeur de la réflexion sur la défense européenne : quelles structures de commandement et quelles capacités de réaction rapide sont requises ?

Rappel du contexte de l'opération Artemis

L'opération Artemis a été menée dans l'Ituri, un district au nord-est de la RDC et dont la capitale est Bunia. Il s'agit d'une région ancienne de conflit où s'expriment les luttes traditionnelles entre fermiers (Lendus) et pasteurs (Hemas, minoritaires). La force est intervenue dans un contexte très troublé :

- lutte entre milices opposées représentant plusieurs groupes ethniques, qui faisaient régner la terreur ;

- intervention des États voisins sur fond de guerre en RDC et de luttes inter-congolaises puisque la région est très riche en minerais, or, diamants et attise toutes les convoitises ;

- à partir de 1997, la région avait été occupée par l'Ouganda qui, en dépit des accords de Luanda en septembre 2002, différait son retrait.

À l'époque (mai 2003), la MONUC s'était révélée impuissante (insuffisance des moyens en Ituri et impuissance de l'administration intérimaire) et pour prévenir l'aggravation de la situation, le Secrétaire général des Nations unies avait demandé à la France de prendre la tête d'une force internationale à Bunia. L'UE avait donc manifesté son intérêt pour l'opération. La base légale de l'opération est la Résolution 1484 du 30 mai 2003 : elle prévoit le déploiement d'une force d'urgence à Bunia le 1er septembre 2003, dont le but était de contribuer à la sécurité. Son mandat était clair, strictement limité dans le temps, l'espace et les objectifs. Elle devait donner du temps aux Nations unies pour renforcer leur dispositif.

Le défi était de projeter une force à 6 000 km de la métropole sans autre alternative que le transport aérien sur un seul accès, l'aéroport de Bunia.

Le 12 juin 2003, l'UE lance l'opération Artemis dont la force reste déployée conformément au mandat onusien, c'est-à-dire jusqu'au début juillet 2003.

L'opération Artemis (la réponse rapide, l'engagement et le rôle de l'UE, la transition et la coopération ONU-UE)

On peut bien identifier trois parties fondamentales dans cette opération exceptionnelle :

L'exigence d'une réponse rapide

C'est sans doute le point le plus important dans le contexte des crises actuelles qui exigent, eu égard généralement à l'urgence humanitaire, de réagir rapidement et de réduire au maximum les délais d'intervention. Artemis a été une réponse rapide à la fois en termes de planification, de prise de décision et de déploiement imposé par une situation qui se détériorait de jour en jour. Elle a permis d'arrêter les massacres, de dissuader les États voisins d'intervenir et de faire en sorte que le fragile processus de paix ne soit pas mis en péril.

La France, en tant que nation pilote, devait mettre en place l'opération : déploiement des premiers éléments (« force enablers », en l'occurrence, forces spéciales) six jours après la résolution et avant la décision du Conseil. Ce qui veut dire que la mission a débuté avant le déploiement complet de la Force, contrairement à l'idée qui veut qu'elle ne peut commencer qu'avec une force complète et prête. Le processus décisionnel a été très rapide, peut-être excessivement rapide. Cela a démontré la souplesse et le pragmatisme de l'UE dans ce domaine : certaines étapes ont été réduites, voire supprimées.

À ce stade, le rôle de la nation cadre est essentiel. Une concertation/coopération étroite entre la nation pilote et le secrétariat s'impose pour faire converger de manière rapide et cohérente les impératifs militaires nationaux et la planification de l'UE. A cet égard, plus la planification d'anticipation a été effectuée, mieux c'est. Outre la fourniture du noyau de forces, la nation cadre doit être capable de conduire la planification initiale, mettre sur pied l'opération et coordonner les activités avec les Nations unies et l'UE.

Le processus décisionnel doit être souple et pragmatique dans sa mise en oeuvre par les instances de l'UE : fusion de certaines étapes du processus (concept de gestion de crise - CMC - et options militaires stratégiques - MSO), « document cadre pour une réponse de l'UE à Bunia » (3 juin 2003), approbation du concept d'opération de la nation cadre, contacts précoces entre Secrétariat et Conseil :

- le 19 mai le SG/HR et le COPS sont mandatés par le Conseil pour étudier la réponse de l'UE,

- le 3 juin on approuve le document cadre,

- le 5 juin l'action commune est décidée,

- le 8 juin le plan de l'opération est diffusé aux MS et au CM,

- le 9 juin il est revu par le CM,

- le 10 juin il est présenté au COPS par le COPER - génération de force,

- le 11 juin il est approuvé par le Conseil, et

- le 12 juin on lance l'opération Artemis.

La génération de force constitue une étape essentielle dans la montée en puissance d'un dispositif de réaction rapide multinational. En règle générale, elle a été conduite à un rythme satisfaisant. Même si la nation cadre était disposée à fournir les moyens permettant à la force d'être militairement efficace, toutes les contributions nationales étaient les bienvenues. Elles ont été limitées et seuls quelques États membres ont déployé des forces à Bunia. 17 nations ont participé : trois pays tiers et les pays membres de l'UE.

Plus de moyens de transport aérien, à la fois tactique et stratégique, auraient été utiles, en particulier lors du redéploiement.

Le COPS et le CMUE avaient reconnu et agréé la nécessité d'une réserve stratégique, qui figurait donc dans le plan. Faute de contribution, cette réserve n'a jamais pu être constituée.

Un autre aspect, fondamental en tout temps mais encore plus en situation de réaction rapide, est celui de la connaissance de la situation et de l'évaluation du risque, ce qu'on appelle de manière générique le renseignement. A l'échelon stratégique qui était celui du commandant de l'opération, il a été difficile d'obtenir le renseignement nécessaire pour éclairer le commandement de la force sur les dimensions politico-militaires et stratégiques de la situation (intentions des États voisins, évolution dans la capitale).

Tous ces problèmes, et en particulier celui du partage de l'information, récurrent dans les opérations multinationales, doivent impérativement être pris en compte pour les opérations futures.

L'engagement et le rôle de l'UE

L'opération présentait des risques certains d'ordre politique et militaire :

- militaire : incertitudes sur la situation - milices, enfants soldats, réfugiés, menace SA, flux logistique, météo ;

- politique : outre l'échec, la plupart des analystes pensaient à une extension non voulue du mandat (« mission creep ») et que les forces ne pouvaient plus se retirer le 1er septembre comme le fixait la résolution.

En dépit des craintes et préventions de certains MS, ces risques ont été collectivement assumés. La mission nécessitait des engagements solides qui permettaient de répondre à un certain nombre de problèmes. Elle a réduit significativement le niveau de la violence, non seulement dans la ville mais aussi à l'extérieur de Bunia. De nombreux réfugiés sont alors revenus.

Le contrôle politique a effectivement été exercé par les organes politiques et militaires concernés de l'UE : COPS, CMUE, Secrétariat. Les organes politiques et militaires de l'UE ont fourni un soutien constant et continu en restant parfaitement à leur niveau et sans faire d'ingérence dans la conduite de l'opération. La chaîne de commandement a été totalement européenne.

La coopération politico-militaire et civilo-militaire s'est parfaitement inscrite dans le but politique qui était de contribuer à la relance du processus de paix en RDC. Elle s'est révélée efficace dans la mesure où les objectifs politiques (processus de paix) ont tous été atteints. On estime qu'indirectement l'opération Artemis a contribué à la mise en place d'un gouvernement de transition qui s'est constitué le 30 juin à Kinshasa et, en dépit des difficultés, est toujours en place.

Dans une approche globale de la gestion de crise, tous les instruments disponibles de l'UE (politiques, militaires, diplomatiques et économiques/financiers) ont été mis en oeuvre pour appuyer le processus de paix à la fois aux plans local et national.

Ce résultat a été possible grâce au soutien permanent de M. Solana, aux contacts des ambassadeurs des pays membres de l'UE en Ouganda et à Kinshasa, des chefs de mission de la Commission européenne, du Représentant spécial du Secrétaire général, M. Ajello, et au soutien de l'ONU.

La transition et la coopération ONU-UE

La transition est incontestablement l'un des succès de l'opération, à la fois pour l'UE et pour les Nations unies. Toutefois, elle est mal comprise. Artemis visait non pas à apporter une solution définitive à une situation de crise complexe et ancienne, mais à établir les conditions permettant de passer (opération « pont/bridging ») d'une situation jugée difficile, voire sans issue à une autre plus favorable. En l'occasion, il s'agissait de stabiliser la situation et de passer ensuite le relais à une brigade de l'Ituri, mise sur pied grâce à l'obtention d'un nouveau mandat des Nations unies, dotant la MONUC de moyens renforcés, en particulier à Bunia. Le 1er septembre 2003, en dépit de tous les scepticismes, l'UE a respecté le principe de faire passer les forces sous commandement onusien.

Au niveau politique et stratégique, c'est la première fois qu'un délai aussi court se sera écoulé entre le vote d'une nouvelle Résolution et le déploiement d'une force sur le terrain.

Faire en sorte que la transition s'effectue dans les meilleures conditions et conformément au mandat a été la priorité et la préoccupation première dès le début de l'opération. Ceci a nécessité d'être d'emblée très proactif et d'établir au plus vite les contacts nécessaires avec les Nations unies, en RDC comme à New York, pour coordonner les actions.

L'opération s'est bien conclue et la constitution d'une force de renfort de la MONUC adaptée à la situation a été très rapide et la coopération avec l'ONU a été considérée comme un modèle (reconnu dans une déclaration commune du 24 septembre 2003). La contribution de l'UE a été dans la continuité : soutien au gouvernement de transition (205 millions d'euros), intérêt affiché pour la mission de sécurité et de police (police intégrée à Kin), en train de jouer un rôle majeur dans cette phase « post-crise ».

L'Union européenne a montré sa volonté de s'engager de plus en plus dans les opérations de maintien de la paix et dans ce cadre, la mission Artemis a servi d'exemple pour essayer de promouvoir des mécanismes décisionnels.

Conclusions

Désormais, la réponse rapide est devenue une exigence ; elle exige que les travaux de planification et que les processus de prise de décision soient véritablement accélérés. De même, elle impose que le déploiement soit le plus rapide possible, ce qui pose de réels problèmes en moyens de projection.

Il faut être conscient que la nation cadre doit prendre la plupart des risques et assumer l'essentiel du poids financier. Cela risque d'être dissuasif.

Les capacités de commandement et de contrôle de niveau stratégique sont essentielles car se situant à l'interface avec le niveau politico-militaire (UE) et les organisations internationales.

Artemis, quoique d'ampleur limitée, a certainement montré la voie pour de futures opérations de réaction rapide à la demande des Nations unies. Elle a validé aussi bien un certain nombre de travaux et de projets politiques que d'éléments à la base de la PESD. »

Général Emmanuel BETH (Chef du Centre de planification et de conduite des opérations de l'Etat-major des armées, France) (Opération Licorne, Côte d'Ivoire) :

« Je tiens à remercier les participants pour leur soutien à l'action de la France dans le cadre de l'opération Licorne. Mon témoignage se fera à double titre, puisque j'ai dirigé l'opération Licorne pendant un an et que je suis désormais le chef des opérations de planification en France, ce qui me permet de connaître la nature de l'ensemble des crises dans le monde. C'est à titre autant personnel qu'institutionnel que je compte témoigner puisque l'on ne conduit pas une telle opération sans y laisser une part de soi-même. La crise ivoirienne me semble symptomatique des crises africaines mais pas révélatrice de la présence de l'Union européenne (UE) sur le continent africain.

Je vais moduler son intervention en trois étapes :

Le contexte historique, la position de la France et de la communauté internationale

La Côte d'Ivoire a la superficie des deux tiers de la France. 1 900 militaires français y stationnaient au début de la crise. Ils sont maintenant 4 000, ce qui représente peu de moyens humains pour un tel territoire.

Le centre de la Côte d'Ivoire est une zone d'affrontements militaires. Au Sud, la situation à Abidjan est toujours sensible. Enfin, à l'Ouest se produisent des affrontements interethniques, ou ce qui y ressemble. Mais il faut se méfier des approches manichéennes, et éviter de parler d'adversaires et d'amis. Il faut savoir gérer les relations avec l'ensemble des acteurs tout en ménageant leur sensibilité.

La crise ivoirienne ne remonte pas au 19 septembre 2002, mais à la succession mal négociée du Président Houphouët-Boigny. Celui-ci n'a pas pris de précautions quant à sa suite, et la situation est devenue volatile.

En 1999, le Général Gueye a opéré un coup d'Etat. Suite aux pressions internationales, des élections se sont tenues en octobre 2000. Et en 2002 se sont produites des actions militaires ponctuelles visant à déstabiliser le pays et qui ont réussi à occuper près de la moitié de la Côte d'Ivoire. Depuis l'intervention des forces françaises, la crise peut être synthétisée en trois stades :

- tout d'abord, une dégradation progressive et accélérée de septembre 2002 à février-mars 2003. On a alors assisté à une fuite en avant pour reprendre le dessus avec l'accord de Lomé ou celui de Marcoussis, qui semble fondamental et nécessaire, et l'accord d'Accra ;

- du mois d'avril jusqu'à l'automne 2003, on a assisté à une stabilisation, avec une reconquête de l'Ouest par les forces impartiales. C'est une phase qui a débouché sur des tentatives permanentes de relance du processus ;

- le processus a avancé par à-coups jusqu'en novembre 2004. La pente était jusque-là positive. Les forces militaires ont évolué jusqu'à atteindre 4 000 hommes des forces françaises et 6 000 de l'ONU. La communauté internationale a joué un rôle fondamental au travers de ses différents acteurs sous-régionaux. Les acteurs ont été complémentaires. On ne sait pas sinon où l'on en serait.

Dans quel esprit cette opération a-t-elle été réalisée ? Il s'agissait d'abord de protéger et de sécuriser les ressortissants. En tout début de crise, un soutien a par ailleurs été apporté à l'armée ivoirienne. Il s'agissait également de soutenir la mission de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Le Président Gbagbo a demandé à la France son aide dans la surveillance et le contrôle d'une ligne de partage, ce qui a été fait sur près de 800 kilomètres. Enfin, le but était également de faire respecter les résolutions de l'ONU qui visaient à faciliter tout ce qui pouvait conduire à la stabilisation et à surveiller l'embargo sur les armes.

L'environnement politico-militaire

Je pense qu'il n'y a pas de solution militaire à cette crise. Il faut tout faire pour redonner la parole aux acteurs internationaux. Aucune solution de sortie de crise ne pourrait se faire sans la France et la communauté internationale. Il faut privilégier une articulation de la force Licorne autour de la protection des ressortissants, ce qui éviterait de prendre partie, et ce que chacune des parties nous pousse à faire. De plus, il faut conserver le souci de ne pas créer les conditions de l'irréparable. Cette capacité à maîtriser l'emploi de la force, l'ensemble des acteurs y tendent en permanence, même si cela s'avère parfois difficile.

L'action doit être réversible, et il faut toujours chercher à privilégier toute initiative de paix, alors que des acteurs veulent nous conduire vers l'affrontement. Il faut une importante capacité de discernement.

La complémentarité des acteurs joue un rôle indispensable. La France, l'ONU et l'ensemble des acteurs africains, à travers la CEDEAO, tiennent une place importante. La gestion de crise sur le continent africain réclame la présence de l'ensemble des leviers, sans quoi la gestion est impossible. C'est la même chose au niveau local : il faut garder le contact avec l'ensemble des acteurs, qu'ils représentent le gouvernement ou les rebelles.

L'action militaire seule ne peut rien. Les organisations internationales et les organisations non gouvernementales (ONG) ont un rôle important à jouer, comme par exemple la Croix rouge. Le concept français de renforcement et de maintien de la paix évoqué par le Général Neveux est pertinent. Cela permet une montée en puissance de la CEDEAO.

Les enseignements à tirer de cette intervention

Enfin, je tiens à souligner l'importance de la subsidiarité, à partir du moment où tout peut prendre un tour démesuré.

Autre enseignement : il y a un rôle à développer pour l'UE dans les conflits en Afrique subsaharienne. J'insiste sur le fait que, pour ce qui concerne l'implication des forces françaises et internationales, le bilan est positif.

- En effet, l'évacuation des troupes a été évitée1. Dans le cas contraire, le pays aurait été à l'abandon, livré à lui-même.

- L'administration et l'économie fonctionnent dans le Sud du pays. Aujourd'hui, les acteurs économiques arrivent à mettre ce pays dans les conditions nécessaires au redémarrage quand la paix sera revenue.

- Aucun massacre de grande ampleur n'est encore survenu à la connaissance des autorités, alors qu'on aurait pu le craindre au début de la crise.

L'engagement est important pour l'ensemble des Etats de l'Afrique de l'Ouest, l'action est bénéfique. Mais l'Afrique reste un challenge pour l'UE. »

Général de division Henry ANYIDOHO (Chef d'état-major de la Task force intégrée de l'Union européenne au Darfour) (Résumé) :

« Les conflits en Afrique sont de nature inter- ou intraétatique. Si la période coloniale a connu de nombreuses guerres révolutionnaires d'indépendance, la guerre froide a maintenu dans une sorte de structure étatique des segments de groupes ethniques, religieux ou tribaux. Sa fin a donné lieu à des crises intra-étatiques liées aux aspirations identitaires et à la volonté d'accéder au pouvoir et aux richesses des différents groupes ethniques, religieux ou tribaux.

Toutes les régions de l'Afrique ont été ou sont affectées par ces conflits. La première organisation panafricaine, l'OUA, s'est concentrée sur la décolonisation. L'indépendance a été obtenue soit en recourant à la négociation (Ghana, Tanzanie, Nigeria, Ouganda), soit à la lutte armée (Algérie, Namibie, Zimbabwe, Afrique du Sud). L'émergence de nouveaux Etats s'est accompagnée d'une attention accrue pour le développement économique et a conduit à la formation d'organisations de sécurité et de défense collective. L'OUA a reconnu cinq grandes organisations subrégionales :

- l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) à l'est ;

- la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à l'ouest ;

- l'Union du Maghreb arabe (AMU/UMA) au nord ;

- la Communauté pour le développement de l'Afrique australe (SADC) au sud ;

- la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (ECCAS) dans la région de l'Afrique centrale.

Conçues au départ en tant que groupements économiques, ces cinq organisations se sont vues de plus en plus impliquées dans les conflits, comme la CEDEAO au Liberia en 1990 (atrocités de Charles Taylor) et en Sierra Leone (1997-1999), la SADC au Lesotho en 1998 pour prévenir un coup d'Etat. À propos de la RDC, la SADC s'est divisée entre les pays (Namibie, Zimbabwe, Angola) qui soutenaient le gouvernement contre les incursions de forces venant du Rwanda et de l'Ouganda et ceux qui y étaient opposés (Afrique du Sud). Les interventions de la CEDEAO et de la SADC manquaient au départ de mécanismes institutionnels de prévention et de gestion des crises et, sur le plan régional, donnaient lieu à des opérations militaires ad hoc sans procédures spécifiques. Les mandats étaient imprécis, mais répondaient au désir de maintenir la paix dans un Etats membre. Les organisations subrégionales s'inspiraient de l'article 24 de la Charte des Nations unies, selon lequel « afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien et la paix et de la sécurité internationales... » . Néanmoins, cette Organisation n'a pas réussi, par le passé, à apporter des solutions rapides et adéquates aux conflits, d'où l'intervention d'organisations subrégionales comme la CEDEAO.

L'OUA, confrontée à de multiples conflits en Afrique, s'est institutionnalisée en adoptant en 1993 la Déclaration du Caire, qui la dotait d'un Mécanisme de prévention, de gestion et de résolution des conflits en vue de mettre en oeuvre son agenda pour la paix.

Les 8-10 juillet 2000, à Durban en Afrique du Sud, l'OUA a cédé la place à l'Union africaine, la nouvelle organisation continentale, qui a dû faire face à de nouveaux conflits ; elle a pu régler un certain nombre d'entre eux par la négociation, notamment le litige frontalier entre le Cameroun et le Nigeria, mais trouve difficilement des solutions aux crises intra-étatiques. Au XXIe siècle, l'Afrique est devant un dilemme : elle n'est plus un pion ballotté par les rivalités de la guerre froide, mais reste prisonnière de son héritage ; elle n'est plus un champ de bataille pour les superpuissances mais celui des défis lancés par les choix à faire.

Les origines des conflits en Afrique sub-saharienne

Les conflits pour la maîtrise des ressources naturelles ont particulièrement retenu l'attention pendant la période post-guerre froide. Ils sont dus au déclin économique et aux problèmes structurels de gouvernance dans de nombreux pays africains. Ils sont aussi liés aux grands problèmes de sécurité provoqués par la prolifération des armes de petit calibre, les activités des chefs de guerre et des mercenaires, et à la défaillance des dirigeants. Le Liberia, la Sierra Leone et la RDC en sont des exemples. De graves problèmes économiques et sociaux se cachent derrière les luttes ethniques et identitaires : le conflit entre Konkombas, Dagomba, Nanumba et Gonja au Ghana en 1994 portait sur la possession des terres, celui du Soudan, sous couvert ethnique ou religieux, s'explique par l'injustice, la pauvreté et la lutte pour le pouvoir et la paix. D'autre part, le cycle de la violence se poursuivra si les gouvernements ne mettent pas fin à la politique d'exclusion de tel ou tel groupe.

Acteurs extérieurs

Les gouvernements africains s'ingénient souvent à alimenter les conflits sur le territoire de leurs voisins. La contrebande d'armes est un phénomène répandu. Les conflits en Afrique de l'Ouest ont « prospéré » parce que les Etats voisins ont laissé circuler les armes de petit calibre et donné l'asile à des groupes rebelles qui s'en sont servi comme tremplin pour lancer des attaques propices à la déstabilisation. Il y aurait beaucoup à dire sur les armes aux effets dévastateurs sur les conflits en Afrique. Il y a très peu de pays africains qui produisent des armes, et pourtant la prolifération continue. Les pays étrangers qui produisent et vendent des armes de petit calibre et des mines antipersonnel à l'Afrique ont une grande part de responsabilité dans l'escalade des conflits en Afrique où les bandits de tout poil possèdent plus d'armes que les forces de sécurité.

Rivalités internes

Les injustices et les politiques d'exclusion de pans entiers de la population, à l'origine de la misère et de la pauvreté, ont poussé les groupes les plus démunis à se battre pour peser sur la situation : par exemple en Afrique de l'Ouest, en Sierra Leone et au Liberia. Les classes dirigeantes ont pendant des années ignoré leurs citoyens et exploité les ressources du pays à leur profit. Le commerce des diamants a constitué une importante source de conflit et a aidé au financement des mouvements rebelles de Foday Sankoh et de Charles Taylor. Des ministres des mines ont accordé des concessions à des entreprises étrangères contre des pots de vin ou participé à des opérations de contrebande. L'absence d'infrastructures hospitalières et scolaires, d'électricité dans les campagnes, la cupidité, les coups d'Etat, les juntes militaires ont nourri les guerres. La région des Grands Lacs dont font partie le Rwanda, le Burundi, l'Ouganda et la RDC a vu différents groupes s'affronter pour le pouvoir et des flots de réfugiés fuir les massacres.

Au Rwanda, un accord de paix a été signé à Arusha en Tanzanie en 1993. Il a conduit à la mise en place de la mission d'assistance des Nations unies pour le Rwanda. La médiation de dirigeants africains et les capacités mises à disposition par la Tanzanie auraient dû promouvoir la gouvernance démocratique. Les horreurs d'avril 1994 au Rwanda ont stupéfié le monde et fait l'objet de nombreuses analyses, entre autres de la part de la Best Practice Unit de la division du maintien de la paix des Nations unies et de l'Union africaine ; mais la question sur le génocide reste posée : quand les choses ont-elles dérapé ? La réponse est que le monde n'a pas su protéger les Rwandais ni prévenir le génocide commis contre les Tutsis et les Hutus modérés à la suite d'un incident impliquant les Présidents du Rwanda et du Burundi, et de la confrontation militaire entre les forces gouvernementales et la milice d'un côté, et le RPF de l'autre.

Parmi toutes les guerres civiles en Afrique, celle en RDC reflète particulièrement la complexité des relations entre ressources naturelles et conflits puisqu'elle a commencé par une tentative d'élimination du régime tyrannique de Mobutu et s'est terminée fin 1999 par un conflit multiethnique impliquant plus de cinq factions congolaises et jusqu'à sept pays de la région. Après l'invasion de la RDC par le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda, trois pays de l'Afrique australe, le Zimbabwe, l'Angola et la Namibie, sont « intervenus » au nom du gouvernement du jour (tous accusés de piller les ressources naturelles), mais leur présence a évité la chute du gouvernement congolais reconnu. Les Nations unies ont mandaté en juin 2003 une force de l'UE dirigée par la France pour rétablir une certaine stabilité dans la province d'Ituri et préparer l'arrivée d'une mission des Nations unies le 30 novembre 1999 suite à l'Accord de Lusaka. Dans le conflit au Burundi vieux de plus de douze ans, la Tanzanie et l'Afrique du Sud ont contribué à la signature de deux accords et au déploiement de forces de maintien de la paix chargées de contrôler le cessez-le-feu et de reconstruire la paix. L'Union africaine a installé au Burundi en avril 2003 une mission de maintien de la paix dirigée par l'Afrique du Sud et transférée ensuite le 15 mai 2004 aux Nations unies.

Résoudre les conflits par des moyens autres que militaires

Dans de nombreux cas, les conflits en Afrique sub-saharienne ont été réglés sans déploiement de forces de maintien de la paix, au Nigeria par exemple, en 1993, quand la société civile s'est insurgée contre la décision du Général Sani Abacha d'annuler les résultats des élections. Syndicats, journalistes et associations professionnelles ont joué un rôle actif pour restaurer le processus démocratique. L'impunité des régimes militaires a été mise en cause. Prenons pour exemple le litige frontalier terrestre entre le Cameroun et le Nigeria sur un tracé de 1 600 km en partant du lac Tchad et allant jusqu'à la péninsule de Bakassi, la frontière maritime sur le golfe de Guinée : les enjeux étaient les réserves pétrolières et halieutiques et le destin des populations locales ; à la suite de l'assèchement du lac Tchad en raison de la désertification, les populations locales dépendant du lac pour assurer leur subsistance ont brouillé encore plus le tracé de la frontière en suivant le recul de l'eau. Les deux pays se sont affrontés militairement fin 1993 avec un déploiement de militaires nigérians sur les 1 000 mètres carrés de la péninsule de Bakassi. La Cour internationale de justice a été saisie par le Cameroun en 1994 et, dans un arrêt irrévocable du 10 octobre 2002, elle a tranché en se fondant sur des accords conclus entre l'Allemagne et le Royaume-Uni au début du XXe siècle ; entre-temps, Kofi Annan avait invité les Présidents Paul Biya du Cameroun et Olusegun Obasanjo du Nigeria à le rencontrer à Paris en septembre 2002, où ils se sont engagés à respecter la décision de la Cour et à mettre en place des mécanismes d'application. Une nouvelle réunion a eu lieu à Genève le 15 novembre 2002 et dans un communiqué commun, les deux leaders ont demandé au Secrétaire général des Nations unies de créer une commission mixte entre le Cameroun, le Nigeria et les Nations unies chargée de faire avancer les choses. M. Ahmedou Ould-Abdallah, représentant spécial des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest, a été chargé de la présider.

Les cas référencés ci-dessus ont donc été réglés grâce à un panachage entre la résolution pacifique des conflits par la négociation, la création d'un bureau de bons offices, des envoyés spéciaux, des commissions mixtes, des arrêts prononcés par la Cour internationale de justice et/ou le rôle joué par certains dirigeants. D'autres conflits comme celui en Sierra Leone ont nécessité un déploiement de forces subrégionales (ECOMOG) et de forces des Nations unies avant le retour à la stabilité. Le processus en cours au Burundi est le fruit d'un déploiement de troupes de l'Union africaine en 2003 suivi d'un transfert aux Nations unies en 2004 et offre un exemple classique de coopération entre les Nations unies et les organisations subrégionales qu'il faut absolument développer compte tenu des conséquences, pour la réussite ou l'échec des missions des Nations unies, des dynamiques régionales, intérieures et extrarégionales.

Le Darfour

Les origines du conflit au Darfour remontent à l'administration coloniale britannique commencée en 1916 ; avant, le Darfour était un sultanat indépendant à majorité Four aux côtés de tribus de Masahit, Zaghawa, Berti, Tama, Gimir, Tunjur, Meidob, Daja, Birgid et Burg. Les Four étaient des fermiers installés sur les monts Jabel Mara, qui se sont déplacés vers le sud et l'ouest en absorbant de petits groupes ethniques arabes et non arabes. L'enjeu de ce conflit est la possession de la terre. Pendant la colonisation, le Royaume-Uni a introduit l'idée de territoires tribaux bien délimités (« dars ») placés sous la tutelle de chefs de communauté ayant le pouvoir d'attribuer les terres. Ce système présentait deux défauts majeurs : il n'a jamais été reconnu par les lois soudanaises, et les groupes nomades vivant au centre du Darfour n'ont pas obtenu de « dars » en raison de leur mode de vie. La croissance démographique et les problèmes d'environnement qui l'accompagnent ont amené les nomades à rechercher des pâturages en dehors de leurs zones traditionnelles et les fermiers à étendre les cultures et à clôturer leurs parcelles pour les réserver à leurs propres animaux. Les gouvernements successifs ont été incapables de mettre un terme au conflit exacerbé par l'élevage extensif des chameaux, vers le sud et vers l'ouest, par les Arabes qui détruisent les fermes et les sources d'irrigation pour prendre possession de la terre.

L'autre motif du conflit est la marginalisation du peuple du Darfour dans la politique nationale, exploitée par le mouvement islamiste quand il a voulu élargir son influence au-delà de ses fiefs traditionnels arabes dans la vallée du Nil et propager son idéologie chez les peuples de l'ouest. Les divisions et ruptures dans ce mouvement ont conduit à des fractures le long de lignes ethniques et régionales ; les Arabes de la vallée du Nil ont conclu des accords opportunistes avec la milice Janjawid au nord du Darfour tandis que les autres groupes, MJE (Mouvement pour la justice et l'égalité) et A/MLS (Armée/Mouvement de libération du Soudan), après être entrés dans l'opposition, se sont rebellés contre le régime de Khartoum en 2003. Le monde a pris conscience des déplacements, des massacres et de la famine, et la crise humanitaire a incité Kofi Annan et Colin Powell à se rendre au Darfour en 2004.

Le 8 avril 2004, le gouvernement du Soudan, le MJE et le A/MLS ont signé un accord de cessez-le-feu humanitaire (ACFH) à N'Djamena, capitale du Tchad, sous les auspices de l'Union africaine, le gouvernement du Tchad jouant le rôle de médiateur. Un autre accord sur les modalités de mise en place d'une commission de cessez-le-feu et sur le déploiement d'observateurs au Darfour a été signé le 28 mai 2004 à Addis-Abeba, en Ethiopie. Cette commission a été chargée de contrôler et de faire rapport à la commission conjointe d'application, la communauté internationale devant veiller au respect de l'accord par les parties. L'Union africaine a envoyé une mission d'évaluation, un contingent de 60 observateurs militaires et membres pour la commission de cessez-le-feu, ainsi qu'une force de protection de 310 hommes. L'Union africaine a très vite réalisé les limites de sa mission (AMIS).

Dans un communiqué adopté lors de la 13ème réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'Union africaine le 27 juillet 2004, le CPS a réclamé un plan d'amélioration de la mission AMIS qui a débouché sur l'AMIS II, dotée de nouvelles structures et d'un effectif de 670 observateurs, d'une force de protection de 1 703 hommes, d'une police civile de 815 personnes (CIVPOL) et de 132 civils.

La Task Force intégrée du Darfour (DITF), basée au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, donne l'orientation stratégique des opérations. Le quartier général de la mission est à Khartoum et accueille le représentant spécial du Président de la commission SRCC de l'Union africaine qui maintient le contact avec le gouvernement du Soudan et se coordonne avec la mission des Nations unies au Soudan (UNMIS) et gère toutes les activités de la mission, y compris la logistique, le soutien à l'approvisionnement et la coordination de l'appui aérien. Le quartier général de la mission fait rapport à la DITF. Le quartier général avancé est à El-Fasher, capitale du Nord Darfour, et la région entière du Darfour, de la taille de la France, est divisée en huit secteurs opérationnels qui se sont vu attribuer les tâches suivantes :

- établir la liaison avec les autorités locales de toutes les parties au conflit à l'intérieur des zones tactiques de responsabilité (TAOR) ;

- enquêter et faire rapport sur les accusations de violation de l'accord de cessez-le-feu humanitaire (HCFA) ;

- surveiller et vérifier les activités de toutes les parties dans leurs zones tactiques de responsabilité respectives ;

- surveiller et faire vérifier par le gouvernement du Soudan le niveau de sécurité des personnes déplacées rentrant dans leurs foyers et à proximité des camps de personnes déplacées ;

- surveiller et vérifier la cessation des actes hostiles par toutes les parties ;

- surveiller et vérifier les activités hostiles des milices contre la population ;

- surveiller, vérifier et faire rapport sur les tentatives du gouvernement du Soudan de désarmer les milices contrôlées par ce dernier ;

- protéger le personnel, les équipements et les installations de l'AMIS ;

- se préparer à protéger les civils en cas de danger imminent à proximité, dans le cadre des moyens et capacités disponibles et conformément aux règles d'engagement, et

- fournir une présence policière militaire et civile visible grâce à des tournées de patrouille et la mise en place d'avant-postes temporaires afin de dissuader des groupes armés non contrôlés de commettre des actes hostiles contre la population.

L'AMIS n'a pas eu dès le départ les moyens de réaliser ses ambitions. À la suite d'une mission d'évaluation conjointe sous l'égide de l'Union africaine associant des représentants de l'UE, des Nations unies, des États-Unis et du Royaume-Uni, il a été décidé de porter les effectifs de 3 320 à 8 565 personnes, les forces étant déployées en priorité dans le Darfour.

Quel est le niveau de coopération internationale dont a bénéficié l'Union africaine dans tous ces efforts ? Les différentes résolutions sur le Darfour adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies confient à la mission des Nations unies au Soudan (UNMIS) la responsabilité d'aider l'AMIS. Une cellule d'assistance des Nations unies dans les domaines policier, militaire et logistique a été créée à Addis-Abeba, ce qui contribue à renforcer la coopération entre l'Union africaine et les Nations unies. Un attaché militaire de liaison a été nommé auprès du quartier général de la commission de cessez-le-feu de l'Union africaine à El-Fasher, et l'UNMIS a mis en place des bureaux de coordination au Darfour. Le Représentant spécial des Nations unies et le Représentant spécial du Président de la mission de l'Union africaine se concertent régulièrement. L'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, Lakdar Brahimi, a discuté en avril 2005 avec le Représentant spécial du Président de la mission de l'Union africaine des opérations au Darfour ; le Sous-secrétaire général pour les opérations de maintien de la paix, Jean-Marie Guéhenno, s'est rendu au Darfour en mai 2005 et le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a co-présidé, les 25 et 26 mai 2005 à Addis-Abeba, une conférence d'engagements pour le financement de la mission renforcée au Darfour et s'est rendu sur place pour constater de visu les progrès concernant le retour à la stabilité dans cette région du Soudan.

La communauté internationale a fait aussi preuve d'une énorme bonne volonté. Sur un plan stratégique, deux groupes se retrouvent régulièrement pour aider l'AMIS, un groupe de liaison qui se réunit le lundi et le jeudi, au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, rassemblant des responsables militaires, policiers et politiques, en présence d'experts de l'UE, des Nations unies, des Etats-Unis et du Canada et est souvent présidé par l'Ambassadeur Ki Doulaye Corentin, chef de la DITF ; le groupe de soutien technique, qui comprend des experts des ambassades du Canada, du Danemark, de la France, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède, du Royaume-Uni, des Etats-Unis, des Nations unies et aussi de l'OTAN se réunit les mercredis sous la présidence d'un haut responsable de l'UE. L'objectif est d'identifier et de coordonner la mission de l'Union africaine au Darfour et d'éviter le désordre et la confusion qui avaient caractérisé les premières tentatives. L'assistance technique a porté entre autres sur la formation des observateurs militaires et des différents personnels civils et militaires. Le récent exercice conjoint MAP, dirigé par l'Union africaine, les Nations unies, l'UE, les Etats-Unis et l'OTAN, témoigne du souci de renforcer les structures de commandement et de contrôle de l'AMIS.

Questions clés liées à l'opération AMIS au Darfour

La mission de l'UA au Darfour a bien réussi à stabiliser la situation. Sa présence a largement permis de réduire la violence et l'intensité des combats entre les diverses factions. Grâce au concours des pays partenaires, le déploiement de la mission AMIS II a bien progressé, mais de gros problèmes logistiques sont apparus, notamment dans les domaines suivants :

Logistique : le soutien logistique de la mission AMIS se base sur la passation de contrats, le principal contractant étant PA&E. Les commandants sur le terrain ont donc très peu d'influence sur la livraison du matériel de combat essentiel. Alors que les effectifs dépassent les 8 000 hommes, le soutien médical n'est pas satisfaisant, pas plus que le ravitaillement (absence de rations sèches) ou le logement (sous tentes). L'entretien des véhicules et des équipements pose également problème en raison du manque de formation des mécaniciens.

Soutien aérien : il est apporté par le Canada (15 hélicoptères M18) et les Pays-Bas (3 M18). En outre, VEGA Aviation fournit des appareils à voilure fixe et assure le transit des marchandises entre Khartoum et le Darfour. Mais les hélicoptères sont souvent paralysés au sol en raison de la pénurie de carburant et des carences de la maintenance.

Équipements de communications : l'un des problèmes majeurs rencontrés par la mission AMIS est l'absence d'équipements et de moyens de communication adéquats entre les différents niveaux de commandement. La liaison téléphonique entre Addis-Abeba, Khartoum et El Fasher n'a été mise en place que récemment, et les liaisons Internet sont très erratiques.

Personnel : Il est vrai que l'UA a pris une décision audacieuse en lançant très rapidement ce déploiement au Darfour. Mais le recrutement des personnels spécialisés pour gérer l'opération n'a pas suivi ; les pays partenaires apportent donc temporairement une aide technique dans les domaines tels que la gestion des contrats ou la préparation du budget, avant que les personnels de l'UA soient à même d'assumer pleinement les responsabilités à cet égard.

Les parties au conflit : on trouve des représentants du gouvernement soudanais, de l'Armée/Mouvement de libération du Soudan - A/MLS - et du Mouvement pour la justice et l'égalité - JEM - à tous les niveaux du commandement opérationnel au Darfour. L'objectif de cet arrangement était de garantir la transparence et d'instaurer la confiance, mais l'association de ces trois parties suscite suspicion et crainte.

Les documents opérationnels essentiels : bien que la mission AMIS ait débuté il y a plus d'un an, il a fallu du temps pour élaborer les procédures opérationnelles permanentes et les règles d'engagement, et on attend toujours un protocole d'accord entre l'UA et les pays contributeurs, ainsi que l'accord sur le statut de la mission (SOMA), sans lequel les pays partenaires hésitent à envoyer des experts.

Négociations politiques : La longue attente avant la reprise des négociations d'Abuja (le 15 septembre) a eu un impact négatif sur les opérations au Darfour. La signature le 5 juillet 2005 de la Déclaration de principes a fait renaître l'espoir car c'est le seul processus politique à même d'examiner les questions importantes telles que le partage du pouvoir ou des richesses, les droits de l'homme et la sécurité, et susceptible de mettre fin au conflit.

Soutien financier : la mission AMIS s'appuie essentiellement sur le financement des donateurs. Les pays partenaires ont fourni à l'UA un important soutien en liquidités et en matériel, mais le problème majeur est le manque de fonds. Le Commissaire paix et sécurité a lancé un appel aux pays partenaires pour qu'ils aident l'UA à soutenir les opérations au Darfour.

Conclusion

Les situations de crise en Afrique sub-saharienne ont été de tout temps un obstacle majeur au développement. L'Afrique sub-saharienne a été le théâtre, à l'ère post-coloniale et de la guerre froide, d'affrontements pour le pouvoir et de luttes d'influence. Après avoir cessé d'être un pion sur l'échiquier international, le continent a commencé à subir surtout d'interminables conflits entre Etats. L'Organisation de l'Unité africaine (OUA), première organisation du continent, avait essayé en son temps de gérer certains conflits. L'Union africaine (UA), qui remplacé l'OUA en juillet 2000, doit désormais assumer la responsabilité de garantir la paix et la stabilité sur tout le continent. Bien que les Nations unies aient la responsabilité majeure du maintien de la paix et de la sécurité à l'échelle planétaire, il ne leur a pas toujours été possible de déployer immédiatement des troupes en Afrique sub-saharienne lorsque les conflits dégénéraient. L'UA et ses organisations sous-régionales ont donc joué un rôle clé dans la stabilisation des conflits avant de passer le relais aux Nations unies dans certains cas. Si certaines crises ont été réglées par des moyens pacifiques, d'autres ont nécessité le déploiement de forces de maintien de la paix. La crise en cours au Darfour a retenu l'attention du monde entier. Soutenue par les Nations unies, l'Union européenne, le Canada, les Etats-Unis et l'OTAN, l'Union africaine joue un rôle positif dans la gestion de la crise au Darfour. De graves problèmes se posent néanmoins dans les domaines de la logistique, du soutien aérien, des communications, des qualifications du personnel de l'UA et de l'apport de liquidités pour poursuivre la mission. Mais ce qui compte surtout, c'est que les documents juridiques nécessaires pour le déroulement des opérations soient négociés et signés. On n'insistera jamais assez sur l'importance de la coopération entre toutes les parties lors des négociations d'Abuja.

Recommandations

Les recommandations suivantes sont proposées :

- il faut encourager le recours aux bons offices et aux envoyés spéciaux pour régler pacifiquement les conflits car cette solution est moins onéreuse et tout se passe souvent sans acrimonie ;

- étant donné que l'Afrique sub-saharienne s'efforce de gérer des conflits de dimensions diverses, il importe que les Nations unies continuent d'entretenir des relations étroites avec l'UA et ses organisations sous-régionales, la CEDEAO, la SADC, l'IGAD et l'ECCAS, afin de renforcer les mécanismes de sécurité déjà mis en place ;

- il importe que les gouvernants tirent les enseignements de l'histoire et sachent que tant que les politiques d'exclusion de la gestion des affaires publiques n'auront pas disparu, les conflits continueront de surgir et de s'étendre en Afrique ;

- les questions concernant les terres, la sécurité, le partage des richesses et du pouvoir doivent être traitées avec toute l'attention requise ;

- la production, la vente et la prolifération des armes légères doivent être contrôlées par l'ensemble de la communauté internationale ;

- les problèmes structurels de gouvernance dans toute l'Afrique doivent être examinés d'un oeil critique ;

- la plupart des pays africains restent livrés à la cupidité et à la corruption. Les dirigeants politiques ne doivent plus se contenter de combattre pour la forme ces pratiques immorales ;

- l'esprit de coopération qui anime l'UA, l'UE, les Nations unies, l'OTAN, le Canada, les Etats-Unis et d'autres partenaires est positif et il doit le rester pour la gestion de la crise du Darfour. »

M. Christian MANAHL (Autriche, « Task Force Afrique » de l'Union européenne) :

« Le Général de l'Union européenne nous a présenté un cadre complexe du conflit au Darfour. Au niveau de l'UE, je vous présente dans les grandes lignes comment on évalue l'évolution de cette crise encore en cours et les éléments fondamentaux de cet exercice conjoint.

La mission AMIS au Darfour est une opération majeure de maintien de la paix entreprise par l'Union africaine. Partie d'une petite mission d'observation, elle est devenue une opération importante de 5 539 unités. Lorsque l'UA a décidé de lancer une mission de cette portée et complexité, elle a pris une décision courageuse. En effet, elle a mis en place une opération de maintien de la paix de type onusien sans disposer d'une section spéciale pour cela. Elle a dû déployer et réaliser sa propre capacité de planification et d'organisation. Même si la mission a été très embrouillée, elle a représenté un succès si on considère son mandat : elle a permis la fin de la campagne de massacres au Darfour. En effet, il n'y a pas eu de conflits majeurs dès la fin de février 2005. Il faut donc rendre hommage à l'Union africaine qui s'est engagée sur le champ.

Néanmoins, il reste des défis auxquels faire face : la sécurité des civils reste très problématique dans plusieurs parties du Darfour, les agences humanitaires sont attaquées tous les jours. La mission AMIS ne peut pas apporter à elle seule une solution définitive. En effet, ce n'est que par le biais de la négociation entre les différentes communautés qu'on pourra trouver une solution durable. Sans doute, le soutien de l'UE, qui représente le partenaire de l'UA le plus important au niveau financier (elle assure 120 millions d'euros et une vaste gamme d'expertises militaires et civiles), reste fondamental.

Quelles sont les leçons à tirer de cette opération ?

La crise et la riposte à cette crise sont encore en cours. Il s'agit sans doute d'une mission à risque où la possibilité d'échec existe. Elle a été déployée pour suivre le cessez-le-feu, créer un environnement favorable à la stabilisation. En tout cas, la solution finale doit être une solution politique.

AMIS a été déployée pour visionner le cessez-le-feu, stabiliser la situation militaire, améliorer la sécurité et créer un environnement valable pour les négociations en vue d'une solution politique. La mission ne peut à elle seule résoudre les problèmes du Darfour ; les moyens militaires tout court ne peuvent pas donner une réponse complète à un conflit de nature essentiellement politique et socioéconomique. Son déploiement a été nécessaire pour arrêter les combats et les massacres. Toutefois, seules les négociations associées à la réconciliation entre les différentes communautés pourront engendrer une solution globale.

Première leçon : Le soutien de l'UE à la mission AMIS doit être associé et synchronisé avec d'autres actions, notamment le processus politique. Par exemple, les négociations d'Abuja pataugent et par conséquent la question se pose de savoir combien de temps elle devra continuer à opérer. Pour cela, il faut une planification d'ensemble et une adaptation de la structure et des moyens au conflit. Si l'opération continue, l'AMIS sera alors moins une force de protection (c'est-à-dire d'observation) et il faudra davantage d'officiers militaires. Bien évidemment, si on parle d'une mission de deux, trois, quatre années ou plus, il faut qu'elle soit soutenable au niveau financier et du personnel. De là la nécessité d'une planification globale qui englobe les moyens militaires, les aspects civils de gestion des crises et les dynamiques pertinentes pour le conflit.

Dans le même cadre, il est important de reconnaître la nécessité d'adapter la structure et le mandat de nos activités aux dynamiques du conflit et aux efforts de résolution du conflit. Si le processus d'Abuja progresse, il faudra modifier le mandat de la mission : AMIS aura besoin de moins de forces de protection et d'observateurs militaires, mais de plus de « CivPol » et d'officiers militaires qui s'engagent avec les parties pour l'intégration des milices rebelles dans des forces de sécurité civiles et militaires. Dans le pire des cas, si les négociations d'Abuja échouent ou les groups rebelles éclatent en milices de seigneurs de la guerre sans aucune coordination ou contrôle, l'AMIS pourrait ne pas faire face à une nouvelle montée du conflit et on aboutirait peut-être une « somalisation » du conflit au Darfour. Il faudrait alors l'équiper et lui donner un mandat adéquat.

Deuxième leçon : La gestion des crises vise des objectifs mobiles : il faut donc être flexible, imaginatif et s'adapter à une réalité susceptible de changer très rapidement. C'est pour cela qu'il faut développer certaines procédures standard, puisqu'il n'y a pas de manuel de solutions pour les conflits.

Ensuite, il faut souligner que la mission AMIS n'est pas une opération PESD comme la mission Artemis. Il s'agit d'une opération de support qui devait aider une autre organisation, notamment l'Union africaine, et les États membres de l'UE ont beaucoup insisté sur ce point. C'est l'UA qui dirige l'opération et non l'UE. Cela correspond à la politique généralement adoptée par l'UE d'encourager l'UA à assumer le leadership de la gestion des crises en Afrique et de l'assister dans tout ce qui est nécessaire. L'UE encourage et appuie l'« African ownership ».

Troisième leçon : Lorsque l'UE soutient une troisième partie, elle doit accepter que les objectifs, la structure, et le mandat des activités de gestion de la crise soient décidés par la troisième partie, dans le cas d'AMIS l'Union africaine. Ensuite, dans toute activité de gestion de crise, et en général dans toute activité humanitaire, les ambitions doivent correspondre aux moyens. Toutefois, dans le cas du support à une troisième partie, l'UE doit faire correspondre ses ambitions aux ambitions de l'UA. Ses capacités peuvent être développées là où il faut, mais on ne peut pas le faire du jour au lendemain. Par conséquent, l'UE doit établir avec l'UA ce qu'on peut faire pour mettre en place une structure valable.

Pour conclure, il est nécessaire de tenir compte de ces trois leçons simples afin d'être plus réalistes :

(i) cohérence et complémentarité de toute action entreprise, dans les camps militaire, civil, politique et aussi humanitaire et socio-économique,

(ii) souplesse, imagination et capacité de réaction rapide,

(iii) faire correspondre les ambitions aux capacités et aptitude à évaluer ce que l'organisation en cause peut réaliser et dans quels délais. »

M. Koen VERVAEKE (Chef de la Task Force Afrique de l'UE) :

« Les récentes évolutions significatives qu'a connues l'Afrique dans le cadre d'initiatives de l'UE et des Nations unies convergent et l'UE devrait profiter du dynamisme qui semble s'y développer.

I. Recentrage des orientations politiques

Afrique

Les pays africains multiplient les efforts pour résoudre les conflits, et notamment pour maîtriser leur développement. Des progrès sont à noter dans la mise en place de structures axées sur la sécurité (UA et son Conseil de la paix et de sécurité, NEPAD et, au niveau régional, CEDEAO, IGAD et SADC).

Union européenne

La Stratégie européenne de sécurité souligne que la sécurité est la condition première du développement, mais elle est déterminante également pour la propre sécurité de l'Europe : les États déliquescents et les conflits entretiennent non seulement la pauvreté, mais ils peuvent aussi alimenter le crime organisé, les trafics en tous genres et le terrorisme. En outre, il faut encourager un multilatéralisme efficace et prôner une approche proactive globale et intégrée regroupant tous les instruments (développement, commerce, domaines économique, diplomatique et politico-militaire). En gérant les crises, il importe de s'attaquer aux racines du mal.

La position commune du Conseil concernant la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique relève de la même philosophie : il s'agit d'identifier précisément ce qui a trait à la sécurité (capacités africaines de soutien à la paix, réforme du secteur de la sécurité - SSR - et désarmement, démobilisation et réintégration - DDR).

L'Accord de Cotonou et le Fonds européen de développement (FED) apportent déjà un important soutien à un large éventail d'activités de consolidation de la paix. Tous les ans, l'UE fournit environ 55 % du total de l'aide mondiale. Il convient de porter remède aux lacunes des accords passés en renforçant la dimension politique de la coopération ACP-UE.

Conclusion : il s'agit là d'un exemple intéressant de changement d'orientations et de recentrage des priorités. L'accent qui était mis presque exclusivement sur le développement économique et social s'est déplacé peu à peu pour privilégier une action plus complexe et globale, où les aspects politiques et sécuritaires ont gagné en importance, ce qui s'explique en partie par la reconnaissance de « l'échec » des politiques de développement. Le lien entre la paix, la stabilité, le développement et le respect des droits de l'homme, de l'Etat de droit et d'une bonne gouvernance a été renforcé.

Nations unies

Les Nations unies ont un intérêt direct et évident à ce que règnent la paix et la sécurité en Afrique. Elles aident l'UA à développer ses capacités dans ces deux domaines. Elles se penchent sur leur rôle propre et celui joué par les deux organisations, et sur les ressources qu'impliquent la restructuration et la constitution de capacités de défense dans le contexte plus large de la réforme du secteur de la sécurité.

Coopération trilatérale (UE/ONU/UA) : l'UE est le plus gros contributeur financier au système des Nations unies. Sa contribution au budget ordinaire représente 37 % et elle finance les deux cinquièmes des coûts des opérations de maintien de la paix des Nations unies. L'UE reconnaît que l'ONU joue un rôle essentiel dans la gestion et la résolution des conflits en Afrique. Il est peu probable qu'elle entreprenne de gros efforts pour la paix hors du cadre des Nations unies, ou sans l'approbation ou l'aval de son Conseil de sécurité.

II. Renforcement des outils/capacités

PESC/action diplomatique/politique

L'implication en Afrique est de plus en plus importante. Il convient de reconnaître que seule une approche globale, qui combine les premier, deuxième et troisième piliers, peut engendrer des résultats durables.

Le COPS et le Haut représentant Javier Solana jouent un rôle croissant. Il convient de se demander comment parvenir à une action plus cohérente et efficace en regroupant les différents efforts des Etats membres par le biais des mécanismes existants de la PESC et de la PESD. Même les plus grands pays membres reconnaissent qu'ils ne peuvent traiter par eux-mêmes les crises africaines. La notion de « pré carré » perd de l'importance ; l'UE doit continuer à apporter son soutien. Un passage par des zones économiques exclusives en est la suite logique.

Facilité pour la paix

250 millions d'euros ont été alloués par le Fonds européen de développement (FED) à la Facilité pour la paix pour l'Afrique, qui s'appuie sur le principe de la solidarité africaine. Ce programme, qui se place au coeur du partenariat UE-UA, devrait aller de pair avec un soutien logistique et technique (PESD). Le financement d'opérations politiques aussi délicates requiert une prise de conscience opérationnelle de ce qui se passe.

PESD

Elle est la continuation de la PESC avec des moyens civils et militaires. L'opération Artemis, menée en juin 2003, a constitué un tournant : c'est une innovation totale en ce qui concerne l'engagement pris par l'UE de relever collectivement les défis en matière de paix et de sécurité en Afrique. L'UE a commencé à examiner quelles capacités supplémentaires (militaires et civiles) pourraient être envisagées à titre de contribution à l'approche intégrée qu'elle poursuit pour la prévention et la gestion des conflits en Afrique.

Les domaines suivants peuvent relever de la PESD :

- des moyens opérationnels militaires et civils autonomes et propres à l'UE pour la gestion de crise - correspondant au concept de « groupement tactique ». Alors que l'Europe et l'Afrique recherchent à long terme la mise en place de solutions par les Africains eux-mêmes (ou les Nations unies), l'UE doit être prête à faire face à des crises immédiates, notamment quand personne ne peut ou ne veut s'en occuper. L'UE doit être à même de déployer ses forces à bref préavis face à des crises émergentes pour épargner des vies humaines et laisser aux Nations unies/à l'UA le temps de déployer les forces adaptées pour gérer la situation ;

- le renforcement des capacités pour les opérations africaines de soutien de la paix. 35 millions d'euros ont été alloués à la Facilité de paix pour la mise en place de capacités. Un certain nombre de membres de l'UE aident déjà certains Etats africains à constituer des capacités de maintien de la paix par des programmes bilatéraux ou plus larges (Bénin, G8, RECAMP). Les mécanismes naissants de paix et de sécurité de l'UA, qui incluent la Force africaine d'alerte, nécessiteront une coordination et un soutien plus appuyés sur tout le continent pour permettre la réalisation des objectifs ambitieux de l'UA ;

- le désarmement, la démobilisation, la réintégration (DDR) et la réforme du secteur de la sécurité (SSR [domaines militaire et de la police]). Il s'agit d'encadrer l'Unité de police intégrée par les missions EUPOL-EUSEC. Le développement d'un concept entraîne soit le retour d'anciens combattants et adversaires à la vie civile, soit leur intégration dans de nouveaux mécanismes de sécurité, qui doit être suivie avec la plus grande vigilance. La Banque mondiale, le PNUD et la Commission européenne se concentrent sur les défis engendrés par le concept DDR. La réforme en profondeur de la sécurité au Congo nécessite une meilleure coordination des efforts et une action globale de l'UE ;

- autres aspects à prendre en compte : la dotation en capacités d'alerte rapide, la lutte contre le trafic d'armes et le déminage.

III. Défis et limites

Union européenne

Pour l'UE, c'est une question de volonté politique : faut-il mettre l'accent sur l'élargissement ou sur l'Afrique ?

C'est aussi une question de capacités : il s'agit d'atteindre l'objectif global sur les plans militaire et civil.

- Plan militaire : peu d'Etats membres, hormis la France et le Royaume-Uni, ont la capacité de déployer, de soutenir et de commander des opérations telles qu'Artemis. Le concept de « groupement tactique » est à exploiter.

- N'oublions pas la Cellule de planification civilo-militaire (à Kortenberg), qui doit permettre à l'UE de mieux se préparer en vue d'opérations nécessitant des instruments à la fois civils et militaires.

- Les capacités civiles sont un domaine où l'UE a déjà acquis une expérience considérable. Elle a constitué des groupes de spécialistes nationaux dans les domaines du maintien de l'ordre, de l'Etat de droit, de la protection civile, de l'administration civile et de la surveillance.

La question du financement des opérations relevant de la PESC (dont le budget est très limité) et de la PESD (qui est purement intergouvernementale et, à ce titre, n'est pas couverte par le budget de l'UE) est cruciale. Il y a des implications immédiates mais aussi à long terme (Fonds de stabilité, aide officielle au développement ou absence d'aide au développement).

- Sur le plan militaire : l'une des limites du concept de la nation cadre est financière. À l'exception des coûts communs, les frais sont imputables à la nation cadre. Un nouveau mécanisme, Athena, est mis en place pour les opérations ayant des implications militaires et de défense conduites par l'UE.

- Zone grise : la mission de conseil sur la réforme du secteur de la sécurité relève-t-elle de la PESC ou non (voir la mission EUSEC) ? Est-ce une mission militaire ? Il faut adopter les concepts de soutien de l'UE aux organisations tierces (logistique, technique, etc.), les concepts SSR et DDR.

Sur le plan civil, pour les missions de police, dans les domaines de la formation et du suivi, la Commission a développé certaines compétences (mécanisme de réaction rapide - RRM/financement du FED) en ce qui concerne la formation de la police et le concept DDR.

Union africaine

Le risque existe que les attentes politiques soient trop grandes par rapport aux capacités et qu'elles portent atteinte à la crédibilité et au développement des initiatives de l'UA.

Un protocole d'accord a été signé entre l'UA et les Communautés économiques régionales (CER).

Nations unies

Soutenir les capacités africaines de maintien de la paix est dans l'intérêt des Nations unies, comme pourraient l'être des opérations de l'UE, mais cela ne remplace pas, pour les Nations unies, la participation de l'UE et de l'Afrique à leurs opérations.

IV Commission pour l'Afrique

Il s'agit de s'attaquer aux causes des conflits et de mettre en place les capacités des États africains à gérer :

- le contrôle des armements ;

- les ressources liées aux conflits, et

- les activités des entreprises dans les régions en conflit et le rôle des entreprises étrangères dans ces zones.

Il importe de mettre en place les capacités des organisations régionales et continentales pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits en :

- soutenant l'architecture africaine de paix et de sécurité, et en

- renforçant la capacité des Nations unies à prévenir, gérer et résoudre les conflits (Commission de consolidation de la paix des Nations unies).

Il faut consolider la paix après les conflits :

- l'accent est mis sur la gouvernance, les concepts DDR et SSR, et sur le règlement rapide des arriérés de la dette. »

M. Louis MICHEL (Belgique, Commissaire européen au développement et à l'aide humanitaire) :

« Monsieur le Président, Excellences, Mesdames, Messieurs, chers collègues, chers amis, l'Afrique a connu plus de conflits armés que n'importe quel autre continent ces quarante dernières années. Ces conflits ont fait augmenter la pauvreté et l'exclusion. Ces conflits ont nui à la croissance et au développement .Ces conflits ont privé de nombreuses personnes de leur droit à la vie, à la liberté, à la dignité et à la sécurité. Le consensus de Copenhague a démontré qu'en général, les pays en conflit enregistrent un recul de 2 % de leur PIB par habitant. En Afrique, les conflits durent en moyenne sept ans, ce qui signifie qu'il faut en moyenne 21 ans à ces pays pour retrouver leur niveau économique d'avant-guerre.

Depuis quelques années, l'Afrique et la communauté internationale ont pris conscience de ce lien intime entre la sécurité et le développement.

Nous avons constaté que les conflits restent l'obstacle numéro un au développement.

Nous avons conclu qu'investir dans le développement, c'est d'abord investir dans la paix.

Mais qu'est-ce que cela veut dire vraiment ?

Comment traduire ce constat académique en action politique ?

Comment élaborer une politique d'appui à la paix et à la sécurité dans le cadre d'une politique de développement, sans subordination de l'une à l'autre, sans que le développement perde sa finalité propre ?

D'abord, un mot sur l'approche de base qui doit guider notre action. La leçon la plus importante que nous devons tirer de 50 ans d'aide au développement est la suivante : des politiques et des stratégies de développement ne peuvent pas être imposées de l'extérieur.

Pour avoir un impact à long terme, l'aide au développement doit s'appuyer sur une volonté politique africaine, sur une appropriation africaine, sur des institutions africaines et sur des processus africains.

La paix et la sécurité ne font pas exception à cette règle. Si nous voulons que l'Afrique retrouve une paix durable, nous devons l'aider à faire face elle-même à ce défi.

Depuis quelques années, les communautés économiques régionales africaines font preuve d'une ambition et d'une volonté remarquables pour mettre fin aux conflits dans leurs régions. La CEDEAO est intervenue dans plusieurs conflits régionaux au cours des dix dernières années (au Liberia, en Sierra Leone et en Côte d'Ivoire).

Son homologue en Afrique orientale, l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), a dirigé les efforts de médiation lors des conflits au Soudan et en Somalie.

Il y a trois ans a été créée l'Union africaine. A l'époque, il y avait un certain scepticisme vis-à-vis d'un nouvel acronyme, d'une bureaucratie supplémentaire.

Trois ans plus tard, on constate des progrès remarquables dans tous les domaines, particulièrement dans ceux de la paix et de la sécurité. L'Union africaine est aujourd'hui un acteur stratégique majeur, j'ose d'ailleurs dire incontournable, sur le continent africain.

En moins de trois ans, le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine est devenu l'institution de référence pour régler les conflits et les crises africaines.

Prenons le cas de l'opération qui se déroule actuellement au Darfour sous l'égide de l'Union africaine. Il s'agit d'une opération aux effectifs de 5 600 hommes (qui devrait dépasser les 7 000 hommes dans quelques mois).

La crise au Darfour est certes loin d'être résolue ; mais là où les troupes de l'Union africaine ont été déployées, la population civile vit aujourd'hui en plus grande sécurité.

Cette détermination de l'Afrique à faire face elle-même à ses propres défis a évidemment changé le rôle de l'Europe, mais pas son degré d'engagement.

En 2003, les Etats d'Afrique nous ont demandé de mettre en place un nouvel instrument pour financer des opérations de maintien de la paix en Afrique, par et pour l'Afrique.

La Commission européenne a répondu sans hésiter.

En mars 2004, nous avons pris la décision de mettre en place une Facilité pour la paix de 250 millions d'euros provenant des fonds FED.

L'opération menée par l'Union africaine au Darfour - dont je parlais il y a quelques instants - a été le premier cas d'école pour notre partenariat dans le cadre de cette Facilité Paix.

Ainsi, la Commission européenne a mis à disposition un montant de 92 millions d'euros pour la mise en oeuvre de la mission (plus de 50 millions d'euros ont déjà été déboursés).

À travers la Facilité Paix, nous avons financé les indemnités journalières et les allocations des troupes, les rations alimentaires, le combustible et l'assurance de la mission de paix au Darfour.

Après une année et demie d'existence, la Facilité Paix constitue une base solide du leadership de l'Afrique.

La disponibilité et la flexibilité de ses ressources ont renforcé la crédibilité de l'Union africaine pour assumer ce leadership et pour faire vivre ce principe fondamental qui est celui de l'appropriation.

Plus important encore, la Facilité Paix a été au coeur de la formulation d'un nouveau partenariat stratégique entre l'Afrique et l'Europe : un partenariat plus politique, plus égal et plus respectueux. Elle a enclenché un dialogue politique plus permanent, plus franc, mais toujours constructif avec nos partenaires.

En se basant sur cette expérience positive, il est temps de mettre en place une approche européenne plus cohérente, plus commune, plus systématique, plus permanente.

Les instruments communautaires - comme la Facilité Paix - doivent être complétés par les instruments des Etats membres dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense. Cet ensemble d'instruments relatifs à la planification stratégique et à la gestion des crises devrait être mis au service de l'Union africaine.

Quelques mots finalement sur le futur de la Facilité Paix.

Tout le monde s'accorde - en Europe et en Afrique - à reconnaître le succès de cet instrument. Mais le « succès » de la Facilité a aussi son prix : elle risque d'être épuisée bientôt.

Pour cette raison, je crois utile qu'un débat avec les Etats membres de l'Union européenne soit lancé sur la possibilité d'un refinancement de cet instrument important. En même temps, je tiens à souligner que la Facilité ne pourra jamais financer l'ensemble des dépenses de n'importe quelle mission de maintien de la paix.

Mesdames, Messieurs, les enjeux sont énormes. Sans sécurité, il n'y a pas de développement possible. L'établissement d'une architecture de paix et de sécurité en Afrique est très exactement de la même nature que celle qui a fondé l'Union européenne.

Construit sur les principes de solidarité et sur des valeurs communes fortement ancrées dans l'esprit, dans le coeur et dans la raison, le concept de cohésion continentale fournit le cadre idéal pour gérer et régler les crises, les conflits et les guerres.

Pour ma part, je n'aurai de cesse de dégager les moyens nécessaires pour donner à l'Union africaine les moyens d'être à la hauteur de ses ambitions et de remplir ses missions. »

Ont participé aux travaux de cette conférence MM. Jean-Guy Branger, Philippe Nachbar et Yves Pozzo di Borgo, Sénateurs, ainsi que MM. Marc Reymann et Rudy Salles, Députés.

B. INAUGURATION DU CENTRE EUROPÉEN DU RÉSISTANT-DÉPORTÉ SUR LE LIEU DE L'ANCIEN CAMP DU STRUTHOF (3 NOVEMBRE 2005)

Le 3 novembre 2005, M. Jean-Pierre Masseret, Sénateur, alors Président délégué de la Délégation française (et ancien Secrétaire d'État aux Anciens Combattants puis à la Défense) a été invité à assister à l'inauguration par M. Jacques Chirac, Président de la République, du Centre européen du Résistant-déporté. Ce centre est installé sur les lieux où les occupants nazis avaient créé le seul camp de déportation et d'extermination bâti sur le sol français.

C. CONFÉRENCE INTERPARLEMENTAIRE SUR LA DÉFENSE EUROPÉENNE (BERLIN - 28 ET 29 NOVEMBRE 2005)

A l'initiative du Parlement de la République fédérale d'Allemagne et du Parlement européen, s'est tenue à Berlin une conférence visant à faire le bilan de la politique européenne de sécurité et de défense - PESD, ainsi qu'à envisager ses perspectives d'évolution dans un monde désormais en proie à de nouvelles menaces sur la sécurité, y compris du continent européen, notamment le terrorisme.

Le programme de cette conférence était le suivant :

- Brigadier Ian Abbott (Britannique), Adjoint au chef de la division de la politique et de la planification - PESD - Union européenne : « Orientations de l'Union européenne et groupes de combat » ;

- Gerhard Brauer, Chef du Bureau du directeur général de la politique de sécurité à l'Agence spatiale européenne : « Les compétences de l'Agence spatiale européenne en matière de PESD » ;

- Giancarlo Grasso, Chef du Bureau technique de Finmeccanica SpA : « La cooperation technique en matière d'armements » ;

- Mamuka Kudava, Ministre délégué à la défense de Géorgie : « Situation de la réforme de la défense » ;

- Simeon Nikolov, délégué du Ministre de la défense de Bulgarie : « La force de réaction de l'OTAN et des groupes de combat de l'Union européenne » ;

- Nikola Radovanovic, Ministre de la défense, Bosnie-Herzégovine ;

- Denis Ranque, Président du groupe Thalès : « Intégration, coopération et regroupement en matière d'industries de la défense européenne » ;

- Ingénieur Général Bernard Royal, Adjoint au chef du développement international : « L'avenir de la PESD et la coopération avec les États extérieurs à l'Union européenne » ;

- Graham Watson, Membre du Parlement européen : « Groupes de combat européens et force de réaction de l'OTAN - doublon de forces ou élargissement de capacités militaires ? » ;

- Dr Stefan Weingartner, collaborateur des programmes spatiaux de défense, MTU Aero Engines : « Partenariats public-privé en matière d'engins spatiaux » ;

- Rüdiger Wolf, Chef de la section du Ministère de la défense allemand : « Coordination entre les budgets nationaux et européen de la défense ».

Parmi les exposés présentés, celui de M. Denis Ranque, Président du groupe Thalès, peut être résumé ainsi.

M. Denis Ranque a tout d'abord rappelé comment se présentaient les « paysages » des acquisitions de matériel de défense.

Il a ainsi opposé les Etats-Unis d'Amérique, caractérisés par un très vaste marché unifié et protégé qui a connu une croissance de 25 % dans les dix dernières années à partir de programmes définis au niveau fédéral, générant ainsi des économies d'échelle considérables.

L'Union européenne est caractérisée, quant à elle, par un marché très morcelé et très largement ouvert. Il s'ensuit que le secteur proprement européen n'a à peu près pas connu de croissance depuis dix ans et que le morcellement des programmes y perdure.

À partir de ce paysage contrasté, M. Denis Ranque a évoqué les réformes qui lui paraissent nécessaires :

- en premier lieu, il conviendrait d'affecter des fonds substantiellement augmentés à la recherche dans le domaine de la défense ;

- en second lieu, il faut absolument faire progresser la coordination, notamment, dès l'effort de recherche ;

- l'objectif de consolider l'industrie européenne doit être assumé à l'instar de la politique américaine. L'industrie ou les industriels européens sont d'ailleurs prêts à relever les défis présents et futurs, notamment sous forme de « joint venture » ou de partenariats industriels.

L'acceptation de mutualisations et de participation croisée sans méconnaître qu'elles se heurtent à des obstacles politiques (la souveraineté affirmée en matière de défense et même industrielle), sociaux (de l'allocation des commandes dépend le maintien ou non de centaine d'emplois), et même bureaucratiques (habitudes des différentes directions générales de l'armement). M. Denis Ranque a indiqué qu'il était grand temps de procéder à un inventaire des duplications éventuelles dans le but de parvenir à leur réduction par allocation de segments en vue d'une optimisation des réponses industrielles, le cas échéant avec des coopérations.

Il est convenu qu'il fallait accepter d'introduire de la concurrence dans les marchés de fournitures mais que cette concurrence devait demeurer contrôlée. Une des difficultés consiste à identifier les firmes réellement européennes et à les distinguer des autres, ce qui peut être moins simple qu'il n'y paraît s'agissant d'entreprises privées en raison de la complexité des détentions de leur capital.

Sans doute convient-il de sélectionner les meilleurs approvisionnements hors de l'Union européenne quand c'est nécessaire mais il ne faudrait pas non plus hésiter à favoriser la constitution de champions industriels non plus nationaux mais européens, c'est-à-dire de taille internationale.

Ces objectifs sont, ou devraient être, ceux de l'Agence européenne de défense, qui suscite la plus vive attente, si ce n'est les plus vifs espoirs. M. Javier Solana doit formuler d'ailleurs des propositions dans le courant de ce mois de décembre 2005.

M. Denis Ranque a indiqué qu'il subsistait nombre d'obstacles dans l'Europe actuelle à la coordination qui incombe à l'Agence européenne de défense. Ainsi il y aurait 16 lois différentes régissant les exportations d'armes.

Il a enfin suggéré les orientations qui lui paraissaient devoir être suivies :

- l'acceptation d'un marché à la taille européenne avec une régulation harmonisée ;

- les partenariats avec les industries européennes ;

- une définition des besoins et des spécifications décidées au niveau de l'espace européen ;

- la mutualisation de l'effort de recherche ;

- et enfin, le développement d'une relation plus confiante avec les Etats-Unis, y compris la possibilité de coopérations.

Ont participé aux travaux de cette conférence, M. Yves Pozzo di Borgo, Sénateur, ainsi que MM. Jean-Pierre Kucheida et Guy Lengagne, Députés.

* (1) Composition arrêtée par la Délégation française lors de sa réunion à l'Assemblée nationale, le 11 mai 2005, sous la présidence de M. Bernard Schreiner.

* (2) M. Jean-Pierre Masseret est Président de l'Assemblée de l'UEO depuis le 1 er janvier 2006.

* (3) Cf. infra, texte de l'allocution de M. Jean-Pierre Masseret dans le compte rendu de la 2 ème partie de la session 2005.

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