2. Un nécessaire équilibre entre simplicité, exemplarité et garantie des droits de la défense
Le parquet, maître de l'engagement de la procédure
La décision de recourir à l'ordonnance pénale appartient au parquet. Celui-ci a toujours le choix de l'utiliser ou non mais doit néanmoins tenir compte de deux critères :
- les faits reprochés à l'auteur de l'infraction doivent être suffisamment établis ; comme l'ont indiqué plusieurs magistrats entendus par la mission, seules les affaires simples peuvent être soumises à cette procédure ;
- les informations sur la personnalité du prévenu doivent faire apparaître que celui-ci dispose de ressources suffisantes. Les juridictions ont des points de vue parfois divergents sur la qualité des renseignements obtenus. Le service pénal du siège du TGI de Paris a indiqué que les instructions répétées aux officiers de police judiciaire permettaient d'obtenir des éléments suffisamment probants sur la situation de l'auteur de l'infraction. À Lyon, les magistrats considèrent au contraire que « les renseignements recueillis sur la situation patrimoniale des personnes restent pour le moins succincts et aléatoires. »
Le procureur de la République propose au juge du siège, sur la base d'une procédure écrite, une peine principale qui sera le plus souvent une amende 69 ( * ) assortie éventuellement de peines complémentaires (la plupart du temps une suspension du permis de conduire) 70 ( * ) .
Comme l'a souligné M. André Ride, président de la conférence nationale des procureurs généraux, le type de contentieux visé par l'ordonnance pénale n'appelle pas une individualisation poussée de la sanction. Toutefois, l'adaptation de la peine à la personnalité du délinquant demeure possible dans des marges étroites, le procureur de la République pouvant toujours moduler sa proposition. Ainsi, plusieurs parquets -Bobigny, Quimper, Laval- ont indiqué déterminer la peine infligée en fonction des revenus du délinquant 71 ( * ) .
Le juge du siège, contrôleur de la décision du parquet
Le juge du siège est ensuite saisi du dossier et statue par une ordonnance. Il prononce soit la condamnation requise par le parquet soit la relaxe.
Même s'il n'y a pas d'audience, il conserve un entier pouvoir d'appréciation. Il a en effet toujours la possibilité de renvoyer le dossier au parquet s'il estime qu'un débat contradictoire ou une peine d'emprisonnement est nécessaire. Le ministère de la justice ne dispose pas de données chiffrées sur ce point mais a indiqué à la mission que « selon l'observation empirique des praticiens, cette hypothèse paraît très résiduelle », ce qu'ont confirmé toutes les juridictions dans lesquelles la mission s'est rendue. Il semble que les rares renvois des affaires soient exclusivement motivés par l'existence d'antécédents judiciaires du prévenu.
Les magistrats notent peu de différences entre les réquisitions du parquet et les décisions prononcées en audience correctionnelle. Cette situation s'explique notamment par le fait que les peines infligées résultent le plus souvent d'un barème établi à la suite d'un commun accord entre le siège et le parquet dans la majorité des juridictions. En outre, même en l'absence de concertation, comme à Nîmes, il a été indiqué que le parquet, soucieux de préserver une certaine cohérence de la jurisprudence, examinait attentivement les décisions des magistrats du siège chargés de traiter les ordonnances pénales.
La notification : une formalité déterminante pour la réussite de la procédure
Le moment de la notification constitue le seul « point de contact » entre le prévenu et l'institution judiciaire. En effet, celui-ci est absent des deux premières phases de la procédure.
Aucun entretien avec l'auteur des faits n'est prévu lorsque le procureur de la République propose la peine. A la différence de la composition pénale, la décision du parquet s'impose sans que son accord ou la reconnaissance des faits qui lui sont reprochés soit requis. Il n'est pas davantage entendu par le magistrat du siège qui « statue sans débat préalable » (art. 495-1 du code de procédure pénale).
Telle est la raison pour laquelle cette procédure peut devenir « une source de frustration pour le justiciable » comme a pu le souligner un représentant des fonctionnaires des greffes du TGI de Nîmes. Celui-ci a en effet évoqué le risque que les prévenus aient l'impression qu'entre l'infraction et la notification de l'ordonnance pénale, « il ne s'est rien passé » et qu' « ils ont été privés du droit d'être écoutés à l'audience et de se justifier. »
Deux modes de notification, d'efficacité inégale, peuvent être utilisés par les juridictions.
La lettre recommandée avec demande d'avis de réception était, jusqu'à la loi du 9 mars 2004, la seule modalité de notification possible. Toutefois, celle-ci tend à devenir une pratique moins répandue compte tenu des difficultés qu'elle soulève .
D'une part, la notification par lettre recommandée accroît les tâches des fonctionnaires des greffes chargés de suivre le déroulement de la procédure. Comme l'a souligné le parquet de Nantes qui utilisait ce mode de signification jusqu'en mars 2005, cette situation conduit à un paradoxe : « faute de moyens des secrétariats-greffes, l'ordonnance pénale est rarement notifiée dans un délai inférieur à huit mois alors même que cette procédure simplifiée devrait pouvoir s'exécuter rapidement. »
D'autre part, il est fréquent que ce mode de notification se révèle inadapté et inefficace :
- soit en raison du profil des prévenus dont la situation financière est souvent délicate et qui craignent les courriers des créanciers, ce qui les conduit délibérément à ne pas retirer la lettre recommandée ; cette situation peut représenter une part importante des courriers envoyés 72 ( * ) ;
- soit en raison du manque de moyens mis à la disposition de l'institution judiciaire qui, ne disposant pas toujours d'informations fiables relatives au domicile du délinquant, envoie la lettre à une adresse erronée ; cette situation est d'autant plus susceptible de survenir que le délai entre la commission de l'infraction et la notification de l'ordonnance pénale est long.
Si la lettre n'est pas réclamée, les services de police ou de gendarmerie sont ensuite saisis pour opérer la notification, ce qui alourdit considérablement la procédure et ne donne pas forcément de résultats plus probants, notamment lorsque l'adresse est fausse.
Enfin, le support même de la notification -la lettre recommandée- revêt un caractère impersonnel et administratif, qui laisse peu de place à la pédagogie et à l'explication de la peine prononcée.
Les résultats obtenus par ce mode de notification -taux d'exécution très faible, taux de réitération ou de récidive élevé- se sont révélés peu concluants. Nombre de parquets (Bobigny, Nantes, Reims, Lyon...) 73 ( * ) l'ont de ce fait abandonné ou en ont l'intention. A l'exception du TGI de Paris où selon le service pénal du siège, le grand nombre d'ordonnances pénales rendues chaque mois (500) rend difficile l'utilisation d'une autre voie de notification, les juridictions qui maintiennent la notification par courrier -comme Nîmes- reconnaissent qu'elles se heurtent à de nombreux obstacles.
Face à ce constat d'échec, la loi du 9 mars 2004 a ouvert au procureur de la République ou à une personne habilitée par le paquet la faculté de porter l'ordonnance pénale à la connaissance du prévenu. Cette nouvelle approche, désormais privilégiée par un nombre croissant de juridictions, présente des avantages indéniables en termes d'effectivité et de pédagogie.
Deux pratiques se distinguent à cet égard :
- certains parquets prévoient l'intervention du procureur de la République et du délégué du procureur ou du greffier dans le cadre d'un « rendez-vous judiciaire » avec le prévenu.
Ainsi, à Bobigny, l'officier de police judiciaire remet au prévenu une convocation à un entretien qui prend la forme d'une notification collective effectuée par un magistrat du parquet.
Elle comprend deux temps : la projection d'un film sur la sécurité routière et un rappel des peines encourues. Pour marquer la solennité de cet instant et le souci d'exemplarité de la justice, plusieurs éléments symboliques du procès ont été introduits : la notification se déroule dans la salle d'audience et le magistrat du parquet est vêtu de sa robe. Une trentaine de personnes sont en général convoquées. Chaque séance est dédiée à un contentieux particulier (conduite sous l'empire d'un état alcoolique, conduite sous l'emprise des stupéfiants, défaut de permis de conduire...).
Ensuite, un délégué du procureur notifie la peine individuellement et explique une nouvelle fois le sens de la sanction. Lorsque les prévenus ne se présentent pas à la séance de notification, ceux-ci font l'objet d'une nouvelle convocation. A l'issue de cette deuxième convocation, les personnes qui ne se sont toujours pas présentées reçoivent une notification par voie postale.
Après 27 audiences de notification collective organisées entre février et mai 2005, le parquet de Bobigny se déclare satisfait de cette nouvelle organisation dont le mérite est d'avoir allégé la charge de travail des personnels des greffes en la transférant vers les délégués du procureur. En outre, le taux de présence des personnes convoquées, supérieur à 50 %, se révèle plus satisfaisant que le taux de retrait des courriers à l'époque de la notification par lettre recommandée.
Le TGI de Lyon prévoit de mettre en place un dispositif similaire. Le TGI de Cambrai qui fait intervenir le greffier plutôt que le délégué du procureur aux côtés du parquet connaît une organisation voisine.
D'autres juridictions -Reims, Quimper, Lyon- confient au seul délégué du procureur le soin de notifier l'ordonnance pénale dans le cadre d'un entretien qui peut être collectif ou individuel.
Comme l'a souligné Mme Anne Kayanakis, procureur de la République au TGI de Quimper, l'avantage de ce nouveau mode de notification est de maintenir le « contact entre la justice et le prévenu » et de gommer le caractère anonyme de cette procédure.
Il semble donc opportun de privilégier ce mode de notification qui peut utilement améliorer l'exécution des peines et favoriser une meilleure compréhension de la justice. A tout le moins, il paraît nécessaire que les juridictions qui entendent conserver un mode de notification traditionnel par courrier tentent d'introduire un minimum de pédagogie dans la lettre de notification afin d'éviter que certains mis en cause aient le sentiment de ne pas avoir été condamnés.
Une voie de recours ouverte aux prévenus : l'opposition
Le prévenu a toujours la possibilité de s'opposer à l'ordonnance pénale, ce qui a pour effet de renvoyer l'affaire à l'audience correctionnelle selon la procédure de jugement classique.
De nombreux magistrats considèrent que cette faculté constitue une garantie essentielle des droits de la défense dès lors que le justiciable a toujours le choix de renoncer à cette procédure abrégée pour être jugé dans les conditions de droit commun.
Les principaux représentants de la profession d'avocat entendus par la mission ne l'entendent pas ainsi et considèrent au contraire que cette procédure -en dépit d'un champ d'application limité- offre peu de garanties pour la défense. Ils regrettent que la participation de l'avocat à la procédure ne soit qu'épisodique -au stade de l'opposition et dans le cadre du jugement correctionnel ultérieur.
Le délai pour former opposition à l'ordonnance est fixé à 45 jours à compter de la date de la notification de l'ordonnance pénale. Jusqu'à la publication -tardive- du décret du 2 septembre 2005 74 ( * ) , les juridictions qui avaient recours à la notification par courrier ont indiqué à la mission avoir été confrontées à des difficultés pour calculer le point de départ de ce délai en l'absence de mentions précises dans la loi. L'incertitude n'existe plus désormais puisque l'article R. 41-4 du code de procédure pénale prévoit que le délai d'opposition court à compter de la « date d'envoi de la lettre recommandée ». Il eût été préférable que le décret d'application d'une disposition votée par le Parlement en 2002 soit publié plus rapidement.
En pratique, le taux d'opposition est assez faible 75 ( * ) . Certains magistrats, notamment ceux de Lyon, expliquent que l'opposition constitue davantage un moyen de « retarder l'échéance » qu' « une véritable contestation », ce que les représentants de la profession d'avocat ont d'ailleurs confirmé. Ceux-ci conseillent en effet souvent à leurs clients de faire opposition pour avoir le temps d'étudier le dossier, quitte à se désister ensuite si la décision semble acceptable.
Ce taux d'opposition est néanmoins susceptible d'évoluer. Comme l'a souligné un responsable du secteur associatif intervenant en matière pénale, si le quantum de la peine prononcée au titre des ordonnances pénales apparaît plus sévère que la jurisprudence moyenne du tribunal correctionnel, il en résulte une augmentation des oppositions, au risque de provoquer l'engorgement des audiences correctionnelles.
Les jugements rendus sur opposition ne semblent pas plus sévères et, dans l'ensemble, confirment l'ordonnance pénale. Comme l'a indiqué le ministère de la justice, « l'exercice de l'opposition n'a pas pour conséquence nécessaire le prononcé d'une peine plus lourde que celle initialement infligée. Lors de l'audience sur opposition, le tribunal statue, à l'issue d'un débat contradictoire et public, de la façon et selon les même critères que s'il avait été saisi par citation directe ou convocation par officier de police judiciaire, en appréciant les éléments de preuve et, s'il entre en voie de condamnation, en tenant compte de la gravité des faits et de la personnalité de l'auteur . »
Le service pénal du siège du TGI de Paris a indiqué à la mission son souci de préserver l'unité de la jurisprudence lorsque l'affaire est renvoyée à l'audience correctionnelle et de centraliser le traitement des oppositions à l'ordonnance pénale auprès d'une même chambre. En outre, cette nouvelle organisation devrait permettre d'accélérer l'audiencement de ces oppositions, jugées actuellement comme des citations directes, dans un délai de 4 à 5 mois.
Cette organisation mériterait d'être généralisée car elle pourrait utilement contribuer à améliorer la lisibilité de la justice à l'égard des justiciables.
Un taux d'exécution médiocre
Toutes les juridictions ont souligné le faible taux de recouvrement des amendes prononcées dans le cadre de l'ordonnance pénale.
Les magistrats entendus par la mission ont fait valoir que cette situation pourrait toutefois s'améliorer si le paiement des amendes par carte bancaire sur place au tribunal était possible. Un premier progrès devrait être perceptible grâce à la ristourne de 20 % du montant de l'amende en cas de paiement immédiat 76 ( * ) . Toutefois, comme cela a déjà été souligné pour la composition pénale, il paraît primordial qu'un assouplissement des modalités de règlement des amendes intervienne dans les meilleurs délais.
En outre, s'il est encore trop tôt pour mesurer l'impact du nouveau mode de notification mis en place par la loi du 9 mars 2004, on peut supposer que les explications fournies aux prévenus par le magistrat du parquet ou un représentant habilité (délégué du procureur ou greffier) permettront de les responsabiliser davantage et de les inciter à exécuter leur peine.
Sous réserve des observations précédentes, le champ d'application de l'ordonnance pénale pourrait être utilement étendu à certains délits plus « techniques » (fraude ou mauvais étiquetage commis par le commerçant) comme l'ont suggéré plusieurs chefs de juridictions.
* 69 Les peines complémentaires peuvent toujours être prononcées à titre principal.
* 70 Peuvent également être prononcées les peines complémentaires suivantes : la confiscation du détecteur de radar, l'interdiction de porter une arme, le retrait du permis de chasser, l'obligation d'accomplir un stage (sensibilisation à la sécurité routière le plus souvent) ...
* 71 Ainsi, à Bobigny par exemple, une conduite en état alcoolique avec un taux d'alcool dans le sang compris entre 0,4 et 0,5 mg par litre d'air expiré donnera lieu à une suspension de permis de quatre mois si le prévenu est impécunieux, à une amende de 100 euros et une suspension de permis de trois mois si ses revenus sont inférieurs à 2.000 euros et à une amende de 200 euros et une suspension de permis de deux mois si ses ressources sont supérieures à 2.000 euros.
* 72 Ainsi, 30 à 40 % des courriers ne sont pas retirés à Nîmes. Avant que Bobigny ne change de mode de notification (février 2005), le nombre de courriers retirés était très faible. Il en est de même à Lyon.
* 73 Ainsi, Reims et Lyon n'utilisent plus la signification par courrier depuis respectivement le 1 er mai 2005 et la fin du mois de juin 2005.
* 74 Décret n° 2005-1099 du 2 septembre 2005.
* 75 A Reims, ce taux s'élève à 2,5 %, à Paris, Nantes et Lyon, il s'établit entre 5 et 7 %.
* 76 Voir le décret du 2 septembre 2005 précité.