5. Des services pénitentiaires d'insertion et de probation en proie à une « crise des vocations »
Une charge de travail accrue par de nouvelles responsabilités en matière d'enquêtes sociales
La loi du 9 mars 2004 a profondément changé la nature des missions du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) dont la vocation principale consistait à assurer la prise en charge et le suivi des mesures alternatives à l'incarcération.
Un nouveau domaine - la conduite des enquêtes - représente une part croissante de l'activité des SPIP désormais chargés d'effectuer :
- les enquêtes pré-sentencielles 91 ( * ) demandées par le parquet en application de l'article 41 du code de procédure pénale. Depuis la loi du 9 mars 2004, celles-ci sont obligatoires avant toute réquisition du parquet ordonnant le placement en détention provisoire, en cas de poursuite contre une personne majeure âgée de moins de vingt-et-un an au moment de la commission de l'infraction lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement et enfin en cas de poursuite selon la procédure de comparution immédiate.
Avant l'entrée en vigueur de cette loi, l'enquête de personnalité, en cas de détention provisoire, était déjà systématiquement pratiquée par quelques SPIP comme celui de Nantes 92 ( * ) . Mais, cette pratique demeurait exceptionnelle ;
- les enquêtes d'aménagement de peine préalable à la mise à exécution des peines d'emprisonnement inférieures à un an 93 ( * ) ;
- les enquêtes systématiques pour les aménagements de fin de peine.
Le travail d'enquête représente désormais une part importante de l'activité des SPIP.
A Nantes par exemple, le nombre d'enquêtes sociales ordonnées par le parquet s'est accéléré depuis la mise en oeuvre de la loi du 9 mars 2004, passant de 51 en 2003 à 65 en 2004 -dont 44 entre le 1 er octobre et le 1 er janvier). Entre janvier et mars 2005, on en comptait déjà 55. A Bastia, le nombre d'enquêtes de personnalité est passé de 19 en 2002 à 47 pour les huit premiers mois de l'année 2005. A Nîmes, le constat est identique. Selon M. Robert Gelli, procureur de la République, 500 demandes d'enquête ont été adressées au SPIP dans le cadre des procédures accélérées de jugement, ce qui représente un volume équivalent aux activités liées à l'exécution des peines.
Ce surcroît d'activité affecte l'organisation du travail, des permanences quotidiennes, y compris le week-end, devant être assurées, alors que les effectifs sont insuffisants. De ce fait, les personnels récupèrent difficilement les jours d'astreinte et les heures supplémentaires.
Afin d'alléger la charge de travail pesant sur les SPIP, certains parquets, encouragés par le ministère de la justice, confient la conduite des enquêtes à des associations. Tel est notamment le cas à Nantes où un projet de convention est en cours pour confier à une association la réalisation des enquêtes.
Le transfert de charge vers des acteurs extérieurs à l'institution judiciaire n'est cependant pas sans soulever certaines questions.
D'une part, il représente une dépense non négligeable pour les juridictions financée sur le montant des frais de justice . Or, ce poste budgétaire fait l'objet d'une attention toute particulière compte tenu de sa croissance exponentielle (+ 40 % en deux ans) 94 ( * ) et du caractère limitatif qui lui a été conféré par la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Les parquets devront donc toujours garder à l'esprit le coût financier de l'intervention des associations et éviter de grever trop lourdement l'enveloppe affectée au tribunal.
D'autre part, les SPIP ont des compétences croisées qui leur permettent de mieux appréhender le passé pénal d'un délinquant qu'une association. Ils peuvent en effet consulter facilement le dossier d'une personne afin de savoir si elle est déjà en sursis probatoire.
Enfin, contrairement aux SPIP dont l'existence est pérenne, la viabilité des associations du secteur pénal est parfois plus aléatoire comme le montre le placement en redressement judiciaire (depuis le 1 er mars 2004) de l'association chargée de réaliser les enquêtes sociales pour les TGI de Paris, de Bobigny et de Créteil 95 ( * ) .
Une révolution des pratiques, source d'inquiétudes fortes
L'évolution des missions confiées aux SPIP constitue une véritable « révolution culturelle » comme l'a souligné la plupart des personnels d'insertion et de probation.
En effet, la dimension sociale du métier de travailleur social qui implique un travail dans la durée s'efface pour laisser la place à l'urgence, qui devient un aspect incontournable de cette fonction.
Comme cela a pu être souligné à Nîmes par Mme Anne-Marie Masson, directrice du SPIP « les enquêtes sociales rapides, fondées sur un simple recueil déclaratif de la personne présentée et vérifiées par téléphone ne constituent plus des enquêtes sociales et deviennent surtout rapides. En outre, le temps que chaque travailleur social peut consacrer aux entretiens avec les personnes suivies en milieu ouvert -comme la possibilité de rencontrer les personnes en détention- va se restreindre encore. »
Cette mutation suscite un sentiment mitigé chez les professionnels.
Une minorité, notamment les plus jeunes, paraît bien accepter cette évolution. Certains personnels expriment même leur satisfaction d'être davantage « intégrés au circuit judiciaire », mais craignent d'être débordés.
Une majorité des personnels d'insertion et de probation en revanche exprime « un mal être professionnel » et évoque même le risque « d'une crise de vocation ». Ainsi, à Nîmes, les représentants du SPIP ont indiqué que « la transformation trop rapide des missions du SPIP et la réduction des tâches à caractère social risquent de provoquer un phénomène de rejet, ou une crise interne grave ».
Les personnels les plus anciens, particulièrement, ne semblent pas avoir été suffisamment préparés à la reconversion que leur imposent les réformes nouvelles et ne l'acceptent pas.
De plus, l'arrivée des effectifs nouveaux programmée par le ministère de la justice pour renforcer les SPIP 96 ( * ) ne devrait pas être effective sur le terrain avant deux années, ce qui place les professionnels dans une situation délicate compte tenu de l'accroissement de leurs missions.
* 91 Qui consistent à vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne et à informer le parquet sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé.
* 92 Cette démarche résultait d'une initiative du barreau.
* 93 En application de l'article 723-15 du code de procédure pénale.
* 94 Voir Avis n° 79 - Tome IV (Sénat, 2004-2005) précité, pages 41 à 46.
* 95 Il s'agit de l'association de politique criminelle appliquée de réinsertion sociale (APCARS).
* 96 200 emplois ont été créés en 2005, 80 devraient l'être en 2006.