B. GRÂCE À LA LOLF, L'AVANCE DE L'AGENCE FRANCE TRÉSOR DANS LA MESURE DE LA PERFORMANCE
Sans préjuger de la qualité de la gestion des autres opérateurs de la dette au sein de l'Union européenne, votre rapporteur spécial est revenu convaincu de l'apport majeur de la LOLF dans l'évaluation de la performance. Celle-ci ne peut être résumée au taux d'intérêt des émissions de l'année.
L'Agence France Trésor a eu le mérite, grâce à la LOLF, de dépasser une comparaison, trop partielle, des différentiels de taux d'intérêt pour distinguer la qualité de la signature de l'Etat émetteur, liée à sa situation économique et budgétaire, de la qualité de gestion intrinsèque de la structure en charge des émissions, liée à la mise en place d'une stratégie pertinente de placement des titres de la dette sur le marché.
Aux termes du guide de la performance, élaboré conjointement par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie (direction de la réforme budgétaire) avec les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, la Cour des Comptes et le Comité interministériel d'audit des programmes 23 ( * ) , à destination notamment des gestionnaires de programme, un « bon » indicateur de performance doit être pertinent , c'est-à-dire permettre d'apprécier les résultats réellement obtenus 24 ( * ) , être disponible à intervalles réguliers, se prêtant à des comparaisons, être compréhensible, pérenne, de fiabilité incontestable, tout en étant élaborés à un coût raisonnable.
1. Les limites liées aux différentiels de taux d'intérêt
Le « spreadomètre », diffusé en ligne par l'Agence France Trésor, permet d'établir un indicateur synthétique des écarts de coût de financement, comparant les conditions de financement de la France et des autres pays de la zone euro, sur l'ensemble des maturités. Cet indicateur est important car il témoigne de la qualité de signature de la Nation toute entière. Selon cet indicateur, la France obtient les meilleures conditions de financement de la zone euro, avec l'Espagne et l'Allemagne (c'et l'Allemagne qui figure néanmoins régulièrement en tête, l'Espagne talonnant de plus en plus la France). Les conditions de financement de la République française ont bénéficié en moyenne en 2004 d'un avantage de 5,3 points de base par rapport à la moyenne des conditions de financement de la zone euro. A l'inverse, l'Italie et la Grèce obtiennent les conditions de financement les moins favorables. L'Italie a ainsi été mise sous surveillance, avec orientation négative par l'agence de notation Fitch en juillet 2005.
L'indicateur est évidemment trop global pour rendre compte de la qualité de la gestion de l'Agence France Trésor, même si celle-ci peut affecter le différentiel des coûts de financement, mais à la marge. Il ne permet pas, en outre, de rendre compte des conditions de financement obtenus par le Trésor américain et ou le Trésor britannique. Les variations de change rendent toute comparaison, selon l'Agence France Trésor, peu pertinente.
La mesure des performances relatives des agences de la dette : la limite des « spreads »
(août 2005)
Source : Agence France Trésor
2. L'approche de France Trésor
L'AFT a dès lors choisi de mesurer la qualité de sa gestion 25 ( * ) au travers des deux paramètres laissés à sa liberté de jugement : la répartition dans le temps du volume global émis (le calendrier d'émission) et le choix des maturités émises à chaque adjudication (leur allocation). Il s'agit, grâce à un « automate », d'évaluer la réalisation effective du programme d'emprunt, soit par rapport à une réalisation « aveugle », linéaire et faite indépendamment des informations de marché reçues par France Trésor, soit par rapport à une exécution « normative » définie en début d'année et qui aurait été appliquée sans dévier.
Deux indicateurs ont été définis :
- l'indicateur « temps » mesure la performance de l'AFT par rapport à un automate qui émettrait la même quantité de dette chaque jour (au lieu de le faire lors des adjudications). Par rapport à cet indicateur, le résultat 2004 accorde 0,8 point de base au bénéfice de l'Agence France Trésor ;
- l'indicateur « allocation » mesure la performance de l'AFT par rapport à un automate qui suivrait strictement le calendrier annoncé en début d'année. Par rapport à cet indicateur, le résultat 2004 accorde 2,6 points de base au bénéfice de l'Agence France Trésor.
Compte tenu des biais inhérents à de tels indicateurs, l'objectif cible pour chaque année consiste à fixer un écart de - 10 points de base à 10 points de base par rapport aux automates, l'AFT devant, bien entendu, s'efforcer dans l'idéal de tendre vers un écart de coût de la dette émise à la dette des automates plutôt négatif que positif.
3. Les autres approches possibles
L'approche ALM (« Asset Liabilities Management » ou gestion actif/passif) repose sur l'idée de faire correspondre l'actif au passif en termes de sensibilité aux différents facteurs de risque (taux, change...). Par exemple, l'émission d'obligations indexées sur l'inflation peut s'expliquer par la sensibilité partielle des recettes d'un État aux variations de prix.
Une analyse ALM complète permet en théorie de déterminer la composition optimale du portefeuille de dette (nominale, indexée, en devises).
Cette analyse reste difficile pour l'Etat car elle nécessite une très bonne connaissance de son actif. Jusqu'à une période récente, cette connaissance était imparfaite. Les progrès réalisés en ce qui concerne les informations contenues dans le compte général de l'administration des finances annexé au projet de loi de règlement, conformément aux nouvelles exigences de sincérité des comptes de l'Etat posées par la LOLF, permettent d'envisager le développement d'une telle approche.
La performance du gestionnaire serait ainsi liée à sa capacité à mettre, face à l'actif, une répartition optimale du portefeuille de la dette de l'Etat.
Objectifs et indicateurs de performance de l'Agence France Trésor
Action |
Objectif |
Indicateur de performance |
Cible 2006 |
Gestion de la dette |
Couverture du programme de financement |
- nombre d'adjudications non couvertes - taux de couverture des adjudications |
0
200 pour les BTF, 150 pour les OAT |
Evaluation de la cohérence des choix de mise en oeuvre |
- indicateurs temps - indicateurs allocation |
+ 10 à - 10 + 10 à - 10 |
|
Réduction de la durée de vie moyenne de la dette après swap |
- durée de vie moyenne après swap |
Sans objet |
|
Gestion de la trésorerie |
Limiter le solde du compte à la Banque de France en fin de journée |
- solde du compte |
100 millions d'euros |
Placer les excédents ponctuels de trésorerie au meilleur prix |
- rémunération des opérations de dépôt - Rémunération des opérations de pensions livrées |
EONIA
26
(
*
)
SWAP EONIA - 0,02 % |
|
Annonce par les correspondants du Trésor des opérations affectant le compte de l'Etat |
taux d'annonce des opérations supérieures à 1 million d'euros |
95 % |
|
Suivi des risques |
Obtenir un niveau de contrôle des risques de qualité constante et qui minimise la survenance d'incidents |
- qualité du système de contrôle - incidents d'exécution des opérations |
Indice composite
0 |
Source : mission « engagements financiers de l'Etat » annexée au projet de loi de finances pour 2006
*
**
En termes de « benchmark » européen, votre rapporteur spécial exprime un satisfecit pour la stratégie de l'Agence France Trésor et sa démarche de performance.
Votre rapporteur spécial souligne en effet que la performance doit se mesurer sur le long terme : une politique comme celle de l'Agence France Trésor, très transparente, répondant à la demande des investisseurs est vertueuse même si elle peut apparaître moins rentable à court terme qu'une politique plus opportuniste.
La performance doit nécessairement s'entendre en termes de rendement et de risque. La prudence bienvenue de l'Agence France Trésor a eu pour corollaire la mise en place d'instruments de contrôle des risques. Du point de vue du Parlement, ces instruments sont essentiels pour garantir que la gestion d'un poste budgétaire aussi important que celui de la charge de la dette est maîtrisée.
Grâce à la LOLF, l'Agence France Trésor est sans doute la seule agence européenne de la dette à être allée, aussi loin dans la formalisation des objectifs, et la réflexion sur des indicateurs de performance. Il convient désormais, sur le modèle britannique, conformément à l'esprit de la nouvelle « Constitution budgétaire » de déterminer les conditions d'une association satisfaisante du Parlement à la gestion de la dette de l'Etat. Votre rapporteur spécial invite ainsi à une audition régulière du directeur général de l'Agence France Trésor devant les commissions des finances de chaque assemblée.
* 23 Chargé de donner un avis technique sur la qualité des objectifs et indicateurs de performance proposés par les gestionnaires de programme dans les projets annuels de performance.
* 24 Les résultats doivent de plus être en relation directe avec l'action qu'a entreprise l'administration.
* 25 Cf sur ce sujet le rapport d'activité de l'Agence France Trésor 2004/2005, pages 28 et 29.
* 26 European overnight interbank average. Ce taux représente le taux moyen, pondéré par les volumes, des prêts à un jour réalisés sur le marché interbancaire par un panel d'établissements bancaires de la zone euro.