N° 426
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 juin 2005 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le maintien en condition opérationnelle de la flotte ,
Par M. Yves FRÉVILLE
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Jacques Baudot, Mme Marie-France Beaufils, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Mme Nicole Bricq, MM.Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Roger Karoutchi, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.
Défense. |
INTRODUCTION
? Les indicateurs de la marine nationale en termes de disponibilité des matériels et les rapports successifs de la Cour des comptes ont montré que les niveaux de disponibilité des navires avaient baissé de façon alarmante et que les fonctions logistiques de cette armée étaient fortement détériorées à la fin des années 1990. Le rapport particulier de la Cour des comptes cité ci-après met en évidence à juste titre le caractère cumulatif des effets de cette situation et son impact sur le moral des équipages.
La dégradation de la disponibilité des navires de la marine nationale
La faible disponibilité des bâtiments de la marine nationale s'est traduite par des potentiels de déploiement opérationnel faibles, des retards lors des sorties de périodes d'entretien, des problèmes d'approvisionnement en pièces de rechange, et l'insatisfaction des utilisateurs de ces matériels, notamment des équipages dont la motivation a été affectée. L'association de ces facteurs a eu des effets qui ont encore aggravé le phénomène.
Source : rapport particulier de la Cour des comptes de décembre 2004 « Le maintien en condition opérationnelle des matériels des armées »
Si l'on prend en compte l'aptitude au déploiement des bâtiments, la dégradation apparaît particulièrement sensible entre 1997 et 2000. Pour certains types de bateaux, le taux de disponibilité a diminué d'un tiers sur la période (c'est le cas pour les sous-marins nucléaires d'attaque notamment).
Caractérisation de la dégradation de la disponibilité des bâtiments La disponibilité des matériels de la marine entre 1997 et 2000 (en %) |
|||||
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
||
TCD |
85,1 |
94,2 |
50,0 |
37,8 |
|
Frégates antiaériennes |
78,9 |
47,6 |
34,1 |
53,0 |
|
Frégates anti-sous-marines |
74,1 |
81,8 |
64,2 |
56,3 |
|
Frégates Lafayette |
87,2 |
89,1 |
57,8 |
68,8 |
|
SNA |
69,9 |
68,9 |
49,0 |
42,7 |
|
Source : ministère de la défense |
Cette évolution a été d'autant plus inquiétante qu'elle a porté sur une flotte en nette réduction quantitative, le volume de la flotte passant d'environ 110 bateaux en 1990 à 82 unités en 2000 (dont 66 pour la flotte de combat). La réduction de la flotte a concerné les matériels les plus anciens, ce qui n'a pas contribué pour autant à une amélioration de la disponibilité d'ensemble.
Le nombre moyen des jours de mer effectivement réalisé se situait, en 2000, à 85 jours, pour un objectif de 110 pour la flotte sous-marine, et à 92 jours pour la flotte de surface pour un objectif de 100 jours.
Source : rapport particulier de la Cour des comptes de décembre 2004 « Le maintien en condition opérationnelle des matériels des armées »
Cette dégradation du maintien en condition opérationnelle n'a certes pas été spécifique à la flotte, mais a été constatée à un degré peut-être moindre dans les autres armées. Elle n'en revêt pas moins des caractères particuliers. Ses effets ne se sont pas fait sentir de manière trop forte à l'époque, dans la mesure où elle a coïncidé avec une période de grande mutation de la marine nationale marquée par la diminution rapide du format de la flotte et la suppression du service national.
? Un redressement était donc indispensable. Il s'est traduit d'une part par une augmentation substantielle des crédits de maintien en condition opérationnelle (MCO) dans le cadre de la loi de programmation militaire 1 ( * ) , d'autre part par la création d'un nouveau service en 2000 : le service de soutien de la flotte (SSF). Mais la récente amélioration de la disponibilité des bâtiments de la marine nationale ne doit pas faire penser qu'il ne s'agit pas d'un effort de longue haleine. L'indicateur n° 1 associé à l'objectif n° 7 du programme « Préparation et emploi des forces » de la mission « Défense » permet de suivre l'évolution récente du taux de disponibilité technique des bâtiments de la marine au regard d'une cible de 75 % pour 2008.
La disponibilité technique des bâtiments
Taux global de disponibilité technique des bâtiments de la marine |
Prévision |
Cible |
Réalisation |
2003 |
nc |
52% |
|
2004 |
69% |
66% |
|
2005 |
70% |
||
2006 |
72% |
||
2008 |
75% |
Source : PLF 2006 mission « défense » page 75. Le taux global de disponibilité technique détermine l'aptitude d'un système à être en état d'accomplir au moins une mission pour laquelle il a été conçu.
? Des résultats substantiels ont certes déjà été obtenus 2 ( * ) , mais des efforts importants restent à faire, et ils ne sont pas seulement d'ordre financier. Car si le financement du maintien en condition opérationnelle a été trop souvent réduit et utilisé comme une variable d'ajustement, la réduction des moyens financiers n'a pas été la seule cause de la détérioration de l'état et de la disponibilité des équipements de la marine nationale ; des problèmes d'organisation et de cohérence des fonctions d'entretien du matériel expliquent également la situation.
Le maintien en condition opérationnelle (MCO) n'est, en effet, efficace que si une bonne coordination des différents acteurs et des différentes fonctions est garantie, et si un niveau suffisant de crédits est prévu. C'est sur ces sujets à la fois financier et logistique que votre rapporteur spécial a mené cette année un contrôle sur pièces et sur place tel que prévu par l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), sur le fonctionnement du service de soutien de la flotte.
Le programme du contrôle sur pièces et sur place mené de janvier à juin 2005
Dans cette perspective, des auditions ont été organisées. Ont été entendus :
- M. Bruno Rémond, conseiller-maître à la Cour des comptes et M. Xavier Roche, conseiller référendaire, auteur du rapport particulier de la Cour des comptes précité ;
- M. Jean-Louis Rotrubin, ingénieur général de l'armement, directeur central du service de soutien de la flotte, et le vice-amiral Hubert Jouot, directeur adjoint ;
- l'amiral Alain Oudot de Dainville, alors major général de la marine nationale.
Puis, au cours d'un contrôle sur pièces et sur place effectué les 18 et 19 mai 2005, à la base navale de Toulon, ont été auditionnés :
- le vice-amiral d'escadre Jean-Marie Van Huffel, commandant la zone maritime Méditerranée, commandant la région maritime Méditerranée, préfet maritime ;
- le contre-amiral Jean-François Baud, directeur du service de soutien de la Flotte de Toulon ;
- le contre-amiral Hubert de Gaullier des Bordes, commandant adjoint de la force d'action navale ;
- le capitaine de vaisseau Olivier Morillon, commandant la base navale de Toulon ;
- le commissaire général Pierre Lasserre, directeur du Commissariat de la marine à Toulon.
Ont été visités le SNA Améthyste et la Frégate Courbet, l'un comme l'autre était en IPER (indisponibilité périodique pour entretien et réparation).
Au terme de ces auditions et de ce déplacement, il est apparu que le maintien en condition opérationnelle des navires de la marine nationale avait gagné en qualité, en efficacité et en rendement financier grâce à la création du service de soutien de la flotte (SSF) et que la gestion des matériels de rechange, des réparations pour cause d'avaries inattendues et des entretiens programmés des matériels avait été profondément rénovée par le SSF afin de mieux remplir le contrat opérationnel de la marine nationale. Ces différents points seront examinés successivement après qu'eurent été rappelés le cadre général du MCO dans la marine nationale et les origines de la crise qui le frappa.
I. LA CRISE MULTIFORME DU MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE
La dégradation des taux d'activité et des taux de disponibilité des bâtiments de la marine nationale est une conséquence directe de la diminution des crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements et des dysfonctionnements de l'organisation du MCO confié à des acteurs en profonde mutation.
A. LES CARACTERISTIQUES DU MAINTIEN EN CONDITION OPERATIONNELLE DE LA FLOTTE (MCO)
1. Définition du MCO
Le maintien en condition opérationnelle peut être défini comme l'ensemble des moyens et procédures nécessaires pour qu'un matériel reste, au long de sa durée d'utilisation, apte à l'emploi qui lui est assigné.
Les deux fonctions du maintien en condition opérationnelle
La notion de maintien en condition opérationnelle des matériels recouvre deux types de fonctions.
a) La première fonction est le soutien technique qui regroupe trois grandes catégories d'opérations :
- la maintenance proprement dite, comprenant les actions visant à maintenir (ou rétablir) un équipement dans un état spécifié (telles que les carénages pour l'entretien des coques des bateaux) ;
- la gestion de configuration des équipements qui permet de suivre l'évolution de la définition technique des matériels au long de leur vie opérationnelle ;
- la tenue à jour des référentiels techniques, mais aussi l'analyse du retour d'expérience issue de l'exploitation des faits techniques.
b) La deuxième fonction est le soutien logistique . Elle comprend les opérations d'approvisionnement des rechanges, la maintenance de ceux-ci, leur magasinage (stockage) et le ravitaillement en pièces de rechange des unités, des structures de soutien (ateliers industriels), voire, dans certains cas, des industriels.
La maintenance peut s'exercer suivant deux modes distincts :
- la maintenance préventive , qui correspond à l'ensemble des opérations à caractère systématique ou conditionnel, définies pour chaque type de matériel et destinées à prévenir les altérations ou à limiter leur développement, de façon à maintenir les matériels aptes à l'emploi ;
- la maintenance corrective , qui concerne les opérations ayant pour but de remédier aux avaries survenues en fonctionnement ou aux altérations décelées en cours de la maintenance.
Source : rapport particulier de la Cour des comptes de décembre 2004 « Le maintien en condition opérationnelle des matériels des armées »
* 1 Loi n° 2003-73 du 27 janvier 2003 de programmation militaire pour les années 2003 à 2008.
* 2 Cf. en annexe du présent rapport la réponse du ministère de la défense au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial, sur les taux de disponibilité et d'activité des équipements de la marine nationale.