LE BIOTERRORISME - M. LE MÉDECIN GÉNÉRAL JEAN-ÉTIENNE TOUZÉ, SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES, MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, à la fin de l'année 2001, 14 agents dits agents de classe « OTAN » avaient été identifiés comme étant possiblement éligibles pour le risque bio terroriste. Ces agents comportent des virus - nous avons parlé de la variole, de l'hémorragie virale, des bactéries (charbon, peste, choléra, fièvre Q), et des toxines au premier rang desquelles la toxine botulinique et la ricin.
Ces agents sont choisis particulièrement pour des raisons historiques car, par le passé, des pays proliférants ont tenté de les produire. Ce fut le cas du Japon durant la Seconde Guerre mondiale, de la Russie durant la Guerre froide, et en Irak dans les années 80. Ce sont des agents qui sont très pathogènes et susceptibles, pour certains, d'entraîner des épidémies très redoutables. Des épidémies qui peuvent, dans l'inconscient collectif, créer un sentiment d'effroi et de panique ; on pense à la peste, à la variole, au choléra, aux fièvres hémorragiques virales africaines. Certains de ces agents sont facilement accessibles, le charbon et la peste en particulier dont la culture est facile.
Dans ce contexte, quatre agents ont été considérés comme prioritaires ces dernières années : la variole, le charbon, la peste et la toxine botulinique. La variole parce qu'après la dislocation du bloc soviétique on ne peut exclure que des stocks de virus de variole aient pu être achetés par des agents terroristes. D'autre part, la population occidentale n'est plus vaccinée depuis 1984 et si la variole se développait dans un tel contexte, nous assisterions à des épidémies redoutables. Le charbon est facile à produire, les Irakiens en ont produit en grande quantité, et l'OMS estime dans ces prévisions mathématiques qu'avec 100 kilos de charbon aérosolisé, il est possible de tuer 50 000 à 100 000 personnes dans une ville. La peste est également facile à produire, il en existe aussi des foyers ancestraux, à Madagascar en particulier. La toxine botulinique est facilement accessible et peut contaminer la chaîne hygro-alimentaire. Pour ces quatre agents, l'aérosolisation est possible, mais difficile à réaliser si l'on veut obtenir un aérosol de bonne qualité.
Je souhaite apporter un regard nuancé sur ces agents dits de classe « OTAN ». La variole présente un risque parce que la population n'est pas préparée, néanmoins, les personnes de plus de quarante ans ont eu dans leur vie des challenges vaccinaux comportant la variole et ont très probablement des résidus d'anticorps qui pourraient les protéger. De plus, la variole ne se transmet que par contact humain ou inter humain rapproché, il faut un contact avec un patient atteint qui se déplace or les symptômes ne lui permettent pas de se déplacer si facilement, un varioleux a de la fièvre et des symptômes graves qui le maintiennent alité. Quant à l'aérosolisation de la variole, elle est possible, mais nécessite de hautes conditions technologiques. Si la peste peut être aérosolisée, il faut, pour qu'elle se développe, un triptyque particulier : le rat, la puce, l'homme. Le triptyque existe lors de tremblements de terre par exemple, ce qui s'est produit en Algérie avec quelques cas de peste détectés, mais cet agent ne peut être militarisé ou utilisé pour déclencher des épidémies avec facilité. Enfin, la toxine botulinique est facilement dégradée par la chloration de l'eau, la qualité de la toxine s'est dégradée ces dernières années par l'augmentation de l'indice du taux de chlore pour l'eau d'alimentation. La chaîne alimentaire française est de bonne qualité, si l'on ne peut exclure une intoxication botulinique, elle serait facilement contrôlée grâce à la qualité de traçabilité de nos aliments. Quant aux autres agents, les agents de fièvre hémorragique virale, fièvre Q, leur culture réclame un savoir-faire technologique, une culture cellulaire, des laboratoires de haute sécurité, et cela n'est pas possible sans un fort support étatique.
Il convient de rappeler quelques critères essentiels. Les agents biologiques sont sensibles à la chaleur, aux ultraviolets, à l'hygrométrie, à la climatologie, des facteurs environnementaux qui ne sont pas faciles à maîtriser si l'on veut utiliser ces agents avec une visée terroriste. Par ailleurs, nous ne maîtrisons pas la réponse immune de l'hôte, les épidémies se déclenchent et se contrôlent naturellement, il est très difficile de les déclencher, nous n'avons pas d'exemple d'épidémies déclenchables.
Le risque biologique terroriste est plausible, mais il convient de le nuancer car il est bien en deçà du risque chimique ou nucléaire.
Dans ce contexte, sans tomber dans l'angélisme ou dans l'optimisme béat, nous devons combler notre lacune capacitaire vis-à-vis des quatre agents prioritaires que sont la variole, la peste, le charbon et la toxine botulinique. Cela a été fait en France, nous avons acquis une capacité vaccinale de 70 millions de doses de vaccins, nous possédons des stocks d'antibiotiques suffisants pour parer au charbon et à la peste. Si nous n'avons pas sérum contre la toxine botulinique, il faut savoir que ce sérum n'est que partiellement efficace, lorsqu'il est administré précocement sous des formes digestives, il faut l'avoir immédiatement à portée de main et la mortalité n'est réduite que du tiers quand le sérum est utilisé rapidement. Nous devons préparer l'avenir, améliorer notre réactivité vis-à-vis des agents biologiques, car les agents bioterroristes de demain ne seront probablement pas ceux sur lesquels nous travaillons aujourd'hui.
Nous avons parlé des virus émergents, des maladies réémergentes, et surtout des maladies génétiquement modifiées. Des agents changeront certainement de structure, il sera possible d'y inclure des plasmides de résistance, de modifier leur structure génétique. Des agents aujourd'hui accessibles aux antibiotiques deviendront peut-être résistants occasionnant ainsi des épidémies redoutables. Nous devons parer à ce risque émergent. Nous devons surtout améliorer notre réseau de veille épidémiologique, aujourd'hui il existe une veille déclarative par maladie, nous devons arriver en amont de cette déclaration par la déclaration de symptômes ou de groupements de symptômes. L'InVS travaille à ce sujet, et Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER apportera des éléments supplémentaires. Nous devons également renforcer la veille vectorielle, la veille animale, car les maladies viennent du monde animal et les barrières entre l'homme et l'animal ont été rompues ces dernières années. Nous devons instaurer en France ce type de veille pour détecter ces maladies qui seront demain les nôtres.
Nous devons améliorer notre réactivité dans le domaine du laboratoire, certaines zones en France ne disposent pas de laboratoire P3 de haute sécurité, dont des grandes agglomérations. Ce réseau de laboratoires doit exister, qu'ils travaillent selon les mêmes procédures, les mêmes réactifs, et qu'il y ait des exercices dans ces laboratoires pour que tous travaillent de la même manière. Le SGDN 1 a mis en place récemment un réseau de laboratoires piloté à l'échelon interministériel pour mettre en réseau les laboratoires civils et militaires 2 .
Enfin, nous devons préparer les populations, car nous ne sommes pas prêts à réagir de manière adaptée à un risque non identifié. Le rôle du politique est important, car cela doit entrer dans le cadre de l'éducation scolaire, des programmes d'éducation civique afin que les élèves et les enseignants acquièrent une culture du risque. Nous avons tous acquis une culture du risque incendie, nous devons acquérir une culture du risque par rapport à des menaces non identifiées. Nous devons avoir des mesures et comportement adaptés, très tôt les jeunes doivent savoir ce que sont le risque biologique, le risque chimique, et avoir des postures adaptées à ce type de risques. C'est là la meilleure manière de réagir à la désorganisation massive que recherche le terroriste, et non pas la destruction massive, que ces agents biologiques pourraient entraîner.
Pour conclure, je dirai que la menace biologique est réelle, mais nous devons la mesurer en fonction des agents aujourd'hui identifiés, qui sont des agents possibles, mais pour lesquels nous disposons de parades et qui sont difficiles à acquérir à grande échelle sans un support étatique. Nous devons surtout nous préparer aux agents de demain en renforçant la recherche. La recherche est aujourd'hui éclatée en France, le Professeur RAOULT, dans son rapport sur le bioterrorisme, avait parlé d'infectiopôles, il faut que dans ces infectiopôles il y ait un rapprochement des compétences, il faut mutualiser les laboratoires de recherche, partager les recherches privée et publique, rapprocher la recherche industrielle de la recherche publique, établir des partenariats privé/ public. C'est dans ce domaine que nous devons nous engager si nous voulons être réactifs demain. L'industrie pharmaceutique a également son mot à dire, nous l'entendrons tout à l'heure.
La menace biologique est réelle, nous devons l'aborder au regard de ce que seront les agents de demain. Je vous remercie.
Mme Marie-Christine BLANDIN
Merci Général, vous avez évoqué l'industrie pharmaceutique et le Ministre lui-même a voulu tempérer les critiques contre les antibiotiques en évoquant le bon usage, je laisse la parole à Monsieur Denis HOCH, Président de Sanofi Pasteur.