N° 307
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 14 avril 2005 Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 avril 2005 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 13 au 16 mars 2005 aux États-Unis ,
Par M. Jean FRANÇOIS-PONCET,
Mme Monique CERISIER-ben GUIGA
et M. Robert del PICCHIA,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert Del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Francis Giraud, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.
Amérique du Nord. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Une délégation de votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est rendue à Washington du 13 au 16 mars 2005 afin d'évaluer, quelques semaines après le début du second mandat du président Georges W. Bush, les évolutions de la politique étrangère américaine et leurs implications pour les relations entre les Etats-Unis et la France et, plus généralement, pour les relations transatlantiques.
Conduite par M. Jean François-Poncet et comprenant également M. Robert Del Picchia et Mme Monique Cerisier-ben Guiga, cette délégation a rencontré plus d'une trentaine de personnalités américaines, et notamment :
- au Sénat et à la Chambre des Représentants, plusieurs parlementaires républicains et démocrates,
- au Conseil national de sécurité, M. Daniel Fried, conseiller spécial du Président Bush pour les affaires européennes,
- au Département d'Etat, plusieurs proches collaborateurs de Mme Condoleeza Rice, Secrétaire d'Etat,
- des experts, universitaires ou journalistes, ainsi que l'ancien Conseiller à la sécurité nationale, M. Zbigniew Brzezinski.
Au cours de cette visite, la délégation a également bénéficié de l'assistance et des éclairages très précieux de M. Jean-David Lévitte, Ambassadeur de France à Washington, et de ses collaborateurs, auxquels elle tient à exprimer sa plus vive gratitude.
*
* *
Réélu le 2 novembre 2004 avec 3 millions de voix d'avance sur son concurrent et un gain de près de 12 millions de suffrages par rapport au scrutin de novembre 2000, fort d'une majorité républicaine renforcée au Congrès, le président George W. Bush s'est d'autant plus senti conforté dans ses choix de politique étrangère que plusieurs évènements successifs - les élections en Afghanistan et en Irak, la relance du processus de paix israélo-palestinien et la remise en cause de la présence syrienne au Liban - ont pu paraître comme les premiers résultats bénéfiques de la contestation du statu quo au Moyen-Orient préconisée par l'administration américaine.
Pour autant, à l'orée de ce second mandat, un changement de ton est perceptible. Si le thème de la guerre contre le terrorisme reste présent, celui de l'expansion de la liberté et de la démocratie à travers le monde est désormais plus volontiers mis en avant. La nouvelle secrétaire d'Etat évoque le retour à la diplomatie et les autorités américaines affichent une volonté de dialogue plus étroit avec leurs alliés, comme en a témoigné la rencontre, le 22 février dernier, entre le Président Bush et les dirigeants de l'Union européenne, dans laquelle certains commentateurs ont voulu voir un nouveau départ pour les relations transatlantiques.
Lors de son séjour à Washington, au moment même où se mettait en place la nouvelle administration, la délégation de la commission des Affaires étrangères et de la défense a pu percevoir ce nouveau climat, créé par la volonté commune, de part et d'autre de l'Atlantique, de dépasser le différend survenu lors de la crise irakienne. Cela est particulièrement vrai pour nos relations bilatérales, beaucoup de responsables américains rencontrés s'étant félicités de voir s'établir, après une période de tension aigue, de nouvelles coopérations fructueuses entre la France et les Etats-Unis, notamment sur le dossier du Liban.
Mais au delà de ce réchauffement, il importe de savoir s'il sera désormais possible d'établir une plus grande unité d'action entre les partenaires de la relation transatlantique pour faire face aux défis de la situation internationale.
Au cours de ses entretiens, la délégation a évoqué de manière générale les relations entre les Etats-Unis et leurs alliés européens, mais également de manière plus spécifique les principaux sujets de préoccupation communs : les évolutions au Proche et au Moyen-Orient, les négociations avec l'Iran sur son programme nucléaire, la question de la levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine ou encore les conséquences des dernières évolutions intérieures en Russie.
De ces différents contacts, il ressort que de réelles évolutions positives sont intervenues dans le sens d'une amélioration des relations euro-américaines. Sans renoncer sur le fond aux options qui ont caractérisé sa politique étrangère depuis quatre ans, l'administration américaine semble avoir pris acte des limites rencontrées par cette dernière et mesurer l'intérêt de trouver davantage de terrains d'entente avec ses alliés. Plusieurs gestes effectués en ce sens ont été de nature à favoriser une reprise du travail en commun. Toutefois, les divergences d'intérêt ou de sensibilité demeurent, constituant autant de facteurs potentiels de tensions entre l'Europe et les Etats-Unis. Elles amènent à s'interroger sur le caractère durable du mouvement de convergence perceptible depuis le début de l'année.
Le présent rapport s'attachera dans un premier temps à discerner les facteurs d'évolution et les éléments de continuité dans la politique extérieure américaine avant d'examiner plus en détail des différents enjeux qui seront, dans les prochains mois, déterminants pour les relations transatlantiques.
I. UN NOUVEAU CLIMAT DANS LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES ?
La décision du Président Bush d'effectuer en Europe à la fin du mois de février, quelques jours après son investiture, son premier déplacement hors d'Amérique, a remis au premier plan le débat sur la relance des relations transatlantiques .
L'écho suscité par ce déplacement a montré combien étaient fortes, en Europe, les attentes vis à vis d'une inflexion de la politique américaine, un an après les vives tensions survenues lors de la crise irakienne, alors que la formation d'un gouvernement issu des élections ouvrait une nouvelle phase plus propice à un rapprochement.
Le réengagement des Etats-Unis dans le processus de paix israélo-palestinien ou encore le soutien apporté aux Européens dans la négociation sur le programme nucléaire iranien ont, de fait, accrédité le sentiment qu'une évolution était en cours et que la politique étrangère du Président Bush au cours de son second mandat pourrait comporter des changements par rapport à celle conduite jusqu'en 2004.
A travers ses entretiens à Washington, la délégation de votre commission des Affaires étrangères et de la défense s'est efforcée de mesurer la portée réelle de ces éléments nouveaux.
Sur le chapitre des relations franco-américaines , elle a constaté une amélioration indiscutable , favorisée par la coopération bilatérale étroite sur la situation politique au Liban. Ce travail en commun est venu rappeler que sur bien des dossiers, la France demeurait un partenaire efficace des Etats-Unis. Pour autant, cette amélioration ne semble pas avoir dissipé toutes les sources de différends et d'incompréhension mutuelle qui ont laissé dans l'opinion et au Congrès une trace durable.
S'agissant des relations avec l'Europe , l'idée selon laquelle il est dans l'intérêt des Etats-Unis de disposer d'un partenaire européen fort a progressé à Washington, sans effacer cependant un certain scepticisme sur les capacités de l'Union européenne à pleinement assumer ce partenariat, ni l'hostilité à la voir s'ériger en contrepoids à l'influence américaine.
Plus globalement, la délégation n'a pas ressenti de remise en cause des axes fondamentaux de la politique étrangère américaine . Au début de ce second mandat, l'administration semble convaincue que la ligne suivie jusqu'à présent conserve toute sa pertinence, mais elle a également conscience qu'il importe d' en limiter les contreparties négatives et a effectué de ce fait des gestes qui paraissent suffisamment significatifs pour ne pas être réduits à un simple changement de ton.
A. LES RELATIONS FRANCO-AMÉRICAINES : DES ÉVOLUTIONS POSITIVES
Depuis la réélection du Président Bush, les contacts franco-américains au plus haut niveau ont été particulièrement nourris. Le ministre français des Affaires étrangères s'est rendu aux Etats-Unis en décembre 2004 puis de nouveau en mai 2005 alors que son homologue, Mme Condoleeza Rice, a effectué une visite à Paris le 8 février, quelques jours à peine après sa confirmation par le Sénat. Par ailleurs, les deux chefs d'Etat ont eu des entretiens approfondis le 21 février dernier à Bruxelles, à la veille de la rencontre entre le Président Bush et les dirigeants européens.
La reprise d'un dialogue politique plus intense a été facilitée par les progrès de la transition en Irak et l'action commune conduite sur la question du Liban. Cette dernière vient renforcer d'autres coopérations étroites qui n'ont pas été affectées par les divergences sur l'Irak, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ou contre la prolifération, ou encore dans le cadre des opérations de l'OTAN. Indépendamment des facteurs traditionnels de friction entre la France et les Etats-Unis, les relations bilatérales ont donc connu un réchauffement sensible, sans toutefois retrouver, semble-t-il, le niveau antérieur à la crise irakienne.
1. Une volonté commune de tourner la page
A l'origine de l'amélioration des relations franco-américaines au cours des derniers mois se trouve la volonté commune des deux parties de mettre un terme aux vives tensions consécutives à la crise irakienne et de tourner la page.
? L'apaisement des divergences sur la question irakienne
Le premier élément qui a joué en ce sens a bien entendu été le retour progressif de l'Irak à la souveraineté .
La France a soutenu la résolution 1546 du Conseil de sécurité, adoptée le 8 juin 2004, qui prévoit le transfert du pouvoir à un gouvernement intérimaire souverain irakien et fixe les principales étapes du processus politique jusqu'à l'élaboration d'une constitution.
De même, alors qu'étaient apparues de fortes dissensions au sein de l'OTAN lors du conflit, à propos d'une implication éventuelle de l'Organisation en soutien de la Turquie, la France n'a pas fait obstacle à la décision de principe prise par l'Alliance atlantique, lors du sommet d'Istanbul fin juin 2004, de soutenir la formation et l'entraînement des forces de sécurité irakiennes . On sait qu'une latitude a été laissée aux Etats membres pour choisir la forme que revêtirait leur assistance. Tout en excluant l'envoi de personnels en Irak, la France participe aux actions mises en oeuvre dans le cadre de l'OTAN, tant financièrement 1 ( * ) que par la présence d'officiers dans les différentes structures chargées de planifier et de réaliser les missions de formation. Par ailleurs, à titre bilatéral, la France a proposé aux autorités irakiennes d'assurer, hors d'Irak, la formation par la gendarmerie des forces irakiennes de sécurité. Ce projet, conditionné à une expertise préalable et à une demande formelle du gouvernement irakien, pourrait concerner la formation de 1 500 hommes sur 18 mois et représenterait un budget de 15 millions d'euros, représentant à lui seul l'équivalent des sommes dégagées par l'OTAN.
Enfin, dans le cadre de la réunion du Club de Paris en novembre dernier, le gouvernement français a révisé sa position initiale 2 ( * ) en acceptant les propositions américaines aboutissant à une annulation de 80 % de la dette irakienne .
Sans remettre en cause les raisons qui l'avaient conduite à s'opposer à l'action militaire américaine, la France a pris acte de la nouvelle situation en Irak et du retour à la légalité internationale dans le cadre des résolutions des Nations Unies. Elle apporte de ce fait son soutien au gouvernement irakien issu des urnes et à la poursuite du processus politique.
En dépit de la situation sécuritaire toujours très dégradée et de l'aggravation continue du bilan des pertes humaines américaines qui s'élèvent désormais à près de 1 700 hommes, la délégation a ressenti auprès de ses interlocuteurs que la relative réussite des élections du 30 janvier avait permis de franchir une étape majeure. N'occupant plus désormais une place aussi centrale dans les préoccupations des responsables américains, le dossier irakien devient moins sensible dans les relations bilatérales , même si Washington continue d'attendre de ses partenaires un engagement plus prononcé dans l'effort de reconstruction.
? Une stratégie coordonnée sur le Liban
Se conjuguant à l'apaisement des divergences sur la question irakienne, la collaboration engagée entre la France et les Etats-Unis sur la situation au Liban a grandement contribué à créer un nouveau climat dans les relations bilatérales .
Rappelons que la France et les Etats-Unis ont co-parrainé la résolution 1559 adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de sécurité des Nations Unies qui appelait au retrait des troupes étrangères du Liban, à la dissolution et au désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises ainsi qu'au respect du cadre constitutionnel régissant l'élection présidentielle. Les deux pays ont réagi dans le même sens face à l'absence d'infléchissement de la politique syrienne, illustrée notamment par la révision constitutionnelle ayant permis au Président Lahoud d'entamer un nouveau mandat.
Cette coopération franco-américaine s'est considérablement intensifiée après l'assassinat, le 14 février 2005, de l'ancien premier ministre Rafiq Hariri. L'entrevue de Bruxelles entre les présidents Bush et Chirac, le 21 février, a été de ce point de vue déterminante. Elle a débouché sur une stratégie coordonnée entre Paris et Washington, en concertation avec les capitales arabes, visant à obtenir le retrait progressif des troupes syriennes ainsi que des services de renseignement et à enclencher le processus conduisant à des élections législatives. Les Etats-Unis ont adhéré à cette chronologie qui ne faisait pas un préalable du désarmement du Hezbollah.
Lors de l'entretien de la délégation avec M. Daniel Fried, alors conseiller pour l'Europe du Président Bush au National security council , ce dernier a souligné le caractère exemplaire de la coopération bilatérale sur ce dossier. Il a indiqué que les Etats-Unis avaient suivi les orientations et les impulsions données par la France et se félicitaient des résultats tangibles obtenus dans un délai très rapide.
Cette action coordonnée a été rendue possible par une forte convergence d'intérêts, la défense de l'indépendance et de la souveraineté du Liban, à laquelle la France est traditionnellement attachée, rejoignant les préoccupations anciennes des Etats-Unis à l'égard de la Syrie, alors que la perspective d'élections libres et dégagées de toute ingérence étrangère venait conforter le discours de l'administration sur la démocratisation du Grand Moyen-Orient.
2. De nombreux exemples de coopération étroite
Au Conseil national de sécurité, au Département d'Etat et au Congrès, les interlocuteurs de la délégation n'ont pas manqué de souligner que même au plus fort de la confrontation survenue sur l'Irak entre nos deux pays, ceux-ci ont poursuivi, sur de nombreux domaines, des coopérations concrètes, étroites et actives .
C'est ainsi qu'avant le Liban, plusieurs crises régionales avaient donné lieu à des approches communes, que ce soit à propos d'Haïti ou des crises africaines. On pourrait aussi mentionner, sur un plan moins visible mais tout aussi sensible, les relations entre services de renseignement ou encore les échanges d'information dans le domaine nucléaire militaire dans le cadre des programmes de simulation développés par les deux pays.
Deux exemples montrent combien la France demeure un partenaire stratégique des Etats-Unis : la coopération dans la lutte contre le terrorisme et la prolifération et la forte implication française dans les opérations de l'Alliance atlantique.
? Des actions conjointes contre le terrorisme et la prolifération
Lors de ses entretiens, la délégation a rappelé à ses interlocuteurs que la France avait été confrontée sur son sol, depuis bien des années, à l'action de groupes terroristes. Elle a constaté que la coopération bilatérale menée sur ce terrain était très bien perçue.
La France est un partenaire de tout premier plan des Etats-Unis dans le domaine de la lutte contre le terrorisme . Déjà forte avant les attaques du 11 septembre, la coopération s'est intensifiée depuis lors.
Si la France soutient que l'approche du terrorisme ne peut être exclusivement sécuritaire et n'adhère pas au concept de « guerre » contre le terrorisme, il n'en demeure pas moins qu'en pratique, les convergences avec les préoccupations américaines sont multiples, au point que le secrétaire à la Homeland security , M. Tom Ridge, a pu parler de coopération « excellente, extraordinaire et sans précédent ».
Cela est vrai sur le plan bilatéral, à travers notre coopération judiciaire et policière, qui s'appuie sur la législation et les structures mises en place dans notre pays depuis le début des années 1980, ou dans les mesures de renforcement de la sûreté aérienne.
Cela est également vrai dans l'action multilatérale, pour la mise en place d'instruments internationaux contre le terrorisme et son financement et au sein du comité de contre-terrorisme des Nations Unies.
Enfin, le concours des forces spéciales françaises engagées dans le sud de l'Afghanistan est particulièrement apprécié par les autorités américaines.
La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs est un second domaine essentiel de coopération.
Depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis placent la prolifération parmi les menaces principales à leur sécurité. La France partage cette préoccupation et bien que son approche ne soit pas toujours analogue à celle de Washington, notamment sur le rôle des instruments multilatéraux, elle a plutôt agi, ces dernières années, dans le sens d'actions communes avec les Etats-Unis.
C'est le cas par exemple dans le cadre des conférences d'examen du traité de non prolifération au sein desquelles les deux pays défendent des positions proches et se concertent étroitement sur des sujets comme le lien entre désarmement nucléaire et désarmement général et complet ou les garanties de sécurité offertes aux Etats non dotés. Ils ont avancé récemment des propositions similaires sur les conditions de retrait du traité ou sur l'exigence d'un contrôle renforcé, dans le cadre de la signature d'un protocole additionnel avec l'AIEA, pour l'accès aux matières nucléaires.
La France a également pris une part active à l'élaboration de la stratégie européenne contre la prolifération des armes de destruction massive adoptée par le Conseil européen en décembre 2003 et qui représente une analyse commune de la menace et une ligne de conduite pour la contrer, y compris, si nécessaire, par le moyen de mesures coercitives. L'adoption d'une clause standard destinée à figurer dans les accords de coopération conclus par l'Union européenne constitue une première application de cette stratégie. En agissant pour que la non-prolifération figure parmi les objectifs principaux de la politique étrangère et de sécurité commune, la France a ainsi favorisé un rapprochement avec les Etats-Unis dans un domaine sur lequel ces derniers trouvaient l'Europe trop peu réactive. Dans le même esprit, la France a co-parainné la résolution 1540 sur la non-prolifération présentée par les Etats-Unis et adoptée le 28 avril 2004 par le Conseil de sécurité.
Elle participe également activement à l'initiative de sécurité contre la prolifération ( proliferation security initiative - PSI ) lancée en mai 2003 par le Président Bush et qui vise à regrouper des pays volontaires pour intercepter les transferts soupçonnés de participer à la prolifération.
? Une forte implication française dans les opérations de l'Alliance atlantique
En dépit de sa position singulière dans l'Alliance atlantique, puisqu'elle est depuis 1966 le seul Etat membre à ne pas participer à la structure militaire intégrée, la France a pris une part active à toutes les évolutions majeures qui ont marqué l'OTAN depuis une décennie.
Elle figure parmi les tous premiers contributeurs militaires aux opérations de l'OTAN, en termes d'effectifs déployés et de durée de présence sur le terrain, avec aujourd'hui une présence concentrée sur le Kosovo et l'Afghanistan.
Elle s'implique également très fortement dans les deux initiatives principales décidées en 2002, sous l'impulsion des Etats-Unis, lors du sommet de Prague : la constitution d'une force de réaction ( Nato response force - NRF ) et la refonte des structures de commandement de l'OTAN. Souhaitée par Washington, cette « transformation », qui vise à alléger les structures héritées de la guerre froide pour faire de l'OTAN un instrument tourné vers la projection sur les théâtres extérieurs, s'avère en totale convergence avec la réforme de nos armées.
Les hommages rendus à plusieurs reprises par le général Jones, commandant suprême des forces alliées en Europe ( SACEUR ) à la contribution essentielle de la France dans l'OTAN, témoignent de manière plus générale que sur un plan militaire, la France est considérée par les Etats-Unis comme un partenaire solide. On peut rappeler que lors des conflits du Kosovo et d'Afghanistan, elle a fourni, après les Etats-Unis, la contribution la plus importante aux opérations aériennes.
3. Une relation toujours sujette aux frictions
Dans la période contemporaine, les relations franco-américaines ont toujours été jalonnées de tensions. Les orientations prises par le général de Gaulle, notamment le retrait de la structure militaire intégrée de l'OTAN, en fournissent l'illustration la plus fréquemment citée, même si l'on ajoute souvent que la France s'est toujours comportée en alliée fidèle des Etats-Unis lorsque l'essentiel était en jeu.
Aucune relation bilatérale ne peut être exempte de motifs de divergence, conjoncturels ou plus structurels. On doit toutefois constater qu'en dépit de l'amélioration enregistrée ces derniers mois, la France n'a pas retrouvé dans l'opinion américaine le niveau d'appréciation positive antérieur à la crise irakienne. Cette dégradation reste perceptible au Congrès, ce qui renforce l'intérêt du French caucus créé en 2003 et regroupant plusieurs dizaines de parlementaires américains. Enfin, la persistance de nombreux « irritants » entre nos deux pays doit conduire à ne pas surestimer la portée du récent réchauffement de nos relations.
? Une image de la France encore dégradée dans l'opinion et au Congrès
A l'occasion de son déplacement, la délégation de la commission a pris connaissance d'enquêtes d'opinion montrant clairement qu'après le brutal décrochage survenu lors de la crise irakienne, l'image de la France aux Etats-Unis s'améliorait progressivement sans pour autant retrouver son niveau antérieur. L'une des enquêtes, réalisée par l'institut Gallup, faisait apparaître qu'au moment de la guerre d'Irak, la chute de popularité de la France avait été beaucoup plus forte que celle de l'Allemagne , mais qu'à la différence de cette dernière, elle ne bénéficiait pas depuis lors d'une remontée rapide de son image.
Bien que depuis le printemps 2003, rien ne soit venu confirmer la présence d'armes de destruction massive, ni d'éventuels liens entre le régime baasiste et Al Qaida, et en dépit de la situation chaotique qui s'est instaurée en Irak, l'opinion américaine semble toujours tenir rigueur à la France de sa position hostile à l'intervention militaire .
Ces reproches portent moins sur l'opposition de principe à la guerre et sur le refus de participer à la coalition, que sur la posture active prise par notre pays, notamment au Conseil de sécurité. La position française a visiblement été perçue comme inspirée par la volonté d'organiser et de prendre la tête d'un vaste front anti-américain, ce qui était jugé inacceptable de la part d'un allié, plus que par la défense du droit international.
De même, alors qu'en France était fréquemment établi un lien de causalité entre les intérêts énergétiques américains et l'intervention militaire, une campagne rigoureusement inverse se développait aux Etats-Unis, prétendant que les intérêts économiques français sous-tendaient une volonté de maintenir Saddam Hussein au pouvoir. Ce thème est toujours entretenu, comme en témoigne l'exploitation des enquêtes autour du programme « pétrole contre nourriture ».
Enfin, il est préoccupant de constater l'influence considérable de grands media parfois ouvertement hostiles à la France, comme la chaîne de télévision Fox News .
Ainsi, l'affaire irakienne semble avoir durablement modifié l'image de la France aux Etats-Unis. Les études d'opinion montrent cependant que ce « déficit » de popularité est essentiellement imputable à l'électorat républicain, dans un contexte de radicalisation des clivages partisans aux Etats-Unis.
Le reflet de cette opinion dominante est perceptible au Congrès . Au delà des divergences sur l'Irak la France a pu y être mise en cause sur des sujets tels que le respect de la liberté religieuse, avec la loi sur les signes religieux à l'école, mal comprise dans un pays qui n'est pas marqué par la notion de laïcité, et notre législation sur les sectes, ou encore la lutte contre l'antisémitisme ainsi que, plus globalement, sur notre politique étrangère à l'égard du monde arabe, de la Chine et de la Russie.
Dans ce contexte, la création en octobre 2003 d'un « Congressional french caucus », pouvant s'analyser comme l'équivalent de nos groupes d'amitiés, constitue une avancée importante . Il regroupe une quarantaine de membres de la Chambre des représentants et une quinzaine de sénateurs. La délégation a rencontré ses deux co-présidents, les représentants Thomas Petri et Jim Oberstar. Il faut également signaler qu'au sein de l'influente Association des anciens membres du Congrès, un groupe « France », avec lequel la délégation s'est entretenue, a été constitué.
Au titre de ses activités, le Congressional french caucus a fait établir par le service de recherche du Congrès plusieurs rapports portant sur les relations politiques et économiques entre la France et les Etats-Unis. En prenant connaissance de ces documents, la délégation a pu mesurer leur utilité pour améliorer l'information des parlementaires américains sur notre pays et ses positions, dans la mesure où ils dressent une analyse objective de nos relations. Est ainsi mis en exergue le fait que la convergence d'intérêt et d'action entre la France et les Etats-Unis constitue la norme, même si elle est fragilisée par des divergences parfois sérieuses, en particulier sur le rôle des institutions internationales et le recours à l'usage de la force. Les rapports insistent également sur le haut degré d'intégration économique entre les deux pays, leurs échanges s'élevant à 1 milliard de dollar chaque jour alors que la France est le deuxième investisseur étranger aux Etats-Unis, les entreprises françaises y employant près de 600 000 salariés.
Tout en se félicitant du progrès représenté par cette nouvelle structure, la délégation considère qu'il importera d'intensifier les échanges entre le Parlement français et le Congrès, afin d'entretenir un dialogue régulier de nature à faciliter la compréhension mutuelle.
? Des facteurs « irritants » qui demeurent
Au delà de la crise profonde intervenue sur l'Irak, la relation bilatérale reste émaillée de facteurs « irritants » dont certains sont ponctuels et d'autres relèvent de divergences plus substantielles.
On observera par exemple que la nette amélioration des relations depuis le début de l'année n'a pas empêché les Etats-Unis d'apporter un soutien continu aux sites concurrents de la France pour l'implantation du réacteur ITER, en dernier lieu le Japon.
De manière plus significative, des divergences notables subsistent sur la conception même des relations internationales, sur le rôle des grands pôles géopolitiques et sur certains dossiers régionaux.
La France fait du soutien aux organisations multilatérales et aux instruments internationaux l'une des priorités de sa diplomatie, les Etats-Unis affichant quant à eux leur scepticisme quant à l'efficacité de ces institutions et refusant les engagements qu'ils jugent trop contraignants pour leur liberté d'action. La dernière illustration de cette divergence profonde a été donnée par la rude confrontation qui s'est déroulée au Conseil de sécurité au sujet du Darfour, les Etats-Unis ayant exercé de fortes pressions, auxquelles la France s'est opposée avec succès, pour que la résolution adoptée le 31 mars dernier n'aboutisse pas à une saisine de la Cour pénale internationale .
L'attachement manifesté par la France au concept de « monde multipolaire » constitue également une source d'incompréhension, les Américains considérant que cette approche privilégie la volonté de réduire l'influence des Etats-Unis au détriment de la promotion des valeurs communes aux démocraties occidentales. De ce point de vue, les politiques respectives à l'égard de la Chine, de la Russie ou, en Amérique latine, de pays comme le Brésil ou le Venezuela sont susceptibles de différences d'appréciation manifestes.
Par ailleurs, bien que la France apporte une contribution militaire majeure à l'OTAN, ses vues sur le rôle politique dévolu à l'Alliance atlantique diffèrent de celles de Washington. Si la France ne s'est pas opposée à l'implication de l'OTAN dans des missions « hors article 5 », c'est à dire sortant du cadre de la défense collective, y compris hors de la zone euro-atlantique, elle se refuse à ce que l'organisation s'érige en « petite ONU », embrassant l'ensemble des problématiques de sécurité, de la lutte contre la criminalité ou le terrorisme à celle contre la prolifération, avec vocation à intervenir sans limitation sur l'ensemble de la planète. Elle souhaite promouvoir un dialogue entre les Etats-Unis et l'Union européenne là où Washington pourrait considérer que l'Alliance constitue le cadre naturel des relations transatlantiques. La France se trouve être l'un des rares pays à vouloir susciter un débat contradictoire, au sein du Conseil de l'Atlantique nord, sur certaines propositions américaines, et cela est particulièrement le cas lorsqu'il s'agit de faire prévaloir la primauté des instances politiques et l'exigence du consensus dans un contexte d'élargissement du champ d'intervention de l'Alliance atlantique.
Enfin, s'agissant des situations régionales , les objectifs généraux de Paris et Washington sont rarement contradictoires mais c'est souvent sur le choix des moyens que les options diffèrent.
C'est le cas, bien entendu, sur le conflit israélo-palestinien et, plus globalement, sur la politique à l'égard du monde arabe.
Bien que les Etats-Unis aient amendé leur projet en direction du « Grand Moyen-Orient », devenu aujourd'hui « initiative pour le Moyen-Orient élargi et l'Afrique du Nord », la méthode qu'ils préconisent pour promouvoir la démocratisation de la région et les réformes, y compris en exerçant de fortes pressions sur les régimes en place, peut entrer en contradiction avec celle mise en oeuvre par l'Union européenne dans le cadre du processus de Barcelone et des accords euro-méditerranéens. La France considère pour sa part qu'il faut se garder de donner le sentiment d'un « front commun » occidental qui mettrait en péril le dialogue avec le monde arabe.
B. LES ETATS-UNIS ET L'EUROPE : UNE VOLONTÉ DE DIALOGUE PLUS ÉTROIT
Le second mandat du Président George W. Bush s'est ouvert sur plusieurs initiatives visant à revivifier les relations transatlantiques et à souligner la communauté de valeurs unissant les Etats-Unis et l'Europe. Des interrogations demeurent cependant sur les perspectives de consolidation de ce partenariat euro-américain.
1. L'Union européenne : un partenaire mieux considéré
Lors de son entretien avec la délégation, M. Daniel Fried, en charge l'Europe au Conseil national de sécurité, a indiqué que l'une des toutes premières résolutions prises par le Président Bush au lendemain de sa réélection en novembre dernier fut de programmer un voyage en Europe dans la foulée sa nouvelle investiture. On peut donc considérer que la relance de la relation transatlantique figurait ses objectifs prioritaires de ce début de second mandat, marquant une inflexion notable par rapport à ces dernières années.
Au delà de leur portée symbolique forte, les déplacements du secrétaire d'Etat, Condoleezza Rice, puis du Président Bush en Europe, au mois de février, ont fourni l'occasion de diffuser deux messages principaux.
Tout d'abord, les responsables américains, recevant en ce domaine un accueil très positif des dirigeants européens, ont insisté sur le caractère irremplaçable du lien transatlantique face aux nouveaux défis de la situation internationale, comme ce fut le cas durant la guerre froide. Le Président Bush a ainsi indiqué que « l'alliance de l'Europe et de l'Amérique est le principal pilier de notre sécurité » et suggéré que rassemblées, elles disposeraient d'une capacité sans équivalent pour affronter les problèmes qu'elles ne peuvent résoudre séparément.
Cette réaffirmation du lien transatlantique s'accompagne de deux évolutions dans le ton. D'une part, l'accent a été mis sur les vertus du dialogue et de la coopération entre deux partenaires égaux, au détriment de la vision traditionnelle d'une alliance fonctionnant sous leadership américain. D'autre part, les responsables américains ont moins insisté sur la dimension strictement sécuritaire et davantage sur l'objectif de transformation du monde, par l'expansion de la liberté et de la démocratie, qui doit nécessairement réunir l'Europe et les Etats-Unis car il correspond au socle de leurs valeurs communes.
Le deuxième enseignement de ces déplacements résulte des attentions inaccoutumées réservées par les Etats-Unis à l' Union européenne en tant que telle, désormais pleinement considérée comme un interlocuteur valable. Le Président américain s'est rendu au siège du Conseil européen puis de la Commission et il a apporté un soutien appuyé à la poursuite du projet politique européen, estimant qu'une Union européenne forte et active sur la scène internationale pouvait représenter l'allié de poids dont les Etats-Unis ont besoin.
Il s'agit là d'une évolution notable, du moins dans le discours. Jamais les Etats-Unis n'avaient reconnu aussi clairement que l'Union européenne n'est pas seulement un partenaire économique ou une puissance commerciale, mais également un acteur politique à part entière, disposant, sinon d'une puissance militaire comparable à la leur, du moins d'instruments diversifiés au service de sa politique internationale. D'autre part, alors que la crise irakienne avait vu se produire des divisions profondes entre Européens, c'est à une Europe unie que s'est adressé le Président américain, semblant ainsi rompre avec une politique privilégiant l'appui sur quelques alliés proches.
Positive sur le plan du symbole et des intentions proclamées, la rencontre du 22 février à Bruxelles a également permis d' amorcer des rapprochements .
Des accords sont intervenus sur la poursuite de la coopération dans le traitement des crises régionales, notamment en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. Sur le Proche-Orient, les deux parties sont convenues d'agir en commun pour relancer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, dans lequel l'Union européenne joue un rôle comme membre du Quartet et comme bailleur de fonds, ainsi que pour accélérer la mise en oeuvre de la résolution 1559 sur le Liban. Sur l' Irak , l'Union européenne a effectué un pas dans la direction des Etats-Unis en acceptant le principe d'une mission civile européenne d'assistance dans les domaines de l'état de droit et de l'organisation judiciaire et en s'engageant à organiser une conférence internationale conjointe avec l'ONU et les Etats-Unis en vue de coordonner l'aide à l'Irak.
C'est surtout sur l' Iran que qu'a été accompli, de la part des Etats-Unis, le geste le plus significatif, puisque après avoir constaté la convergence d'objectifs de part et d'autre de l'Atlantique, ceux-ci ont apporté leur soutien à la négociation conduite par l'Allemagne, la France et les Etats-Unis, puis annoncé quelques jours plus tard la levée de leur opposition de principe à la candidature iranienne à l'Organisation mondiale du commerce et à la livraison de pièces de rechanges aéronautiques.
Au cours de ses entretiens à Washington, la délégation a ressenti une large adhésion des responsables américains rencontrés à l'état d'esprit qui a animé les rencontres de Bruxelles, dans le sens d'un partenariat transatlantique plus étroit. Elle a également pu constater, notamment à travers de nombreuses questions de ses interlocuteurs sur la Constitution européenne, un intérêt manifeste, et relativement nouveau, à l'égard de la dimension politique de la construction européenne.
2. Un partenariat qu'il reste à concrétiser
L'appel lancé en début d'année à un partenariat euro-atlantique rénové et renforcé trouvera-t-il une traduction concrète dans les prochains mois ?
Le rapport analysera plus en détail les principales questions qui auront valeur de test à cet égard, notamment le dossier nucléaire iranien et le processus de paix au Proche-Orient. Mais de manière plus générale et structurelle, des interrogations demeurent sur la capacité des deux parties à établir une communauté d'objectifs et d'action.
Du côté américain, l'attitude vis à vis de l'Europe demeure ambivalente , oscillant entre la crainte de voir émerger un contrepoids aux Etats-Unis, s'érigeant en partenaire difficile, voire en puissance concurrente et hostile, et le scepticisme sur la capacité d'une Europe au fonctionnement complexe de s'affirmer efficacement sur la scène internationale.
L'idée, fréquemment défendue en Europe, et singulièrement en France, que l'affirmation d'une « Europe-puissance » doit contribuer au rééquilibrage des relations internationales suscite de vives réactions aux Etats-Unis. Ainsi, selon plusieurs analystes rencontrés à Washington, l'aile « atlantiste » de l'actuelle administration américaine, soucieuse de trouver avec l'Europe un partenaire plus solide, à même d'aider l'Amérique à satisfaire ses préoccupations de sécurité, se heurte à une aile plus traditionnelle, méfiante à l'égard des institutions européennes et privilégiant des alliances bilatérales avec des pays particulièrement fidèles en jouant des divisions entre Européens.
Cette ambivalence peut-être illustrée par les débats qui traversent l'Alliance atlantique et les controverses apparues sur la compatibilité entre l'OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).
Ainsi, au cours de la dernière conférence de sécurité de Münich, en février dernier, le chancelier allemand constatait que l'OTAN n'était plus l'enceinte dans laquelle les partenaires transatlantiques discutaient et coordonnaient leurs stratégies et appelait à définir des modalités de dialogue tenant compte de l'importance croissante de l'Union européenne. Perçue comme une remise en cause de la pertinence de l'OTAN, cette analyse allemande suscita des incompréhensions à Washingon mais, dans le même temps, le secrétaire américain à la défense renouvelait sa formule selon laquelle, pour les Etats-Unis, la « mission détermine la coalition », ressentie en Europe comme contradictoire avec toute instance de décision collective, que ce soit dans le cadre de l'OTAN ou, a fortiori, d'un partenariat entre l'Union européenne et les Etats-Unis.
En dépit d'une volonté clairement exprimée par les deux parties de mieux coopérer, les malentendus et ambiguïtés ne sont pas dissipés.
Certes des progrès ont été enregistrés, les Etats-Unis ne contestant plus le principe même d'une PESD dans laquelle ils voyaient un risque de duplication des moyens existants au sein de l'OTAN et de découplage entre l'Amérique et l'Europe. La complémentarité entre les deux institutions a été reconnue et les arrangements dits « Berlin plus » ont organisé les modalités de coordination entre l'OTAN et l'Union européenne.
Si certaines crispations ont été dépassées, la PESD demeure cependant un sujet sensible pour les relations transatlantiques . Ce fut le cas à propos du projet de création d'un centre de planification et de conduite d'opérations propre à l'Union européenne qui a donné lieu à de vives tensions, pour partie imputables, il est vrai, au fait que ce projet avait été lancé au cours de la crise irakienne par quatre pays européens hostiles à l'intervention américaine. Plus récemment, un débat est apparu sur la vocation respective de l'OTAN et de l'Union européenne à intervenir au Darfour, l'Union africaine ayant finalement fait appel aux deux organisations pour un soutien logistique. Ce type de question pourrait ressurgir avec beaucoup plus d'acuité dans le cas où une présence internationale de sécurité serait sollicitée en Palestine.
Plus globalement, on constate que les Etats-Unis souhaitent un renforcement des capacités d'action, principalement militaires, de leurs alliés européens. A ce titre, une convergence s'établit avec les objectifs de la PESD. Mais il reste à savoir si pour Washington il s'agit d'une réelle reconnaissance d'un rôle actif pour l'Europe ou plus simplement de mettre à disposition de l'OTAN un réservoir de forces disponible pour seconder des initiatives américaines ou prendre le relais dans les phases de stabilisation post-conflits.
Enfin, parmi les incertitudes pesant sur la concrétisation d'un nouveau partenariat transatlantique, il ne faut pas omettre celles qui proviennent de l'Union européenne elle-même et portent sur sa volonté d'acquérir des moyens d'action renforcés sur la scène internationale. Ces incertitudes sont bien entendu liées à l'avenir des avancées prévues dans le traité constitutionnel dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité.
C. L'ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE AMÉRICAINE : CHANGEMENT DE TON OU DE POLITIQUE ?
Favorisée par l'ouverture, avec le processus électoral, d'une nouvelle phase en Irak, et par le déblocage du processus de paix israélo-palestinien, l'amélioration du climat transatlantique constatée depuis le début de l'année résulte d'une volonté commune des deux partenaires et s'est déjà traduite par des progrès concrets sur certains dossiers. Les Etats-Unis ont pris l'initiative en vue d'amorcer une telle évolution, mais la portée réelle des gestes effectués par les dirigeants américains ne pourra être mesurée que sur la durée.
En effet, peut-on parler d'une véritable inflexion de la politique étrangère des Etats-Unis ou faut-il voir dans les évolutions en cours un simple changement de ton ?
Les éléments recueillis par la délégation l'amènent à penser que les axes fondamentaux de la politique américaine demeureront inchangés au cours du second mandat mais que les gestes effectués sont suffisamment significatifs pour n'être pas réduits à une simple évolution de forme.
1. Un maintien des axes fondamentaux de la politique étrangère américaine
Conforté par sa réélection, le Président Bush a confirmé dès le début de son mandat les axes fondamentaux de sa politique étrangère.
? Un Président conforté
Deux facteurs ne peuvent que conforter l'actuelle administration dans la politique étrangère qu'elle a conduite sous le premier mandat, et singulièrement depuis le 11 septembre 2001.
Premièrement, les difficultés rencontrées en Irak, la fragilisation des arguments avancés pour justifier l'intervention et la détérioration de l'image des Etats-Unis dans le monde n'ont en rien provoqué une sanction du corps électoral à l'encontre du Président Bush. Bien au contraire, sa réélection avec 3 millions de voix d'avance sur son concurrent et un gain de près de 12 millions de suffrages par rapport au scrutin contesté de novembre 2000, tout comme l'accentuation de la majorité républicaine au Congrès, peuvent être interprétées comme une approbation sans équivoque de la ligne politique suivie jusqu'à présent , et tout particulièrement de la priorité absolue que constituent la sécurité de l'Amérique et la lutte contre le terrorisme.
Deuxièmement, cela a été souvent souligné, une conjonction d'évènements internationaux semble donner raison aux Etats-Unis dans leur volonté de bousculer le statu quo . La disparition de Yasser Arafat, considéré comme l'obstacle principal au processus de paix par Israël et son allié américain, relance les perspectives d'une résolution du conflit. La tenue, dans des conditions globalement satisfaisantes, des élections en Afghanistan, en Palestine et en Irak, légitime l'ambition de transformer le Moyen-Orient en y introduisant la démocratie. La mobilisation populaire contre la présence syrienne au Liban, après l'assassinat de Rafiq Hariri, crédibilise le discours américain sur la force de la liberté, comme l'avait fait quelques semaines auparavant la « révolution orange » en Ukraine. Bien que la politique américaine ne soit en rien directement à l'origine de la plupart de ces évènements, elle y puise bien entendu de nouveaux arguments.
Dans son allocution inaugurale du 20 janvier comme dans le discours sur l'état de l'Union du 2 février, le Président Bush a très clairement affiché sa détermination à maintenir les grands axes de sa politique étrangère inspirée par la sécurisation d'une Amérique atteinte dans son invulnérabilité.
Il a souligné la priorité absolue que constitue la lutte contre le terrorisme, marquant ainsi la trace profonde laissée par le 11 septembre dans la détermination des choix américains.
Ce traumatisme n'a pas été ressenti et interprété de la même manière de part et d'autre de l'Atlantique, et demeure une source durable de divergences ou d'incompréhension entre l'Europe, qui se considère globalement à l'abri de menaces majeures depuis la fin de la guerre froide, et les Etats-Unis, frappés quant à eux pour la première fois sur leur territoire. La référence constante des responsables américains à la « guerre » contre le terrorisme, envisagée sous un angle essentiellement militaire et sécuritaire, illustre cette différence de perception.
Le Président Bush a de nouveau dénoncé les Etats qui soutiennent le terrorisme et développent des armes de destruction massive, considérant aussi que les succès remportés face à Al Qaida, aux talibans et au régime de Saddam Hussein conduisaient désormais les régimes « hors la loi » à pleinement mesurer les représailles qu'ils encourent.
Il s'est montré résolu à défendre le pays contre les attaques mais également contre les menaces émergentes, confirmant ainsi que l'action préventive figure toujours parmi les options envisagées.
Il a assigné comme objectif à son pays de combattre la tyrannie partout dans le monde et d'oeuvrer a l'expansion de la liberté, établissant un lien direct entre la sécurité des Etats-Unis et la transformation du Moyen-Orient.
Enfin, il ne s'est pas référé aux institutions multilatérales ni aux traités internationaux, mais à la volonté des Etats-Unis de continuer à former des coalitions pour faire face aux menaces actuelles.
A travers ces discours, le Président Bush a ainsi ouvert son second mandat sous le signe d'une forte résolution à maintenir les grandes options de sa politique extérieure.
? Des options fondamentales inchangées
Rien n'indique, bien au contraire, que l'administration américaine envisagerait de renoncer aux convictions qui ont modelé sa politique étrangère au cours des quatre dernières années, à savoir la nécessité, pour les Etats-Unis, de ne pas subordonner leur sécurité à un cadre multilatéral contraignant, mais au contraire d'utiliser pleinement la marge d'action que leur offre leur puissance sans rivale depuis la fin de la guerre froide.
Nombre d'analyses soulignent à juste titre que la remise en cause du multilatéralisme est aux Etats-Unis une tendance profonde et ancienne, antérieure même à l'élection de George W. Bush.
La critique du système des Nations-Unies n'y est pas nouvelle, qu'elle porte sur la légitimité d'instances où des Etats autoritaires et peu respectueux du droit international disposent d'une voix égale à celle des démocraties, ou sur la capacité de l'Organisation à faire appliquer ses propres résolutions et à traiter efficacement les menaces à la paix et à la sécurité. Sous le mandat du Président Clinton était déjà soutenue l'idée qu'une communauté de démocraties pouvait disposer d'une légitimité au moins équivalente à celle de l'ONU.
Par ailleurs, les pressions étaient déjà fortes à cette époque pour que Washington se libère de certaines contraintes jugées pénalisantes pour sa sécurité, telles le traité ABM avec la Russie, limitant les défenses antimissiles, alors que dans le même temps, le Sénat rejetait la ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires.
La tendance s'est poursuivie et accentuée sous l'actuelle présidence, avec le refus de la Cour pénale internationale ou du protocole de Kyoto, et bien entendu avec la mise en pratique de l' action militaire préventive face à des menaces potentielles mais non imminentes qui, sans être érigée en doctrine, comme on a pu parfois l'affirmer, est retenue comme une option envisageable hors de toute légitimation par les Nations Unies.
Une autre conviction forte de l'actuelle administration reste inchangée : celle qu' il y a plus de risque dans le statu quo que dans l'action .
Le changement de régime dans les Etats considérés comme hostiles demeure ainsi un objectif quasi-explicite de la politique américaine, avec deux conséquences : l'acceptation comme un moindre mal des effets déstabilisateurs du recours à la force, ainsi qu'on l'a vu en Irak, et le refus de la négociation et du compromis.
De même, l'actuelle administration considère qu'au Moyen-Orient, le statu quo nourrit le radicalisme. La possibilité que des mouvements extrémistes tirent partie de la démocratisation de la région n'est pas écartée, mais ce risque n'est pas jugé comme devant conduire à renoncer à cet objectif.
2. Des ajustements visant à diminuer le coût politique de l'unilatéralisme
Nombre d'observateurs, en Europe comme aux Etats-Unis, estiment que la main tendue aux Européens par l'administration américaine en début d'année témoignerait d'une volonté de « changement de style » qui, loin de remettre en cause la politique suivie, viserait à la rendre plus acceptable, en atténuant le discours sécuritaire pour mettre en avant le combat pour l'expansion de la démocratie dans le monde.
Le retour à un certain pragmatisme ne remet pas en cause les fondements de la politique étrangère américaine, mais les ajustements opérés sont néanmoins significatifs.
? Rendre plus acceptable une politique inchangée
A l'amorce du second mandat présidentiel, l'administration américaine semble estimer que le moment est venu de tenir compte des limites objectives de la politique menée ces dernières années et des effets négatifs qu'elle a produits, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Deux ans après la chute de Saddam Hussein, les limites de la puissance américaine paraissent évidentes.
La situation sécuritaire toujours précaire en Irak démontre que la confiance placée dans une supériorité militaire incontestée était excessive et que la « militarisation » de la politique étrangère n'obtient pas les résultats escomptés, ce qui amène à reconsidérer l' attention portée aux autres instruments d'influence non-militaires . De même, si la présence d'alliés n'était pas nécessaire pour conduire la guerre, elle apparaît désormais indispensable pour gagner la paix.
Le coût humain des engagements extérieurs américains est désormais très élevé, qu'il s'agisse des pertes dont le rythme ne se ralentit pas, où des effectifs mobilisés à l'étranger qui atteignent 240 000 hommes, dont 145 000 en Irak et 18 000 en Afghanistan. Le poids de ces deux théâtres d'opération est tel que toute autre intervention militaire terrestre paraît désormais exclue. Les difficultés rencontrées se traduisent en outre par une diminution du recrutement ou des renouvellements d'engagement.
L' impact financier de ces engagements est considérable, puisque l'on évoque, pour le seul théâtre irakien, un coût de 5 à 6 milliards de dollars par mois.
Enfin, l'impact négatif de cette politique est sensible sur l'opinion intérieure et plus encore sur l'opinion internationale, l'ensemble des enquêtes montrant une dégradation sans précédent de l'image des Etats-Unis dans le monde , atteignant un stade dans lequel les avantages de l'unilatéralisme sont compromis par des inconvénients excessifs.
La coïncidence entre l'inauguration d'un nouveau mandat et les succès que représentent les élections en Afghanistan, en Palestine et en Irak, a sans doute ouvert une « fenêtre d'opportunité » permettant aux Etats-Unis d'infléchir leur discours sans paraître agir sous la pression des évènements et remettre en cause le bien fondé de leur action passée.
Cette inflexion se traduit par une thématique renouvelée , dans laquelle les préoccupations strictement sécuritaires et la dénonciation des ennemis de l'Amérique s'efface derrière la promotion de la démocratie et de la liberté , « principe organisateur du 21 ème siècle ».
Elle se traduit aussi par la volonté affichée de renouer avec les alliés et en tout premier lieu l'Europe.
Enfin, au delà du discours, elle se manifeste par des gestes significatifs qui ne peuvent être réduits à un simple changement de ton.
? Des ajustements néanmoins significatifs
En prenant l'initiative de relancer le dialogue transatlantique, les Etats-Unis ont accompagné leur engagement à un dialogue plus étroit d'actes montrant que les préoccupations européennes étaient dans une certaine mesure prises en compte.
Le plus important de ces gestes est sans aucun doute le réengagement américain dans le processus de paix israélo-palestinien .
Au cours des quatre dernières années, Washington avait manifesté un soutien continu au gouvernement Sharon. On a pu souligner à cet égard le tournant qu'a constitué la montée de l'aile « conservatrice chrétienne », animée par une forte solidarité idéologique vis à vis d'Israël, au sein d'un parti républicain auparavant plutôt considéré comme « pro-arabe » par rapport au parti démocrate. Le traumatisme du 11 septembre a bien entendu renforcé cette solidarité face au terrorisme.
Sous le premier mandat, l'implication de l'administration sur le dossier a été faible. Alors que l'on soulignait généralement en Europe le caractère central du conflit israélo-palestinien et les risques d'aggravation en cas d'intervention militaire contre l'Irak, on considérait au contraire à Washington que la déstabilisation ou le renversement des régimes les plus hostiles à Israël était un préalable à la résolution du conflit.
Les Etats-Unis avaient suivi Israël dans la volonté d'isoler Yasser Arafat, dénoncé comme un obstacle à la paix. La disparition de ce dernier et le lancement par Ariel Sharon du plan de retrait de Gaza ont favorisé une évolution notable de la position américaine.
Le souhait d'une perspective proche pour un Etat palestinien a été réaffirmé. Le Président Bush a également évoqué la nécessité, pour ce futur Etat, d'être formé d'un territoire continu, mettant en garde Israël sur le tracé de la barrière de sécurité et l'expansion des implantations en Cisjordanie.
Certes, ces évolutions ne préjugent pas de ce que sera la politique américaine au delà de cette année, lorsque aura été opéré le retrait de Gaza. Mais elles témoignent incontestablement d'une vision plus équilibrée que par le passé.
Au Proche-orient toujours, le ralliement aux propositions françaises sur le Liban témoigne lui aussi d'une approche plus pragmatique. Washington a notamment temporisé sur ses exigences relatives au désarmement du Hezbollah.
Enfin, le scepticisme critique vis à vis de la démarche européenne sur le dossier nucléaire iranien a fait place à un soutien de principe affirmé à plusieurs reprises et concrétisé, à la demande des Européens, par des engagements sur les avantages que l'Iran pourrait retirer d'un accord. Si les gestes relatifs à l'adhésion iranienne à l'OMC ou à la livraison de pièces d'avions paraissent modestes, ils ont représenté un pas symbolique important pour l'administration américaine, jusqu'alors hostile à tout ce qui pourrait contribuer à légitimer le pouvoir en place à Téhéran.
On peut se demander si ces inflexions partielles amorcent une évolution durable de la politique étrangère, sous l'influence notamment du secrétaire d'Etat, Mme Rice, où s'il s'agit d'ajustements tactiques et ponctuels, susceptibles de remise en cause à brève échéance. Il est vraisemblable que cette politique sera surtout évaluée par rapport aux résultats obtenus et à sa compatibilité avec les objectifs fondamentaux des Etats-Unis.
L'assouplissement des positions américaines sur plusieurs dossiers est significatif, mais la capacité de compromis semble toujours limitée.
II. LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES À L'ÉPREUVE DES FAITS
L'Irak n'occupe plus aujourd'hui la place centrale qui fut la sienne, en 2002-2003, dans l'évolution de la relation transatlantique, même si la question d'un engagement européen plus fort, sur le terrain et sous forme financière, peut toujours constituer une source de friction.
La moindre acuité du dossier irakien permet de porter sur cette relation un regard plus équilibré et depuis lors, Américains et Européens ont marqué leur volonté de tourner la page et de retrouver le chemin d'une concertation plus étroite.
La concrétisation de ce nouveau climat dépendra de la capacité des deux parties à trouver davantage de terrains d'entente sur leurs principaux différends.
Lors de son séjour à Washington, la délégation n'a pu aborder avec ses interlocuteurs l'ensemble des aspects de la relation transatlantique et de ses difficultés.
Elle n'a pas évoqué les contentieux commerciaux qui, s'ils ne portent que sur environ 5 % des échanges euro-américains, possèdent néanmoins une forte résonance, qu'il s'agisse des aides à la construction aéronautique ou des OGM. Elle n'a pas davantage abordé les discussions difficiles engendrées par les exigences américaines concernant l'accès au territoire des Etats-Unis, avec la remise en cause de l'exemption de visa et l'imposition des passeports biométriques.
La délégation a concentré son analyse sur plusieurs questions stratégiques qui, dans les mois à venir, auront valeur de test sur la capacité à agir en commun mais pourront aussi se révéler comme autant de facteurs de confrontation :
- le dossier nucléaire iranien et les conséquences qu'entraînerait un éventuel échec des négociations en cours ;
- la poursuite du processus de paix israélo-palestinien au delà des échéances immédiates de l'année 2005 ;
- la question de la levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine ;
- les relations avec la Russie et l'espace post-soviétique.
A. LA QUESTION NUCLÉAIRE IRANIENNE
Un pas important a été effectué en direction des Européens par les Américains, sous la forme d'un soutien public à la négociation engagée avec les autorités irakiennes. Ce rapprochement ne signifie pas cependant qu'une approche commune serait retenue si cette négociation devait échouer.
1. Un soutien à la démarche européenne
Initiée à partir de l'été 2003, la démarche commune de l'Allemagne, de la France et du Royaume-Uni a abouti à un premier résultat, avec l'accord de Paris du 15 novembre 2004 par lequel l'Iran s'est engagé à suspendre toutes les activités relatives à l'enrichissement d'uranium et au retraitement. Les négociations se poursuivent depuis lors avec pour objectif, l'obtention, de la part de l'Iran, de garanties objectives de la finalité exclusivement civile de son programme nucléaire, ce qui signifie, pour les Européens, une cessation définitive des activités liées à la production de matières fissiles en contrepartie d'une garantie d'accès au combustible nucléaire. Outre le nucléaire, la négociation concerne la coopération économique et technologique et les questions politiques et de sécurité.
Jusqu'à une date récente, cette démarche n'avait pas reçu l'appui des Etats-Unis qui considéraient les manquements de l'Iran à son accord de garanties avec l'AIEA suffisamment graves pour que le Conseil de sécurité des Nations Unies soit saisi et statue sur des sanctions.
Les critiques américaines à l'encontre de cette démarche étaient de deux ordres. Elles contestaient le principe même de la négociation avec un régime qui soutient des organisations telles que le Hezbollah, le Hamas ou le Djihad islamique, ne reconnaît pas l'Etat d'Israël, s'oppose au processus de paix et maintient le pays sous l'emprise d'une dictature religieuse. Elles mettaient également en doute les chances de succès d'une telle négociation, considérant que l'Iran avait constamment cherché à tromper la communauté internationale en dissimulant ses activités réelles alors que la vocation militaire de son programme était évidente, compte tenu de l'ampleur des investissements réalisés ou projetés, qui dépassent les strictes nécessités d'un programme civil, et du développement en parallèle d'un programme ambitieux de missiles balistiques.
L'attitude adoptée par les Etats-Unis depuis février dernier traduit une évolution notable .
Les Européens ont pu faire valoir les premiers résultats obtenus. S'ils ne sont pas pleinement satisfaisants, on peut souligner qu'ils sont sans comparaison avec ceux des discussions à 6 avec la Corée du Nord, auquel participent les Etats-Unis et qui demeurent dans l'impasse, alors que Pyongyang annonce la poursuite de son programme nucléaire militaire. A la différence de la Corée du Nord, l'Iran ne s'est pas retiré du TNP et a signé avec l'AIEA un protocole additionnel à son accord de garanties. Ce protocole n'est toujours pas ratifié mais l'Iran a néanmoins accepté d'en appliquer les dispositions par anticipation, à travers les inspections internationales et les renseignements transmis à l'Agence de Vienne. Il a également suspendu ses activités d'enrichissement.
Les Européens, sans sous-estimer les risques d'échec du processus avec l'Iran, ont plaidé auprès de Washington qu'il s'agissait actuellement de la seule voie raisonnable et qu'elle ne pouvait être poursuivie sans un appui des Etats-Unis .
Ceux-ci ont répondu positivement à la demande européenne. Le Président Bush a apporté un soutien public à la démarche en cours , en soulignant que l'arrêt de tout programme nucléaire militaire en Iran était un objectif commun des Américains et des Européens. Au début du mois de mars, l'administration américaine a effectué deux gestes que les Européens avaient sollicité pour conforter le volet économique et commercial des discussions. Les Etats-Unis ont indiqué qu'en cas d'accord définitif sur le nucléaire, ils ne s'opposeraient plus à l' ouverture de négociations sur l'adhésion de l'Iran à l'OMC , ni à la livraison de composants de pièces aéronautiques pour l'aviation civile iranienne.
Comment faut-il interpréter cet élément nouveau ?
Si l'on considère que le « premier pas » est toujours le plus difficile à accomplir, on peut estimer qu'il s'agit d'un véritable changement conceptuel, dans la mesure où les Etats-Unis, par ces concessions certes modestes, semblent accepter de facto le principe même d'une négociation alors qu'ils refusaient jusqu'à présent toute attitude pouvant légitimer le régime de Téhéran.
Mais dans le même temps, l'administration américaine a souligné que ces concessions n'avaient été accordées qu'en échange d'un engagement écrit des trois Européens de déférer l'Iran devant le Conseil de sécurité des Nations-Unies en cas d'échec de la négociation, mettant ainsi en exergue un pas européen en direction des Etats-Unis.
Le rapprochement des points de vue a été facilité par le calendrier politique qui permettait d'envisager une temporisation jusqu'à l'élection présidentielle iranienne du mois de juin. Il ne préjuge pas des attitudes respectives en cas d'enlisement, voire d'échec des négociations.
2. Quelle unité d'action en cas d'échec des négociations ?
Depuis novembre dernier, les négociations restent toujours extrêmement difficiles avec l'Iran et l'assouplissement des positions américaines n'a pas été suivi d'un infléchissement de la ligne de Téhéran.
La plupart des personnalités américaines rencontrées par la délégation à Washington se sont montrées pessimistes sur l'issue de cette négociation, compte tenu de la nature du régime iranien et du contexte régional. Lors d'une réunion au CSIS, M. Simon Serfaty a qualifié la situation de « crise des missiles de Cuba au ralenti », suggérant que les discussions avaient permis de repousser les échéances mais qu'il faudrait affronter, à un moment ou à un autre, l'heure de vérité et le dénouement de cette crise.
Si certains espoirs avaient pu être placés dans l'élection présidentielle de juin en Iran, en dépit du poids relativement faible du chef de l'Etat dans les choix stratégiques, ils sont désormais évanouis et le régime, bien que peu populaire, paraît consolidé. Les perspectives d'une normalisation de l'Iran au plan international semblent toujours lointaines, alors que l'accession à une capacité nucléaire militaire serait envisageable à échéance de quelques années si l'Iran se dote d'installations d'enrichissement ou de retraitement lui permettant, dans des délais très brefs , de les reconvertir pour la production de matières fissiles à vocation militaire.
La question se pose alors des différents scénarios envisageables en cas d'échec des négociations .
Les Européens ont clairement évoqué la saisine du Conseil de sécurité, mais nul ne sait s'il serait possible d'y adopter une résolution, en raison d'un possible veto chinois, voire russe, alors que le contenu même de cette résolution pourrait donner lieu à des divisions entre Américains et Européens.
Dans certains cercles néo-conservateurs, un embargo sur le pétrole iranien est évoqué, mais il est clair que la situation actuelle des cours rend cette solution difficile à mettre en pratique. Plus sûrement, un embargo sur les investissements étrangers pourrait être envisagé. On sait cependant qu'en Europe, l'imposition d'embargos est un instrument critiqué, du fait de leur impact souvent plus fort sur les populations que sur les régimes et en raison des contournements auxquels ils donnent généralement lieu. Par ailleurs, en cas de paralysie du Conseil de sécurité, les Européens se verront sans doute demander par les Etats-Unis d'appliquer des sanctions unilatérales, hors de tout cadre fixé par les Nations Unies.
La délégation a également interrogé ses interlocuteurs sur une éventuelle option militaire .
Celle-ci est officiellement écartée par les responsables de l'administration. Lors de sa venue à Bruxelles, le Président Bush a jugé « ridicule » l'idée que les Etats-Unis se préparaient à attaquer l'Iran. Mais il a également indiqué que « toutes les options » étaient sur la table. On peut ainsi penser que les responsables militaires se livrent à des exercices de planification. Cette option exclurait bien entendu toute action terrestre d'envergure et se limiterait à des frappes aériennes ciblées. Elle se heurte cependant à de très nombreuses objections.
Sur le plan technique, le renseignement semble insuffisant pour connaître avec la précision nécessaire les sites concernés, le plus souvent clandestins et intégrés au tissu économique local. Par ailleurs, à la différence des réacteurs, les installations d'enrichissement peuvent être facilement dissimulées.
Sur le plan politique, les risques d'une telle option sont évidents. Elle pourrait souder davantage la population au pouvoir religieux et entraînerait des complications considérables dans toute la région, tant en Irak qu'en Afghanistan, au Liban ou en Palestine. Les retombées pour les Etats-Unis pourraient être du même ordre en cas d'opération aérienne israélienne dans la mesure où, en raison de la présence militaire américaine dans la région, de tels raids pourraient difficilement se produire sans l'acceptation de Washington.
Pour l'heure, l'administration semble peiner à définir sur l'Iran une ligne claire allant au delà des gestes symboliques effectués à la demande des Européens. Une faction incarnée par le vice-président Cheney et Donald Rumsfeld maintien son opposition à toute politique qui semblerait cautionner le régime iranien. Le nouveau contexte politique en Iran semble également exclure des concessions plus fortes de la part de Washington, notamment sur les garanties de sécurité apportées au pays et au régime.
Si les négociations en cours venaient à rompre, l'adoption d'une ligne commune entre l'Europe et les Etats-Unis constituerait un véritable défi. Le risque réel de divergences, telles que l'on en a constatées sur l'Irak dès les années qui ont suivi la première guerre du Golfe, devrait absolument être écarté pour conjurer une dynamique de prolifération nucléaire qui toucherait toute la région et, au delà, l'ensemble du régime international de non-prolifération.
B. LES ÉVOLUTIONS AU MOYEN-ORIENT
La priorité donnée au renversement du régime irakien a profondément dégradé la relation transatlantique.
Cette question perd aujourd'hui son caractère central.
D'une part, et la délégation l'a constaté auprès de ses interlocuteurs, en dépit de la persistance de la guérilla sunnite et du lourd bilan des pertes américaines, le sujet ne mobilise plus une attention aussi soutenue aux Etats-Unis. La mise en marche du processus politique qui dotera l'Irak de ses institutions définitives est perçue avec un relatif optimisme. Cet optimisme se fonde sur le sentiment que le gouvernement à majorité chiite sera moins religieux qu'on pouvait le penser et qu'à l'intérieur du pays comme dans les pays voisins, notamment l'Iran, nul n'a réellement intérêt à provoquer une crise qui déboucherait sur une guerre civile et l'éclatement de l'Irak.
D'autre part, un relatif consensus s'est formé entre Européens sur la nécessité de soutenir la stabilisation du pays, même si l'engagement européen ne se situe toujours pas au niveau souhaité par les Etats-Unis, préoccupés par le poids de leur présence sur le terrain, qui s'annonce de longue durée.
La moindre acuité de la question irakienne ramène au premier plan les autres dossiers du Proche et du Moyen-Orient, et en premier lieu le conflit israélo-palestinien.
Une évolution positive s'est produite, pour les relations transatlantiques, avec le réengagement américain dans le processus de paix et l'action commune conduite sur le Liban.
Le rapprochement euro-américain opéré sur les objectifs immédiats ne dissipe pas pour autant, sur le moyen terme, le risque de nouvelles divergences.
On peut d'une part se demander jusqu'où l'actuelle administration américaine est disposée à aller pour faciliter un règlement du conflit israélo-palestinien.
D'autre part, si les Européens ne peuvent qu'adhérer à l'objectif de démocratisation du Moyen-Orient, auquel Washington accorde désormais le primat, il leur sera peut-être difficile d'admettre toutes les implications qu'en déduisent les Etats-Unis pour leur politique dans la région.
1. Le processus de paix israélo-palestinien
Ainsi que cela l'a déjà été souligné, l'évolution de l'administration américaine sur le dossier israélo-palestinien a été significative depuis le début de l'année. Mais cette évolution résulte en partie de facteurs externes : le plan de retrait unilatéral de Gaza élaboré par Ariel Sharon et la disparition de Yasser Arafat, dans la mesure où les Etats-Unis s'accordaient avec Israël pour estimer que seul un changement des dirigeants palestiniens permettrait d'ouvrir la voie à une reprise des discussions.
Il n'en reste pas moins que le Président Bush a réaffirmé son appui à la vision de deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité. Il a également évoqué, pour le futur Etat palestinien, la nécessité d'un territoire continu et appelé à l'arrêt des implantations et au démantèlement des colonies illégales. Enfin, un soutien affiché a été apporté au nouveau président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, élu le 9 janvier dernier.
Sur cette base, il a été possible aux Etats-Unis et à l'Europe d'avoir une approche commune sur les principales échéances de l'année 2005, à savoir la nécessité de favoriser le bon déroulement du processus électoral en Palestine et du retrait de Gaza, première étape d'un calendrier qui devra également inclure l'évacuation d'implantations du nord de la Cisjordanie et situées à l'est de la barrière de sécurité.
Au delà de ces perspectives immédiates, l'entente euro-américaine peut-elle perdurer ?
Les Européens souhaitent accélérer la mise en oeuvre de la feuille de route, en fixant des échéances acceptables pour les palestiniens sur la création de leur Etat.
Les Etats-Unis refusent pour leur part d'accélérer le calendrier et continuent de poser des préalables à la poursuite de la mise en oeuvre de la feuille de route .
Le premier de ces préalables concerne la sécurité et l'arrêt du terrorisme et de la violence. A cet effet, Washington a nommé un représentant spécial chargé de coordonner la coopération sécuritaire avec l'Autorité palestinienne.
Le second préalable porte sur la réforme de l'Autorité palestinienne et la diffusion des mécanismes démocratiques dans les institutions palestiniennes, considérant que seule une société démocratique permettra réellement de lutter contre le terrorisme et d'établir une paix durable avec Israël.
Ainsi, dans l'esprit de Washington, une reprise de la violence ou une insuffisance de résultats dans la politique de Mahmoud Abbas pourrait compromettre la poursuite du processus, alors que dans l'esprit des Européens, c'est plutôt l'absence de perspective de paix à brève échéance et la dégradation de la situation économique et sociale sur le terrain qui nourrissent la violence et le terrorisme. De ce point de vue, on peu craindre que l'absence d'amélioration des conditions de vie des Palestiniens, du fait notamment des bouclages de territoires et des check-points, tout comme la poursuite de l'édification de la barrière de sécurité et de l'implantation des colonies, ne rendent que plus difficile la tâche de Mahmoud Abbas et multiplient les risques de reprise de la violence.
S'agissant des étapes ultérieures dans le processus de paix , elles devront régler les questions les plus difficiles : les frontières, le statut de Jérusalem, le sort des colonies, les réfugiés. Ici encore, on peut se demander si une unité d'action entre l'Europe et les Etats-Unis sera possible.
Il faut rappeler que par une lettre du 14 avril 2004, et indépendamment de toute concertation au sein du Quartet, le Président Bush a fourni à Ariel Sharon, à propos des frontières et des réfugiés, des assurances qui préjugent d'un règlement final. En substance, ces assurances comportent pour Israël moins de contraintes que ne le faisaient les « paramètres » énoncés par l'administration Clinton au terme de son mandat, notamment en ce qui concerne les éventuels échanges de territoires, le retour des réfugiés, les frontières, qui devront être « défendables », et les prérogatives que conserverait Tel Aviv en matière de sécurité sur le futur Etat palestinien.
Au delà des incertitudes sur les objectifs que se fixeront les autorités israéliennes une fois l'évacuation de Gaza opérée, notamment en ce qui concerne Jérusalem-Est et les colonies de Cisjordanie, on peut penser que les Etats-Unis mesureront leurs pressions sur Israël et resteront vigilants sur les progrès réalisés par l'Autorité palestinienne par rapport aux objectifs qui lui ont été assignés.
Les Européens seront désireux de réaliser des avancées substantielles sur des questions qui, aux yeux des Américains, ne peuvent être réglées que dans le cadre d'un accord final. Dans ces conditions, les possibilités d'enchaîner les différentes étapes de la feuille de route restent hypothétiques, avec l'éventualité de limiter durablement l'horizon à une situation de « paix froide » entre Israël et un Etat palestinien doté de frontières provisoires.
Si le réengagement américain constitue bien une rupture par rapport à la position de retrait adoptée au cours du premier mandat, cette nouvelle politique s'inscrit dans des limites bien définies et compatibles avec les vues israéliennes, les autorités palestiniennes devant démontrer leur capacité à faire cesser la violence et à bâtir des institutions démocratiques. À l'évidence, ce schéma reste éloigné de celui prôné par les Européens.
2. La démocratisation du Moyen-Orient
La démocratisation du Moyen-Orient a été définie comme l'ambition majeure du second mandat du Président Bush en matière de politique étrangère.
Cette volonté transformatrice rejoint les idéaux chers à l'Europe mais celle ci demeure aussi attachée au droit international et au multilatéralisme qui impliquent de considérer les Etats plus que les régimes politiques.
A travers ses entretiens, la délégation a eu le sentiment que l'on était pleinement conscient, à Washington, des risques inhérents à une telle politique, et en premier lieu la possibilité de voir triompher des mouvements radicaux. Mais ce risque est en partie accepté, car dans l'esprit américain, il n'est pas supérieur à celui d'un statu quo qui alimente le radicalisme.
L'an passé, lors du sommet de Sea Island, le G8 avait approuvé une initiative en faveur du Moyen-Orient élargi et l'Afrique du Nord . Fortement remaniée par rapport aux projets américains initiaux, elle se présente comme un engagement à soutenir les réformes, en partant des attentes des Etats de la région, dans le respect de l'autonomie des instruments existants, en particulier le dialogue euro-méditerranéen. La nécessité de poursuivre en parallèle le règlement politique des crises au Proche-Orient et en Irak a été soulignée.
Ce consensus demeure fragile . Pour les Etats-Unis, il s'agit d'accentuer la pression sur les Etats de la région et de leur assigner des obligations de résultat. La multiplication des mises en cause du régime syrien en offre l'illustration. Pour une partie des pays européens, dont la France, le dialogue sur le respect des droits de l'homme et l'ouverture démocratique ne doit pas déboucher sur une confrontation entre le monde arabe et un front commun occidental. Le débat entre les partisans du changement, prêts à bousculer brutalement les situations acquises, et ceux qu'ils désignent comme irrémédiablement portés au statu quo, est un facteur de division transatlantique prêt à ressurgir à tout moment.
Dans le même ordre d'idée, l'entente euro-américaine forgée autour de l'objectif d'un Liban libre et indépendant pourrait trouver ses limites sur la question du Hezbollah .
Cela est particulièrement sensible au sein du Congrès et la délégation a pu le constater en rencontrant le sénateur républicain Allen, auteur avec son collègue démocrate Liebermann d'une résolution demandant à l'Union européenne d'inscrire le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes, ce qu'elle a pour l'instant refusé, à la différence du Hamas et du Djihad islamique. La position européenne tient quant à elle à la double nature du mouvement, militaire et politique, à sa représentativité dans la communauté chiite libanaise et à l'intérêt de l'encourager à privilégier le terrain électoral.
Les Etats-Unis ont accepté de ne pas exiger dans l'immédiat la mise en oeuvre du point de la résolution 1559 demandant le désarmement du Hezbollah. On n'ignore pas, à Washington, les difficultés d'une telle entreprise qui ne pourrait réellement s'envisager que dans le cadre d'un accord de paix entre Israël et le Liban auquel s'opposerait la Syrie si elle n'y est pas associée.
Mais l'occultation de cette divergence entre Européens et Américains n'est que temporaire, la question pouvant de nouveau revenir au premier plan en fonction de l'évolution politique intérieure du Liban.
C. LES RELATIONS AVEC LA CHINE
La question de la levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes vers la Chine a souvent été placée au premier plan de l'ordre du jour des entretiens de la délégation qui s'est efforcée d'exposer les motivations de la démarche européenne et d'en préciser les implications exactes, plus symboliques que pratiques.
En dépit des efforts d'explication, l'incompréhension domine toujours à Washington. Elle traduit les inquiétudes déjà anciennes face à l'émergence de la puissance économique et politique de la Chine.
1. La démarche européenne sur la levée de l'embargo sur les ventes d'armes
Face à ses interlocuteurs, la délégation s'est efforcée de rappeler l'origine et la nature exacte de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine.
Cette recommandation, prise par le Conseil européen en juin 1989, en réaction aux massacres de la place Tiananmen à Pékin, ne constitue pas à proprement parler un embargo européen puisque les exportations d'armement relèvent exclusivement des législations et des autorités nationales de chaque Etat-membre. Il existe seulement un « code de conduite » européen, édicté en 1998 sur initiative britannique, qui organise l'échange d'information entre pays européens, notamment la notification des refus d'exportation, et énonce huit critères que les Etats devraient s'efforcer de respecter dans leur politique d'exportation, prenant en compte notamment les risques d'instabilité régionale ou d'utilisation pour la répression intérieure. Ce code ne conduite n'a cependant aucun effet contraignant et ne constitue pas une procédure européenne d'exportation d'armements.
Au cours des dernières années, la question de la levée de cet embargo a été en débat et le 17 décembre 2004 , le Conseil européen en a accepté le principe, avec l'objectif d'une décision définitive sous présidence luxembourgeoise, en juin 2005. Il a « souligné qu' une éventuelle décision ne devrait pas se traduire par une augmentation des exportations d'armes d'Etats membres vers la Chine, que ce soit en termes quantitatifs ou qualitatifs ». Il a rappelé l'importance des critères du code de conduite, notamment ceux qui concernent les droits de l'homme, la stabilité et la sécurité dans la région et la sécurité nationale des pays amis et alliés. Enfin, il a souhaité l'adoption rapide d'un code de conduite révisé et d'un nouvel instrument concernant spécifiquement les pays qui ne sont plus frappés par l'embargo.
Les arguments retenus par l'Union européenne en faveur de la levée de l'embargo sont de deux ordres.
Sur le plan technique tout d'abord, cet embargo ne peut être considéré comme un instrument efficace de régulation des ventes d'armes vers la Chine. Il ne porte que sur les armes létales et ne couvre pas les technologies à double usage, civil et militaire, dont certaines sont extrêmement sensibles. Dans les faits, les refus de licences d'exportations vers la Chine motivées par le seul embargo européen sont très limitées, beaucoup moins nombreuses que celles qui résultent de l'application des régimes nationaux de contrôle ou des critères du code de conduite européen.
Peu efficace sur le plan technique, l'embargo ne semble plus justifié, au plan politique , aux yeux des Européens. Depuis 1989, les relations avec la Chine se sont intensifiées. On ne peut placer la Chine au même plan que les trois autres pays frappés par un tel embargo : la Birmanie, le Soudan et le Zimbabwe. Par ailleurs, des pays comme le Canada n'ont jamais appliqué d'embargo à l'encontre de la Chine et l'Australie a levé son embargo dès 1992. Quant à Israël, fidèle allié des Etats-Unis, il s'agit, après la Russie, du deuxième fournisseur d'armements sophistiqués à la Chine.
Tous ces éléments paraissaient suffisant, aux yeux du Conseil européen, pour mettre fin à cet embargo sous trois réserves précédemment rappelées : un engagement à ne pas augmenter les ventes d'armes, quantitativement et qualitativement ; l'adoption d'un code de conduite renforcé, plus complet et plus efficace ; enfin, l'adoption de mesures spécifiques de transparence pour les pays en sortie d'embargo, dont la Chine serait la première application. Désigné couramment sous l'appellation « boîte à outil », ce régime spécifique de contrôle impliquerait en particulier la notification à tous les pays de l'Union des exportations autorisées vers le pays concerné durant les cinq dernières années et la notification régulière des agréments délivrés.
2. Une incompréhension manifeste aux Etats-Unis
L'accord de principe donné par le Conseil européen le 17 décembre 2004 a suscité de vives réactions aux Etats-Unis.
Lors de sa venue en Europe en février dernier, le président Bush a souligné la forte mobilisation du Congrès contre la position européenne. La délégation, lors de ses contacts au Conseil de sécurité nationale ou au Département d'Etat, a pu constater que la réprobation était partagée par l'administration, même si les oppositions les plus vives se manifestent au Congrès.
Le 2 février dernier, la Chambre des représentants a voté par 411 voix contre 3 une résolution hostile à cette levée d'embargo . Une résolution a été déposée au Sénat sur le même sujet par des sénateurs des deux partis. Son dispositif est plus dur puisqu'il évoque une possibilité de rétorsions portant sur les transferts de technologies et d'équipements militaires américains vers l'Europe si celle-ci persistait dans son entreprise.
En dépit de l'envoi par le Haut représentant européen pour la politique étrangère et de sécurité d'une mission chargée d'expliquer la démarche européenne, celle-ci demeure profondément mal comprise et ressentie aux Etats-Unis.
Sur le plan politique, elle est dénoncée comme un mauvais signal , alors que la Chine n'a réalisé aucun progrès véritable en matière de droits de l'homme, qu'elle renforce son potentiel militaire et qu'elle adopte à l'égard de Taïwan une attitude inquiétante, dont la dernière manifestation fut le vote d'une loi « anti-sécession » habilitant par anticipation le recours à la force en cas de déclaration d'indépendance. Un membre de la Chambre des représentants déclarait ainsi à la délégation ne pas comprendre comment l'Europe pouvait envisager d'accorder à la Chine un avantage sans contrepartie sur le plan de la sécurité régionale et des droits de l'homme.
Sur un plan technique, il est extrêmement difficile de convaincre les responsables américains que l'Europe souhaite lever l'embargo sans pour autant vendre davantage d'armes à Pékin. Il est rétorqué, non sans logique, que la levée de l'embargo ne peut que se traduire par un accroissement des livraisons d'armes européennes , dans la mesure où Pékin exerce des pressions de plus en plus forte pour se fournir en technologies et systèmes modernes.
Sur le plan stratégique enfin, les responsables américains font valoir les dangers de l'augmentation du potentiel militaire chinois pour la stabilité de la région et craignent que l'Europe contribue à l'accentuer, et non à la freiner. Ils rappellent les engagements d'assistance souscrits par les Etats-Unis envers Taïwan, soulignant que les forces américaines se trouveraient engagées en cas de conflit, ce qui rend inacceptable la perspective de voir un adversaire potentiel bénéficier de technologies ou d'équipements européens.
Il apparaît ainsi que l'on a mal mesuré, en Europe, l'extrême sensibilité d'un tel sujet aux Etats-Unis, dans l'ensemble de la classe politique. Au delà du débat sur l'embargo, dont les aspects techniques relativement complexes échappent à bien des responsables, transparaît la crainte de l'émergence de la puissance chinoise, sur les plans économique, militaire et politique, et de l'apparition d'un rival susceptible de remettre en cause, à terme, la suprématie américaine.
L'écho donné à ce dossier montre qu'il pourrait devenir, à court terme, un réel point de désaccord transatlantique. Bien qu'il s'agisse d'un contentieux euro-américain, il n'est pas sans incidence sur nos relations bilatérales car la France est perçue comme la force agissante sur ce dossier.
On peut se demander dans quelle mesure l'Europe avait intérêt, sur un tel sujet, à prendre le risque d'un conflit avec Washington au moment où s'amorcent, sur des dossiers plus fondamentaux, des rapprochements attendus depuis longtemps. De ce point de vue, l'ajournement de la décision par le Conseil européen peut apparaître comme une sage décision.
D'autre part, afin de prévenir de nouvelles difficultés, il sera nécessaire d'établir entre les Etats-Unis et l'Europe un dialogue stratégique sur la Chine et l'Asie orientale. Un tel cadre permettrait une meilleure prise en compte des préoccupations de chaque partie, notamment dans le domaine de l'armement et de la sécurité.
D. L'ATTITUDE VIS À VIS DE LA RUSSIE
La nouvelle relations stratégique scellée entre les présidents Bush et Poutine autour de la solidarité commune face à la menace terroriste et de la signature, en mai 2002, d'un traité sur la réduction des arsenaux nucléaires, n'apparaît plus aujourd'hui aussi solide.
La perception de la Russie s'est très fortement dégradée à Washington depuis la réélection de Vladimir Poutine, et singulièrement au cours des derniers mois. Sur le plan interne, le sentiment d'une dérive autoritaire et d'une concentration excessive du pouvoir s'est accentué après la prise d'otage de Beslan. Sur le plan international, les ingérences malheureuses de Moscou en Géorgie et en Ukraine ont donné l'image d'un retour aux pratiques du passé et d'un pays sur la défensive accumulant les erreurs d'appréciation. Plusieurs responsables américains rencontrés par la délégation se sont également inquiétés de l'influence grandissante, au sein du pouvoir, d'une tendance dénonçant une prétendue volonté d'encerclement de la part des Etats-Unis ou un complot occidental, ainsi que de la dégradation du climat au sein de l'OSCE, la Russie mettant vivement en cause le rôle joué par cette organisation dans la stabilisation de l'espace post-soviétique.
Si ces évolutions inquiètent, elles ne semblent pas pour l'instant avoir remis en cause l'orientation de la politique américaine à l'égard de la Russie. A cet égard, Mme Rice a marqué son attachement à la poursuite d'une relation certes complexe, mais utile pour mener des coopérations en matière de lutte contre le terrorisme et la prolifération ou stabiliser le Caucase. Elle a cependant exprimé avec fermeté les préoccupations croissantes qu'inspire l'évolution du régime à Moscou. Des tensions peuvent aussi survenir au sujet de l'Ukraine, du Caucase ou de l'Asie centrale, régions dans lesquelles les Etats-Unis ont noué des relations de sécurité substantielles.
Par ailleurs, le président Bush pourrait d'une certaine façon se retrouver prisonnier de son discours sur l'expansion de la démocratie, et être incité, par l'opinion publique ou le Congrès, à faire preuve de fermeté à l'égard de la Russie au sujet des méthodes de gouvernement.
Si une dégradation de la relation américano-russe devait intervenir, elle ne serait pas sans conséquence pour l'Europe, pour sa propre politique vis à vis de la Russie ainsi qu'en direction de l'espace post-soviétique.
Le partenariat entre l'Europe et la Russie éprouve quelques difficultés à se mettre en place, un an après un élargissement dans laquelle cette dernière a vu le reflet de sa perte d'influence. Pour autant, l'Europe ne peut faire abstraction du rôle de la Russie pour la stabilité du continent et ne possède pas, sur cette question, des intérêts analogues à ceux des Etats-Unis.
Si au sein de l'Union européenne, beaucoup de nouveaux pays membres peuvent être tentés de durcir le ton contre Moscou, d'autres, dont la France et plus encore de l'Allemagne, sont très fermement attachés à leur partenariat stratégique avec la Russie et se trouveraient mis en difficulté en cas de réorientation de la politique américaine.
Des conflits d'intérêt pourraient également survenir entre l'Europe et les Etats-Unis au sujet des perspectives à offrir aux pays de l'espace post-soviétique. Ainsi, plusieurs interlocuteurs de la délégation ont estimé que l'Union européenne devait s'engager beaucoup plus en soutien des nouvelles autorités ukrainiennes, y compris en acceptant le principe d'une entrée de l'Ukraine dans l'Union.
Il ne faut donc pas exclure que les évolutions en cours en Russie provoquent des réactions divergentes en Europe et aux Etats-Unis, créant ainsi un nouveau sujet de friction dans les relations transatlantiques.
* 1 La France contribue à hauteur de 2 millions d'euros au financement commun de la mission de formation de l'OTAN, dont le budget total s'élève à 15 millions d'euros. Elle contribue également dans une proportion similaire (0,5 million d'euros sur 4,6 millions d'euros) au fonds mis en place pour le transport et l'hébergement des stagiaires irakiens.
* 2 La France est l'un des principaux créanciers bilatéraux de l'Irak au sein du Club de Paris, avec un encours de 2,9 milliards de dollars, hors intérêts. Considérant le potentiel économique de l'Irak, notamment ses ressources énergétiques, le gouvernement français envisageait initialement une annulation de 50 % de la dette irakienne.