CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Le dossier de l'amiante conjugue actions des groupes de pression et limitations apportées à la responsabilité des acteurs. Les mesures de réglementation de l'usage de ce matériau et de protection des salariés et consommateurs ont été durablement retardées et les conséquences fortement mutualisées. Soit qu'ils aient disparu, soit que leur irresponsabilité découle de la loi ou de la jurisprudence, les responsables sont déchargés du coût, transféré sur l'ensemble des entreprises au travers des dépenses mutualisées du fonds des accidents du travail et maladies professionnelles, ou sur l'ensemble de la collectivité au travers du budget de l'Etat. Cette mutualisation des conséquences ne contribue pas à réguler les montants consacrés aux indemnisations et compensations.
Créé à la fin de l'année 1999 comme une première réponse, le Fonds de cessation anticipée d'activité des victimes de l'amiante (FCAATA) permet aux victimes potentielles de bénéficier d'une préretraite. L'ampleur de son champ et les conditions d'inscription d'un établissement sur la liste y ouvrant droit en font un dispositif qui ne bénéficie pas aux seules victimes de l'amiante, d'autant plus qu'il s'agit d'un des derniers dispositifs de préretraite existant. La tentation de l'utiliser comme un instrument de gestion de l'emploi est forte alors que dans le même temps des professions ayant travaillé dans un environnement amianté font pression pour être inscrites au nombre des bénéficiaires.
La création du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) n'a pas été l'occasion de s'interroger sur l'existence du FCAATA et ses modalités de fonctionnement. Les travaux de mise en oeuvre de l'article 12 de la loi portant réforme des retraites sur la prise en compte de la pénibilité dans les conditions de départ à la retraite ne devraient pas pouvoir ignorer les conséquences de l'amiante.
Le FIVA constitue la deuxième réponse institutionnelle spécifique d'indemnisation des victimes de l'amiante circonscrit quant à lui aux seules victimes reconnues. Il devait permettre d'indemniser ces victimes dans de meilleures conditions que celles résultant de la réglementation relative à la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles. Réponse ponctuelle adoptée sous la pression des contentieux et des associations de victimes, ce fonds introduit une discrimination dans les modalités d'indemnisation selon l'origine du sinistre, les victimes de l'amiante étant considérablement mieux indemnisées que les victimes d'autres risques.
Alors que la notion de « fonds » recouvre toutes les catégories juridiques possibles, le choix de faire du FIVA un établissement public administratif ne paraît pas avoir été comparé à d'autres solutions telles le recours à des structures existantes. Le retard pris pour l'indemnisation des premières victimes par le FIVA -deux ans et demi entre l'adoption par la loi du principe de réparation intégrale et sa mise oeuvre- illustre les difficultés initiales rencontrées de ce fait.
Il y a aujourd'hui quelque paradoxe à consacrer des financements plus importants à un dispositif de cessation anticipée d'activité bénéficiant à des salariés dont on peut espérer qu'une forte majorité ne développera aucune pathologie, qu'à l'indemnisation par le FIVA des victimes de pathologies déclarées et à leurs familles.
Ce point mérite d'autant plus d'attention que les dépenses des deux fonds sont appelées à augmenter dans les prochaines années.
Enfin le recours à des structures ad-hoc vient une fois encore compliquer l'ordonnancement institutionnel, et rompre l'égalité devant les charges publiques en introduisant une discrimination dans l'indemnisation, faute de traiter globalement la question de la réparation des maladies professionnelles.
La Cour formule en conséquence les recommandations suivantes :
Recommandations
(1) Organisation générale de l'indemnisation des AT/MP
1. Réformer les modalités de la réparation des préjudices des victimes des accidents du travail et maladies professionnelle et y intégrer l'indemnisation des victimes de l'amiante (p17) ;
2. Définir la clé de répartition des charges entre l'Etat et l'assurance maladie en matière d'indemnisation, et y consacrer des dotations spécifiques en lieu et place de recettes affectées (p 22 et 73) ;
3. Réexaminer les modalités d'évaluation des rentes, leur imputation au compte employeur et à la majoration M3 et examiner les conditions de leur inscription dans les comptes de la branche accidents du travail - maladies professionnelles ainsi que des fonds ou en annexe à ces comptes (p71) ;
4. Consacrer les financements en priorité à l'indemnisation des maladies, notamment les plus graves (p29 et 61)
5. Permettre au FIVA d'accorder aux victimes de maladies malignes causées par l'amiante le bénéfice des conséquences qui s'attachent à la faute inexcusable de l'employeur sans qu'il soit nécessaire qu'elles, ou le FIVA, recourent à la voie judiciaire. (p61)
(2) Organisation et fonctionnement de la préretraite amiante
6. Recentrer le bénéfice du FCAATA sur les victimes de l'amiante de manière à dégager les financements nécessaires à la mise en oeuvre de la recommandation n°5 (p61) ;
7. Examiner les conditions dans lesquelles l'ACAATA pourrait être resituée dans les dispositifs à mettre en place au titre de l'article 12 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites (p31) ;
8. Transférer la part de la gestion de l'ACAATA assurée par la Caisse des dépôts et consignations au régime des accidents du travail et maladies professionnelles (p 19) ;
(3) Organisation et fonctionnement du FIVA
9. Améliorer le fonctionnement du Conseil d'administration du FIVA, notamment en redéfinissant ses attributions (p 33) ;
10. Améliorer la qualité des indicateurs du tableau de bord du FIVA en instituant un suivi des recours et non recours juridictionnels et des motifs y présidant (p66) ;
11. Respecter le délai légal d'indemnisation de 6 mois fixé par l'article 53 de la LFSS 2001 (p45) ;
12. Reprendre les versements de provisions avant la fixation du montant de l'indemnisation définitive (p16) ;
(4) Le traitement juridictionnel
13. Assurer une indemnisation des victimes indépendante de leur lieu de résidence (p51) ;
14. Favoriser l'unification de la pratique des tribunaux en matière d'indemnisation en précisant les règles applicables, dont le principe de la progressivité des indemnisations, et en désignant une Cour d'appel unique (p54).
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