Rapport d'information n° 176 (2004-2005) de M. Hubert HAENEL , fait au nom de la délégation pour l'Union européenne, déposé le 3 février 2005
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INTRODUCTION
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CONCLUSION
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EXAMEN EN DÉLÉGATION
N° 176
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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 février 2005 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation pour l'Union européenne (1) sur l' évolution du rôle européen du Parlement français ,
Par M. Hubert HAENEL,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Melot, Monique Papon, M. Yves Pozzo di Borgo, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Turk, Serge Vinçon.
Union européenne . |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le 19 novembre 2004, le Conseil Constitutionnel a décidé que l'autorisation de ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne pourrait intervenir qu'après révision de la Constitution du 4 octobre 1958.
Les dispositions de ce traité accordant de nouveaux pouvoirs aux parlements nationaux figurent au nombre de celles qui rendent nécessaire cette révision de notre Constitution. De ce fait, le projet de loi constitutionnelle qui a été déposé à l'Assemblée nationale le 5 janvier contient trois articles relatifs au rôle des deux assemblées en matière européenne.
Le présent rapport d'information se situe dans la perspective de l'examen de ce projet par le Sénat. Il n'a pas pour but d'en faire une analyse juridique, mais de replacer les articles qui concernent le rôle des deux assemblées dans le cadre d'une évolution engagée depuis vingt-cinq ans et de s'interroger sur les moyens d'affirmer davantage le rôle européen du Parlement français.
I. LE DÉVELOPPEMENT DU CONTRÔLE SUR LA POLITIQUE EUROPÉENNE DU GOUVERNEMENT DEPUIS 1979
1. Les délégations
Jusqu'en 1979, date de la première élection du Parlement européen au suffrage direct, le Parlement français était associé à la construction européenne par l'intermédiaire de ceux de ses membres qu'il désignait au Parlement européen. Au demeurant, la dimension essentiellement économique de la construction européenne durant cette période, ainsi que la conception traditionnelle selon laquelle le Parlement n'exerce qu'un contrôle très restreint sur l'action extérieure du Gouvernement, conduisaient à ce que l'Europe n'occupe qu'une place réduite dans les travaux parlementaires.
La rupture du lien qui naissait de l'élection des parlementaires européens au suffrage indirect a conduit à l'adoption de la loi du 6 juillet 1979 créant dans chacune des deux Assemblées une « délégation parlementaire pour les Communautés européennes » de dix-huit membres. Toutefois, les réticences des tenants de l'orthodoxie constitutionnelle (qui redoutaient que le nouvel organe ne porte atteinte à la prééminence du pouvoir exécutif), jointes à celles de certains partisans de la construction européenne (qui craignaient que celle-ci ne soit freinée par un contrôle parlementaire plus étroit) conduisirent, au départ, à une définition très restrictive du rôle et des compétences des délégations.
Cependant, la forte croissance du nombre des directives et règlements communautaires, à la suite de l'entrée en vigueur de l'Acte unique européen en 1987, provoqua une prise de conscience de la nécessité de renforcer ce dispositif. La loi du 10 mai 1990 renforça le rôle des délégations : depuis cette loi, elles comptent trente-six membres et leur mode de fonctionnement s'apparente à celui d'une commission permanente. Elles ont une mission générale de suivi des travaux conduits par les institutions européennes et d'information du Parlement. Elles sont destinataires de tous les textes transmis au Conseil de l'Union et doivent être informées par le Gouvernement des négociations en cours.
Enfin, la loi du 10 juin 1994 est venue tirer les conséquences de l'entrée en vigueur du traité de Maastricht sur la dénomination et le rôle des délégations. Les délégations sont devenues « délégations pour l'Union européenne » et leur compétence a été étendue aux deuxième et troisième « piliers » de l'Union européenne (politique extérieure et de sécurité commune, coopération en matière de justice et d'Affaires intérieures).
Les activités des délégations ont en outre acquis une dimension interparlementaire. Chacune d'elle est représentée par trois de ses membres aux réunions de la COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires). Celle-ci réunit, chaque semestre, à l'initiative du Parlement de l'État exerçant la présidence de l'Union européenne, des représentants (six par pays) des commissions européennes des Parlements des vingt-cinq États membres ; six représentants du Parlement européen participent également aux travaux. Le traité d'Amsterdam (1997) a donné un statut officiel à la COSAC et lui a ouvert la possibilité d'adresser des « contributions » aux institutions de l'Union, particulièrement en ce qui concerne les questions de justice et d'affaires intérieures, les droits fondamentaux et la subsidiarité.
2. L'article 88-4 de la Constitution
Dans la logique du renforcement des délégations opéré par la loi du 10 mai 1990, l'article 88-4, qui permet aux deux Assemblées de voter des résolutions en rapport avec les projets de textes européens entrant dans le domaine de la loi, a été inséré dans la Constitution par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 (adoptée pour permettre la ratification du traité de Maastricht).
La rédaction retenue en 1992 permettait de voter des résolutions sur les « propositions d'actes communautaires » comportant des dispositions de nature législative. Le gouvernement ayant par la suite excipé de l'inscription dans la Constitution du mot « communautaire » pour s'opposer à l'examen de résolutions portant sur des propositions d'actes relevant des deuxième et troisième « piliers » de l'Union, la loi constitutionnelle du 25 janvier 1999 (adoptée pour permettre la ratification du traité d'Amsterdam) a précisé la rédaction de l'article 88-4, qui vise désormais « les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative » , ce qui couvre désormais sans ambiguïté les trois « piliers » de l'Union.
Cette même loi précise que le Gouvernement peut soumettre aux Assemblées « les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tous documents émanant d'une institution de l'Union européenne » . Il s'agit des textes européens qui, bien que ne comportant pas de dispositions de nature législative, peuvent être jugés par leur contenu comme susceptibles de donner lieu à une prise de position parlementaire. Chacune des deux Assemblées peut voter des résolutions sur ces textes dès lors que le Gouvernement accepte de les transmettre au titre de l'article 88-4, ce qu'il a fait jusqu'à présent sans difficulté.
L'article 73 bis du règlement du Sénat charge la délégation pour l'Union européenne d'examiner systématiquement les textes soumis au Sénat dans le cadre de l'article 88-4. La délégation effectue un « tri » parmi ces textes nombreux mais d'inégale importance. Après examen, elle peut, toujours en application de l'article 73 bis du règlement du Sénat, conclure au dépôt d'une proposition de résolution. Celle-ci est alors transmise à la commission permanente compétente.
Bien entendu, le dépôt d'une proposition de résolution est une faculté ouverte à tout sénateur. La pratique montre cependant que presque toutes les propositions de résolution émanent de la délégation pour l'Union européenne.
Pour permettre la mise en oeuvre de l'article 88-4 de la Constitution, une circulaire du Premier ministre en date du 13 décembre 1999 (qui se substitue à celles du 21 avril 1993 et du 19 juillet 1994) garantit au Sénat, comme à l'Assemblée nationale, un délai d'un mois pour manifester sa volonté de se prononcer sur un projet de texte relevant de cet article. Lorsqu'une telle volonté s'est clairement manifestée - c'est-à-dire en pratique si une proposition de résolution portant sur le texte européen en cause a été déposée par un ou plusieurs sénateurs ou si la délégation a fait connaître au gouvernement son intention de le faire - le Gouvernement doit, dans la mesure du possible, s'opposer à ce qu'une décision définitive soit prise à l'échelon communautaire, de manière à ce que la résolution adoptée par le Sénat puisse être prise en compte.
C'est ce mécanisme, souvent dénommé « réserve d'examen parlementaire », par référence au modèle britannique de la « scrutiny reserve », qui permet aux deux assemblées d'exercer un contrôle parlementaire effectif sur la législation européenne et sur l'action du gouvernement dans l'élaboration de cette législation.
Lorsque le Gouvernement souhaite ne pas avoir à retarder l'adoption d'un texte bien que le délai d'un mois garanti aux deux Assemblées ne se soit pas écoulé, il se tourne vers les délégations pour l'Union européenne pour leur demander l'autorisation de « lever la réserve d'examen parlementaire ». Les délégations peuvent être ainsi amenées à se prononcer en urgence de telle sorte que la réserve d'examen parlementaire puisse être levée.
Afin de pouvoir faire face plus facilement à de telles situations, et de désencombrer son ordre du jour des propositions d'actes communautaires d'importance réduite, la délégation du Sénat a adopté une procédure simplifiée pour l'examen des textes communautaires d'importance mineure.
Dans le cadre de cette procédure, le président de la délégation saisit régulièrement par écrit les membres de la délégation des propositions d'actes communautaires qui ne lui paraissent pas, en première analyse, appeler une intervention du Sénat. Si, à l'expiration d'un délai déterminé, aucun membre de la délégation n'a demandé qu'un ou plusieurs des textes en cause ne soit examiné lors d'une réunion de la délégation, le président est habilité à considérer que la délégation a décidé de ne pas intervenir sur ces propositions. A l'inverse, tout texte figurant dans la procédure simplifiée et dont un membre de la délégation a demandé l'examen est inscrit de droit à l'ordre du jour de la réunion de la délégation la plus proche.
*
Ainsi, le rôle du Parlement en matière européenne s'est sensiblement renforcé au cours des quinze dernières années. Avec l'article 88-4 de la Constitution, les deux assemblées disposent d'un instrument d'influence et de contrôle sur le Gouvernement, dont le mécanisme de la réserve d'examen parlementaire garantit la possibilité d'un exercice effectif. Parallèlement, les délégations pour l'Union européenne sont devenues, dans chaque assemblée, la « cheville ouvrière » du contrôle sur la politique européenne du Gouvernement.
II. UN NOUVEAU RÔLE DES PARLEMENTS NATIONAUX DANS L'UNION EUROPÉENNE
Ainsi que nous avons eu l'occasion de le montrer dans un rapport précédent ( Les parlements nationaux dans la Constitution européenne , n° 36, 2004-2005), le traité établissant une Constitution pour l'Europe confie aux parlements nationaux un rôle totalement nouveau.
Jusqu'ici, chaque parlement national exerçait son contrôle sur les travaux de l'Union européenne en dialoguant avec son gouvernement. Seuls les gouvernements participaient à l'élaboration de la législation européenne au nom des États. Même dans les cas où le contrôle parlementaire revêt la forme la plus contraignante, par exemple avec le système du mandat, le parlement national n'intervient pas directement dans le processus d'élaboration de la législation européenne. Le parlement danois, par exemple, contribue à la définition de la position qui sera défendue par le gouvernement danois au sein du Conseil, mais c'est ce dernier qui, seul, exprime la position du Danemark.
Dorénavant, les parlements nationaux auront une possibilité d'intervention directe dans le processus d'élaboration de la norme européenne, soit dans le cadre du contrôle de la subsidiarité, soit dans celui du recours à la clause passerelle.
1. Le contrôle de la subsidiarité
Le traité constitutionnel précise que « les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité » . A cette fin, ils peuvent intervenir en amont de la procédure d'élaboration de la loi européenne et en aval de celle-ci.
Dans un délai de six semaines à compter de la
transmission d'un projet d'acte législatif, chaque chambre d'un
parlement national peut adresser aux institutions de l'Union un
« avis motivé » exposant les raisons pour lesquelles
elle estime que ce texte ne respecte pas le principe de subsidiarité.
Les institutions de l'Union « tiennent compte » des avis
motivés qui leur sont adressés. Lorsqu'un tiers des parlements
nationaux ont adressé un avis motivé, le projet doit être
réexaminé (pour les textes relatifs à la
coopération policière et à la coopération
judiciaire en matière pénale, ce seuil est abaissé
à un quart). Pour l'application de cette règle, chaque parlement
national dispose de deux voix ; dans un système bicaméral,
chaque chambre dispose d'une voix ;
Après l'adoption d'un texte, la Cour de justice peut
être saisie par un État membre d'un recours pour violation du
principe de subsidiarité émanant d'un parlement national ou d'une
chambre de celui-ci. Le recours est toujours formellement
présenté par le gouvernement d'un État membre, mais le
protocole ouvre la possibilité qu'il soit simplement
« transmis » par ce gouvernement, l'auteur véritable
du recours étant le parlement national ou une chambre de
celui-ci.
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C'est le nouvel article 88-5 de la Constitution de la V ème République qui devrait permettre la mise en oeuvre de ce mécanisme.
ARTICLE 88-5 ADOPTÉ PAR
L'ASSEMBLÉE NATIONALE
« Article 88-5. L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. L'avis est adressé par le président de l'assemblée concernée aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission de l'Union européenne. Le Gouvernement en est informé.
« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement.
« A ces fins, des résolutions peuvent
être adoptées, le cas échéant en dehors des
sessions, selon des modalités d'initiative et de discussion
fixées par le règlement de chaque
assemblée. »
En vertu de cet article 88-5, c'est par l'adoption d'une résolution que l'Assemblée nationale ou le Sénat émettront un avis motivé ou formeront un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Toutefois, ces résolutions seront différentes de celles qui sont adoptées en vertu de l'article 88-4 de la Constitution.
D'abord, le champ des textes européens concernés ne sera pas le même dans les deux procédures. Les résolutions fondées sur l'article 88-5 de la Constitution française porteront, pour l'avis motivé, sur les « projets d'actes législatifs européens » et, pour les recours, sur les « actes législatifs européens » . Cette notion est définie par l'article 3 du protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité qui est annexé à la Constitution européenne.
Article 3 :
« Aux fins du présent protocole, on
entend par « projet d'acte législatif
européen » les propositions de la Commission, les initiatives
d'un groupe d'États membres, les initiatives du Parlement
européen, les demandes de la Cour de justice, les recommandations de la
Banque centrale européenne et les demandes de la Banque
européenne d'investissement, visant à l'adoption d'un acte
législatif européen. »
En revanche, les résolutions fondées sur l'article 88-4 de notre Constitution porteront, après l'entrée en vigueur du projet de loi constitutionnelle actuellement soumis à l'examen du Sénat, sur « les projets d'actes législatifs européens ainsi que les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi » , ainsi que sur d'autres documents soumis à l'Assemblée nationale et au Sénat par le gouvernement en vertu de la clause facultative.
En adoptant un amendement à l'article 88-4 lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle, l'Assemblée nationale vient en effet d'élargir le champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution en y ajoutant « les projets d'actes législatifs européens » qui ne figuraient ni dans le texte actuel de la Constitution, ni dans le projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement. De ce fait, le champ d'application de l'article 88-5 sera un sous-ensemble de celui de l'article 88-4 . En d'autres termes, dès lors qu'il sera possible à l'Assemblée nationale ou au Sénat d'adopter une résolution portant avis motivé sur un texte européen (article 88-5), il leur sera possible par la suite d'adopter une résolution sur le fond même de ce texte (article 88-4). En revanche, certains textes sur lesquels il sera possible d'adopter une résolution fondée sur l'article 88-4 ne pourront pas donner lieu à l'adoption d'une résolution fondée sur l'article 88-5.
Au surplus, ainsi que nous l'avons déjà noté dans un rapport précédent, les mécanismes de l'article 88-4 et de l'article 88-5 diffèrent par leur objet, par leurs conditions de délai et par leur esprit.
L'objet : L'article 88-4 permet aux assemblées de prendre position, à l'intention du Gouvernement, sur l'ensemble des aspects d'un texte, et notamment sur le fond de celui-ci ; l'avis motivé adressé aux institutions de l'Union concerne uniquement le respect du principe de subsidiarité et ne peut porter sur le fond du texte. Les conditions de délai : Les résolutions de l'article 88-4 sont certes d'autant plus utiles qu'elles interviennent plus précocement dans la procédure de décision, mais elles ne sont pas soumises à des conditions de délai précises et peuvent être adressées au Gouvernement aussi longtemps que les institutions de l'Union n'ont pas définitivement statué. Au contraire, les avis motivés sont enfermés dans un délai impératif de six semaines, à l'issue duquel les institutions de l'Union n'ont plus à en tenir compte. L'esprit :
L'article 88-4 est un instrument de contrôle du
Gouvernement, de dialogue entre le Parlement et le Gouvernement ; c'est
une procédure nationale. L'« avis motivé »
est une procédure européenne, mettant directement en rapport les
parlements nationaux avec les institutions de l'Union, et
incitant les
parlements nationaux à se concerter entre eux
(puisque c'est
seulement si un tiers des parlements nationaux ont adressé un avis
motivé que la Commission est tenue de réexaminer sa
position).
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Le projet de loi constitutionnelle aujourd'hui soumis au Sénat précise que les résolutions prises en vertu de l'article 88-5 peuvent être adoptées en dehors des sessions . C'est là une condition nécessaire pour que le système puisse toujours fonctionner car le délai de six semaines peut se dérouler à un moment où il est difficile, voire impossible, de réunir le parlement en session.
Enfin, le projet de loi ajoute que le règlement de chaque assemblée devra préciser les modalités d'initiative et de discussion des résolutions visant à émettre un avis motivé et de celles visant à former un recours. Il est trop tôt aujourd'hui pour arrêter ces modalités. Mais il n'est pas inutile de mentionner dès à présent les éléments qui devront présider à la détermination de celles-ci.
L'élément fondamental pour les résolutions portant avis motivé tient à l'étroitesse du délai laissé aux parlements nationaux : six semaines. Tous les débats menés ces derniers mois au sein de la COSAC ou de la Conférence des Présidents des parlements de l'Union européenne ont fait apparaître qu'un délai aussi bref constituait un véritable défi pour les institutions parlementaires. Or, ce délai n'est pas une simple clause indicative : le délai de six semaines pour l'envoi des avis motivés correspond exactement au délai durant lequel le Conseil - en application du protocole n° 1 sur les parlements nationaux annexé au traité constitutionnel - doit s'abstenir de statuer, de manière formelle ou informelle, sur une proposition législative que lui a transmise la Commission. Le délai de six semaines pour les avis motivés est destiné à éviter à la Commission de devoir, le cas échéant, réexaminer une proposition alors que le Conseil se serait déjà prononcé sur celle-ci. Pour se conformer à ce délai, il faudra sans doute accepter que le vote des résolutions ne se déroule pas nécessairement en séance publique et que le recours à la procédure d'examen en séance plénière soit une exception plutôt que la règle. De plus, si l'on veut rendre possible la contestation en séance plénière d'une décision favorable à un avis motivé, il faudra rendre possible un arbitrage sans délai.
Le second élément à prendre en compte tient à la nécessité de définir peu à peu des critères d'appréciation de la subsidiarité , en fonction des avis motivés émis par les parlements nationaux, des réponses que la Commission européenne y apportera, puis des décisions que la Cour de justice sera éventuellement amenée à prendre. Cette appréciation ne pourra en effet différer du tout au tout selon la matière considérée, mais devra reposer sur une doctrine d'ensemble cohérente.
Le troisième élément résulte de la nécessité de mener à bien une concertation interparlementaire . Les avis motivés auront d'autant plus de force qu'ils seront nombreux et convergents. Il conviendra donc de mettre en place et d'utiliser un réseau entre les vingt-cinq parlements nationaux afin de s'alerter, d'échanger des arguments et des idées et d'agir en commun. En ce domaine, comme en beaucoup d'autres, l'union fera la force.
2. La révision simplifiée
L'article IV-444 du traité constitutionnel ouvre la possibilité de modifier sur deux points les modalités d'adoption des actes de l'Union, sans qu'il soit nécessaire de passer par la procédure ordinaire de révision :
- pour le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée pour une décision du Conseil ;
- pour le passage d'une procédure législative spéciale (c'est-à-dire une procédure autre que la codécision entre le Parlement européen et le Conseil) à la procédure législative ordinaire (codécision).
Ces deux « clauses-passerelles » sont applicables à tous les actes de l'Union prévus par la partie III du traité constitutionnel (articles III-115 à III-436), à l'exception des décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.
La décision de mettre en oeuvre une « clause-passerelle » est prise par le Conseil européen à l'unanimité. Elle doit être approuvée par le Parlement européen. Toutefois, chaque Parlement national dispose, avant que la décision ne soit prise, d'un droit d'opposition.
Dès lors que le Conseil européen a
manifesté l'intention de recourir à une
« clause-passerelle », cette initiative est transmise aux
parlements nationaux. Cette transmission ouvre un délai de six mois
durant lequel tout parlement national peut s'opposer à la mise en oeuvre
de la « clause-passerelle ». Si, à l'expiration de
ce délai, aucun parlement national n'a notifié son opposition, le
Conseil européen peut statuer.
|
Là également, il s'agit d'un pouvoir propre du Parlement, exercé indépendamment du Gouvernement. Toutefois, à la différence du dispositif prévu pour l'application du principe de subsidiarité - où le traité constitutionnel prévoit l'intervention séparée de « chaque chambre » -, c'est l'opposition « d'un parlement national » qui est évoquée par l'article IV-444. De ce fait, il était nécessaire que le projet de révision constitutionnelle définisse un mécanisme de décision impliquant les deux assemblées. C'est le nouvel article 88-6, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, qui régit ce mécanisme.
ARTICLE 88-6
« Par le vote d'une motion adoptée en
termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, le
Parlement peut s'opposer à une modification des règles d'adoption
d'actes de l'Union européenne selon la procédure de
révision simplifiée du traité établissant une
Constitution pour l'Europe. »
Conformément aux suggestions que nous avions formulées en octobre dernier, c'est la formule de l'adoption d'une motion adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat qui est proposée par le projet de loi constitutionnelle. Cette motion devra être adoptée en séance plénière, ce qui ne devrait pas soulever de difficultés particulières puisque le délai laissé au Parlement est alors de six mois.
3. La construction de « l'espace de liberté, de sécurité et de justice »
La Constitution mentionne à quatre reprises les parlements nationaux pour une information ou une association spécifique à propos de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
- l'article III-260 prévoit que « les parlements nationaux sont informés de la teneur et des résultats » de l'évaluation de la mise en oeuvre, par les autorités des États membres, des politiques de l'Union en matière d'espace de liberté, de sécurité et de justice ; - l'article III-261 prévoit que « les parlements nationaux sont tenus informés des travaux » du comité permanent chargé de favoriser la coordination entre les autorités des États membres en matière de sécurité intérieure ; - l'article III-273 prévoit que les parlements nationaux sont associés « à l'évaluation des activités d'Eurojust » ;
- l'article III-276 prévoit que les
parlements nationaux sont associés au
« contrôle des
activités d'Europol »
.
|
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 novembre dernier, a considéré que ces dispositions n'appelaient pas de révision de notre Constitution. Ce sujet n'est donc pas abordé par le projet de loi constitutionnelle.
Il n'est toutefois pas inutile de rappeler qu'il pourra être nécessaire de définir des modalités particulières adaptées au rôle ainsi attribué aux parlements nationaux.
comment améliorer le rôle européen du parlement français ?
4. Permettre une meilleure application de l'article 88-4 de la Constitution
L'application au Sénat de l'article 88-4 de la Constitution est retracée dans le tableau suivant :
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
|
Nombre de textes soumis au Sénat |
40 |
143 |
171 |
206 |
201 |
231 |
206 |
181 |
253 |
261 |
267 |
312 |
331 |
Nombre de résolutions adoptées par le Sénat : |
- |
7 |
13 |
9 |
13 |
3 |
9 |
12 |
4 |
7 |
8 |
7 |
4 |
- dont nombre de résolutions adoptées en séance publique |
- |
3 |
5 |
5 |
4 |
1 |
1 |
2 |
1 |
1 |
0 |
1 |
0 |
Ce tableau fait apparaître une évolution quantitative surprenante. Alors que le nombre de textes européens soumis au Sénat a plus que doublé entre 1993 et 2004, le nombre de résolutions adoptées a eu quant à lui tendance à décroître . Par ailleurs, les résolutions adoptées en séance publique, relativement courantes dans les premières années d'application de l'article 88-4, sont devenues rarissimes (une seule au cours des trois dernières années).
Mais le point le plus préoccupant est sans doute le délai d'adoption des résolutions . Certes, bon nombre d'entre elles sont adoptées dans un délai satisfaisant de l'ordre d'un mois ; mais il n'est pas rare que le processus d'adoption dure plusieurs mois. Or, souvent, une résolution intervenant dans une négociation engagée depuis plusieurs mois ne peut plus avoir d'influence : les positions de chacun sont depuis longtemps définies, c'est le processus de recherche du compromis qui est à l'oeuvre.
Plus grave encore, d'assez nombreuses propositions de résolutions n'ont jamais été examinées par la commission compétente : plus de quarante depuis l'entrée en vigueur de l'article 88-4. On peut d'ailleurs relever que, sur cette période, l'Assemblée nationale a adopté bien plus de résolutions que le Sénat : 141 contre 96, la différence correspondant à peu près aux résolutions non examinées par les commissions du Sénat. Or, certaines des propositions de résolution non examinées portaient sur des thèmes particulièrement importants (par exemple les réseaux transeuropéens, les services d'intérêt général, le regroupement familial des immigrés, la réforme de la politique de la concurrence, la réforme de l'organisation commune de marché de la banane, les mesures d'application du protocole de Kyoto...).
On peut d'ailleurs observer que, au cours des dernières années, la délégation pour l'Union européenne du Sénat a eu tendance à conclure son examen des textes européens par l'adoption de conclusions plutôt que par le dépôt d'une proposition de résolution .
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
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- Adoption de conclusions |
5 |
6 |
4 |
4 |
6 |
12 |
- Dépôt d'une proposition de résolution |
12 |
12 |
4 |
9 |
7 |
5 |
Les conclusions n'ont pas le même poids politique que les résolutions. Mais il est souvent préférable d'adopter à temps des conclusions plutôt que d'adopter trop tard une résolution. C'est ce qui conduit la délégation à privilégier celles-ci dès lors qu'elle constate la nécessité de faire connaître au Gouvernement dans un délai rapide les préoccupations des sénateurs et qu'elle a connaissance de l'ordre du jour législatif particulièrement contraignant de la commission permanente compétente.
Alors que la logique voudrait que la délégation conclue au dépôt d'une proposition de résolution dans les cas les plus sensibles politiquement et qu'elle réserve les conclusions à des sujets plus ponctuels, elle est parfois amenée à adopter des conclusions sur des propositions d'importance pour des seules considérations de délai.
Afin de remédier à ces inconvénients, nous avions suggéré deux modifications à l'article 73 bis du règlement du Sénat, qui avaient été retenues par le groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par notre collègue Daniel Hoeffel. Ces modifications visaient :
- à permettre à la délégation de rapporter, elle-même, une proposition de résolution lorsque la commission saisie au fond en formule la demande ;
- à réduire le délai à l'issue duquel la proposition de résolution adoptée par la commission saisie au fond, ou par la délégation, devient résolution du Sénat. Ce délai passerait de dix jours à un jour franc à partir de la date de mise en distribution du rapport de la commission saisie au fond ou de la délégation.
On nous permettra de souligner ici que ces deux suggestions gardent aujourd'hui toute leur validité et toute leur actualité.
Mais un meilleur fonctionnement de l'article 88-4 ne dépend pas seulement du fonctionnement interne du Parlement. Il fait appel aussi à certains efforts de la part du Gouvernement . Il convient à cet effet de garder à l'esprit que la philosophie même qui préside au mécanisme de l'article 88-4 de la Constitution repose sur l'idée d'un contrôle parlementaire de l'action du gouvernement au sein du Conseil. Lorsque le Parlement adopte une résolution fondée sur l'article 88-4, il ne vote pas la loi. Il ne doit pas non plus chercher à définir dans l'absolu ce que devrait contenir par le détail une proposition de directive ou de règlement européen. Il cherche à influer sur la position que le Gouvernement défendra devant le Conseil à propos d'une directive ou d'un règlement. Pour cela, il est nécessaire que les assemblées aient connaissance rapidement de la position que le Gouvernement à l'intention de défendre afin qu'elles puissent lui faire connaître leur accord ou leur souhait de le voir infléchir sa position.
En Grande-Bretagne par exemple, le Gouvernement adresse aux deux Chambres, souvent dans un délai de dix jours, un « explanatory memorandum » , document bref qui présente les principaux aspects de chaque texte européen et les grandes orientations retenues en première analyse par le Gouvernement à propos de ce texte . Un tel document permet aux assemblées de réagir plus rapidement et facilite leur dialogue avec le Gouvernement. En même temps, cette pratique a le mérite d'obliger ce dernier à définir sa position dans des délais rapides, et donc à faire fonctionner efficacement la concertation interministérielle.
Dans le cas de la France, l'expérience montre que cette concertation connaît des carences, de sorte qu'il n'est pas exceptionnel que des négociations s'engagent sans que la position française ait été définie.
Si le Gouvernement était tenu de présenter aux assemblées , de manière aussi systématique que possible et dans des délais brefs, une fiche contenant les grandes lignes de son analyse du texte et les principaux aspects de sa position en première approche , l'exigence d'une concertation interministérielle plus rapide et plus efficace se ferait immédiatement sentir. Les deux partenaires du dialogue y trouveraient avantage.
S'il est souhaitable de disposer, au départ, d'une base de dialogue avec le Gouvernement, il est tout aussi nécessaire que celui-ci rende compte périodiquement des suites qu'il a données aux prises de position des Assemblées. Là également, la Grande-Bretagne pourrait servir d'exemple : la règle y est que le Gouvernement adresse périodiquement une lettre aux assemblées indiquant comment il a tenu compte de leurs positions et pourquoi, le cas échéant, il a été amené à s'en écarter. Une telle pratique conduit à un dialogue entre Parlement et Gouvernement bien plus effectif que dans le système français, où il n'existe en réalité aucun véritable suivi des résolutions européennes.
5. Revoir le statut des délégations pour l'Union européenne
Ainsi que le constatait récemment le président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, Pierre Lequiller :
« À l'exception de la France, il n'est pas un seul parlement de l'Union européenne où l'organe chargé du suivi et du contrôle des affaire européennes n'ait pas l'appellation de « commission » . Notre dénomination de « délégation » n'est comprise ni de nos concitoyens ni des parlementaires de l'Union européenne qui appartiennent, au sein de leur parlement national, à une commission des affaires européennes. »
Est-il utile et nécessaire de conserver en ce domaine une « exception française » ? Et faut-il rappeler que si les réunions semestrielles de parlementaires nationaux portent le nom étrange de COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires), c'est uniquement parce que le Parlement français comporte des « délégations pour l'Union européenne » et non des « commissions pour l'Union européenne » ?
Il nous semble qu'il serait aujourd'hui souhaitable de reconsidérer d'une manière objective la question de la dénomination de l'organe chargé, au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat, des affaires européennes.
On sait que la Constitution de 1958 a limité le nombre des commissions permanentes à six. Mais on oublie généralement la lettre des dispositions inscrites à l'article 43 de la Constitution.
L'article 43 de la Constitution prévoit que les projets et propositions de loi sont envoyés pour examen à des commissions spéciales. À défaut, il ajoute que ces projets et propositions « sont envoyés à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à six dans chaque assemblée ». C'est là la seule mention des commissions permanentes dans le texte de la Constitution.
Convient-il de porter à sept le nombre des commissions mentionné à l'article 43 en sorte qu'aux six commissions actuelles s'ajoute une commission des affaires européennes ? Pour notre part, nous ne le pensons pas car il ne s'agit pas de mettre en place une commission semblable aux six autres.
En premier lieu, il doit être clair qu' une commission des affaires européennes ne doit pas avoir de compétences législatives. La législation européenne est adoptée par le Parlement européen et non par les Parlements nationaux. Et l'introduction en droit interne des dispositions figurant dans une directive doit, pour des raisons de cohérence, être instruite par la commission permanente compétente sur le sujet. Il serait donc illogique d'ajouter la commission des affaires européennes aux six commissions auxquelles sont envoyés les projets et propositions de loi.
En second lieu, la tradition de la V ème République veut que chaque parlementaire soit membre de l'une des commissions permanentes mentionnées à l'article 43 et d'une seule.Or, il est essentiel que les membres de l'organe chargé de suivre les questions européennes soient en outre membres des commissions chargées d'examiner les textes législatifs dans les différents domaines. C'est là la condition nécessaire - même si elle n'est pas suffisante - pour que les questions européennes se diffusent dans l'ensemble des travaux parlementaires.
En conséquence, à l'instar de Pierre Lequiller, il nous semble que c'est plutôt dans le titre XV de la Constitution qu'il serait judicieux d'introduire un nouvel article, après l'article 88-6 par exemple, qui viserait cette commission spécifique.
La question de la dénomination de cette commission a été évoquée à l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle. On a fait valoir alors qu'il serait préférable que la commission des affaires européennes porte une dénomination qui la différencie des six commissions permanentes qui ont une vocation législative. Les appellations de « comité » ou de « commission spéciale » ont alors été avancées. Ces suggestions paraissent tout à fait dignes d'intérêt et il nous semble qu'il serait utile d'ajouter dans notre Constitution, après l'article 88-6, un nouvel article ainsi rédigé :
« Une commission spéciale pour l'Union européenne, composée de membres des six commissions permanentes, assure dans chaque assemblée le suivi, l'évaluation et le contrôle des affaires européennes ».
CONCLUSION
La construction européenne est désormais au coeur de la vie nationale ; mais la vie politique et administrative ne s'est pas suffisamment adaptée à cette situation. Le processus d'adoption du traité constitutionnel peut contribuer à réduire ce décalage.
La révision constitutionnelle et la réforme des Règlements des Assemblées offrent l'occasion de définir des procédures appropriées pour le contrôle de subsidiarité, et d'assurer un meilleur fonctionnement de l'article 88-4 de la Constitution. Choisir des formules efficaces inciterait le Gouvernement à renforcer son dispositif interministériel européen, tout en permettant un contrôle parlementaire plus approfondi. Un rôle plus actif du Parlement en matière européenne contribuerait à répondre au souhait des citoyens de voir leurs préoccupations mieux relayées tant auprès du Gouvernement qu'après de l'Union elle-même. Le traité constitutionnel nous ouvre à cet égard de nouvelles possibilités ; encore faut-il que nous sachions les saisir.
Le Sénat a un rôle important à jouer en matière européenne, où il se trouve placé à égalité avec l'Assemblée : s'il parvient à être à la fois enraciné dans les collectivités territoriales et pleinement ouvert sur l'Europe, il pourra être un trait d'union particulièrement utile. À lui d'accepter les adaptations nécessaires. Ce n'est pas en pliant à la routine administrative, ni en se comportant en chambre d'enregistrement, que le Sénat confortera sa place dans notre démocratie.
EXAMEN EN DÉLÉGATION
La délégation s'est réunie le mercredi 2 février 2005 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Hubert Haenel, le débat suivant s'est engagé :
M. Robert Badinter :
Rien n'interdit d'amender le projet de loi constitutionnelle ! Le Sénat peut le faire, comme l'Assemblée l'a fait. Une lecture supplémentaire à l'Assemblée nationale ne retarderait pas significativement le processus. Quel est le problème ? Nous allons entrer dans un contrôle de subsidiarité qui réclame l'efficacité. Ce contrôle devra donc s'appuyer sur la délégation. N'ayons pas peur d'aborder le problème. Chaque chambre aura un vrai pouvoir. Rien n'empêche de régler par la Constitution ce qui n'a pas été réglé, jusqu'à présent, de manière satisfaisante par les règlements des assemblées. Si nous avons besoin d'un organe compétent pour la subsidiarité, pourquoi ne pas le dire dans l'article 88-5 ?
M. Denis Badré :
Je partage ce point de vue. Et la rédaction évoquée dans le rapport me convient, car elle maintient la double appartenance entre la commission des affaires européennes et les commissions permanentes. En effet, il faut que les préoccupations européennes irriguent le Sénat dans son ensemble. Il faut maintenir ce lien.
M. Christian Cointat :
Nous allons être saisis de nombreux textes. Il faudra analyser, trier. Il faudra aussi une conception cohérente, un suivi régulier. Les commissions permanentes ne peuvent le faire, car elles ne sont pas centrées sur l'Europe. C'est la délégation qui doit faire ce travail, sinon personne ne le fera. Nous devons être conscients qu'il s'agit aussi, indirectement, de l'influence française en Europe. Les pays dont le Parlement est plus actif en matière européenne sont aussi les pays dont les gouvernements et les administrations prennent mieux en compte la dimension européenne, et, au final, sont présents plus efficacement dans les débats européens.
Je suis d'accord avec la rédaction proposée et je souhaiterais que nous ayons une position commune avec la délégation de l'Assemblée nationale.
M. Robert Badinter :
De toute façon, si le Sénat vote cet amendement, l'Assemblée en sera saisie.
Mme Monique Papon :
Je souhaite qu'il y ait une seconde réunion de la délégation consacrée à ce sujet pour que tous les membres de la délégation puissent considérer cette rédaction.
M. Denis Badré :
J'espère que nous parviendrons à une position unanime de la délégation, pour éviter toute interprétation politicienne.
M. Robert Badinter :
Il y a un argument essentiel à faire valoir : ce que nous demandons, c'est ce qui se fait dans les autres parlements de l'Union. Faut-il que nous soyons une fois de plus les mauvais élèves ?
M. Robert Bret :
Je considère avec sympathie le contenu de cet amendement, mais je ne pourrai m'y associer pour une raison de cohérence politique : étant opposé au traité, je ne peux que m'opposer aussi à la révision constitutionnelle, ce qui me conduit à refuser d'entrer dans le jeu des amendements. Cela ne m'empêche pas d'être favorable à un renforcement du contrôle parlementaire et à une meilleure articulation entre parlements nationaux et Parlement européen.
M. Bernard Frimat :
Le projet de révision renvoie la question au règlement des assemblées. Or, je crains que le Sénat ne privilégie un vote conforme du projet de loi constitutionnelle. Nous devrons alors reprendre le problème lors de la révision du règlement du Sénat. Mais la proposition me paraît valable et il est justifié de poser le problème dès maintenant.
M. Denis Badré :
Dans ce débat, nous devons considérer l'intérêt de notre pays en Europe et l'intérêt de la construction européenne. Il faut faire bien fonctionner le nouveau dispositif. Or, nous risquons de passer à côté, pour des raisons bureaucratiques et non pas pour des raisons politiques.
M. Jacques Blanc :
Il y a deux aspects du problème : celui de la dénomination de la délégation, qui n'est pas le point essentiel, et celui du rôle de la délégation pour la mise en oeuvre de l'article 88-5, qui est le problème principal. J'ai l'impression que le premier problème ne peut être résolu que par un amendement constitutionnel, mais ce n'est pas le problème le plus important. Pour le deuxième problème, est-il nécessaire d'adopter un amendement constitutionnel ? Est-ce que cela nous aidera à résoudre de manière satisfaisante le problème de l'application de l'article 88-5 ?
M. Robert Badinter :
Constitutionnaliser la délégation serait préférable si nous voulons lui confier la responsabilité principale pour le contrôle de subsidiarité.
M. Denis Badré :
C'est aussi mon point de vue.
M. Jean Bizet :
Je partage également ce sentiment. Nous avons une occasion de poser le problème et d'avancer vers une solution efficace : il faut la saisir. Je souhaiterais que la délégation prenne clairement position à ce sujet.
M. Robert Badinter :
Le fond du problème, c'est que les autres pays ont plus conscience que nous de ce que doit être un Parlement. Si notre influence décroît, ce n'est pas sans rapport avec notre monarchie républicaine, qui fait que, au lieu de se saisir des questions européennes, le Parlement attend les consignes. Notre Parlement ne donne pas une place suffisante aux questions européennes, et nos ministres pas davantage. Lorsque le Parlement existe, comme en Grande-Bretagne, le Gouvernement doit rendre des comptes et se trouve obligé de traiter bien plus sérieusement les questions. Il en résulte une action plus pertinente, plus efficace en Europe. Les représentants de la Grande-Bretagne, quant à eux, n'arrive pas dans une réunion européenne pour prononcer un discours et repartir aussitôt ! C'est notre manière d'approcher des questions européennes qu'il faut revoir.
À l'issue de ce débat, la délégation a décidé de tenir une nouvelle réunion à ce sujet le mardi 8 février 2005.