TROISIÈME PARTIE :
TRANSPARENCE ET RÉÉQUILIBRAGE DES RELATIONS ENTRE
ACTEURS : DES EXIGENCES BIENVENUES MAIS PARFOIS DIFFICILES À
RESPECTER
I. UNE NOUVELLE DISTRIBUTION DES RÔLES AU DÉTRIMENT DE L'ACTIONNAIRE
A. L'IMPACT DÉTERMINANT DES ACTEURS DE L'INFORMATION FINANCIÈRE
L'industrie financière et le fonctionnement des marchés financiers ont connu d'importantes mutations au cours de la décennie écoulée. Au-delà du traditionnel constat de la « financiarisation » de l'économie, liée à la focalisation sur la rentabilité de l'activité et le coût du capital, on observe que certains acteurs ont acquis un nouveau statut et un rôle déterminant dans l'écosystème financier , que ce soit en raison de la forte croissance de leur volume d'activité en tant qu'intervenants sur les marchés, ou de leur positionnement clef dans le traitement de l'information financière. Il s'agit par exemple de l'industrie de la gestion d'actifs pour compte de tiers, qui a été en grande partie filialisée au sein des banques où elle a acquis ses « lettres de noblesse » 58 ( * ) , et participe d'un certain mouvement de réintermédiation sur les marchés boursiers . Sont également concernés les hedge funds d'une part, les analystes financiers et les agences de notation d'autre part, parties prenantes dans l'agrégation et le jugement porté sur le flux continu d'informations comptables et financières.
Le caractère stratégique de la détention et de l'utilisation de l'information contribue à renforcer le mouvement de pénalisation du droit boursier aux niveaux national et international , que confirme l'augmentation des dossiers traités par la commission des sanctions de l'AMF. Cette « pénalisation par le haut » de la fraude financière est en quelque sorte compensée par une « dépénalisation par le bas » du formalisme du droit des sociétés.
B. QUELLE PLACE POUR L'ACTIONNARIAT INDIVIDUEL ?
1. Les risques de marginalisation des actionnaires individuels
A contrario , la place des actionnaires individuels tend malheureusement à décroître au sein de ce système . Notre collègue député Patrick Ollier rappelait ainsi, lors du 41 eme Forum d'Iéna du Conseil économique et social, qui s'est tenu le 30 juin dernier sur le thème « Les petits actionnaires, faibles ou puissants ? », que l'actionnariat individuel ne représentait plus que 8 à 15 % du capital des sociétés cotées à Paris, contre environ 30 % il y a trente ans. Certes les actionnaires personnes physiques sont également investis à travers les OPCVM ; il importe néanmoins de ne pas se résigner à la diminution progressive, voire à la quasi extinction, de la détention directe de titres par des particuliers . L'essor des courtiers en ligne puis des services bancaires par Internet (dans le cadre de la « banque multicanal ») permet de compenser ce déclin, mais en partie seulement, car la meilleure accessibilité offerte par les nouveaux canaux de distribution demeure distincte de la nature des produits proposés : les transactions en ligne profitent aussi bien à la détention directe qu'à la gestion intermédiée.
La baisse de l'actionnariat individuel est à rapprocher de la montée en puissance des investisseurs institutionnels (OPCVM, fonds de pension, assureurs, hedge funds ...), du maintien de participations croisées entre groupes, et de la perte de cohérence de la fiscalité de l'épargne. Que faut-il craindre de cette situation ? Au-delà des considérations sur le bien-fondé du « capitalisme populaire », certes justifiées mais parfois trop générales et aux accents nostalgiques, on peut mettre en évidence deux types de risques :
- une cartellisation de l'actionnariat entre les mains de puissants minoritaires, facteur éventuel d'opacité et de blocage, voire de conflits d'intérêts ;
- l'aggravation du décalage culturel de la France , où le capitalisme de marché est l'apanage des professionnels et experts mais n'imprègne pas réellement la mentalité des Français, souvent intimidés ou méfiants à l'égard de la bourse. Si l'actionnariat se professionnalise toujours plus, l'information financière donnée par les émetteurs n'en sera que plus riche, technique et codée, ce qui peut certes avoir la vertu de l'efficacité mais peut se révéler contre-productif à long terme.
Sans pédagogie à l'endroit des petits épargnants, l'intérêt de la détention d'actions s'estompe, la préférence pour la sécurité obligataire s'accroît, et c'est in fine la perception même de la valorisation du risque et de l'entreprise privée par une population qui peut en pâtir . La gestion collective présente des atouts indéniables, en particulier au regard de la mutualisation des risques, et demeure un des principaux avantages compétitifs de la France dans le secteur des services financiers, mais elle peut renforcer l'impression, pour le particulier, que la bourse est avant tout un domaine complexe et réservé aux professionnels.
* 58 De fait, l'industrie française de la gestion se positionne au premier rang européen avec 908 milliards d'euros d'actifs gérés au 31 décembre 2003, en croissance de 13,1 % par rapport à 2002, et 7.906 OPCVM (source : rapport annuel 2003 de l'AMF).