II. UN BILAN EN DEMI-TEINTE
Il est utile de faire succinctement un bilan qualitatif des quatre générations de contrats de plan Etat-régions.
A. LES AVANCÉES PERMISES
1. L'affirmation du rôle des régions
Instaurés au moment de la première décentralisation, les CPER ont permis aux régions d'asseoir leur compétence en matière d'aménagement du territoire .
Ils leur ont également permis de s'affirmer dans leurs relations avec l'Etat , en leur donnant une capacité d'influence sur des compétences qui n'étaient pas les leurs.
2. L'effet de levier lié à la synergie des financements
En faisant converger des financements de sources différentes, les CPER exercent un effet de levier sur l'action publique , lié à la mobilisation d'une masse critique de crédits et la participation de plusieurs collectivités publiques.
Ils ont favorisé l'avancement d'un certain nombre de grands projets , non seulement dans le domaine des infrastructures de transports, mais également dans d'autres domaines comme celui de l'enseignement supérieur (universités, instituts technologiques), faisant ainsi progresser le niveau d'équipement des territoires.
3. L'occasion d'échanges bénéfiques au plan local
Les contrats de plan Etat-régions donnent lieu, sur le terrain, à des échanges de savoir-faire enrichissants entre l'administration déconcentrée de l'Etat et les administrations territoriales.
Ils permettent à des collectivités encore « jeunes » de bénéficier de l'assistance technique des services de l'Etat , en particulier dans des secteurs tels que les infrastructures de transports (directions régionales de l'Equipement) ou encore les aides aux entreprises (directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement).
En se faisant l'écho des attentes exprimées par les citoyens, les collectivités territoriales favorisent, quant à elles, une approche plus politique des dossiers , qui apparaît complémentaire avec la vision plus technicienne des services de l'Etat.
En outre, comme le soulignait notre collègue Pierre André dans un rapport d'information 2 ( * ) , la procédure des contrats de plan a favorisé le décloisonnement de l'Etat et contribué à sa modernisation.
B. DES CRITIQUES MULTIPLES
Pourtant, cet instrument fait aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques :
1. Un périmètre trop étendu
La première a trait à la multiplicité des thèmes contractualisés , qui donne lieu à des financements croisés pour des projets n'atteignant pas une masse critique. On trouve ainsi dans certains contrats de plan des programmes consacrés au renouvellement de machines-outils dans l'enseignement professionnel ou au développement de langues régionales. Cette inflation thématique se traduit par une juxtaposition d'opérations d'importance financière très inégale .
Cette situation s'explique notamment par le fait que les régions comme les différents ministères (vingt d'entre eux sont aujourd'hui concernés) ont souhaité faire entrer tous les sujets dans le champ des contrats de plan, avec l'espoir que cela garantisse les financements de l'Etat.
Outre le fait que cet espoir a été très largement déçu, ce caractère extensif du champ des contrats de plan a été générateur de complexité , multipliant les réunions de coordination, comités de pilotage et autres comités de suivi, pour des sommes parfois peu significatives et des résultats pas toujours en rapport avec l'énergie dépensée.
2. Un manque de lisibilité et une dilution des responsabilités
Par ailleurs, les contrats de plan sont devenus peu lisibles pour les citoyens , brouillant la perception par ceux-ci des compétences et donc des responsabilités des différentes collectivités publiques.
Si l'Etat et les régions sont les seuls signataires des contrats de plan, toutes les collectivités territoriales sont en réalité parties prenantes à la contractualisation au niveau des conventions d'application qui viennent préciser chaque volet (volet routier, volet développement économique, volet agricole...).
En outre, certains projets inscrits aux CPER sont éligibles aux crédits alloués par l'Union européenne dans le cadre de la politique régionale.
L'exemple des routes nationales , qui bénéficient dans le cadre des CPER de crédits nationaux et régionaux, mais aussi départementaux, auxquels il convient d'ajouter des compléments versés au titre des fonds structurels, est à cet égard parfaitement illustratif.
Les contrats conclus par l'Etat et les régions avec les pays et les agglomérations en application du volet territorial , qui reproduisent pour partie des mesures déjà inscrites dans les contrats de plan eux-mêmes, renforcent cette impression d'un enchevêtrement des compétences.
3. Un partenariat déséquilibré
Une critique récurrente réside dans le caractère déséquilibré de cette relation contractuelle . L'Etat tend, en, effet, à imposer ses vues , non seulement au stade de la négociation, mais également lors de la mise en oeuvre des contrats. C'est ainsi qu'en 1996, il a pris unilatéralement la décision de prolonger la troisième génération de contrats de plan.
Cette prééminence de l'Etat est favorisée par une recentralisation latente , malgré la volonté de renforcer l'autorité des préfets de régions sur les crédits déconcentrés. Les décisions concernant les volets sectoriels sont ainsi souvent prises au niveau des ministères.
Enfin, le fait que l'essentiel des opérations inscrites aujourd'hui aux contrats de plan relèvent de la compétence de l'Etat renforce ce déséquilibre.
4. Une mise en oeuvre aléatoire
Cet outil contractuel comporte également des fragilités endogènes , liées notamment à la difficulté d'anticiper de manière fiable, au stade des études, la durée et le coût de réalisation des projets.
Dans le domaine des grandes infrastructures, la conduite des études, les procédures préalables à la mise en oeuvre (acquisitions foncières, recours contentieux...) entraînent fréquemment des retards .
Par ailleurs, les dérapages des coûts sont quasiment systématiques s'agissant des grandes opérations.
Enfin, se pose le problème de l'absence d'évaluation systématique des actions programmées. Si des évaluations partielles, thématiques, ont parfois été entreprises, il manque bien souvent un bilan global de l'application du contrat de plan.
5. L'impécuniosité de l'Etat
Mais tout cela pèse finalement peu au regard de la principale critique qui s'élève aujourd'hui contre les contrats de plan et qui tient à l'incapacité de l'Etat de respecter ses engagements financiers .
Dans un contexte marqué par une forte contrainte budgétaire , les crédits destinés aux contrats de plan constituent pour l'Etat, compte tenu de l'ampleur des besoins budgétaires incompressibles liés à la masse salariale et au service de la dette, une variable d'ajustement privilégiée .
Sur l'année 2003, la régulation budgétaire a par exemple eu pour effet de réduire de 15 % le montant des crédits effectivement alloués par l'Etat aux contrats de plan Etat-régions.
Sur le terrain, l'impécuniosité de l'Etat a des conséquences douloureuses : les collectivités territoriales sont souvent tenues de faire l'avance aux maîtres d'ouvrage des crédits correspondant à la part de l'Etat, quand les chantiers ne sont pas purement et simplement suspendus, comme tel est parfois le cas dans le domaine routier.
Comme l'a souligné notre collègue Daniel Hoeffel, Président de l'Association des Maires de France, c'est cette rareté des crédits de l'Etat , plus que les difficultés procédurales liées à un champ de contractualisation large, qui rend obligatoire un recentrage de l'objet des contrats de plan.
Il est nécessaire de s'en remettre au principe de réalité . M. Jean-Pierre Duport, Président de Réseau Ferré de France a ainsi insisté, lors de son audition au Sénat, sur le fait que l'Etat ne devait inscrire dans ces contrats que ce qu'il est en mesure de financer, ce qui requiert une bonne prévisibilité à long terme des finances publiques.
* 2 Les troisièmes contrats de plan Etat-régions (1994-1999) : une ambition inachevée - Rapport d'information n° 446 de M. Pierre André, sénateur, au nom de la Délégation du Sénat pour la planification -juin 2000.