2. Un risque budgétaire qui illustre les carences françaises
Ces taux représentent toutefois un pari budgétaire pour les Etats concernés, car le « retour sur investissement » fiscal ne sera pas immédiat et pourrait soumettre les recettes fiscales au classique phénomène de la « courbe en J ». L'Irlande, qui a progressivement abaissé son taux plafond d'IS à 12,5 % (contre 40 % en 1994), constitue un exemple éclairant de l'impact déterminant de ces allègements fiscaux en termes d'attractivité du territoire. Ce cas n'est cependant pas nécessairement transposable, dans la mesure où l'Irlande faisait figure de havre fiscal isolé , alors que les Etats d'Europe de l'Est sont susceptibles de se neutraliser, la concurrence fiscale effrénée créant un nouveau référentiel sous-optimal, à un niveau moindre, pour l'ensemble des pays de la région. La fiscalité n'est en outre qu'une composante parmi d'autres de la décision d'implantation d'une entreprise, qui repose également sur des facteurs tels que la qualification et le coût de la main d'oeuvre, le pouvoir d'achat des consommateurs, la souplesse administrative ou la qualité des infrastructures.
On peut ainsi considérer que les nouveaux Etats-membres prennent le risque d'aggraver leur déficit budgétaire 37 ( * ) et de repousser leurs perspectives d'adhésion à l'euro, pour un gain macro-économique marginal décroissant . Seuls les pays qui auront su ne pas tabler exclusivement sur l'incitation fiscale et présenteront la configuration la plus homogène des facteurs d'attractivité, pourront alors se démarquer au sein de la zone.
Il reste que ces incitations tendent à aggraver la position de la France, déjà mal placée sur le terrain de la concurrence fiscale avant l'élargissement , ainsi que le relevait le rapport d'information sur les réformes fiscales en Europe de la commission des finances et de la délégation pour la planification 38 ( * ) . Nonobstant les difficultés et réserves méthodologiques afférentes au retraitement de la pression fiscale afin de tenir compte des différences d'assiette, la France apparaît ainsi, sur la dernière décennie, comme le deuxième pays le moins bien placé des Quinze, tant au regard des critères du taux implicite de taxation des entreprises 39 ( * ) que du taux effectif moyen d'imposition 40 ( * ) .
3. La nécessité d'une plus grande harmonisation des pratiques fiscales en Europe
La politique fiscale agressive des nouveaux Etats-membres ne fait en outre que mettre en lumière les carences du processus décisionnel communautaire et la nécessité d'en venir à la majorité qualifiée des membres du Conseil en matière fiscale , position que votre rapporteur général, a l'instar de la Commission européenne, défend de longue date. L'unanimité constitue en effet un facteur de blocage des avancées que pourrait connaître ce domaine déterminant d'une politique économique européenne, et plus particulièrement de deux orientations, s'agissant de l'IS, qui paraissent aujourd'hui nécessaires pour mieux encadrer une concurrence fiscale certes bénéfique à long terme 41 ( * ) mais dont les effets collatéraux sont néfastes à moyen terme dans un contexte budgétaire très contraint : l'harmonisation de l'assiette de l'IS et la fixation d'un taux minimum , que l'on pourrait situer à environ 20 %. Si la Commission européenne plaide depuis plusieurs années en faveur de la première orientation 42 ( * ) , elle semble beaucoup plus réticente à l'établissement d'un taux plancher, qui a fait l'objet d'une initiative franco-allemande en mai dernier.
Cette position commune du couple franco-allemand pourrait préluder à la mise en place d'une coopération renforcée , selon les termes complexes du Traité de Nice, inédite au sein du premier pilier de l'Union et destinée à contourner l'exigence de l'unanimité. Votre rapporteur général estime également que cette coopération pourrait opportunément s'établir au sein de la zone euro, en tant que gage concret du gouvernement économique que votre commission des finances appelle de ses voeux.
La probabilité qu'une telle coopération se mette en place demeure toutefois ténue. La question de l'harmonisation des assiettes est aujourd'hui plus consensuelle (bien que la Grande-Bretagne et l'Irlande y demeurent opposés), mais donnerait lieu à un travail techniquement très lourd, notamment au regard des amortissements et des normes comptables IFRS déjà adoptées. Les services de la direction générale « marché intérieur » de la Commission estiment également qu'une telle harmonisation pourrait fournir une occasion d'examiner l'ensemble des mesures fiscales existantes qui ont un impact direct sur la compétitivité, afin d'en retenir les meilleures pratiques. Le crédit impôt-recherche français est ainsi perçu comme un outil puissant, mais dont le caractère discriminatoire est critiqué puisque son accès est réservé aux seuls investissements réalisés sur le territoire.
* 37 En particulier la République tchèque, Malte, Chypre et la Hongrie, qui ont connu en 2003 un déficit public supérieur à 6 % (13,6 % pour le République tchèque). Les pays baltes disposent en revanche de davantage de marges de manoeuvre budgétaires, en particulier l'Estonie qui a connu un excédent fiscal de 2,6 %.
* 38 « Une décennie de réformes fiscales en Europe : la France à la traîne » - Rapport d'information n° 343 (2002-2003) de MM. Joël Bourdin et Philippe Marini.
* 39 Le taux implicite de taxation des entreprises rapporte les prélèvements directs sur les entreprises soumises à l'IS à leur excédent brut d'exploitation.
* 40 Le taux effectif moyen d'imposition des entreprises exprime les prélèvements sur le revenu des entreprises (impôt sur les sociétés + impôts sur les revenus reçus des entreprises), estimé à partir d'un taux de rendement donné.
* 41 L'allègement de la fiscalité directe faisait en outre partie des engagements du Conseil européen de Lisbonne en mars 2000.
* 42 La Commission pourrait à ce titre publier une recommandation au cours de l'été prochain, dans la perspective du Conseil Ecofin informel de septembre.