CHAPITRE IV :

MAITRISER LES DÉFIS ECONOMIQUES ET BUDGÉTAIRES DE L'ÉLARGISSEMENT

La participation de la France au budget de l'Union européenne (UE), en tant que prélèvement sur recettes régi par l'article 6 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances 25 ( * ) , n'est sans doute pas la charge la plus visible du budget, mais n'en représente pas moins un montant très substantiel et soumis à une tendance haussière. Cet effort financier a ainsi doublé depuis 1990 (en euros courants), pour être évalué à 16,4 milliards d'euros dans la loi de finances initiale pour 2004 , soit 6,5 % des recettes fiscales nettes (3,7 % en 1980). Notre pays ainsi est le second contributeur du budget de l'Union européenne avec une quote-part de 17 % en 2004, relativement stable depuis le milieu de la décennie 90.

Plusieurs arguments militent en faveur d'une analyse approfondie de l'évolution de ce prélèvement sur recettes dans le cadre d'un débat d'orientation budgétaire : outre son montant, le rôle politique majeur de la France au sein de l'Union et le cadrage pluriannuel du budget communautaire incitent à mettre en perspective l'impact financier de notre appartenance à l'UE. Mais surtout, le débat d'orientation budgétaire (DOB) est cette année contemporain de l'amorce de délicates négociations sur les prochaines perspectives financières européennes, qui couvrent la période 2007-2013 et marquent une évolution majeure dans la conception même du budget de l'UE. Les enjeux de ce futur cadre pluriannuel ont été en particulier explicités dans le rapport au Premier ministre que nos collègues Marc Laffineur, député, et Serge Vinçon, ont remis en février 2004.

I. LE CHOC ÉCONOMIQUE ET FISCAL DE L'ÉLARGISSEMENT

L'élargissement à dix nouveaux Etats-membres constitue le saut quantitatif le plus important qu'ait connu l'UE et représente à cet égard un « défi du nombre », dont les conséquences sur le fonctionnement des institutions européennes sont majeures et donnent lieu, dans le projet de Constitution, à la recherche d'un délicat équilibre dans la représentation des « grands » et « petits » pays. Mais le défi est également - surtout - économique et budgétaire, en raison du « choc d'appauvrissement » 26 ( * ) , que représente l'entrée de ces nouveaux membres situés à un stade de développement moins avancé que leurs prédécesseurs. L'élargissement met donc à l'épreuve la capacité de l'Europe à poursuivre, dans un environnement économique plus complexe et hétérogène, sa vocation de solidarité, de stabilité et de croissance.

A. DES DISPARITÉS INÉDITES QUE TEMPÈRE UN POTENTIEL DE CROISSANCE

L'élargissement répond en premier lieu à l'objectif politique de reconstitution d'une Europe divisée par la guerre froide, et chacun est bien conscient, comme cela avait été le cas lors de la réunification allemande, du vrai défi posé par l'intégration de dix Etats dont le niveau de vie, en dépit des progrès enregistrés au cours des dernières années, est notablement plus faible que celui des autres Etats-membres : selon le troisième rapport annuel sur la cohésion de la Commission européenne, le PIB moyen par habitant de l'UE chute ainsi de 12,5 % en termes nominaux , et de 8 % en parité de pouvoir d'achat 27 ( * ) . Ces dix nouveaux Etats représentent également 20 % de la population des Quinze, et seulement 6 % de son PIB. Si l'on replace l'élargissement de 2004 dans une perspective historique et à la lumière des adhésions antérieures 28 ( * ) , on constate clairement que les disparités économiques n'ont jamais été aussi fortes :

Disparités de revenu (en PIB/habitant) lors des élargissements successifs

 

En euros

En parité de pouvoir d'achat

 

1973

1981/ 1986

2004

1973

1981/ 1986

2004

UE 15 en euros courants

3.231

11.366

24.358

3.231

11.366

24.358

En base 100

UE 15

100

100

100

100

100

100

Nouveaux entrants

89

51

23

104

70

47

Le plus riche des nouveaux entrants

148 (Danemark)

56 (Espagne)

26 (Chypre)

121

72

76

Le plus pauvre des nouveaux entrants

59 (Irlande)

31 (Portugal)

15 (Lettonie)

61

54

35

Source : « Les perspectives financières européennes 2007-2013 », rapport de nos collègues Marc Laffineur et Serge Vinçon, février 2004 - Sur données Eurostat

Cette situation conduit à se poser plusieurs questions, portant en particulier sur la nature et la durée du rattrapage économique, la typologie des nouveaux Etats-membres au regard de leurs atouts et handicaps structurels, l'ampleur de la politique de redistribution réalisée dans le cadre du budget européen, ou l'impact, en termes de délocalisations, de la politique fiscale dynamique que mènent la plupart de ces Etats. Bien que l'élargissement représente indéniablement un coût net pour les Quinze à moyen terme (cf. infra ), des avantages macro économiques pour l'ensemble de l'UE sont également escomptés à long terme : dynamisation de la croissance par une hausse des exportations des Etats de l'ouest, émulation contribuant à une amélioration de la compétitivité, investissements de croissance prenant le relais d'éventuelles délocalisations, à mesure que s'atténuera l'avantage des nouveaux Etats-membres en termes de coûts salariaux.

Le surcoût budgétaire auquel doivent se préparer les Quinze, doit donc être perçu non seulement comme un acte de solidarité, concrétisation de l'unification historique de l'Europe, mais aussi comme une promesse de croissance future dans l'intérêt bien compris des 25 Etats-membres. La compatibilité d'un tel surcoût avec les contraintes nées du Pacte de stabilité doit toutefois faire l'objet d'un débat transparent, sous peine de se heurter au paradoxe de tensions budgétaires inconciliables.

* 25 Cet article consacre l'existence du mécanisme du prélèvement sur recettes, qui n'avait jusqu'alors fait l'objet que d'une reconnaissance jurisprudentielle par le Conseil constitutionnel, notamment par les décisions du 29 décembre 1982 et du 29 décembre 1998, et dont la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances limite exclusivement le bénéfice aux collectivités territoriales et à l'Union européenne. Son article 6 précise ainsi : « Un montant déterminé de recettes de l'Etat peut être rétrocédé directement au profit des collectivités territoriales ou des Communautés européennes en vue de couvrir des charges incombant à ces bénéficiaires ou de compenser des exonérations, des réductions ou des plafonnements d'impôts établis au profit des collectivités territoriales. Ces prélèvements sur les recettes de l'Etat sont, dans leur destination et leur montant, définis et évalués de façon précise et distincte » .

* 26 In « Le grand bon vers l'est : une nouvelle Europe » Maxime Lefebvre- Revue du marché commun et de l'Union européenne, mai 2004.

* 27 En parité de pouvoir d'achat, le PIB moyen par habitant des nouveaux adhérents se situait en 2003 à 53 % du niveau de l'UE à 25 membres, et un peu en dessous de la moitié de celui de l'UE à 15.

* 28 Royaume-Uni, Irlande et Danemark en 1973 ; Grèce, Espagne et Portugal en 1981-1986.

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