2. La réforme de la fiscalité du patrimoine, condition du rapatriement des capitaux
L'annonce, le 6 mai 2004, par M. Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre, d'une prime au rapatriement des capitaux destinée à financer la cohésion sociale pourrait susciter des recettes de l'ordre de 500 millions à un milliard d'euros.
L'évasion fiscale de capitaux français est bien réelle. Le volume de ces capitaux est par définition inconnu. Les pays européens qui se sont intéressés à cette problématique ont néanmoins cité des chiffres très importants : 1.000 milliards d'euros détenus par des contribuables allemands seraient placés dans des places financières étrangères. L'évasion fiscale, qui est constitutive de fraude, est encouragée par deux éléments :
- une fiscalité mal ressentie, surtout en matière de taxation du patrimoine ;
- l'absence d'harmonisation fiscale européenne que votre rapporteur général analysait l'automne dernier dans son rapport préalable au débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution 21 ( * ) .
Face à une telle évasion de capitaux, deux attitudes sont possibles : ne rien faire ou inciter les capitaux délocalisés illégalement à rentrer, s'investir dans l'économie nationale et à acquitter les impôts, droits et taxes auxquels ils seraient normalement assujettis.
Contrairement aux capitaux délocalisés légalement, qui n'attendent qu'un cadre fiscal plus favorable pour s'investir de nouveau en France, le rapatriement des capitaux délocalisés de manière irrégulière exige un traitement fiscal adapté, en général par la mise en place, de manière temporaire, d'un prélèvement libératoire à un taux significatif, mais non dissuasif.
Une telle mesure est par définition exceptionnelle. Elle ne répond pas aux mêmes objectifs que les mesures d'amnistie pénale prises, en vertu d'une tradition républicaine établie, lors de l'entrée en fonction d'un nouveau Président de la République, qui s'assimilent à un « grand pardon collectif ».
Comme l'indique le projet de loi instaurant une déclaration libératoire unique déposé le 28 octobre 2003 devant la Chambre des représentants de Belgique, « la déclaration libératoire unique ne constitue pas une mesure d'amnistie fiscale. Il s'agit d'une mesure réparatrice pour le Trésor ».
Cette phrase doit s'entendre ainsi : une déclaration libératoire unique obéit à un but très pragmatique, celui de recouvrer davantage de recettes fiscales. Elle procède d'un intérêt bien compris entre les détenteurs de capitaux qui sortent d'une situation délicate, non sans frais, mais à moindres frais, et la collectivité nationale qui bénéficie ainsi sur le plan économique du retour de capitaux expatriés.
En France, de tels dispositifs ont évidemment des précédents. Il est ainsi possible de remonter au plan d'Antoine Pinay au moment de l'arrivée du nouveau franc. Au cours des 25 dernières années, deux mesures d'incitation au rapatriement de capitaux ont été prises, l'une par un gouvernement de gauche, l'autre par un gouvernement de droite.
Les précédents en matière d'incitation au rapatriement des capitaux 22 ( * )
Date |
Gouvernement |
Ministre des finances |
Modalités |
Exclusion des avoirs ayant fait l'objet de procédures administratives ou judiciaires avant rapatriement |
Loi du 2 février 1948 |
R. Schuman |
R. Mayer |
Le rapatriement des avoirs est assorti d'une taxe de 25 % jusqu'au 30 juin 1948, majorée de 1 % ensuite |
oui |
Loi de finances pour 1952 (14 avril 1952) |
A. Pinay |
A. Pinay |
Possibilité de rapatrier sans paiement d'aucune taxe, jusqu'au 1 er janvier 1952 |
oui |
Ordonnance du 24 juin 1958 |
C. de Gaulle |
A. Pinay |
Possibilité de rapatrier sans paiement d'aucune taxe, durant un délai fixé par décret |
oui |
Loi de finances pour 1982 |
P. Mauroy |
J. Delors |
Possibilité de rapatrier les avoirs avec paiement d'une taxe de 25 %. Délai : avant le 1 er mars ou le 1 er juin 1982 selon la nature des avoirs. |
oui |
Loi de finances rectificative pour 1986 |
J. Chirac |
E. Balladur |
Possibilité de rapatrier les avoirs détenus à l'étranger avec paiement d'une taxe spéciale de 10 %. |
oui |
Depuis bientôt 18 ans, aucune mesure d'incitation au rapatriement des capitaux n'a été prise. Les pays européens voisins ont pris conscience de l'opportunité d'une telle mesure. Les précédents français et les expériences étrangères permettent de déterminer les conditions de réussite d'un dispositif de rapatriement des capitaux investis à l'étranger.
L'article 101 de la loi de finances pour 1982 prévoyait que les résidents français détenteurs d'avoirs irréguliers à l'étranger pouvaient les rapatrier en acquittant une taxe forfaitaire égale à 25 % du montant de ces sommes, à condition que leur situation ne soit pas en cours de contrôle par les services des douanes.
La taxe était alors libératoire de tout redressement fiscal et de pénalité portant sur ces avoirs. Le rapatriement des biens meubles devait être effectué avant le 1 er mars 1982. L'article laissait jusqu'au 31 mai 1982 pour vendre les immeubles irrégulièrement acquis à l'étranger. Cette taxe a engendré un produit de 22,87 millions d'euros pour un montant de 91,47 millions d'euros rapatriés.
L'article 11 de la loi de finances rectificative pour 1986 du 31 décembre 1986 disposait que les avoirs irrégulièrement détenus à l'étranger rapatriés en France avant le 1 er février 1987 seraient considérés comme étant en situation régulière au regard de la réglementation des changes et ne pourraient faire l'objet d'aucune réclamation au titre des impôts, droits et taxes dont le fait générateur était antérieur à la date d'entrée en vigueur de la loi. La contre-valeur de ces avoirs était soumise de manière anonyme à une taxe spéciale de 10 %. Cette taxe a engendré un produit de 240 millions d'euros pour un montant de 2,43 milliards d'euros rapatriés.
En Italie, la loi du 23 novembre 2001, dont la durée d'application a été prolongée par la loi du 27 décembre 2002 et la loi du 1 er août 2003, a mis en place un « bouclier fiscal » ( scudo fiscale ) permettant aux capitaux illégalement investis à l'étranger d'être rapatriés en échange d'une « amende libératoire » de 2,5 %. Selon le gouvernement italien, 54 milliards d'euros, soit 4 % du PIB italien, auraient été rapatriés en Italie et le produit de l'amende libératoire s'élèverait à 1,3 milliard d'euros.
En Belgique, le projet de loi instaurant une déclaration libératoire unique, déposé devant la Chambre des représentants, prévoit une régularisation des capitaux investis à l'étranger faisant l'objet d'une déclaration fiscale et contre le versement d'une contribution unique correspondant à 9 % des sommes déclarées. Toutefois, le taux de cette contribution serait ramené à 6 % lorsque les sommes déclarées seraient « investies », pour une période d'au moins trois ans.
La Belgique estime pouvoir bénéficier de 700 millions d'euros de recettes fiscales supplémentaires grâce à son projet de déclaration libératoire unique.
Les expériences étrangères comme les précédents réalisées en France montrent que certes le taux du prélèvement libératoire a un effet direct sur le succès de la mesure. Le taux de 25 % retenu par la loi de finances de 1982 était manifestement trop important pour convaincre les détenteurs d'avoirs placés à l'étranger de les rapatrier, d'autant que le contexte fiscal était à l'époque particulièrement défavorable. A l'inverse, le taux symbolique retenu en Italie est à l'origine d'un afflux de capitaux.
Surtout, une telle mesure n'intervient pas indépendamment du cadre fiscal général. Elle est à l'évidence facilitée et amplifiée si les conditions sont de nouveau créées pour que les capitaux restent investis sur le territoire et ne soient pas tentés par une nouvelle évasion fiscale.
Une simplification du barème de l'ISF constitue donc une condition nécessaire pour la réussite, en termes de recettes, de l'amnistie fiscale annoncée par M. Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre.
* 21 Rapport d'information n° 55 (2003-2004).
* 22 Il s'est d'ailleurs davantage agi dans le passé de mesures douanières pour les résidents ayant enfreint la législation sur les changes que de mesures à objet purement fiscal.