3. Une méfiance persistante à l'égard de l'OTAN
La délégation a pu constater dans ses différents contacts une tonalité systématiquement négative des responsables russes à l'égard de l'OTAN en général, et de son élargissement en particulier.
L'arrivée de l'Alliance atlantique aux frontières de la Russie et l'inclusion de trois anciennes républiques soviétiques a certainement constitué un choc psychologique, non seulement dans l'opinion publique russe mais également dans une partie de l'appareil d'Etat et dans les forces armées. L'OTAN demeure essentiellement perçue comme une organisation militaire associée à la guerre froide, regroupant plusieurs centaines de milliers d'hommes et un nombre considérable de matériels. À l'heure où la Russie peine à maintenir et moderniser son appareil de défense, l'expansion de l'OTAN dans la zone de ses intérêts vitaux entretient des appréhensions, que la délégation a bien ressenties.
La crise aigue intervenue avec la Russie lors de l'intervention de l'OTAN au Kosovo, en 1999, a laissé des traces, et le fait que l'Alliance conduise désormais des opérations « hors zone », en partie pour répondre aux priorités de la politique américaine, crée un sentiment diffus de méfiance .
Dès 1997, dans le cadre de l'Acte fondateur OTAN-Russie, les deux parties avaient déclaré qu'elles ne se considéraient plus comme des adversaires et avaient établi des mécanismes de consultation et de coopération. Alors que venait de se produire le premier élargissement, avec l'adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque, l'OTAN s'était engagée à ne pas déployer d'armes nucléaires sur le territoire des nouveaux pays membres . Elle avait par ailleurs précisé qu' elle privilégierait l'intégration des capacités militaires des nouveaux pays membres dans le système de défense allié, en renforçant l'interopérabilité, de préférence au stationnement permanent dans ces pays de forces de combat supplémentaires . Ces principes ont été réaffirmés en 2002, alors que s'engageait la deuxième vague d'élargissement.
Au cours des derniers mois, deux points de friction sont apparus.
D'une part, l'élargissement et la problématique de la guerre contre le terrorisme ont conduit Washington à envisager le repositionnement des troupes américaines en Europe . Le dispositif permanent en Allemagne devrait logiquement être réduit mais la question se pose d'un éventuel redéploiement partiel vers le territoire de nouveaux pays membres. Par ailleurs, les opérations d'Afghanistan et la lutte contre le terrorisme ont nécessité l'utilisation du territoire de nouveaux pays membres, mais aussi celui de pays de la CEI, notamment en Asie centrale. Les intentions américaines quant à l'implantation de nouvelles bases permanentes ou temporaires dans les nouveaux pays membres ne sont pas aujourd'hui clarifiées, ce qui entretient à Moscou les réactions hostiles à tout déplacement vers l'est du dispositif militaire allié.
Le second point de friction concerne l'entrée en vigueur de l'accord d'adaptation du traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) , signé en novembre 1999. Conclu en 1990 en vue d'établir un équilibre et une réduction des principaux équipements militaires en Europe, le traité FCE, initialement conçu dans le contexte de la guerre froide, a été adapté pour tenir compte de l'évolution politique du continent, chaque pays étant soumis à un plafond national. Moscou souligne que quatre nouveaux membres de l'OTAN - la Slovénie et surtout les trois Etats baltes - n'ont toujours pas adhéré à ce traité . Elle considère qu'il y a là une brèche dans l'architecture de maîtrise des armements et de sécurité en Europe, rien n'empêchant théoriquement l'Alliance atlantique de procéder à des concentrations de troupes ou de matériels dans les pays baltes, à proximité de la frontière russe.
Les pays baltes n'envisagent pas d'adhérer au traité FCE avant son entrée en vigueur, elle même conditionnée par les pays membres de l'OTAN au respect par Moscou des engagements souscrits au sommet de l'OSCE d'Istanbul , en novembre 1999, en marge de la signature du traité adapté. Ces engagements portent sur l' évacuation des bases militaires russes en Géorgie et en Moldavie . Or ces engagements n'ont pas été respectés.
En Géorgie, sur quatre bases russes, seule celle de Vaziani a été réellement évacuée, celle de Goudaouta, en Abkhazie, comportant toujours des éléments russes placés sous statut de forces de maintien de la paix de la CEI. Le calendrier d'évacuation des deux autres bases- Batoumi en Adjarie et Akhalkalaki dans la province peuplée majoritairement d'Arméniens de Javakhétie- devait être arrêté au 1 er février 2001 mais n'est toujours pas fixé, les autorités géorgiennes souhaitant un départ des 3.000 personnels russes dès 2005 alors que Moscou souhaite un délai d'une dizaine d'années et des compensations financières pour le rapatriement et la réinsertion des personnels. En Moldavie, Moscou a rapatrié une partie de ses moyens militaires stationnés en Transnistrie mais 1.400 hommes y demeurent toujours présents.
Au cours d'une récente visite à Moscou, le secrétaire général de l'OTAN a indiqué aux autorités russes que les pays baltes satisferaient aux engagements de retenue pris par les autres membres de l'OTAN et qu'ils avaient l'intention de rejoindre le traité FCE adapté quand il entrera en vigueur. La Douma , pour sa part, a autorisé au mois de juin 2004 la ratification par la Russie du traité FCE adapté , dans le but avoué de renforcer la position russe vis à vis des pays de l'OTAN, afin d'exiger qu'ils procèdent à leur tour à la ratification. Les députés russes ont adopté le même jour une déclaration dans laquelle ils s'inquiètent de l'apparition en Europe de « zones grises », notamment dans les pays baltes, où le déploiement de troupes, d'armes et d'installations de l'OTAN serait possible.