CONCLUSION
Votre rapporteur estime qu'il est possible de tirer plusieurs enseignements des exemples espagnols et italiens. Il en a retenu huit principaux :
1- Le point le plus important est que les Espagnols et les Italiens ont choisi de définir clairement, dans un texte de loi, l'organisation de leurs forces de sécurité nationales et locales . Les principes généraux les définissant, leurs missions et leurs statuts sont ainsi nettement établis.
2- Dans les deux cas, la Garde civile et l'Arme des Carabiniers disposent d'un statut militaire spécifique établi par la loi, différent des autres forces armées . Cette différence est justifiée par la nature des missions par rapport à celles des autres forces armées. Cela se traduit par des règles spécifiques d'organisation, de discipline, d'avancement et de rémunération.
3- La Garde civile et les Carabiniers sont placés sous la triple tutelle classique : intérieur, défense et justice . Le ministère de la défense garde toujours la direction des missions militaires et de la gendarmerie en cas de crise et d'action conjointe avec les forces armées sur le territoire national. Il garde aussi, même formellement, la responsabilité directe du statut et de la gestion des personnels, même si celle-ci est autonome et spécifique.
4- Le rapprochement des deux forces a eu aussi comme résultat de conduire à une parité stricte des rémunérations pour chacun des niveaux de responsabilité . Le statut militaire, par ailleurs, n'emporte pas exactement les mêmes obligations en Espagne et en Italie qu'en France. Le temps de travail hebdomadaire des Carabiniers est fixé à 36 heures et celui des Gardes civils à 37,5. Les dépassements donnent lieu à récupération et, dans certaines limites, au paiement des heures supplémentaires.
5- Dans les deux pays également, une structure administrative de coordination a été créée , même si des différences importantes existent entre la structure espagnole placée sous l'autorité d'un secrétaire d'État et l'italienne où la police a un rôle important sous la direction du ministre de l'intérieur. Cette structure a pour mission de coordonner les missions de police administrative mais aussi d'être le point d'entrée pour les relations avec les interlocuteurs étrangers ou communs aux forces de sécurité.
6- En Espagne et en Italie, une partie du budget au moins de la force de police à statut militaire est placée sous la responsabilité du ministère de l'intérieur ou , en son sein, mis en commun entre les deux forces . Cette part du budget concerne, selon les cas, une partie des équipements et des moyens nécessaires aux missions de sécurité.
7- Dans les deux pays, une spécialisation des forces a été partiellement réalisée , selon un critère matériel. C'est le cas en Espagne entre le Corps national de Police et la Garde civile et en Italie entre les différentes forces de sécurité de l'État. Par exemple, les transfèrements de détenus dépendent d'unités spécifiques de la Garde civile et en Italie d'une force de police spécialisée qui assure également la surveillance des prisons.
8- Enfin, la Garde civile et l'Arme des Carabiniers n'ont pas la même appétence pour les opérations extérieures. La Garde civile ne dispose pas d'effectifs très importants et doit faire face à la menace de l'ETA et maintenant du terrorisme islamique. La gestion de la totalité de son budget par le ministère de l'intérieur semble aussi limiter les possibilités de multiplier les missions militaires à l'étranger . Les Carabiniers en revanche sont très actifs dans ce domaine, disposant des effectifs, des moyens financiers et de la volonté politique de le faire. Près de 3 500 Carabiniers sont ainsi actuellement déployés en opérations extérieures.
Les exemples espagnol et italien ouvrent donc un vaste champ de propositions pour réfléchir à l'évolution du dualisme police-gendarmerie en France .
Il pourrait notamment s'agir de :
- la rédaction d'un projet de loi sur l'organisation et les missions des forces de sécurité intérieure ;
- l'affirmation du statut particulier de la gendarmerie au sein du statut général des militaires ;
- la création d'une structure administrative de coordination qui pourrait être un secrétariat général à la sécurité intérieure, chargée au sein de ministère de l'intérieur de la coordination des deux forces sous la direction du ministre et de fonctions communes comme la coopération policière internationale. Il est dans tous les cas nécessaire que la gendarmerie puisse prendre part, à parité avec la police, aux travaux législatifs et doctrinaux du ministère de l'intérieur ;
- la spécialisation fonctionnelle partielle des deux forces . Une gendarmerie des transfèrements et une gendarmerie de l'environnement pourraient être créées. La gendarmerie mobile pourrait voir son rôle renforcé en dehors de métropole et pour les missions de maintien de l'ordre et de « retour en sécurité intérieure », les CRS consacrant une part croissante de leur activité aux missions de sécurité publique nationale ;
- la définition des missions militaires de la gendarmerie afin d'éviter des conflits d'emploi entre les ministères de l'intérieur et de la défense. Une fois définies, ces missions feraient l'objet d'une programmation ou d'un « contrat opérationnel » avec l'état-major des armées afin de garantir la disponibilité des moyens de la gendarmerie. Il est nécessaire pour ces missions, qui représentent de l'ordre de 5 % de l'activité de la gendarmerie, que le ministère de la défense garde l'autonomie de décision et de financement ;
- la gestion commune d'une part plus importante des budgets de la police et de la gendarmerie au sein d'une même mission de sécurité intérieure faciliterait les économies d'échelles et les comparaisons. Cela pourrait donner lieu à un projet coordonné de politique interministérielle (PCPI) dans le cadre de la LOLF ;
- la résolution des conflits récurrents portant sur les rémunérations et les conditions de travail respectives entre policiers, gendarmes et autres militaires.
Certes « comparaison n'est pas raison » et il nous appartiendra de trouver la voie la plus adaptée à nos traditions et à nos institutions, mais les enseignements que l'on peut tirer des réformes conduites à l'étranger sont particulièrement intéressants. Ils montrent notamment que la préservation du dualisme et que la réaffirmation de la place et du statut de la Garde civile et de l'Arme des carabiniers sont le fruit d'évolutions et de réformes .
*
* *