PREMIÈRE PARTIE
LA
NOUVELLE CALÉDONIE :
UNE RÉFORME STATUTAIRE BIEN
ENGAGÉE
Tout le prix du consensus retrouvé autour des institutions de la Nouvelle-Calédonie ne peut se mesurer sans un retour sur l'histoire récente de cette collectivité marquée par la violence et l'instabilité.
Territoire de peuplement pluriethnique, la Nouvelle-Calédonie a accédé au statut du territoire d'outre-mer en 1946. La scène politique dans les années d'après-guerre est dominée par l'Union calédonienne (UC) alliance pluriethnique et autonomiste, fondée en 1956 avec pour devise « deux couleurs, un seul peuple » .
Au cours des années 1970, marquées par l'essor de la production du nickel et l'installation de nouveaux arrivants -néo-hébridais et Wallisiens pour la plupart-, ce consensus politique commença de se fissurer. Les options se radicalisèrent et face à la montée de la revendication indépendantiste, le courant « loyaliste », tenant du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, s'organisa avec la création par M. Jacques Lafleur en 1978 du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). En 1984, la mouvance indépendantiste se fédérait autour du Front de libération nationale Kanak et socialiste (FLNKS) en vue d'instaurer son projet politique de souveraineté et d'indépendance.
Les tensions s'exacerbèrent dans les années 1980. Entre 1976 et 1988, pas moins de cinq statuts se succédèrent. A la veille des élections territoriales du 24 avril 1988 -qui coïncidaient avec le premier tour des élections présidentielles- une prise d'otages à Ouvéa se solda par l'assassinat de quatre gendarmes et l'assaut donné pour libérer les autres otages fit vingt-et-un morts, deux militaires et dix-neuf kanaks. Ces évènements dramatiques, menaçant de plonger la Nouvelle-Calédonie dans une véritable guerre civile, convainquirent de l'urgence d'une solution consensuelle : à l'initiative de M. Michel Rocard, alors Premier ministre, des négociations aboutirent le 26 juin 1988 à une déclaration commune signée à l'Hôtel Matignon par le RPCR et le FLNKS et, le 20 août 1988, à l' accord Oudinot 5 ( * ) qui fixe le principe d'une consultation sur l'autodétermination à échéance de 10 ans et prévoit un nouvel équilibre institutionnel. Soumis à un référendum national, le nouveau statut est approuvé par 80 % des suffrages exprimés (malgré une forte abstention).
Au cours des dix années de la période transitoire définie par la loi référendaire du 9 novembre 1988 en application des accords de Matignon, la paix civile a été durablement restaurée, et l'organisation institutionnelle stabilisée. Les partenaires ont dès lors progressivement conçu la nécessité de préserver ces acquis en évitant une consultation référendaire sur l'autodétermination susceptible de raviver les antagonismes. Si le recensement de 1996 avait dénombré 87.000 kanaks et 67.000 européens sur une population de près de 200.000 personnes, la primauté de l'attachement à la métropole bien au-delà des européens, chez les Wallisiens, les Calédoniens d'origine asiatique et de nombreux kanaks, ne laissait guère d'incertitude sur le maintien de la Nouvelle-calédonie au sein de la République à l'issue du référendum d'autodétermination.
Signé à Nouméa le 5 mai 1998, un nouvel accord jette les bases d'une solution consensuelle : il détermine en effet pour une période transitoire comprise entre 15 et 20 ans, l'organisation politique de la collectivité, les modalités de son émancipation et les voies du rééquilibrage économique et social.
Largement approuvé par référendum le 8 novembre 1998 par la population de Nouvelle-Calédonie, sa mise en oeuvre a requis une révision constitutionnelle (loi constitutionnelle du 20 juillet 1998) et l'adoption, le 19 mars 1999, d'une loi organique et d'une loi simple.
La Nouvelle-Calédonie devient une collectivité « sui generis » dotée d'institutions propres et de compétences transférées de manière progressive mais irréversible.
Votre délégation a pu mesurer sur place le réel consensus que suscitent le nouveau dispositif institutionnel et son fonctionnement même si, naturellement, des points de désaccord, en particulier, la composition du corps électoral, demeurent. Il semble aujourd'hui que la pérennité de la stabilisation politique de la collectivité passe par le rééquilibrage économique entre les provinces.
I. LE CONSENSUS RETROUVÉ AUTOUR DES INSTITUTIONS
Le tableau suivant présente l'économie générale du dispositif institutionnel en Nouvelle-Calédonie.
Les institutions de la Nouvelle-Calédonie
- Président du gouvernement élu par les membres du gouvernement pour la durée du mandat
L e conseil économique et social
Les trois provinces (du Sud, du Nord, des Îles)
- S'administrent par des assemblées élues pour cinq ans au suffrage universel direct
- Exercent la compétence de droit commun
- Institués dans les huit aires coutumières et composés selon les usages propres à la coutume
Des différends demeurent mais ne paraissent pas insurmontables.
A. LE TRANSFERT PROGRESSIF ET IRRÉVERSIBLE DES COMPÉTENCES
Par ailleurs, la loi organique prévoit le transfert progressif à la Nouvelle-Calédonie de diverses compétences actuellement détenues par l'Etat. A cet égard, elle distingue, d'une part, les compétences exclusives de l'Etat non transférables (garanties des libertés publiques, justice, défense, monnaie...) ; d'autre part, les compétences partagées (relations extérieures, conditions d'entrée et de séjour des étrangers, maintien de l'ordre et droit pénal...) qui peuvent faire l'objet d'une information, d'une consultation voire d'une association du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; enfin des compétences provisoires exercées par l'Etat jusqu'à leur transfert à la Nouvelle-Calédonie à partir de 2004 6 ( * ). Les compétences transférées et l'échéancier des transferts devront faire l'objet d'une loi du pays adoptée à la majorité des trois cinquièmes des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie, au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant le début des deux prochains mandats successifs du congrès (2004 ;2009).
* 5 La déclaration signée à Matignon et l'accord Oudinot forment les accords dits « de Matignon ».
* 6 Police et sécurité en matière de circulation aérienne intérieure et de circulation maritime dans les eaux territoriales, enseignement du second degré public et privé -à l'exception de la réalisation et de l'entretien des collèges- enseignement primaire privé, droit civil et droit commercial et, enfin, sécurité civile.