LA FORMATION INITIALE COUVRE-T-ELLE LES BESOINS DE COMPÉTENCES POUR L'AVENIR DES ENTREPRISES MÉTIERS D'ART ?
Animateur : Mireille GRIMAULT - Inspectrice Arts appliqués et métiers d'art à l'Education nationale
Mireille GRIMAULT invite Madame Françoise COEUR qui est inspectrice générale Design et Arts Appliqués à l'Education nationale et dont le rôle est de travailler à la rénovation et parfois à la création de diplôme, à prendre la parole.
I. L'ENSEIGNEMENT POUR LES MÉTIERS D'ART : LES DIFFÉRENTES FORMATIONS DIPLÔMANTES EN FRANCE
Françoise COEUR, Inspectrice générale Design et Arts Appliqués - Education nationale
Cette présentation abordera l'ensemble des niveaux, et les spécialités qui seront citées feront toutes partie de la 13 e CPC 1 ( * ) Arts Appliqués, instance qui, à la demande des professions, met à l'étude la rénovation ou la création des diplômes professionnels.
Lors de son intervention Françoise COEUR fera un tour d'horizon des spécialités métiers d'art au sein de l'Education nationale. Elle parlera des formations diplômantes et limitera ses commentaires aux formations initiales dispensées en lycées et lycées professionnels. Elle présentera les acteurs, c'est-à-dire les partenaires professionnels, les élèves, et elle dira les raisons pour lesquelles l'Inspection générale est particulièrement attentive aux métiers d'art, et ceci tout au long de son intervention. Elle tentera ensuite de définir les diplômes « métiers d'art ». Enfin, elle posera la question de la poursuite d'études.
A. INTRODUCTION
Françoise COEUR a souvent exprimé ses convictions à propos de la part que chacun doit prendre pour construire l'avenir économique des métiers d'art ; pour ce qui la concerne, son registre est la dimension formation diplômante. Elle s'interroge sur certains points d'interrogation qui closent le titre de la première partie du colloque : « La formation initiale couvre-t-elle les besoins de compétences pour l'avenir des entreprises métiers d'art ? »
Françoise COEUR ne répondra pas « oui » hâtivement, mais elle posera une autre question : Que recouvre la notion de besoin de compétences ? Ce besoin concerne-t-il les compétences nécessaires aux entreprises ? Ce besoin concerne-t-il le niveau des formés ? Enfin, ce besoin est-il lié à la demande externe ? La demande économique du public, de la clientèle, mais on le sait, cette demande est polymorphe, quelquefois paradoxale ; le client est peut-être celui qui le premier a besoin de formation initiale. Et celle culturelle de la conservation du patrimoine, patrimoine transmis en Orient par les trésors vivants que sont les artisans d'art dépositaires des techniques ancestrales, mais aussi de sa projection dans l'avenir.
C'est à ces interrogations que Françoise COEUR va relier son exposé, car ce sont les points clés qui motivent la construction des diplômes :
POUR L'AVENIR DES MÉTIERS D'ART - Les atouts nécessaires à l'économie en termes de qualité de formation, c'est-à-dire le poids relatif des savoir-faire, de la culture technique, de la culture artistique et de la culture générale, pour que les professions confortent ou trouvent leur marché.
POUR LES PROFESSIONNELS DES MÉTIERS D'ARTS - Les compétences nécessaires aux formés pour qu'ils s'insèrent dans l'entreprise avec succès, mais aussi pour qu'ils puissent engager un réel parcours d'évolution de carrière leur permettant à terme de devenir artisans indépendants ou chefs d'entreprise.
POUR LA SOCIÉTÉ - Les maîtrises d'excellences nécessaires pour rendre vivant le patrimoine, et donc l'assurance que la tradition et l'innovation restent conjointement à un haut degré d'exigence, les caractéristiques qui signent les métiers d'art.
B. L'OFFRE DE FORMATION DE L'ÉDUCATION NATIONALE
Les certificats d'aptitude professionnelle au niveau V ;
Une trentaine de spécialités, une cinquantaine en comptant les options ;
Des flux très réduits pour certaines spécialités, voire des sections quasiment uniques, et des flux plus importants pour d'autres - exemples : le dessinateur d'exécution graphiste décorateur ou l'ébéniste.
LE NIVEAU V offre la possibilité de construire des formations diplômantes appelées « mentions complémentaires » ; il en existe trois dont la gemmologie, la joaillerie et le mouleur plaquiste.
LE NIVEAU IV inclut des formations suivantes :
brevets des métiers d'art,
baccalauréats professionnels artisanat et métiers d'art,
brevets de techniciens arts appliqués,
brevets professionnels préparés par la voie de l'apprentissage ou de la formation continue.
Les brevets des métiers d'art comptent 42 sections, dont 15 en Ile-de-France et les baccalauréats professionnels artisanat et métiers d'art comptent 172 implantations dont 24 en Ile-de-France.
Les brevets des métiers d'art réunissent environ un peu plus de 1 000 élèves, environ 25 élèves par section (variante de 9 à 76). Pratiquement toutes les sections de brevets des métiers d'art sont implantées dans des régions d'antiques traditions, ce qui n'est pas forcément le cas des baccalauréats professionnels.
Les baccalauréats professionnels réunissent plus de 5 000 élèves avec un effectif moyen de 30 par section (variante de 4 à 100).
Les brevets de techniciens arts appliqués ont 2 spécialités avec 7 options, 12 établissements et environ 700 élèves.
Une mention complémentaire de niveau IV : le sertissage en joaillerie.
LE NIVEAU III comprend les diplômes des métiers d'art qui sont des Bac +2 avec 10 spécialités, environ 700 étudiants.
C. CRÉATIONS ET RÉNOVATIONS EN COURS
1. Comment se construit un diplôme ?
L'élaboration s'effectue en quatre phases :
une étude d'opportunité de la création ou de la rénovation ;
la rédaction du référentiel d'activités professionnelles ;
à partir de ce document, la rédaction des capacités et compétences relatives au profil du métier ;
la rédaction des savoir et savoir-faire qui seront enseignés pour atteindre les capacités et les compétences.
Vient ensuite l'élaboration des épreuves d'examen et, pour certains diplômes, propositions de grilles horaires.
Le texte est ensuite soumis à l'avis de la 13 e CPC Arts appliqués, puis est présenté aux diverses instances consultatives avant d'être proposé à la signature du ministre. Les groupes de travail de la 13 e CPC sont très actifs, même si en raison des faibles effectifs de potentiels conducteurs de groupes, cela ne va pas aussi vite qu'il serait souhaitable. Chaque groupe de travail est constitué de professionnels et d'enseignements sous la conduite d'un inspecteur ; inspecteur de l'Education nationale pour ce qui concerne les formations de type lycées professionnels, inspecteur d'académie, inspecteur pédagogique régional pour ce qui concerne les formations de type lycées technologiques, c'est-à-dire les formations post-Bac.
2. Quelles sont les priorités ?
Est-ce la chronologie des demandes, l'urgence, l'importance des flux, l'ancienneté des diplômes existants ? La réponse est un ensemble de toutes ces raisons.
Dès sa prise de fonction, Françoise COEUR a demandé à la 13 e CPC réunie en assemblée plénière, quels étaient les besoins repérés pour les métiers d'art. Elle a sollicité une étude lourde du secteur en termes d'emploi et de formation auprès de la DESCO, et elle a indiqué sa volonté de mailler les diplômes afin de permettre une circulation du niveau V au niveau II dans chacun des grands secteurs des métiers d'art. Les travaux sont en cours.
Vient d'être achevé le BMA Technicien en facture instrumentale par l'arrêté paru au JO du 19 juillet 2003.
Sont en cours de création ou de rénovation :
le CAP Tapisserie Décoration ;
le CAP Arts de la dentelle ;
le CAP Agent d'exécution graphiste décorateur ;
le CAP Sertissage ;
et la rénovation des DMA.
Tout à l'heure ont été cités les importants décrets qui rénovent les diplômes (BMA et DMA), la rénovation de ces DMA passe aussi par une étude plus attentive des stages en entreprise, des formations en milieu professionnel, et c'est donc à ce sujet que se consacre plus particulière le ministère cette année.
Sont à l'étude d'opportunité :
le CAP Vitrailliste ;
la mention complémentaire Horlogerie ;
le DMA Créateur en produits verriers ;
le DMA Art de l'habitat ;
l'option restauration.
D. LES ACTEURS
Autour de ces diplômes, les acteurs sont d'une part, les professionnels et d'autre part les élèves.
1. Les professionnels
Aucun diplôme ne peut se construire, et d'ailleurs ensuite se préparer, sans la collaboration des partenaires professionnels. Les syndicats professionnels sont le plus souvent à l'origine de la demande de création. Les experts sont sollicités au moment de l'élaboration des référentiels d'activité professionnelle. Ce sont eux qui font connaître les nouveaux besoins liés à l'évolution des métiers, des marchés et plus généralement de la société.
?Par exemple, l'outil informatique, qu'il soit bureautique ou CAO DAO, dans un premier temps a été accueilli avec réticence, voire fraîchement dans les milieux de l'artisanat pour toutes sortes de raisons pures et impures. Aujourd'hui, pas un seul diplôme en rénovation qui n'intègre les nouvelles technologies, que ce soit dans l'outil de travail ou de gestion.Par ailleurs, sans même parler de la voie de l'apprentissage où l'alternance est constitutive de la formation, les formations initiales sous statut scolaire dispensées en lycées, qu'ils soient professionnels ou technologiques, mettent en oeuvre un réel partenariat avec les professions : accueil des élèves en entreprise, accompagnement de la formation, participation aux certifications de qualité des membres du jury, etc.
2. Les élèves
La question de la motivation à s'engager dans un métier d'art est au centre des préoccupations du ministère. Pour brosser le profil des élèves, Françoise COEUR commencera par le niveau III, celui du diplôme des métiers d'art.
Ces formations, peu nombreuses, mais suffisamment nombreuses si on les met en relation avec les débouchés et les exigences d'excellence qu'elles sous-entendent, attirent de très nombreuses candidatures quelle que soit la spécialité considérée.
Des viviers très diversifiés se pressent à l'entrée des DMA : élèves issus des classes de mise à niveau des Arts appliqués, BMA, Baccalauréats professionnels, BT, et comme pour tous les niveaux des métiers d'art, étudiants en formation récurrente, c'est-à-dire déjà titulaires d'un BTS, d'un DEUG ou d'une licence, ou autres.
Françoise COEUR ne risquera pas l'analyse des raisons qui motivent cette demande forte, bien qu'elle ait quelques indices, notamment la maturité suffisante pour effectuer un choix raisonné, la poursuite généralisée des études à l'heure actuelle, le manque de débouchés éventuellement au niveau IV, un malentendu quant au statut d'artiste indépendant, etc.
Cette situation relativement euphorique au niveau du recrutement au niveau III ne trouve pas dans tous les cas, et quoi qu'il en soit pas tout à fait son pendant au niveau V. Niveau qui conditionne pourtant l'entrée au niveau IV pour l'enseignement professionnel, et ensuite la poursuite au niveau III, voire au niveau II.
Pour alimenter les DMA, comme pour alimenter les professions à tous les niveaux de diplômes, il est besoin d'un vivier hétérogène qui s'enrichit de parcours différents : créatifs, praticiens, techniciens, etc. Cela touche un point sensible : Comment attirer dès le niveau V plus de jeunes dotés des aptitudes nécessaires pour se former, progresser et réussir dans les métiers d'art ?
Françoise COEUR passe tout en les honorant sur l'enseignement pédagogique, les chefs d'établissements, les professeurs, les corps d'inspection sans lesquels rien ne serait possible. Par ailleurs, elle ne se livrera pas au périlleux exercice de reconnaître dans l'assemblée tous les collègues présents aujourd'hui.
E. QU'EST-CE QU'UN DIPLÔME PRÉPARANT À UN « MÉTIER D'ART » ?
Sans vouloir donner une énième définition des bornes des métiers d'art, toutefois, citons quelques caractéristiques indiscutables qui conditionnent l'inscription des diplômes dans la 13 e CPC.
Il s'agit d'un produit à fonction utilitaire réalisé dans les règles de l'art. Ce produit répond à une commande en fonction d'un cahier des charges, même si l'artisan d'art est bien souvent son propre donneur d'ordre et son propre commanditaire. Il s'agit d'une inscription dans une réalité économique, c'est-à-dire satisfaire ou susciter la demande d'une clientèle raffinée, exigeante et esthète, française ou étrangère, mais aussi d'être présent sur un marché de plus en plus ouvert à un large public qui revendique qualité technique, sensibilité artistique et identité culturelle.
Il s'agit d'assumer la fonction de conservatoire ou de vitrine du patrimoine et de la mémoire, mais sans nostalgie, d'être à la pointe de l'innovation pour ancrer les pratiques patrimoniales dans la modernité. De plus, la concurrence déloyale des produits réalisés à bas prix a toujours fait peser sa menace sur les métiers d'art, c'est plus que jamais le cas aujourd'hui.
La conviction de Françoise COEUR est donc que la créativité et la maîtrise technique constituent la valeur ajoutée qui assure la pérennité et l'évolution du secteur. Donc, le profil idéal du formé en fin de formation sera le suivant :
Créativité et maîtrise technique, mais aussi intuition du marché et ancrage dans la réalité économique ;
Sensibilité aux oeuvres patrimoniales, mais aussi à l'actualité des différents champs de la création artistique ;
Curiosité, goût de l'innovation, volonté de faire évoluer la tradition et le travail des matériaux ;
Forte motivation.
Il s'agit donc d'offrir un éventail de diplômes couvrant de nombreuses spécialités accessibles dès la classe de 3 e et, d'autre part, de permettre une suite d'études dans les principaux domaines des métiers d'art.
F. LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DE FORMATION
Le CAP (certificat d'aptitude professionnelle métiers d'art) est la première formation professionnelle qui fixe les acquis de base de l'ouvrier qualifié. L'accès s'effectue après la classe de 3 e .
Au niveau IV :
Les BMA (brevets des métiers d'art) qui préparent à des métiers à forte identité technique et artistique ;
Les Baccalauréats professionnels artisanat et métiers d'art qui ont une vocation plus généraliste en abordant l'étude des machines et des outils, la gestion de la production, les problèmes de qualité ;
Les Brevets de techniciens préparant en trois ans après la 3 e quelques spécialités rares, ces trois diplômes conduisant au niveau Bac, ceci pour essayer d'orienter d'une façon positive les élèves en fonction de leur demande et de leur potentiel.
Au niveau III :
Les DMA (diplômes des métiers d'art) se préparent en deux ans et sont accessibles aux titulaires d'un niveau IV dans le domaine considéré. Ils sont également ouverts aux élèves issus d'une classe de mise à niveau des arts appliqués.
L'accès aux classes préparant les DMA s'effectue sur dossiers et éventuellement sur entretien. Il est extrêmement sélectif, c'est la garantie d'une formation de haut niveau et d'une sortie positive.
L'enseignement équilibre les maîtrises techniques et artistiques, ainsi que l'immersion dans le milieu professionnel pour une formation débouchant sur des emplois de réalisateurs concepteurs ou d'assistants créateurs.
La certification s'effectue par unités d'enseignement tout au long de la formation et se conclue par la réalisation et la soutenance d'un projet professionnel devant le jury. L'insertion professionnelle est prioritaire en qualité de travailleur indépendant ou en entreprise. Toutefois, quelques diplômés poursuivent en diplôme supérieur des arts appliqués.
Les DSA (diplômes des arts appliqués) se préparent en deux ans après un BTS, et plus rarement après un DMA. Ils qualifient des concepteurs créateurs, chefs de projets aux compétences élargies capables de s'insérer dans une équipe pluridisciplinaire.
Certaines spécialités, bien que quittant l'univers strict des métiers d'art, peuvent être accessibles aux meilleurs élèves issus de DMA.
?Par exemple : l'architecture intérieure et la création de modèles, la mode et environnement, le concepteur créateur textile, les arts et techniques de la communication en typographie, l'illustration médicale et scientifiques.
G. LA POURSUITE DES ÉTUDES
Le parcours dont Fançoise COEUR va parler montre :
Une circulation, non en termes de filières, mais en termes de grands champs professionnels du niveau V au niveau II, ce qui est logique, compte tenu de l'évolution que connaissent les types de postes et l'emploi ;
Une absence de formation spécifiquement métiers d'art au niveau II.
Exemples de circulations
1) Au niveau V, l'agent d'exécution graphiste décorateur peut aller :
en niveau IV en communication graphique,
en niveau III en illustration, en typographisme ou en cinéma d'animation,
au niveau II en arts et techniques de la communication, option création typographique ou option illustration médicale et scientifique.
2) Au niveau V, l'ébéniste peut aller :
au niveau IV en ébénisterie,
au niveau III en habitat,
au niveau II en architecture et création de modèles.
Ce sont à peu près les seuls exemples qu'il soit possible de donner, par contre, des circulations tout à fait cohérentes, logiques et en termes de quasi-filières existent du niveau V au niveau III.
Par exemple :
niveau IV, les arts de la reliure et de la dorure,
niveau III, graphique option reliure,
Et :
niveau V, arts du bijou et du joyau avec une mention complémentaire en joaillerie,
niveau IV, arts du bijou et du joyau, sertissage en joaillerie mention complémentaire,
niveau III, arts du bijou et du joyau.
CONCLUSION
Françoise COEUR se tourne vers monsieur le Président et plus particulièrement monsieur HOUSSARD, interlocuteurs privilégiés de l'Education nationale, pour les remercier de la collaboration étroite et fructueuse qu'ils veulent bien entretenir avec ses services.
Si le marché semble parfois morose, la faute en est peut-être à la prolifération d'objets de médiocre qualité et aux confusions qui frappent encore la notion de « métiers d'art ». La demande qui crée l'offre se fait alors discrète, et si la demande s'absente, l'offre reste vacante. Françoise COEUR voudrait pourtant inverser la proposition et affirmer que l'offre, à condition qu'elle soit d'excellence, créera toujours la demande.
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Mireille GRIMAULT remercie Mme Françoise COEUR pour la précision de son exposé. Il faut retenir la possibilité de poursuite d'études qui, en tant que responsable de niveau V, lui fait extrêmement plaisir.
Mireille GRIMAULT invite maintenant monsieur Pierre BAQUÉ, conseiller technique au cabinet de M. Luc FERRY, ministre de la Jeunesse, de l'Education et de la Recherche, à intervenir sur les évolutions attendues pour les CAP métiers d'art.
* 1 Commission professionnelle consultative