CHAPITRE QUATRE :
LES ALLÈGEMENTS DE TAXE D'HABITATION SONT-ILS
PÉRÉQUATEURS ?
Cette question a-t-elle un sens ? L'article 72-2 alinéa 5 de la Constitution dispose désormais que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales » . Or, les dégrèvements législatifs et les exonérations individuelles de taxe d'habitation visent à corriger des situations jugées inéquitables entre individus , hors la vue des élus locaux. Les transferts de péréquation, au contraire, s'effectuent dans une optique de type non pas individualiste, mais collectif, comme l'écrit de façon provocante Joseph Stiglitz : " Si on considère le seul problème de la redistribution, pourquoi ne pas redistribuer directement aux individus concernés au lieu de le faire indirectement en subventionnant les collectivités les plus pauvres, ce qui bénéficie sans doute aux riches qui vivent dans ces collectivités 55 ( * ) ".
La pertinence de ce raisonnement ne doit pas conduire à ignorer les effets d'une politique de dégrèvements sur le fonctionnement de la décentralisation, en termes d' efficacité d'abord (et non plus de redistribution), si une majorité d'électeurs n'est plus sensible à la pression fiscale locale, en termes de péréquatio n ensuite , si les indicateurs de richesse ou d'effort fiscal sur lesquelles elle repose omettent de prendre en compte les transferts de ressources de l'Etat vers les contribuables locaux dégrevés.
Tout dépend des objectifs que l'on assigne à la péréquation financière locale de manière à la rendre compatible avec le respect de l'autonomie locale. On admet en général que la péréquation doit tendre vers l 'égalisation du ratio « avantage/effort 56 ( * ) » . Mais le passage de ce principe à des mécanismes précis, du fait notamment du rationnement budgétaire des dotations de péréquation conduit à deux types de formules péréquatrices, suivant qu'il est ou non tenu compte de l'effort fiscal.
Ou bien la dotation de péréquation est indexée sur l'effort fiscal local ; encore faut-il que ce dernier soit correctement calculé en présence de dégrèvements, mais les dégrèvements restent sans doute péréquateurs (I.).
Ou bien, pour éliminer toute incitation à augmenter les dépenses, la dotation de péréquation est forfaitisée et ne dépend plus de l'effort fiscal. Toute l'évolution de la péréquation en France (depuis les impôts-ménages jusqu'au potentiel fiscal) a consisté à séparer ce qui était de la liberté des collectivités (la pression fiscale, l'effet taux), à ne pas corriger) de ce qui était hors leur contrôle, c'est à dire leur potentiel fiscal, l'effet base dont on pouvait corriger l'insuffisance. N'y aurait-il pas intérêt dans ces conditions à réduire les subventions implicites générées pour les collectivités locales par les dégrèvements pour accroître en contrepartie les dotations péréquatrices non indexées sur l'effort fiscal (II.).
I. LES DÉGRÈVEMENTS SONT PÉRÉQUATEURS AU REGARD DU SEUL CRITÈRE D'EFFORT FISCAL
La subvention implicite que représentent les dégrèvements constitue l'archétype de la dotation indexée sur l'effort fiscal des ménages puisqu'elle dépend étroitement comme il a été démontré dans le chapitre précédent de la pression fiscale. On abordera deux problèmes : Tout d'abord les dégrèvements contribuent-ils à l'égalisation de la pression fiscale ? (A). En second lieu, comment doivent-ils s'articuler avec les autres dotations faisant appel à la notion d'effort fiscal (B).
A. UNE TENDANCE À L'ÉGALISATION DE LA PRESSION FISCALE APRES DÉGRÈVEMENTS
1. Un constat sans ambiguïté
Que devient la pression fiscale moyenne dans une collectivité après allègements de la taxe d'habitation ? On a, pour ce faire, comparé la pression fiscale avant et après allégements 57 ( * ) dans l'ensemble des communes de plus de 10.000 habitants en la rapportant au revenu médian de chaque commune.
Graphique 4-1
Evolution de la pression fiscale avant
et après allègements (communes de plus de
10.000 habitants)
Avant allègements , la pression fiscale (exprimée par rapport au revenu médian) tend à être plus faible dans les villes ayant les plus hauts revenus que dans les villes où les habitants sont plus pauvres (en moyenne un revenu plus élevé de 10 % correspond à une diminution de 3,8 % de la pression fiscale. Ce n'est que la confirmation de la dégressivité de la taxe d'habitation par rapport au revenu.
Après allègements , la pression fiscale tend au contraire à croître légèrement lorsque s'élève le revenu de la ville. De régressive la taxe d'habitation devient légèrement progressive : un revenu supérieur de 10 % induit une augmentation de 1,5 % de la pression fiscale après allègements. L'écart entre les deux courbes de tendance correspondant à la pression fiscale avant et après allégements illustre ce fort pouvoir correcteur de la politique d'allègement .
Mais cette correction est d'autant plus forte que la commune est caractérisée par une forte pression fiscale avant allégement et que son revenu est bas. On vérifiera d'ailleurs sur le graphique que la dispersion des pressions fiscales après allègements est beaucoup plus faible qu'avant allègements.
Votre rapporteur spécial tient cependant à souligner que cette tendance à l'égalisation de la pression fiscale ne porte que sur des moyennes communales. La politique d'allègements conduit sans nul doute à une augmentation des disparités intracommunales , en particulier là où la pression fiscale est la plus forte, entre les contribuables bénéficiaires d'allègements et les autres.
* 55 La citation de Stiglitz est tirée de « Public economics ».
* 56 Le respect du principe « avantage-effort » permet d'atteindre un niveau donné de consommations collectives avec un effort fiscal identique sur l'ensemble du territoire, chaque collectivité restant maîtresse du choix de ce niveau de consommation collective.
* 57 On a déduit de l'imposition moyenne avant dégrèvement par ménage fiscal le montant des ressources apporté par l'Etat.