B. UNE HÉTÉROGÉNÉITÉ DES PRATIQUES PRÉJUDICIABLE À LA GESTION DES COLLECTIONS

1. L'hétérogénéité des pratiques d'inventaire...

L'absence de principes communs à tous les musées explique pour une large part la situation qui prévaut actuellement en matière d'inventaire.

• Les musées nationaux

Les musées nationaux n'ont pas de pratique commune pour l'établissement des inventaires.

La « circulaire » de George-Henri Rivière ne leur était pas destinée puisqu'elle s'adressait aux seuls musées classés et contrôlés.

Par ailleurs, leurs collections apparaissent comme le fruit de l'histoire et sont, pour les plus importantes d'entre elles, composées d'ensembles disparates, ce qui explique qu'au sein d'une même institution, coexistent plusieurs inventaires, obéissant chacun à leurs règles propres. Enfin, l'étendue même de leurs collections rend extrêmement lourde, voire impossible, toute opération visant à refondre les inventaires à l'occasion par exemple d'une campagne d'informatisation des collections.

La conséquence de ces pratiques disparates est que la diversité des inventaires ne permet pas d'établir avec précision la consistance des collections nationales.

Le cas du Louvre est à cet égard tristement exemplaire.

Comme le souligne la Cour des Comptes dans son rapport public pour l'année 2001, « les inventaires ne permettent pas de connaître le nombre d'oeuvres total des collections du Louvre puisqu'une partie n'y est pas inscrite ».

En effet, dans les départements d'antiquités, s'il existe des rapports de fouilles, des fiches descriptives ou des publications partielles, il est fréquent que les produits des campagnes archéologiques ne soient pas inventoriés. Remédier à cette lacune exige un travail très lourd dans la mesure où, pour certaines collections, il n'existe pas de documents permettant d'établir leur consistance lors de leur entrée au Louvre. Tel est notamment le cas du legs Chauchard dont la composition initiale ne peut être établie qu'à partir d'un inventaire notarié fort succinct joint à l'acte de succession. S'agissant de la collection Campana, acquise en 1861 par l'État, il n'existe pas de livre d'entrée et certaines des pièces la composant n'ont jamais été inventoriées. Ces lacunes sont d'autant plus lourdes de conséquences que ces collections ont été pour partie déposées dans des musées de province.

Par ailleurs, compte tenu de la diversité des méthodes d'inventaire, les documents existants ne permettent pas de dénombrer avec exactitude les pièces qui y sont inscrites. Ainsi, on relèvera que l'inscription de séries d'objets très semblables sous un même numéro d'inventaire peut se révéler source de difficultés en l'absence d'un marquage fiable des pièces.

L'informatisation des collections n'a pas pour l'heure rendu possible une remise à plat des inventaires. En premier lieu, l'étendue des collections et l'historique de leur constitution empêchent tout traitement normalisé « sauf à faire table rase du travail d'inventaire des deux siècles précédents » 12 ( * ) , solution qui doit être exclue compte tenu du nombre de pièces concernées. En second lieu, il apparaît que l'organisation en sept départements du musée du Louvre et l'absence de méthodes communes de travail qui en découle se soient traduites dans l'élaboration des outils informatiques. Ainsi, quatre systèmes informatiques coexistent au Louvre dont la compatibilité n'est pas, semble-t-il, évidente et dont les états d'avancement sont très divers selon les départements en fonction de la nature des collections et de l'état des inventaires sur support papier. Ainsi, si les collections du département des arts graphiques sont totalement informatisées, l'informatisation du département des antiquités orientales ne concerne que 12 % des quelque 100 000 oeuvres qui composent ses collections.

On observe une disparité comparable dans d'autres musées nationaux.

Ainsi, les méthodes présidant à la tenue des inventaires sont très variables selon les divers départements du musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye. Si la situation semble à peu près satisfaisante pour certaines collections (âge du fer, période gallo-romaine), des lacunes préoccupantes ont pu être relevées par la mission. D'après les indications fournies par les conservateurs de ce musée pour les collections du paléolithique, l'inventaire détaillé des collections sous forme papier s'arrête dans les années 1960. Alors que, depuis cette période, ce département est celui dont les collections ont connu le plus grand nombre d'entrées, il faut constater qu'aucun inventaire n'existe actuellement pour des séries lithiques ou osseuses qui représentent pour chacune d'entre elles plusieurs milliers de pièces. Les responsables scientifiques font observer que « l'informatisation de ces pièces à l'aide du logiciel Micromusée s'avère très lourde, faute de personnels, car chaque pièce doit être enregistrée individuellement ».

Pour les collections de l'époque mérovingienne, l'inventaire présente de nombreuses lacunes. Les réponses adressées à la mission indiquent que « les numéros d'inventaire, pour la plupart collectifs, sont souvent devenus presque illisibles sur des objets métalliques dégradés. L'inventaire incomplet, sommaire et rédigé à la hâte, comporte beaucoup d'erreurs et n'intègre que très imparfaitement les documentations disponibles. Pour des objets, parfois célèbres (...), les numéros inscrits sur les objets ont été permutés par rapport à ceux de l'inventaire manuscrit. Les identifications demandent beaucoup de compétences. Elles ne sont souvent que provisoires, surtout pour des objets non restaurés. De nombreuses pièces ont perdu leur numéro ou n'ont jamais été inscrites ; d'autres (en plusieurs morceaux ou renumérotées) en ont quatre ».

Même si sa situation est incomparablement plus satisfaisante, le musée Guimet, en raison de l'histoire même de ses collections, ne dispose pas d'un inventaire unique mais de documents multiples. L'inventaire établi à partir de 1889 (MG), date de création du musée, recense les oeuvres acquises par Émile Guimet puis par l'État. Ce document a été tenu jusqu'en 1944, date après laquelle un nouvel inventaire (MA) a été créé pour marquer l'accès du musée Guimet au statut de musée national des arts asiatiques. Il faut noter que certaines collections entrées à Guimet à cette occasion étaient dotées d'inventaires spécifiques, qui ne furent pas intégrés à l'inventaire courant dit MA. A ces documents, s'ajoutèrent ceux de la collection personnelle d'Émile Guimet (EG), du musée d'ethnographie du Trocadéro (MET) et du musée indochinois du Trocadéro (MIT). Désormais, les nouvelles acquisitions sont inscrites sur le registre MA créé en 1945. L'informatisation du musée a permis de surmonter la difficulté liée au morcellement des inventaires en rassemblant sur une base unique 45 000 oeuvres. Il convient de souligner que cette base constituée sur le logiciel documentaire Micromusée a été saisie par une entreprise privée.

Pour les autres musées, dont les collections sont plus réduites ou bien ont bénéficié dès leur création de bases solides d'inventaire, les pratiques sont plus homogènes. Il semble, d'après les réponses recueillies par la mission, que l'existence d'un inventaire papier demeure la règle, l'outil informatique étant développé au gré des besoins, en fonction des moyens disponibles et selon le choix des conservateurs non pas à des fins d'inventaire mais plutôt pour opérer le récolement des oeuvres ou pour établir des bases documentaires.

• Les musées territoriaux

La situation des musées territoriaux au regard de la question de l'inventaire se pose en des termes sensiblement différents de celle des musées nationaux.

Certes, ces institutions sont confrontées au caractère imprécis ou incomplet des documents anciens. Cependant, leurs collections sont souvent beaucoup moins importantes que celles des musées nationaux, ce qui a permis dans nombre de cas aux conservateurs d'entreprendre la remise à plat des inventaires voire leur constitution. Dans cette tâche, les équipes scientifiques ont bénéficié de l'apport des méthodes élaborées par George-Henri Rivière, ce qui a eu pour effet d'imposer une certaine forme d'harmonisation des pratiques à travers la généralisation de documents fournis par la direction des musées de France (registre en 18 colonnes).

Cependant, pour certaines institutions, des lacunes peuvent être constatées, notamment en raison de l'importance de leurs collections. C'est le cas notamment du musée des Beaux-Arts de Dijon. Ce musée n'a été doté d'un inventaire qu'en 1874, soit près d'un siècle après sa création, période pendant laquelle seuls des catalogues des oeuvres exposées furent publiés. Les inventaires successifs obéissent à des règles très différentes. Ainsi, les documents couvrant la période 1874-1931 ne concernent pas seulement les oeuvres d'art ; y figurent également les acquisitions de matériels muséographiques ou encore d'ouvrages pour la bibliothèque du musée. Ce n'est seulement que depuis 1980 qu'est tenu un registre conforme aux normes de George-Henri Rivière.

* 12 Réponse du président de l'établissement public du musée du Louvre aux observations de la Cour des Comptes (rapport public 2001).

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