II. LES RÉFORMES DE LA FISCALITÉ LOCALE EN EUROPE
A. UNE TENDANCE EN TROMPE-L'oeIL À LA RÉDUCTION DU POIDS FINANCIER DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
1. Une tendance générale à la réduction du poids financier des collectivités territoriales
Comme l'indique le graphique ci-après, la part des dépenses publiques locales dans le PIB a eu tendance à se réduire au cours des années récentes dans la plupart des pays européens, à l'exception de l'Irlande, de l'Espagne, du Portugal et, de manière moins importante, de la France.
L'évolution du poids financier des collectivités
locales en Europe de 1994 à 2000
(dépenses publiques
locales/PIB, évolution en points)
N.B.
Dans les Etats fédéraux - Allemagne, Autriche, Belgique -, ces
chiffres prennent en compte les Etats fédérés.
Source : rapport de l'OFCE (Dexia, 1997, 2002)
2. Les pays où le poids financier des collectivités locales est faible ont connu une évolution inverse
Les données fournies par l'OFCE suggèrent que les différences d'évolution s'expliquent en partie par celles du poids financier des collectivités locales, comme l'indique le graphique ci-après.
Le
poids financier des collectivités territoriales en 1994 et son
évolution de 1994 à 2000
(poids financier :
dépenses publiques locales/PIB, en %)
Evolution
en points,
1994-2000
Poids financier, 1994
N.B. Ces
chiffres prennent en compte les Etats fédérés (Allemagne,
Autriche, Belgique).
Source : d'après le rapport de l'OFCE (Dexia, 1997, 2002)
Ainsi, les pays où le poids financier des collectivités locales
était le plus élevé en 1994 (Finlande, Suède,
Danemark) l'ont depuis réduit.
Inversement, ceux où il était le plus faible (comme la France)
l'ont, en règle générale, augmenté depuis. Il
existe néanmoins quelques exceptions puisque le Royaume-Uni et, surtout,
le Luxembourg, ont réduit le poids financier de leurs
collectivités locales alors que celui-ci était déjà
parmi les plus faibles en 1994.
L' « acte II » de la décentralisation
actuellement en cours en France correspond donc à la tendance
européenne
, les pays où le poids des collectivités
locales est faible s'efforçant d'accroître celui-ci, afin de
permettre une administration plus proche des citoyens.
B. L'ABSENCE DE RÉFORME FISCALE D'ENVERGURE
En revanche, aucune réforme fiscale d'envergure n'a été réalisée dans les années 1990.
1. La fiscalité locale des personnes physiques
Tel est
tout d'abord le cas en matière de fiscalité locale des personnes
physiques.
Comme le rappelle l'OFCE, «
le seul bouleversement d'envergure --
l'introduction, au Royaume-Uni, de la Poll tax, ou Community charge,
impôt forfaitaire local sur toutes les personnes physiques majeures, par
le gouvernement Thatcher en 1990 --, s'était
révélé suffisamment désastreux sur le plan
politique pour calmer les ardeurs des plus fervents
réformateurs
».
On peut également rappeler qu'en France une loi votée en 1990 par
l'Assemblée nationale se proposait de remplacer la part
départementale de la taxe d'habitation par une taxe
départementale sur le revenu des personnes sur le mode des centimes
additionnels à l'impôt sur le revenu des personnes physiques.
Plusieurs réformes significatives méritent cependant d'être
évoquées :
- en France, l'allégement des impôts locaux sur les ménages
(1999-2001), avec notamment la réduction de la taxe d'habitation ;
- en Espagne, la cession aux communautés autonomes (qui,
désormais, assurent le financement des dépenses de santé)
d'une part plus importante d'impôts nationaux (impôt sur le revenu,
TVA) et l'instauration pour elles de la possibilité de créer
leurs propres taxes, et par conséquent d'en fixer l'assiette et le taux
(cf. encadré ci-après).
La réforme de la fiscalité locale en Espagne, selon
Fitch
Ratings
« Les évolutions en matière de fiscalité locale
qui sont intervenues en Espagne ont été marquées par 4
étapes principales.
1982-1987 : Les communautés autonomes participent aux recettes de l'Etat
(
Participaciones en Ingressos del Estado
, PIE) en fonction du coût
effectif des compétences décentralisées.
1987-1995 : La PIE est révisée et évolue vers une
répartition selon des critères objectifs (démographie,
effort fiscal régional). Par ailleurs, en 1992, les communautés
obtiennent une part de 15% de l'IRPP collecté sur leur territoire.
1996-2001 : A partir de 1997 et progressivement jusqu'à 2001, les
régions reçoivent une tranche supplémentaire de 15% de
l'IRPP (avec autonomie sur le taux national de +/- 20%). L'impôt sur les
jeux leur est par ailleurs confié.
A partir de 2002 : Le cadre réglementaire applicable aux
communautés autonomes est régulièrement
renégocié et a été renouvelé le 27 juillet
2001 (modifications applicables en janvier 2002). Les nouveaux accords se
traduisent globalement par un accroissement de l'autonomie fiscale des
communautés en prévoyant :
- une hausse de la responsabilité fiscale régionale : les
recettes des collectivités locales vont devenir plus dépendantes
des taxes locales. Les régions recevront désormais :
- 33% du produit de l'impôt sur le revenu.
- 35% des recettes de TVA.
- 40% des taxes sur les carburants, le tabac et l'alcool ainsi que la
totalité de l'impôt sur le patrimoine et de la taxe sur les
immatriculations automobiles.
Les communautés autonomes disposent par ailleurs de la faculté de
créer leurs propres taxes et par conséquent d'en
déterminer l'assiette et d'en fixer le taux. A titre d'exemple,
l'Estrémadure a créé un impôt sur les
dépôts bancaires. La Catalogne a créé un impôt
sur les grandes surfaces et les Baléares envisagent la création
d'une taxe de séjour.
La modification de la structure des recettes de la plupart des régions
espagnoles : en juillet 2001, les impôts représentent environ 29%
des recettes courantes des régions espagnoles et cette part doit
croître à hauteur de 50% à partir de 2002.
Les régions qui sont le plus susceptibles de bénéficier de
cette autonomie fiscale accrue sont celles qui disposent de bases fiscales
dynamiques et importantes.
Selon Fitch, le système actuel présente les faiblesses suivantes :
- L'autonomie sur les taux des impôts d'état est faible bien que
les communautés puissent jouer sur les abattements et les
dégrèvements (ex: enfants à charge).
- La volatilité des impôts de flux pèsera sur les
communautés. En effet, l'IRPP est fortement lié au cycle
économique et la part des impôts indirects (sans autonomie)
augmente.
- Le remplacement des anciennes dotations par la quote-part d'impôts
d'état est calculé sur la seule base de 1999. On a mesuré
le produit (pro forma) des 33% de l'IRPP et des 35% de TVA sur l'assiette de
1999; soit X ce produit. On a compensé la différence entre X et
les dotations supprimées (base 1999) par une dotation nouvelle. Le
risque est que si 1999 était une année faste pour la
fiscalité, on minore la dotation de remplacement versée
dorénavant. Enfin, la collecte des impôts d'état reste
centralisée. »
Source : Nicolas Painvin (directeur du département Finances publiques
de l'Agence Fitch Rating)s, in Jean Arthuis, Fiscalité locale : quelles
pistes pour la réforme ?, rapport d'information du Sénat
n°289 (2002-2003)
2. L'imposition locale des entreprises
De
même, dans le cas de l'imposition locale des entreprises, plusieurs
réformes méritent d'être évoquées :
- en Allemagne, la « taxe professionnelle »,
précédemment assise sur les immobilisations et la masse
salariale, à l'instar de la taxe professionnelle française,
repose désormais sur les bénéfices ;
- en Italie, depuis 1998 les régions reçoivent les recettes d'une
taxe additionnelle à l'impôt sur le revenu, ainsi que l'IRAP
(impôt sur le revenu des activités productives), qui repose sur la
valeur ajoutée (cf. encadré ci-après).
La réforme de la fiscalité locale en Italie, selon
Fitch
Ratings
« Jusqu'en 1997, 85% des revenus des régions italiennes
étaient constitués de transferts. A partir de 1998, cette
proportion a commencé à décroître rapidement au
profit des impôts dont la part dans les recettes totales est brusquement
passée de 12% à 45% ! Ce développement de la
fiscalité locale est la conséquence directe des lois «
Bassanini » et la loi sur le fédéralisme fiscal en 2000, qui
ont introduit des changements fiscaux majeurs pour les régions à
statut ordinaire.
Ces lois ont en effet créé, au profit des régions, une
taxe additionnelle à l'impôt sur le revenu (IRPEF :
Imposta sul
Reditto delle Persone Fisiche
) composée d'un taux fixe (0,9% en
2000) et d'un taux variable (dans la limite de 0,5% supplémentaire). Les
régions à statut ordinaire ont vu également leur part dans
la taxe sur les carburants augmenter et bénéficient de la
possibilité d'augmenter de 10% le tarif national de la taxe sur
l'équivalent de la carte grise.
Les régions reçoivent par ailleurs un impôt régional
sur l'activité productive (IRAP :
Imposta Regionale sulle
Attività Produttive
) qui a été créé en
1998. Son assiette est constituée de la valeur ajoutée nette hors
amortissement (salaires, charges financières et profits) sur les
entreprises, les commerces, les entreprises agricoles, les professions
libérales, l'Etat et les collectivités publiques. En 2001, les
régions avaient la possibilité d'augmenter le taux normal,
fixé à 4,25%, dans la limite de 1% (soit un taux maximum de 5,25%
) En 2001, le produit de l'IRAP était au total de EUR 25,6 milliards
soit environ un tiers des recettes réelles de fonctionnement des
régions. Celles-ci disposent par ailleurs de la faculté de fixer
des taux d'imposition différenciés selon les catégories
d'entreprises. A titre d'exemple, le Latium a choisi d'imposer plus lourdement
les grandes entreprises du secteur chimique.
Ce mouvement s'est poursuivi en 2001 avec la loi Amato qui a eu pour effet
d'accroître les pouvoirs fiscaux des régions, notamment celui de
créer et de percevoir leurs propres taxes. Cette loi a ouvert la voie
à une révision de la Constitution, confirmée par
referendum le 7 octobre 2001. Selon cette loi, les régions participent
dès lors au partage du produit fiscal perçu sur leur territoire
(pour l'instant à travers la TVA dont 38,5% va aux régions et qui
a remplacé en 2001 les transferts de l'état en matière de
santé). Avec la TVA, le gouvernement central institue un fonds de
péréquation pour les régions les plus démunies
(l'effet péréquatif est total en 2001 puis dégressif,
jusqu'à disparaître en 2013). Par ailleurs, la Commission
Régionale de Contrôle et le Commissaire, instances nommées
par le Premier ministre pour contrôler les activités des
régions, sont supprimées.
Aujourd'hui certaines incertitudes demeurent quant à l'application de
ces nouvelles règles. En effet, s'il semble que les régions aient
le droit d'augmenter sans limite la surtaxe sur le revenu des personnes
physiques, cette question ne fait pas l'unanimité. Par ailleurs, le
gouvernement Berlusconi, inquiet du non-respect de la promesse
électorale de baisse des impôts (l'état diminue ses
impôts mais les régions les augmentent) veut «congeler»
l'autonomie financière des régions. Enfin, la Constitution ne
détermine et ne garantit pas les ressources des régions, qui sont
déterminées par la Loi de Finances. L'Etat dispose donc en la
matière d'un pouvoir discrétionnaire (les régions
ordinaires ne sont pas représentées en tant que telles au
Parlement ou auprès du gouvernement).
En résumé, les régions italiennes ont
réalisé un véritable « bond en avant » en termes
d'autonomie fiscale et financière en passant d'un financement par le
biais de transferts à un financement majoritairement fiscal assorti de
la possibilité d'augmenter les taux et, depuis 2001, de créer
leurs propres taxes. La principale limite à l'autonomie
financière régionale qui tenait jusqu'en 2001 à l'absence
d'une véritable liberté en matière de dépenses --
très largement affectées au secteur de la santé -- a
désormais disparu. Mais les conditions d'acquisition de l'autonomie sont
loin d'être idéales car elles n'ont pas été
suffisamment programmées. Le transfert des compétences dans un
premier temps puis, dans un deuxième temps, des ressources a fait
apparaître des déséquilibres plus ou moins persistants.
Enfin, l'autonomie fiscale est obérée par une certaine «
incertitude du droit » illustrée par la surtaxe IRPEF qui n'a pas
été clairement interprétée et qui risque
aujourd'hui d'être « congelée » par l'Etat. Il est
également question d'abolir l'IRAP, jugé contre-productif
économiquement ; or l'IRAP est la principale ressource offrant une
autonomie. »
Source : Nicolas Painvin (directeur du département Finances publiques
de l'Agence Fitch Rating)s, in Jean Arthuis, Fiscalité locale : quelles
pistes pour la réforme ?, rapport d'information du Sénat
n°289 (2002-2003)
Comme le souligne l'OFCE, si ces assiettes (bénéfices ou valeur
ajoutée) apparaissent économiquement mieux fondées, elles
présentent cependant deux inconvénients : elles sont plus
difficilement localisables, et leurs recettes sont plus sensibles à la
conjoncture.