D. PRÉVOIR UN DISPOSITIF D'ÉVALUATION DES NOUVELLES TECHNIQUES
1. Intégrer l'assistance médicale à la procréation dans le champ d'application de la loi Huriet
Votre délégation condamne vigoureusement tout dispositif tendant à la création d'embryons à des fins de recherche, et estime donc que l'article L. 2141-1-1 précité doit impérativement être modifié.
Toutefois, l'évaluation est scientifiquement et éthiquement indispensable. A défaut d'encadrement, les nouvelles techniques sont, comme ce fut le cas pour l'ICSI, directement mises en oeuvre, sans réelle protection des couples. Une telle situation est en contradiction avec les principes énoncés par la loi n° 88-1138 relative à la protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale du 20 décembre 1988, dite « loi Huriet ».
La technique de l'ICSI n'a pas été soumise à ces principes puisque les expérimentations animales n'ont pas été validées et que le rapport entre les bénéfices et les risques pour les enfants nés d'ICSI n'a pas été évalué avant son application à l'homme.
D'après une enquête menée par trois chercheurs français auprès des 48 Comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB) à laquelle 36 comités ont répondu, trois centres seulement ont jugé nécessaire d'en référer à un CCPPRB sans que la loi leur en fasse obligation, alors que l'ICSI est utilisée dans plus de vingt centres.
Le problème essentiel réside dans la définition du concept de « recherche sur une personne » et sur le champ d'action des CCPPRB. Pour certains, toute recherche sur l'humain ou des produits du corps humain est de leur ressort, ce qui semble en accord avec l'esprit de la loi Huriet. Pour d'autres, leur champ de compétence porte sur le concept de protection des personnes. Les recherches n'impliquant pas directement des personnes mais des éléments du corps humain ne seraient donc pas naturellement de leur ressort. Ces CCPPRB souhaitent néanmoins que leur champ de compétence soit élargi ou précisé dans ces domaines.
En conséquence, votre délégation suggère d'intégrer les nouvelles techniques d'AMP dans le champ de la loi Huriet. Toute nouvelle technique s'insérerait dans un processus global allant de l'induction de l'ovulation ou du prélèvement des gamètes jusqu'au transfert d'embryons. Elle serait assimilée à une recherche biomédicale sur la femme chez qui le transfert est réalisé.
2. Prévoir des protocoles d'évaluation des nouvelles techniques
Il conviendrait de prévoir un nouveau dispositif d'évaluation à l'article L. 2141-1-1 du code de la santé publique. Aux termes de celui-ci, en cas d'utilisation d'une nouvelle technique, la prise en charge des couples ne pourrait se faire que dans le cadre d'un protocole de recherche clinique pluridisciplinaire relevant des prescriptions de la loi Huriet, comprenant l'avis d'un CCPPRB et validé par l'APEGH. A la différence des protocoles prévus par l'Assemblée nationale, les embryons seraient ici conçus dans le cadre d'une demande parentale, et auraient vocation à être transférés.
La mise en place de ces protocoles permettrait, en premier lieu, de protéger les couples, et d'encadrer les conditions de la recherche selon les critères définis par la loi Huriet : établir des prérequis scientifiques avant de lancer toute recherche sur l'homme, évaluer le rapport bénéfice/risque pour l'individu qui se prête à la recherche, établir un protocole très encadré.
Par ailleurs, les protocoles comporteraient une phase d'observation de l'embryon « in vivo », ce qui n'est pas le cas dans l'actuel projet de loi.
Enfin, la soumission des protocoles aux CCPPRB permettrait une publicité plus grande des pratiques, puisque ceux-ci sont une instance représentative de la collectivité. Lors de la mise en place de l'ICSI, les CCPPRB ont été tenus à l'écart, évitant que le débat social n'ait lieu.
Le projet nécessiterait un promoteur soumis à une obligation d'assurance. Il convient cependant de noter que, depuis l'article 1 er de la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002 (dite « loi anti-Perruche »), l'enfant ne saurait obtenir réparation de son préjudice personnel tandis que ses parents pourraient être indemnisés.
Certes, le recueil du consentement des personnes, le passage devant un CCPPRB, et la nécessité de trouver des assureurs, constituent des contraintes lourdes.
Toutefois, l'absence d'encadrement actuel entraîne des risques certains. Il convient de rappeler que l'ICSI, technique non expérimentée sur l'animal, découverte à la suite d'une erreur de manipulation, est actuellement en passe de représenter 50 % des FIV, alors même que ses risques sont de plus en plus souvent évoqués. Citons le CCNE dans son avis de 1994 : « Quoique l'évaluation des conséquences de l'emploi de nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation reste à faire, l'apparente efficacité de certaines d'entre elles (fécondation assistée par injection intra-cytoplasmique de spermatozoïdes) pourrait inciter à en élargir les indications, voire à en faire des méthodes habituelles. Par ailleurs, ces techniques peuvent ouvrir la voie au développement de procédés supplémentaires dont la valeur scientifique, l'efficacité, l'innocuité et la légitimité éthique doivent être attentivement examinées : choix du spermatozoïde sur des critères biologiques (par exemple, choix du sexe), transfert de matériel génétique dans l'embryon, culture prolongée avant transfert pour la réalisation des études génétiques sur un plus grand nombre de cellules (choix du sexe, recherche de gènes de susceptibilité à des maladies ou d'autres caractères génétiques). Ces exemples montrent à quel point une extrême vigilance doit être observée dans le développement des nouvelles méthodes d'assistance médicale à la procréation » .
Un suivi des enfants devrait également être mis en place. Aujourd'hui, les initiatives restent isolées, et portent sur de petits groupes, ce qui limite la portée des résultats obtenus. Afin de ne pas être intrusif pour les couples, et stigmatisant pour les enfants, un tel suivi doit se faire sur la base du volontariat.
L'application clinique des nouvelles techniques devrait ensuite être, comme le projet de loi le prévoit, soumis à l'autorisation préalable du ministre chargé de la santé, après avis de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines.
En tout état de cause, les couples doivent être informés sur l'état de la recherche, afin d'opter pour une solution en connaissance de cause. Votre rapporteur suggère à cet égard de distinguer les techniques éprouvées, les techniques en évaluation, et les techniques en recherche, comme le propose l'Académie de médecine.