II. DES PISTES DE RÉFORME : AMÉNAGEMENTS PONCTUELS OU RESTRUCTURATION D'ENSEMBLE ?
Avant d'exposer les conclusions que votre rapporteur général tire de l'étude comparative menée par le cabinet Archibald International (réseau E&Y), il convient de les remettre dans leurs contextes financier et sociologique, en rappelant les données récentes fournies à votre commission des finances par la direction générale des impôts.
C'est sur la base de ces éléments de fait, ainsi qu'à partir d'information, recueillies à l'occasion d'auditions, que votre rapporteur général s'est efforcé de tirer les conséquences de l'étude du cabinet Archibald International (réseau E&Y), en distinguant nettement les aménagements ponctuels des réformes à moyen terme qui restent, selon lui, indispensables.
A. LES FRANÇAIS ET LA TRANSMISSION DES PATRIMOINES
La direction générale des impôts a fourni à votre rapporteur général des éléments d'information sur la façon dont les Français transmettent leur patrimoine.
Cet état des lieux résulte d'une étude par sondage établie à partir de l'analyse d'un échantillon représentatif de 10.390 actes, se répartissant en 5.236 successions et 5.154 donations relatives à l'année 2000.
C'est à partir de ce sondage qu'a été reconstitué, pour l'année 2000, le nombre total d'actes qui seraient, pour la France entière, de 360.700 successions et 510.900 donations.
1. Successions et donations en chiffres
Déjà sur la base des données pour 1994, l'INSEE pouvait conclure que les décès donnent de plus en plus souvent lieu à une déclaration de succession. En 1994, c'était le cas de 60 % des décès contre 49 % dix ans plus tôt. 8 % des défunts, généralement les plus fortunés, avaient déjà transmis de leur vivant une partie de leur patrimoine sous forme de donations, dans un cas sur deux, leur valeur était égale ou supérieure au patrimoine laissé au décès.
La tendance se poursuit, puisque le ratio nombre de décès/nombre de successions déclarées atteint aujourd'hui 67,3 %. Un phénomène de cette ampleur ne peut s'expliquer que s'il tient à l'accroissement des petites successions : on se situe à presque 100.000 successions de plus qu'il y a 15 ans, soit une augmentation de près de 40% !
8,6 % des successions avaient déjà donné lieu à des libéralités antérieures. Sur les 360.700 successions recensées, 31.000 correspondent à des successions comportant des donations antérieures.
Il y a quinze ans, ces chiffres relatifs à l'actif net s'établissaient respectivement aux alentours de 49.000 euros et 56.000 euros en monnaie 2000, ce qui laisse penser que la richesse transmise a beaucoup augmenté.
Le montant transmis est, avec 99.940 euros, proche de 100.000 euros. Cet actif net transmis moyen est presque le double de l'actif net transmis médian, c'est-à-dire du montant de la succession pour lequel l'on trouve autant de successions d'un montant inférieur que de successions d'un montant supérieur.
Évolution du nombre de décès 1980-2000
Année |
Décès |
1980 |
547 107 |
1985 |
552 496 |
1990 |
526 201 |
1995 |
531 618 |
1996 |
535 775 |
1997 |
530 319 |
1998 |
534 005 |
1999 |
537 661 |
2000(p) |
536 300 |
2001(p) |
528 000 |
Source : DGI - bureau M Z
Les données relatives à la structure des patrimoines révèlent clairement ce que possèdent aujourd'hui les Français à la fin de leur vie.
On constate ainsi que pour les petites successions, qui sont inférieures à la succession médiane, les liquidités sont importantes puisqu'elles représentent, selon les tranches, entre 50 % et 70 % de l'actif successoral. La part de l'immobilier est relativement modeste, entre 20 % et 40 %. On note l'importance du passif de succession qui atteint presque 12 % pour les successions d'un montant inférieur à 26.500 euros.
A « l'autre bout de l'échelle », en l'occurrence les successions supérieures à l'actif moyen transmis, soit près de 100.000 euros, les liquidités et les valeurs mobilières représentent 50 % de l'actif successoral ; l'immobilier constitue 44 % de l'actif, soit un pourcentage légèrement inférieur à celui que l'on constate pour les successions comprises entre 53.000 euros et 99.400 euros, où il atteint le maximum de 50 %.
L'enquête fournit également des informations sur la qualité des héritiers et leur héritage moyen. En 2000, 1,12 million de personnes avait hérité. Parmi celles-ci, on comptait 160.000 conjoints, 725.000 enfants et 14.500 petits-enfants. L'on apprend également qu'il y a presque autant de frères et soeurs qui héritent que de personnes non parentes, les parents éloignés étant au nombre de 123.000. L'héritage moyen est relativement faible pour les conjoints, soit 25.910 euros. Il est plus important pour les enfants (33.700 euros) et pour les petits-enfants (41.400 euros), ainsi que pour les personnes non parentes et, dans une moindre mesure, pour les frères et soeurs. Sans doute y a-t-il là l'effet du nombre absolu des intéressés.
Votre rapporteur général peut également faire État d'informations sur la concentration de l'impôt qui s'est accrue ces dernières années comme le montrent les tableaux ci-dessous.
Les donations, dont le nombre total atteint 511.000, comprennent, pour plus de la moitié, des dons manuels. Les donations-partages et donations simples atteignent respectivement le nombre de 94.000 et 139.000, pour des montants par donataire compris entre 53.000 et 57.000 euros, à comparer aux 25.500 euros de moyenne pour les dons manuels. Au total, le montant moyen d'une donation est de 61.500 euros, avec des montants moyens qui vont de 25.600 euros pour les dons manuels à 57.700 euros pour les donations-partages, en passant par 68.000 euros pour les donations simples.
L'âge des donateurs se répartit de façon à peu près équilibrée entre ceux qui ont moins de 65 ans, ceux qui ont entre 65 et 75 ans et ceux qui ont plus de 75 ans. Près de 159.000 donateurs, auxquels s'ajoutent 33.000 deuxièmes donateurs, ont plus de 75 ans au moment de la donation, ce qui peut témoigner de la volonté de certaines personnes de donner en l'absence même d'avantages fiscaux spécifiques mais est peut-être aussi la conséquence de la prolongation jusqu'au 30 juin 2001 de l'abattement de 30% sur les droits de donation sans limite d'âge, c'est-à-dire au delà de 75 ans.
De même que l'on décède de plus en plus vieux, on hérite de plus en plus tard 48 ans en 1984, 51 ans en 1994 et 52 ans en 2000.
2. Les transmissions d'entreprises
Les informations du tableau ci-dessous, relatives aux transmissions d'entreprises déclarées en 2000 et aux demandes de crédits de paiement, sont à prendre avec une certaine précaution compte tenu de la faiblesse des échantillons qui ont permis la reconstitution de ces chiffres globaux.. Les transmissions d'entreprises individuelles ne représentent que 59 observations pour les successions et 17 observations pour les donations. De même, les transmissions de parts ou actions de sociétés sont peu représentatives.
En ce qui concerne les entreprises individuelles, on compte 3.472 successions et 738 donations, pour des montant moyens transmis égaux respectivement à 43.000 euros et à 111.000 euros. Pour les successions, on ne compte que 89 demandes de paiement fractionné et 156 demandes de paiement différé, sans qu'aucune demande ne concerne le bénéfice de ces deux facilités. On ne dispose pas d'éléments sur les raisons pour lesquelles, aucune demande de paiement fractionné ou différé n'a été acceptée. A titre d'hypothèse, on peut évoquer, soit la valeur modeste des entreprises individuelles, soit l'insuffisance des garanties apportées par les contribuables à l'appui de leur demande.
Les transmissions de parts ou actions de sociétés sont plus nombreuses. Elles concernent 144.500 successions et 77.800 donations, pour des montants moyens respectifs de l'ordre de 60.000 euros et 64.500 euros. Les demandes de paiement fractionné ou de paiement différé atteignent, pour cette catégorie d'actifs, respectivement 48.000 euros et 133.000 euros.
3. Recettes et droits perçus en 2000
Les tableaux ci-dessous témoignent de la relative faiblesse du montant des droits perçus par opération. Le fait que les droits médians soient égaux à zéro résulte de ce que seul un petit quart des successions donneraient lieu à perception de droits et que ce sont près de 90% des transmissions entre époux et 80 %en ligne directe, qui ne donnent pas à perception de droits.
Pour l'ensemble des mutations à titre gratuit, les droits perçus médians sont nuls ; ils se situent entre 2.700 euros et 5.100 euros pour les donations et les successions.
En revanche, lorsque l'on considère les seules opérations donnant lieu à paiement de droit, les montants sont plus importants, tout en restant relativement modestes.
Ainsi, pour les dons manuels, le droit moyen perçu atteint à peine 4.500 euros. Pour les donations, ils sont compris entre 7.500 euros et 8.500 euros pour des droits médians de l'ordre de 2.000 euros. Seuls les droits perçus pour les successions, avec un montant moyen de 15.000 euros et un montant médian de 3.000 euros, sont substantiels.
4. La croissance des recettes fiscales : effet de richesse ou captation d'héritage?
Les statistiques établies par votre rapporteur général témoignent de l'accroissement spectaculaire de la part des droits de mutations à titre gratuit dans les recettes fiscales de l'État : celles-ci sont passées, depuis 1980, de 1 à plus de 7 milliards d'euros en monnaie courante et de 1 à 3% du total des recettes fiscales du budget de l'État .
Si l'on tient compte du produit de l'impôt sur la fortune, qui peut s'interpréter comme une forme de paiement anticipé des droits de mutation, le poids réel des impôts sur le capital prélevés pour le budget de l'État est encore plus lourd, puisque le total se rapproche des 10 milliards d'euros et du seuil des 4 % des recettes fiscales nettes à comparer aux 1 % du début des années quatre vingt.
Aboutir presqu'au quadruplement en 20 ans de la part que représente dans le budget, les impôts sur le capital prélevés au profit de l'État ne peut pas ne pas avoir d'effet sur l'attractivité du territoire .
Les graphiques permettent de distinguer trois grandes phases dans l'évolution du produit des droits de mutation :
- une période de 11 années de forte croissance , notamment pour les donations qui restent toutefois à un niveau modeste en montant absolu : de 1980 à 1991 , les recettes de droits de mutation sont multipliées par près de 3,5 passant de 990 millions d'euros à 4,1 millions d'euros courants. Cette forte croissance de presque + 14 % par an s'explique à la fois par la hausse des taux du barème et les prélèvements consécutifs à l'inflation par suite de la non indexation des seuils.
- une période de stabilisation entre 1991 et 1995 , au cours de laquelle, le produit des droits de mutation n'a augmenté que de + 2,6% par an ;
- une nette reprise à partit de 1995 , au rythme de + 8,6% par an, étant noté qu'environ un milliard d'euros pourraient, en tout ou partie, résulter au cours des années 1999, 2000 et 2001 des mesures favorables aux donations anticipées et que la tendance lourde se situerait plutôt aux alentours de 7,4 %.
En fait, la croissance du produit des droits de mutation à titre gratuit est étroitement corrélée à celle de l'assiette. Il est inutile de rappeler l'évolution du CAC 40, qui en dépit du recul de ces derniers mois reste en croissance sur le long terme.
De même pour la valeur des biens immobiliers l'administration a fourni des éléments qui, en ce qui concerne les seuls redevables de l'ISF, retrace l'augmentation de la valeur des patrimoines immobiliers.
On retrouve bien dans ce graphique le palier des années 1990-1995 et la croissance générale des bases imposables.
Peut-on toutefois exciper de l'enrichissement des Français pour justifier l'accroissement du poids des impôts sur le patrimoine prélevés par l'État ? En monnaie courante, le produit de l'impôt a été multiplié par 10 depuis 1980. C'est certainement sensiblement moins que l'immobilier et sans doute aussi que le montant des portefeuilles de valeurs mobilières.
Cette évolution tient à l'absence à la fois de mécanismes d'indexation des seuils comme il en existe en matière d'impôt sur le revenu et de vague de réformes d'ensemble comme on en voit périodiquement se produire pour d'autres prélèvements pour lesquels la pression des électeurs conduit les Gouvernements à annoncer et mettre en oeuvre des plans d'envergure allégeant ou exonérant toujours plus de contribuables.