D. LA PROBLÉMATIQUE DES FAMILLES RECOMPOSÉES
L'augmentation du nombre de divorces a entraîné une mutation des modèles familiaux auxquels il convient désormais d'inclure les familles recomposées. Ce phénomène reste insuffisamment pris en compte par le système fiscal français, notamment en matière de mutations à titre gratuit, où l'on continue de raisonner d'après un schéma traditionnel où tous les enfants présents au sein du foyer familial sont issus du même mariage. Il en résulte des incohérences manifestes particulièrement s'agissant des donations aux enfants du conjoint issus d'un premier lit. En effet, les donataires sont considérés comme des non-parents et dès lors, la mutation est taxée au taux de 60% sans application d'aucun abattement.
La seule issue permettant de gratifier les enfants de son conjoint à un coût fiscal acceptable consiste alors à recourir à une adoption simple. En principe, seuls les enfants ayant fait l'objet d'une adoption plénière sont assimilés, pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, à des enfants légitimes et bénéficient donc du régime fiscal des transmissions en ligne directe. Toutefois, bénéficient également de ce régime fiscal, les transmissions faites en faveur des enfants ayant fait l'objet d'une adoption simple lorsqu'il s'agit des enfants issus d'un premier mariage du conjoint de l'adoptant selon les termes de l'article 786 du Code général des impôts.
Il apparaît cependant que l'adoption, même simple, reste une mesure relativement lourde dont la motivation principale devrait être en principe autre que fiscale. Elle peut en outre soulever des difficultés d'ordre familial en présence du parent naturel. Elle nécessite en effet le recours à une procédure judiciaire avec requête devant le Tribunal de Grande Instance et l'instruction de la demande par le Tribunal, puis jugement rendu dans les six mois du dépôt de la requête. Bien que le recours à une telle procédure puisse sembler exagérément compliqué lorsqu'il s'agit simplement de gratifier des personnes que l'on a pu élever comme ses propres enfants, c'est pourtant actuellement le seul moyen de gratifier à un coût fiscal acceptable les enfants du conjoint issus d'un premier lit.
E. CONCLUSION : DES ÉBAUCHES DE RÉFORMES ENCORE TIMIDES : UNE FRANCE QUI SE FRAGILISE DE NE POUVOIR MIEUX TRANSMETTRE
Ces dernières années ont vu souffler un vent de réforme sur le système français de transmission à titre gratuit, les mesures les plus novatrices concernant notamment les entreprises et le statut du conjoint survivant. Bien que représentant une avancée certaine, ces mesures n'apparaissent toutefois pas suffisantes pour apporter une réelle efficacité au régime français des transmissions à titre gratuit.
Aujourd'hui, la transmission du patrimoine reste l'une des préoccupations majeures des contribuables français disposant d'un patrimoine significatif, dont l'origine est souvent la création d'une entreprise prospère. En effet, le coût élevé de la transmission de leur patrimoine, cumulé à l'ISF et à un impôt sur le revenu parmi les plus élevés de l'Union européenne, les incite souvent à se délocaliser soit pour préserver l'intégrité de ce patrimoine et sa transmission ultérieure aux générations futures, soit pour procéder à la cession d'une partie de ce patrimoine, et notamment d'une entreprise, à un coût plus faible que celui qui serait applicable en France.
En effet, le coût de la transmission d'une entreprise en France par exemple est tel, que bien souvent la charge financière qu'elle représente, cumulée avec l'ISF, ne peut être assumée par les héritiers qui sont alors contraints de vendre l'entreprise à des repreneurs étrangers. A cet égard, l'ASMEP soulignait dans une lettre de décembre 2001, « que compte tenu des niveaux d'imposition pratiqués en France (ISF et droits de transmission) les héritiers sont souvent contraints de vendre l'entreprise pour pouvoir acquitter les droits de succession » et qu'il en résulte une « hémorragie d'entreprises » résultant de leur cession par les héritiers à des groupes étrangers, laquelle se traduit souvent par des licenciements, des délocalisations et même des fermetures d'établissements portant gravement préjudice au tissu économique français.
L'ASMEP cite notamment, pour illustrer son propos, les sociétés SHRM, Bioblock Scientific, Bouchara, Chauvin, Dauphin Ota, Jet Services, Nouvelles Frontières, Pomagalski, Potain, Salomon, Transports Dubois et VMC.
Afin de mieux mesurer la compétitivité fiscale ou non de la France, il est bien entendu nécessaire de situer le régime français dans un contexte international, européen notamment. A titre d'illustration, le tableau figurant ci-dessous permet de comparer le coût global de la transmission d'une entreprise à la génération suivante par décès successif des parents en France et dans sept pays européens dont six sont membres de l'Union européenne. Il s'agit de l'Allemagne, la Suède, la Grande-Bretagne, l'Italie, la Belgique et l'Espagne et de la Suisse.
L'hypothèse retenue est celle d'un couple marié sous le régime de la communauté légale avec deux enfants majeurs. Le patrimoine des époux n'est composé, pour les besoins de l'illustration, que de biens professionnels constitués sous la forme d'une société non cotée d'une valeur de 15 millions d'euros. Au jour du décès de chacun des parents, le régime de faveur relatif aux transmissions d'entreprises par décès s'applique dans chaque pays.
Cette comparaison permet de constater que le taux global d'imposition de la succession de l'entreprise en question en France est de 15,5%. A ce titre, la France se classe en dernière position, loin derrière l'Italie et la Grande-Bretagne où la transmission de l'entreprise se fait en franchise de droits, derrière l'Espagne, la Belgique et la Suisse où le taux effectif d'imposition est respectivement de 0,7%, 3% et 7,2% et, enfin, derrière l'Allemagne et la Suède où le taux global d'imposition est respectivement de 10,2% et 12,6%.
On peut cependant noter que si les conditions d'application du régime de faveur français, lesquelles sont notablement plus lourdes que dans les autres pays, n'étaient pas remplies au jour du décès (en l'absence d'engagement collectif de conservation des titres préalable au décès), le taux effectif d'imposition serait de 36,8% en France.
Ceci étant, on peut également noter que la compétitivité de la France n'est pas meilleure s'agissant de la transmission d'un patrimoine moins conséquent et essentiellement composé de biens non professionnels, comme l'illustre un second exemple ci-après.
Dans ce second exemple, l'hypothèse retenue est celle d'un couple marié sous le régime de la communauté légale avec deux enfants majeurs, dont le patrimoine commun, non professionnel, s'élève à 540.000 euros. Au jour du décès de chacun des parents, aucune disposition testamentaire n'a été prise.
Cette comparaison révèle que le taux effectif d'imposition de l'actif successoral serait de 11,9% en France. La France se classe ainsi en avant dernière position loin derrière l'Italie et l'Allemagne où la transmission du patrimoine se fait en franchise de droits, et derrière la Suisse, la Belgique et la Grande-Bretagne où le taux global d'imposition serait respectivement de 4,5%, 5,7% et 8,2%. La France se place encore juste derrière l'Espagne où le taux global d'imposition de 11,6% serait très proche de celui de la France. Seule la Suède se place derrière la France avec un taux global d'imposition de 29,1%.
Comparaison du coût d'une transmission par décès d'une entreprise en France et dans quelques pays européens |
Exemple d'un couple marié sous le régime légal avec deux enfants majeurs dont le patrimoine de 15 M€ est composé exclusivement de biens professionnels (société non cotée) . Au jour du décès, le conjoint survivant a 62 ans. Application du régime de faveur prévu en matière de transmission d'entreprise selon le pays de résidence en l'absence de préparation de la succession et de dispositions testamentaires.
Lieu de la résidence du défunt et des héritiers ou légataires au jour du décès |
|||||||||||||||||||
France |
Allemagne |
Suède |
UK |
Italie |
Suisse 49 ( * ) |
Belgique 50 ( * ) |
Espagne |
||||||||||||
Sans régime de faveur |
Avec régime de faveur |
||||||||||||||||||
Coût fiscal total : |
<5.524.082 €> |
2.332.477€ |
<1.525.016 €> |
< 1.898.985 €> |
Exonération totale |
Exonération totale |
<1.082.908 €> |
<445.571 €> |
<109.226 €> |
||||||||||
Patrimoine net transmis : |
9.475.918 € |
12.667.523 € |
13.474.984 € |
13.101.015 € |
15.000.000 € |
15.000.000 € |
13.917.092 € |
14.554.429 € |
14.890.774 € |
||||||||||
Taux global d'imposition : |
36,8% |
15,5% |
10,2% |
12,6% |
0% |
0% |
7,2% |
3% |
0,7% |
||||||||||
Classement des pays par ordre croissant des taux effectifs d'imposition |
8 |
7 |
5 |
6 |
1 |
1 |
4 |
3 |
2 |
Comparaison du coût d'une transmission par décès en France et dans quelques pays européens en l'absence de préparation de la succession |
Exemple d'un couple marié sous le régime légal avec deux enfants majeurs dont le patrimoine de 540.000€ est composé exclusivement de biens non professionnels . Au jour du décès, le conjoint survivant a 62 ans, et aucune disposition testamentaire n'a été prise.
Lieu de la résidence du défunt et des héritiers ou légataires au jour du décès |
||||||||
France |
Allemagne |
Suède |
UK |
Italie |
Suisse 51 ( * ) Canton de Genève |
Belgique |
Espagne |
|
Coût fiscal total : |
<64.400 €> |
0 |
<157.395 €> |
<44.465 €> |
Exonération totale |
<24.197 €> |
<30.677 €> |
<62.495> |
Patrimoine net transmis : |
475.600 € |
540.000 € |
382.605 € |
495.535 € |
540.000 € |
515.803 € |
509.323 € |
477.505 € |
Taux global d'imposition : |
11,9% |
0% |
29,1% |
8,2% |
0% |
4,5% |
5,7% |
11,6% |
Classement des pays par ordre croissant des taux effectifs d'imposition |
6 |
1 |
7 |
4 |
1 |
2 |
3 |
5 |
* 49 Il convient cependant de noter que si la succession avait été ouverte dans le Canton du Valais, elle aurait été totalement exonérée.
* 50 Il convient de noter que la succession serait totalement exonérée de droits en Flandre.
* 51 Le taux de conversion retenu est celui de l'Administration fiscale Fédérale au 31 décembre 2001, soit 1 € = 1,46 CHF.
Il convient cependant de noter que si la succession avait été ouverte dans le Canton du Valais, la succession aurait été totalement exonérée.