B. UNE PRISE DE CONSCIENCE RÉCENTE ET INACHEVÉE DE LA SPÉCIFICITÉ DE LA TRANSMISSION DE L'ENTREPRISE
L'émergence d'un régime fiscal spécifique à la problématique des transmissions d'entreprises est une innovation récente à laquelle les recommandations de la Commission européenne ont largement contribué 43 ( * ) .
1. Une avancée non négligeable
Ce régime aussi bien applicable aux transmissions par décès de parts ou actions de société 44 ( * ) qu'aux transmissions d'entreprises individuelles 45 ( * ) , prévoit que ces transmissions sont, sous certaines conditions, exonérées de droits de succession à concurrence de la moitié de la valeur de l'entreprise sans limitation de montant.
Cette exonération est subordonnée au respect d'un certain nombre de conditions résumées dans le tableau suivant :
Conditions d'application |
Entreprise individuelle |
Parts ou actions de sociétés |
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Titres non cotés |
Titres cotés |
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Activité exercée |
Activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale |
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Exigence d'une durée de détention des biens transmis avant le décès |
oui (2 ans) si acquisition à titre onéreux non si création ou acquisition à titre gratuit |
oui (2 ans) dans le cadre d'un engagement collectif engagement pris par le défunt pour lui et ses ayants cause à titre gratuit |
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Objet de l'engagement de conservation |
Ensemble des biens affectés à l'exploitation de l'entreprise |
34 % des droits de vote et financiers |
25 % des droits de vote et financiers |
Exigence d'un délai de conservation après le décès |
6 ans pour les héritiers et légataires et leurs ayants cause à titre gratuit |
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Exigence de l'exercice de certaines fonctions par l'un des héritiers et légataires (ou associés) |
5 ans Exploitation de l'entreprise |
5 ans société de personnes : exercice de l'activité principale société soumise à l'IS 46 ( * ) : exercice de fonctions de direction |
Initialement, l'engagement collectif de conservation devant être conclu avant le décès portait sur une période d'au moins huit ans, suivie d'un engagement individuel de conservation pendant huit ans à compter de l'expiration de l'engagement collectif. Considérés comme trop restrictifs, ces délais ont été respectivement portés à 2 et 6 ans par la loi de finances pour 2001.
Antérieurement à la création de ce régime spécifique aux entreprises, les donations et successions d'entreprises ne pouvaient bénéficier que d'une mesure de crédit en vertu de laquelle le paiement des droits était différé puis fractionné. Le bénéfice de ce crédit, qui est toujours applicable, peut se cumuler avec le régime de faveur décrit précédemment. Il est toutefois soumis à certaines conditions résumées dans le tableau ci-dessous :
Entreprise individuelle |
Parts et titres de société non cotée |
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Activité exercée |
Activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale |
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Objet de la mutation |
Ensemble des biens dépendant de l'exploitation (sauf existence d'une communauté entre époux) Entreprise exploitée par le défunt |
Titres représentant au moins 5 % du capital social |
Définition du régime de faveur |
Paiement différé pendant 5 ans (versement annuel des seuls intérêts du crédit), puis fractionné sur 10 ans (1/20 tous les 6 mois) avec versement d'un intérêt semestriel. Maintien du bénéfice fractionné et différé en cas de restructuration ultérieure de l'entreprise (apport pur et simple, fusion, scission). |
A compter du 15 juillet 1996, le montant du taux d'intérêt exigible sur le paiement fractionné a été réduit de 2/3 ; il s'élevait à 1,40 % en 2001.
Par ailleurs, afin de remédier au problème soulevé par l'évaluation de l'entreprise, une procédure, dite « de rescrit » a été instaurée depuis 1998 47 ( * ) . Cette procédure permet aux dirigeants d'entreprises individuelles ou de sociétés non cotées qui envisagent de donner tout ou partie de l'entreprise de consulter l'administration fiscale sur la valeur de ces biens. Cette procédure concerne uniquement les projets de donation portant sur des entreprises ou titres de sociétés non cotées répondant à la définition des biens professionnels au sens de l'ISF. Si la donation intervient dans les trois mois de l'accord exprès de l'administration, lequel doit intervenir dans un délai maximum de neuf mois à compter du dépôt du dossier, l'évaluation retenue ne pourra plus être remise en cause. Le bénéfice de cette mesure, qui devait initialement s'achever le 30 juin 2001, a été prorogé jusqu'au 30 juin 2006 48 ( * ) .
2. Des réformes témoignant d'une prise de conscience des spécificités inhérentes à l'entreprise, mais encore insuffisantes pour assurer un régime réellement efficace de transmission
Quand bien même la création de ce régime de faveur constitue un progrès important en matière de transmission d'entreprises, il apparaît néanmoins impropre à créer un cadre réellement efficace de transmission. En effet, plusieurs critiques de ce régime peuvent être faites et démontrent ses limites.
En premier lieu, le régime de faveur n'est applicable qu'aux seules transmissions par décès, à l'exclusion des transmissions entre vifs. Or, compte tenu de l'incitation constante des transmissions anticipées, on comprend mal pourquoi le champ d'application de ce régime est ainsi limité aux seules successions.
S'agissant de la valorisation de l'entreprise, si la mise en place de la procédure de rescrit constitue une solution même temporaire aux difficultés liées à la détermination de la valeur de l'entreprise en matière de donation, la pratique semble bouder ce dispositif et le problème reste en tout état de cause entier en cas de transmission par décès. En outre, dans une telle situation, la valorisation de l'entreprise pose des problèmes qui dépassent le simple désaccord sur le mode d'évaluation retenu par l'administration fiscale. En effet, la valeur de l'entreprise retenue pour le calcul des droits de succession est celle constatée au jour du décès. Or, cette méthode d'évaluation ne permet pas de tenir compte des conséquences du décès sur la valorisation de l'entreprise bien qu'il soit fréquent que la valeur de l'entreprise subisse une forte décote du fait de la perte de son homme-clé .
Une troisième critique peut encore être formulée s'agissant du mode de calcul des droits de mutation. L'absence de barème spécifique est regrettable dans la mesure où elle conduit quasiment toujours, compte tenu de la faiblesse de la tranche marginale d'imposition en comparaison à la valeur des entreprises, à appliquer aux transmissions d'entreprises même de taille modeste, le taux marginal d'imposition. Les héritiers se trouvent ainsi fréquemment dans l'impossibilité de faire face au coût d'une telle transmission et sont alors contraints de céder l'entreprise et ce, malgré la possibilité de crédit. En effet, le régime de paiement fractionné et différé est applicable aux seules entreprises individuelles et sociétés non cotées, à l'exclusion des sociétés cotées. Par ailleurs le bénéfice de cette mesure implique de constituer des garanties qui sont souvent refusées lorsqu'elles portent sur les biens ou les titres de la société elle-même.
Enfin, sont exclues du bénéfice du régime de faveur, les transmissions portant sur des sociétés holdings « pures » qui ne peuvent invoquer la qualité de holding « animatrice » (au sens de l'ISF) auxquelles recourent pourtant les entreprises industrielles et commerciales familiales afin d'assurer leur développement et leur transmission. En effet, le bénéfice du régime de faveur est réservé aux entreprises poursuivant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale, auxquelles sont assimilées les sociétés qui « animent » le développement et la gestion de leur groupe.
D'une manière générale, l'efficacité de ce régime est également fortement affaiblie par des conditions d'application trop contraignantes, au regard notamment des engagements collectifs et individuels de conservation portant sur des durées trop longues. L'exigence du respect des conditions d'application de ce régime durant des périodes aussi longues, expose les héritiers à un plus grand risque de manquement, notamment dans l'hypothèse où une restructuration des activités de l'entreprise serait rendue nécessaire par le marché quelque années après le décès du chef d'entreprise.
En cas de non-respect des conditions d'application du régime, les sanctions prévues, particulièrement lourdes, entraînent outre le paiement du complément de droits de succession et d'un intérêt de retard de 0,75 % par mois, l'exigibilité d'un droit supplémentaire égal à 20 %, 10 % ou 5 % de la réduction consentie selon l'année au cours de laquelle intervient le manquement.
Enfin, le système fiscal français prévoit certaines mesures spécifiques aux transmissions d'entreprises mais qui présentent peu d'intérêt en pratique et qui paraissent impropres à créer un cadre favorable à de telles transmissions. Il en est notamment ainsi de l'abattement de 15.000 euros accordé à chaque donataire sur les donations de titres consenties à tout ou partie du personnel d'une entreprise, après agrément du Ministre de l'Economie et des Finances.
* 43 Recommandations de la Commission Européenne du 7 décembre 1994 sur la transmission des PME
* 44 Article 789 A du Code Général des Impôts.
* 45 Article 789 B du Code Général des Impôts.
* 46 i.e. impôt sur les sociétés
* 47 Instruction 13 L-2-98
* 48 Instruction 13 L-6-01