B. UN DROIT POSITIF FRAGILISE PAR SON INCOHÉRENCE

1. Absence de réévaluation des barèmes et des abattements

L'efficacité du régime fiscal des mutations à titre gratuit est grevée par des incohérences et dysfonctionnements qui résultent pour la plupart, des nombreuses modifications dont il a été l'objet sans que n'ait été entreprise une réforme d'ensemble.

En témoignent notamment les barèmes de calcul des droits. Leur évolution au cours du temps est marquée par deux constantes : les relèvements successifs des taux marginaux d'imposition des barèmes applicables entre époux et en ligne directe d'une part, et l'augmentation du nombre de tranches d'autre part.

L'augmentation du nombre de tranches s'est opérée sans réévaluation concomitante des tranches préexistantes. Cette absence de prise en compte du phénomène d'érosion monétaire a eu pour conséquence d'aboutir à un barème aux premières tranches semble-t-il inadaptées, défavorisant en particulier les petites successions. Ainsi, le seuil de 50.000 francs (soit 7.600 €) en deçà duquel le taux est de 5 %, déjà en vigueur en 1959, équivaudrait en francs actuels à 416.500 francs (soit 63.495 €) par application des coefficients d'érosion monétaire utilisés pour la détermination des plus-values immobilières.

Les rehaussements successifs des taux marginaux d'imposition se sont quant à eux soldés en 1983 par un doublement du taux marginal applicable en ligne directe et entre époux, passant de 20 % à 40 % (ce doublement est applicable depuis le 14 septembre 1983 pour les donations et depuis le 1er janvier 1984 pour les successions).

a) Barèmes applicables entre époux et en ligne directe

Aujourd'hui, les barèmes applicables en ligne directe et entre époux sont les suivants :

Tarif applicable en ligne directe

Tarif applicable entre époux

Fraction de part nette taxable

Ecart

Tarif applicable

Fraction de part nette taxable

Ecart

Tarif applicable

N'excédant pas 7.600 €

Comprise :

entre 7.600 et 11.400 €

entre 11.400 et 15.000 €

entre 15.000 et 520.000 €

entre 520.000 et 850.000 €

entre 850.000 et 1.700.000 €

au-delà de 1.700.000 €

7.600 €

3.800 €

3.600 €

505.000 €

330.000 €

850.000 €

5 %

10 %

15 %

20 %

30 %

35 %

40 %

N'excédant pas 7.600 €

Comprise :

Entre 7.600 et 15.000 €

Entre 15.000 et 30.000 €

Entre 30.000 et 520.000 €

Entre 520.000 et 850.000 €

Entre 850.000 et 1.700.000 €

au-delà de 1.700.000 €

7.600 €

7.400 €

15.000 €

490.000 €

330.000 €

850.000 €

5 %

10 %

15 %

20 %

30 %

35 %

40 %

De même, les abattements qui ne font l'objet d'aucune indexation sur l'indice des prix à la consommation, comme ceux applicables en matière d'impôt sur le revenu par exemple, n'ont également jamais été revalorisés. A titre d'illustration, l'abattement de 100.000 francs, créé en 1959 et alors applicable en ligne directe et entre époux, équivaudrait en francs actuels à 833.000 francs. Il n'a été revalorisé qu'à 300.000 Francs en 1990 en ligne directe (soit 46.000 €) et à 500.000 francs entre époux (soit 76.000 €) en 2000.

A cet égard, le Conseil des Impôts 25 ( * ) puis le rapport Migaud 26 ( * ) ont constaté qu'entre 1959 et 1998, le taux moyen d'imposition a été multiplié par 14,3 pour une part héritée de 150.000 euros, soit une augmentation de plus de 700%, par 2,8 pour une part héritée de 300.000 euros, soit une augmentation de 140% et par 2,3 pour une part héritée de 2,3 millions d'euros, soit une augmentation de 115%.

Par ailleurs, soulignons que si la fiscalité des mutations à titre gratuit est par vocation une fiscalité progressive, cette progressivité est particulièrement réduite en pratique, précisément en raison de la structure des barèmes. En effet, aussi bien en ligne directe qu'entre époux, les barèmes sont déséquilibrés, en raison de leur quatrième tranche taxée à 20 % qui s'élargit brusquement respectivement entre 30.000 et 520.000 euros entre époux, et entre 15.000 et 520.000 euros en ligne directe. Or, c'est précisément dans cette tranche d'imposition que se situe la majeure partie des patrimoines. En conséquence, si l'on fait exception de la progressivité très réduite des premières tranches en raison de leurs faibles montants, la majorité des mutations à titre gratuit taxables, sont en pratique imposées à un taux unique de 20%.

Comparativement et toute proportion gardée, le barème de l'impôt sur le revenu offre une meilleure progressivité :

Barème de l'impôt sur le revenu

(revenus de 2001)

Tranches

Taux (en %)

Jusqu'à 4.121 €

De 4.121 à 8.104 €

De 8.104 à 14.264 €

De 14.264 à 23.096 €

De 23.096 à 37.579 €

De 37.579 à 46.343 €

Au-delà de 46.343 €

0

7,5

21

31

41

46.75

52.75

Ce phénomène est encore plus marqué s'agissant des transmissions entre collatéraux et entre non-parents. En effet, ces transmissions déjà fortement pénalisées par des taux d'imposition très élevés, comme l'illustre le barème reproduit ci-dessous, et par l'absence d'abattements significatifs (abattement limité à 15.000 € entre frères et soeurs, 1.500 € dans les autres cas), sont ainsi aujourd'hui devenues prohibitives du fait de l'absence de revalorisation des barèmes et des abattements.

b) Barèmes entre collatéraux et non-parents

Fraction de part nette taxable

Tarif applicable

Entre frères et soeurs :

n'excédant pas 23.000 €

Supérieure à 23.000 €

Entre parents jusqu'au 4 ème degré inclusivement

Entre parents au-delà du 4 ème degré et entre non-parents

35 %

45 %

55 %

60 %

c) Barème de l'usufruit viager

De même, le barème de l'usufruit viager, utilisé pour le calcul de la valeur de l'usufruit d'après l'âge de l'usufruitier à l'occasion d'un démembrement, n'a jamais été revalorisé depuis sa création, laquelle remonte pourtant au début du siècle. Ainsi, l'absence de prise en compte de l'allongement de l'espérance de vie conduit à une survalorisation de la valeur de la nue-propriété par rapport à celle de l'usufruit, et donc à une majoration des droits exigibles à raison des donations consenties avec réserve d'usufruit.

Age de l'usufruitier

Valeur de l'usufruit

Valeur de la nue-propriété

Jusqu'à 19 ans

De 20 à 29 ans

De 30 à 39 ans

De 40 à 49 ans

De 50 à 59 ans

De 60 à 69 ans

A partir de 70 ans

70 %

60 %

50 %

40 %

30 %

20 %

10 %

30 %

40 %

50 %

60 %

70 %

80 %

90 %

Pour les raisons développées ci-dessus, l'imposition des mutations à titre gratuit constitue une charge particulièrement lourde. Si l'on ajoute à cela l'imposition des revenus et du patrimoine ou encore celle des mutations à titre onéreux, on constate que l'ensemble des événements allant de la création à la transmission du patrimoine est assujetti à une pression fiscale forte.

2. Un régime qui autorise l'optimisation fiscale

Ce cumul d'impositions élevées rend nécessaire le recours à l'expertise des professionnels que sont notamment les avocats fiscalistes et les notaires, lesquels ont développé un certain nombre de techniques permettant aux personnes détenant les patrimoines les plus importants de les transmettre avec des droits allégés.

Parmi les techniques utilisées, le mécanisme de l'assurance-vie permet, lors du décès de l'assuré, que les sommes stipulées payables aux termes du contrat à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers, ne fassent pas partie de la succession de l'assuré, et ce, quel que soit le degré de parenté existant entre le défunt et le bénéficiaire.

Pour mettre un terme à cette aubaine fiscale pour les contribuables, la portée de l'exonération a fait l'objet d'une double limitation à compter du 13 octobre 1998. Depuis cette date, sont imposables les primes versées au-delà de 70 ans pour la fraction excédant 30.000 euros. Par ailleurs, sont soumises à un prélèvement spécifique de 20% les sommes reçues par chaque bénéficiaire pour la fraction excédant 150.000 euros.

Le coût de la transmission du patrimoine pour cause de mort peut encore être réduit par recours à des mécanismes relatifs au régime matrimonial, tels que la clause de préciput dans la convention de mariage ou encore l'adoption de la communauté universelle avec clause d'attribution intégrale au dernier survivant.

La clause de préciput prévoit que l'époux survivant sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature. L'adoption du régime de la communauté universelle avec attribution intégrale de celle-ci au conjoint survivant permet à ce dernier de recueillir l'intégralité de la communauté avant tout partage.

Au plan fiscal, les biens de communauté recueillis par l'époux survivant en vertu d'une convention de mariage (par l'effet d'une clause de préciput ou d'attribution intégrale) ne sont pas soumis aux droits de succession. En revanche, en présence d'enfants, il convient de noter que les héritiers directs perdent le bénéfice de l'abattement de 46.000 € sur la part de communauté qui aurait dû leur revenir au premier décès de leur parent.

Enfin, comme cela a été évoqué précédemment, la technique du démembrement avant la cession à titre onéreux du bien démembré constitue également un outil d'optimisation juridique et fiscale largement utilisé par la pratique en raison de son efficacité.

Afin d'illustrer ces propos, l'exemple figurant ci-dessous, permet de mesurer l'économie fiscale qui peut être réalisée lors de la cession d'un bien par un contribuable puis lors de la liquidation de sa succession portant sur le produit net de cette cession, selon que cette cession et la succession du contribuable ont ou non été préparées. La technique d'optimisation retenue est celle d'une donation en démembrement avec réserve d'usufruit d'un élément du patrimoine du contribuable avant ou après sa cession.

L'hypothèse retenue ci-dessous est celle d'une personne de 62 ans, mariée sous le régime de la séparation de biens et ayant deux enfants. Son patrimoine n'est composé, pour les besoins de l'exercice, que d'un bien professionnel constitué sous la forme d'une société non cotée d'une valeur de 15 millions d'euros. Le contribuable, fondateur de cette entreprise, souhaite la céder à un tiers. La comparaison porte ainsi sur la mesure de la pression fiscale résultant d'une part, de la cession de l'entreprise et d'autre part, de la transmission à titre gratuit du produit de cette cession, selon que l'entreprise est ou non vendue en recourant, postérieurement ou préalablement à la cession, à une donation avec réserve d'usufruit consentie au profit du conjoint et des enfants.

Dans le premier cas (cas n°1), l'entreprise est vendue puis le produit de la cession transmis sans optimisation fiscale lors du décès du contribuable. Dans le deuxième cas (cas n°2), l'entreprise est cédée puis la nue-propriété du produit de la cession est donnée au conjoint et aux enfants. Enfin, dans le dernier cas, la nue-propriété de l'entreprise est donnée au conjoint et aux enfants avant que l'entreprise ne soit cédée.

Cette comparaison permet de démontrer, par exemple, que la donation de la nue-propriété des titres de la société préalablement à sa cession, permettrait en l'espèce de réduire le taux effectif d'imposition globale de la cession puis de la succession de l'entreprise égal à 51,5% en l'absence d'optimisation, à 35,5% ou à 15,5% selon que la donation des droits démembrés intervient respectivement avant ou après la cession.

Exemple 3 : Fondateur de 62 ans marié sous le régime de séparation de biens avec deux enfants

Vente du patrimoine professionnel de 15 M€

Cas 1

Vente suivie du décès

Cas 2

Vente puis donation de la NP 27 ( * ) suivie du décès

Cas 3

Donation de la NP 1 puis vente suivie du décès

Valeur de la NP 80%

Droit à la charge des donataires

Cession de l'entreprise

PV à 26% :

Patrimoine net :

15.000 K€

<3.900 K€>

11.100 K€

15.000 K€

<3.900 K€>

11.100 K€

Transmission à titre gratuit

Coût fiscal

Part successorale

Droits dus

Donation

de 11,1 M€

Droits dus Réduction de droits de 50%

Donation

de 15 M€

Droits dus Réduction de droits de 50%

Conjoint :

¼ de 11,1 M€ en PP 28 ( * ) (cas 2 : de la NP 1 de 11,1 M€; cas 3 : de la NP 1 de 15 M€)

2,775 M€

<897 K€>

2,775 M€

<338 K€>

80 % x 3.750 M€

<494 K€>

Enfant 1 :

½ x ¾ de 11,1 M€ en PP 2 (cas 2 : de la NP 1 de 11,1 M€; cas 3 : de la NP 1 de 15 M€)

4,162 M€

<1.465 K€>

4,162 M€

<566 K€>

80 % x 5.625 M€

<800 K€>

Enfant 2 :

½ x ¾ de 11,1 M€ en PP 2 (cas 2 : de la NP 1 de 11,1 M€; cas 3 : de la NP 1 de 15 M€)

4,162 M€

<1.465 K€>

4,162 M€

<566 K€>

80 % x 5.625 M€

<800 K€>

Coût Total :

<3.827 K€>

<1.470 K€>

<2.094 K€>

Cession avec remploi en démembrement

PV [15 M€ - (0 + 2.094 + 12 M€)] 29 ( * ) :

Impôt 26% sur la valeur de l'usufruit :

Patrimoine net :

906 K€

<236 K€>

12.671 K€

Coût Fiscal Total :

<7.727 K€>

<5.370 K€>

<2.330 K€>

Patrimoine net transmis

Conjoint :

1.878 K€

2.437 K€

3.197 K€

Enfant 1 :

2.698 K€

3.597 K€

4.737 K€

Enfant 2 :

2.698 K€

3.597 K€

4.737 K€

Total :

7.274 K€

9.631 K€

12.671 K€

Taux effectif d'imposition des droits de mutation à titre gratuit

34,5 %

13,2 %

13,9%

Taux effectif d'imposition globale

51,5 %

35,8%

15,5%

Explication du cas n°1 :

Dans le premier cas, l'entreprise est cédée avant le décès du conjoint fondateur, la plus-value taxable est présumée être égale à l'intégralité du prix de cession soit 15 millions d'euros 30 ( * ) . L'impôt sur le revenu dû au titre de la plus-value qui est de 16%, auquel s'ajoutent les prélèvements sociaux dont le taux global est de 10% 31 ( * ) , est donc de 3,9 millions d'euros. Le gain net de cession de l'entreprise s'élève ainsi à 11,1 millions d'euros.

Du fait de l'absence de préparation, la succession du défunt est liquidée d'après les règles de dévolution de droit commun. Les époux étant mariés sous le régime de la séparation de biens, il n'y a pas de communauté de biens à liquider au décès de l'un d'entre eux. A ce titre, l'intégralité du produit net de la cession de l'entreprise, soit 11,1 millions d'euros, appartenant en propre au défunt, constitue l'actif successoral. Cette somme est alors répartie entre le conjoint survivant et les enfants d'après les règles de dévolution de droit commun :

• Le conjoint survivant peut au choix opter pour un quart en pleine propriété ou la totalité en usufruit 32 ( * ) . Au cas présent, le conjoint survivant décide d'opter pour un quart en pleine propriété, soit 2,775 M€.

• Les enfants ont dès lors chacun droit à la moitié des trois quarts restants en pleine propriété, soit 4,162 M€ chacun.

En partant de l'hypothèse que ces sommes représentent l'actif net successoral taxable, les droits de succession sont alors calculés par application des barèmes entre époux et en ligne directe après déduction des abattements respectivement applicables (76.000 € pour le conjoint survivant et 46.000 € pour chacun des enfants). Les droits exigibles sont alors de 897.000 € sur la part successorale du conjoint survivant et de 1,465 M€ sur la part successorale de chacun des enfants, soit une imposition totale de 3,827 M€ sur la succession.

Le patrimoine net transmis par succession s'élève donc à 7,274 millions d'euros, soit 65,5% de l'actif successoral (qui était de 11,1 M€). La pression fiscale appliquée sur la succession non préparée s'élève donc à environ 35,5%.

Si l'on inclut le coût fiscal de la cession de l'entreprise à celui de la succession du défunt, il apparaît alors que le patrimoine net transmis (produit de la cession de l'entreprise déduction faite de l'impôt dû sur la plus-value et des droits de succession) ne représente cependant plus que 48,5% du patrimoine détenu par le défunt avant la cession de l'entreprise. Le taux effectif d'imposition globale (cession puis transmission par décès) est alors de 51,5%.

Explication du cas n°2 :

La succession du conjoint fondateur est ici préparée au moyen de la donation de la nue-propriété de la totalité du produit de la cession à son conjoint et aux enfants 33 ( * ) . La cession de l'entreprise est réalisée dans les mêmes conditions que celles décrites dans le cas n°1. L'impôt dû sur la plus-value s'élève à 900.000 euros. Le gain net de cession de l'entreprise s'élève ainsi à 11,1 millions d'euros.

La donation consentie au profit du conjoint et des enfants porte sur la seule nue-propriété du produit de la cession. La donation est consentie au profit de chaque donataire sur la base de leurs droits successoraux respectifs tels qu'ils ont été décrits dans le premier cas ci-dessus. Le conjoint reçoit donc la nue-propriété de 2,775 millions d'euros et chacun des enfants la nue-propriété de 4,162 millions d'euros.

En vertu des règles de calcul applicables aux donations avec réserve d'usufruit 34 ( * ) , le donateur ayant 62 ans, la valeur de la nue-propriété donnée est estimée à 80% de la valeur de la pleine propriété du bien objet de la donation. Les droits sont alors calculés sur cette base, après déduction des abattements de 76.000 euros pour le conjoint et de 46.000 euros pour chacun des enfants. Les droits ainsi obtenus sont ensuite réduits de moitié en application de la réduction de droit de 50% applicable lorsque le donateur a moins de 65 ans. En application de ces règles, les droits de donation dus s'élèvent à 338.000 euros pour le conjoint survivant et 566.000 euros pour chacun des enfants, soit un montant total de 1,47 millions d'euros.

Lors du décès du donateur, sa succession ne comprend aucun bien taxable en raison de la donation antérieure de la nue-propriété des biens composant son patrimoine mais aussi parce que l'usufruit dont le défunt s'était conservé la jouissance, rejoint en franchise de droits, du fait du décès de l'usufruitier, la quote-part détenue en nue-propriété par chacun des donataires/héritiers.

Le patrimoine net transmis par donation s'élève donc à 9,631 millions d'euros, soit 86,8% du patrimoine détenu après la cession de l'entreprise (qui était de 11,1 M€). La pression fiscale résultant de la donation s'élève donc à environ 13,2%.

On peut ainsi déjà constater que le recours à une donation en démembrement avec réserve d'usufruit, postérieurement à la cession de l'entreprise, permet de réduire le coût fiscal de la transmission de 34,5% à 13,2%, ce qui représente une économie de droits d'environ 61,6% (2,357 millions d'euros) par rapport aux droits de mutation dus en l'absence de préparation de la succession.

Si l'on inclut le coût fiscal de la cession de l'entreprise à celui de la donation, il apparaît alors que le patrimoine net transmis (produit de la cession de l'entreprise déduction faite de l'impôt dû sur la plus-value et des droits de donation) représente 64,2% du patrimoine avant cession, contre 48,5% en l'absence de préparation. Le taux effectif d'imposition globale (cession puis donation) est ainsi réduit à 35,8% alors qu'il était de 51,5% en l'absence de préparation.

Cette économie de droits de mutation résulte de la combinaison de trois avantages. Le premier avantage provient des règles favorables de détermination de l'assiette des droits de donation en cas de démembrement avec réserve d'usufruit (dans le cas n°2, l'assiette est égale à 80% de la valeur de la pleine propriété). Le second avantage offert par le démembrement résulte en ce qu'au décès de l'usufruitier, l'usufruit rejoint la nue-propriété en franchise de droits. Le troisième avantage provient de la réduction de droit de 50% applicable aux donations consenties par un donateur âgé de moins de 65 ans.

Explication du cas n°3 :

La donation de la nue-propriété des titres de la société est ici réalisée avant que cette dernière ne soit cédée, ce qui permet d'optimiser le coût de cette cession ainsi que la transmission ultérieure du patrimoine du donataire.

La donation consentie au profit du conjoint et des enfants porte sur la seule nue-propriété des titres de l'entreprise, soit 15 millions d'euros. La donation est consentie au profit de chaque donataire sur la base de leurs droits successoraux respectifs tels qu'ils ont été décrits dans le premier cas ci-dessus. Le conjoint reçoit ainsi la nue-propriété de 3.750 millions d'euros et chacun des enfants la nue-propriété de 5,625 millions d'euros.

En vertu des règles de calcul applicables aux donations avec réserve d'usufruit 35 ( * ) , le donateur ayant 62 ans, la valeur de la nue-propriété donnée est estimée à 80% de la valeur de la pleine propriété du bien objet de la donation. Les droits sont alors calculés sur cette base, après déduction des abattements de 76.000 euros pour le conjoint et de 46.000 euros pour chacun des enfants. Les droits ainsi obtenus sont ensuite réduits de moitié en application de la réduction de droit de 50% applicable lorsque le donateur a moins de 65 ans. En vertu de ces règles, les droits de donation dus s'élèvent à 494.000 euros pour le conjoint survivant et 800.000 euros pour chacun des enfants, soit un montant total de 2,094 millions d'euros.

Lors de la cession de l'entreprise, l'usufruitier et les nus-propriétaires cèdent conjointement leurs droits. L'entreprise est ainsi cédée en pleine propriété pour 15 millions d'euros. Les cédants ont toutefois convenu avant la cession que le fruit de la cession sera remployé dans un bien démembré 36 ( * ) .

Du fait de ce démembrement, la plus-value réalisée est déterminée selon des règles spécifiques. En vertu de ces règles, le prix d'acquisition à retenir est constitué par le prix ou la valeur initiale d'acquisition des titres par le donateur (le donateur ayant fondé la société avec un capital minimum on retiendra, par souci de simplification, un prix d'acquisition égal à zéro). Ce prix d'acquisition est ensuite majoré de l'accroissement de valeur de la nue-propriété constaté entre la date d'acquisition initiale de la pleine propriété et la date de transmission de la nue-propriété 37 ( * ) (soit dans notre exemple 12 M€ 38 ( * ) ). Par ailleurs, le prix d'acquisition de la nue-propriété est encore augmenté des droits de donation supportés par les donataires 39 ( * ) lors de la mutation (soit dans notre cas, 2,094 M€).

La plus-value taxable est ainsi de 906.000 euros (15 - [0 + 12 + 2,094]). L'impôt sur le revenu dû au titre de la plus-value qui est de 16%, auquel s'ajoutent les prélèvements sociaux dont le taux global est de 10% 40 ( * ) , est donc de 236.000 euros. Le gain net de la cession de l'entreprise s'élève ainsi à 12,671 millions d'euros.

Lors du décès du donateur, sa succession ne comprend aucun bien taxable en raison de la donation antérieure de la nue-propriété des biens composant son patrimoine mais aussi parce que l'usufruit dont le défunt s'était conservé la jouissance rejoint, en franchise de droits, du fait du décès de l'usufruitier, la quote-part détenue en nue-propriété par chacun des donataires/héritiers.

Le patrimoine net transmis par donation s'élève donc à 12,9 millions d'euros, soit 86% de la valeur de l'entreprise au jour de la donation. La pression fiscale résultant de la donation avec réserve d'usufruit s'élève donc à un peu moins de 14% alors qu'elle était de 13,2% lors de la donation consentie dans le cas n°2.

Toutefois, dans la mesure où la donation en démembrement intervient préalablement à la cession de l'entreprise, il est peu parlant de comparer le coût effectif de cette donation avec celui résultant de la donation dans le cas n°2. En effet, dans le deuxième cas, la donation portait sur un bien amputé de l'impôt sur la plus-value déjà acquitté par le donateur du fait de la cession de l'entreprise. La base de calcul n'est donc pas la même. Ceci explique pourquoi le taux effectif d'imposition de la donation dans le cas n°3, est légèrement supérieur à celui de la donation dans le cas n°2.

En revanche, c'est en comparant le coût global de la transmission, c'est-à-dire après la donation et après la cession des titres, que l'économie d'impôt véritable apparaît. En effet, après cumul du coût fiscal de la cession de l'entreprise et de celui de la donation du défunt, il apparaît alors que le patrimoine net transmis (produit de la cession de l'entreprise déduction faite des droits de donation et de l'impôt dû sur la plus-value), qui s'élève à 12,671 millions d'euros, représente cette fois 84,5% du patrimoine détenu originairement par le défunt. Ce pourcentage était de 64,2% dans le cas n°2 et de 48,5% en l'absence de préparation de la transmission dans le cas n°1. Le taux effectif d'imposition globale (donation puis cession des titres) est ainsi réduit à 15,5% contre respectivement 35,8% en cas de donation postérieurement à la cession et 51,5% en l'absence de préparation.

On peut ainsi constater que le recours à une donation en démembrement avec réserve d'usufruit, antérieurement à la cession de l'entreprise, permet de réduire le coût fiscal de la transmission du patrimoine de 51,5%, en l'absence de préparation de la succession, à 15,5%. Ceci représente une économie de droits de près de 70% (environ 5,4 millions d'euros) par rapport aux droits de mutation dus en l'absence de préparation de la succession. Par comparaison avec le cas n°2 (cession puis donation de la nue-propriété du produit net de la cession), l'économie de droits réalisée (droits de donation et impôt sur le revenu) est de près de 57% (environ 3 millions d'euros).

Cette économie de droits de mutation résulte de la combinaison de quatre avantages. Le premier avantage provient des règles favorables de détermination de l'assiette des droits de donation en cas de démembrement avec réserve d'usufruit (comme dans le cas n°2, l'assiette est égale à 80% de la valeur de la pleine propriété). Le second avantage offert par le démembrement résulte en ce qu'au décès de l'usufruitier, l'usufruit rejoint la nue-propriété en franchise de droits. Le troisième avantage provient de la réduction de droit de 50% applicable aux donations consenties par un donateur âgé de moins de 65 ans. Enfin, à la différence du cas n°2, le quatrième avantage provient du fait que la donation de la nue-propriété des titres suivie de leur cession permet de purger la plus-value latente existant sur la nue-propriété qui se trouve ainsi exonérée d'impôt sur le revenu. Par ailleurs, la possibilité de majorer le prix d'acquisition de la nue-propriété des droits de donation acquittés, permet encore de réduire la plus-value taxable.

En effet, seule la plus-value existant sur l'usufruit conservé par le donateur est assujettie à l'impôt sur le revenu dans la mesure où elle n'a pas supporté les droits de donation 41 ( * ) .

Selon le rapport Migaud 42 ( * ) , il résulte de l'état actuel du régime français d'imposition des mutations à titre gratuit, que les droits de succession et de donation constituent « un impôt frappant essentiellement les contribuables détenant des patrimoines de moyenne importance, et n'ayant pas su ou pu organiser sa transmission » . En effet, les mesures d'allégement décrites précédemment et en particulier les abattements, permettent une imposition faible, voire une exonération des transmissions des plus petits patrimoines. Quant aux contribuables détenant les patrimoines les plus importants, ils ont recours aux conseils des professionnels de la fiscalité et peuvent ainsi optimiser sensiblement le coût de la transmission de leur patrimoine.

En conséquence, si au niveau des textes le principe d'égalité devant l'impôt est respecté, il peut être soutenu qu'une inégalité existe en pratique entre les contribuables bien informés et les autres. Le rapport Migaud parle notamment de dispositions permettant « l'évasion légale » pour les ménages disposant des plus gros patrimoines « qui sont généralement les mieux informés et les plus à même de réduire le montant des droits qui résultent de la transmission de l'ensemble de leur patrimoine ».

* 25 Conseil des Impôts, 16 ème rapport au Président de la République de 1998.

* 26 Rapport d'information sur la fiscalité du patrimoine présenté par M. Didier Migaud en Juillet 1998.

* 27 i.e. nue propriété

* 28 i.e. pleine propriété

* 29 Depuis une instruction du 13 juin 2001 (5 C-1-01), la plus-value latente existante au jour de la donation n'est plus totalement purgée. En effet, lorsque la donation a porté sur la nue-propriété des titres, seule la plus-value existant sur la nue-propriété se trouve purgée par l'effet de la donation. En conséquence, si le donateur a détenu la pleine propriété des titres, objet de la donation, avant leur démembrement, lors de la cession ultérieure des titres, le prix d'acquisition à retenir pour la détermination de la plus-value est constitué par le prix ou la valeur d'acquisition initiale de la pleine propriété, majoré de l'accroissement de valeur du droit transmis (dans l'exemple ci-dessus, de la nue-propriété) constaté entre la date de l'acquisition initiale de la pleine propriété et la date de la donation. Le prix d'acquisition de la nue-propriété correspond quant à lui à la valeur de ce droit retenue pour le calcul des droits de donation, augmenté du montant des droits effectivement supportés par le donataire. La plus-value latente correspondant à l'usufruit est donc désormais intégralement taxable. Cette instruction s'applique aux cessions de titres dont la propriété a été démembrée à compter du 3 juillet 2001, date de publication de l'instruction.

* 30 Le donateur ayant fondé la société avec un capital minimum, on retiendra, par souci de simplification, un prix d'acquisition des titres égal à zéro.

* 31 Contribution sociale généralisée (CSG) de 7,5%, Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,5% et prélèvement social de 2%. Soit un taux effectif d'imposition global de 26% (16% + 10%).

* 32 Droits successoraux du conjoint survivant en présence d'enfant des deux époux, tels que résultant de la loi du 3 décembre 2001.

* 33 L'usufruit qu'il se réserve lui permettant cependant de jouir des fruits du produit de la cession pour assurer son train de vie.

* 34 Application du barème de l'usufruit viager de l'article 762 du CGI.

* 35 Application du barème de l'usufruit viager de l'article 762 du CGI.

* 36 Il convient de noter à cet égard, qu'en l'absence d'une telle convention avant la cession, si le produit de la cession est simplement remployé en démembrement dans l'acquisition de nouveau titres, l'impôt sur la plus-value est à la charge des nus-propriétaires.

* 37 Pour l'application de cette règle, la fraction du prix d'acquisition de la pleine propriété des titres afférente à la nue-propriété peut être déterminée par l'application du barème de l'article 762 du CGI, en retenant l'âge de l'usufruitier à la date de la cession. Dans notre exemple, le prix d'acquisition de la pleine propriété étant de 0, il en est de même de celui de la nue-propriété.

* 38 Cette valeur correspond à celle retenue pour le calcul des droits de donation : 15 M€ x 80% = 12 M€ moins le prix d'acquisition de la nue-propriété par le donateur qui est ici de 0.

* 39 Cependant, si les droits de donation avaient été pris en charge par le donateur, ces droits ne pourraient pas être retenus pour le calcul du prix d'acquisition de la nue-propriété.

* 40 Contribution sociale généralisée (CSG) de 7,5%, Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,5% et prélèvement social de 2%. Soit un taux effectif d'imposition global de 26% (16% + 10%).

* 41 Ces règles d'imposition de la plus-value résultant de la cession en pleine propriété d'un bien démembré, résultent d'une instruction du 13 juin 2001 (5 C-1-01). C'est en application de cette instruction que la plus-value latente existante au jour de la donation n'est plus totalement purgée. La plus-value latente correspondant à l'usufruit, qui auparavant était également purgée par l'effet de la donation, est donc désormais intégralement taxable. Cette instruction s'applique aux cessions de titres dont la propriété a été démembrée à compter du 3 juillet 2001, date de publication de l'instruction.

* 42 Rapport d'information sur la fiscalité du patrimoine, D. Migaud, 1998

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