2. Le territoire « à l'abandon » : une atteinte à l'environnement
a) Un phénomène préoccupant : la déprise agricole
Le développement, à grande échelle, de la déprise agricole que connaissent diverses parties du territoire constitue un événement majeur dans l'histoire écologique de la France , dont nos concitoyens n'ont pas encore pris la mesure. L'extension progressive des surfaces qui retournent à la friche puis à la forêt aboutit à une transformation des paysages et des écosystèmes sans équivalent depuis le mouvement de déforestation qu'a connu la France au Moyen-Âge. En silence, certaines parties du territoires retrouvent l'apparence qu'elles avaient avant l'intervention des moines de Cluny. Si d'aucuns étaient tentés de se réjouir de ce qui leur apparaîtrait comme un juste retour à la nature, il est urgent, tout au contraire, pour votre mission d'information, de souligner les dangers d'un mouvement difficilement réversible qui constitue un véritable retour en arrière aux conséquences incalculables .
Dans plusieurs départements, les paysages se ferment progressivement, du fait de la réduction de la surface agricole utilisée (SAU) et de l'extension des forêts. Le cas du Jura , où la SAU a diminué de plus de 6 % (- 12.000 hectares) entre 1970 et 2000 est emblématique de ce mouvement qui concerne d'autres massifs tels que les Vosges ou le Morvan . Il est d'autant plus préoccupant qu'il s'est accéléré au cours des dix dernières années durant lesquelles la moitié de la surface en question a été perdue. Ce mouvement a une incidence directe sur l'activité touristique puisqu'il touche des zones telles que le Haut-Jura. Dans ces conditions, ainsi que le souligne la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF) du département, l'agriculture revêt des enjeux qui dépassent largement le cadre de l'économie agricole .
La fermeture des vallées concerne des territoires très divers. Ainsi, ce phénomène s'observe aussi dans les vallées de la Semoy et de la Meuse, situées dans les Ardennes, ainsi que l'ont expliqué les interlocuteurs rencontrés par la mission d'information lors de la réunion au Conseil général de ce département. De même, dans une région très différente, les élus des Bouches-du-Rhône se déclarent-ils préoccupés par le maintien d'un élevage ovin dans la Crau où il contribue à la préservation d'un écosystème à la fois remarquable et fragile, tout en facilitant la lutte contre les incendies de forêt.
Dans ce contexte, l'élevage joue un rôle essentiel pour l'équilibre et la préservation du paysage en entretenant l'espace . Qu'il soit bovin, ovin caprin ou équin son rôle est irremplaçable car la tonte de l'herbe par les animaux permet d'enrichir la variété de la flore et favorise, grâce à l'apport de matières azotées, l'apparition de légumineuses qui ne croîtraient pas en leur absence.
b) Des menaces pour l'environnement et pour le tourisme
(1) Désertification et environnement : deux termes antinomiques
La disparition de l'élevage, et spécialement de l'élevage allaitant, aurait des conséquences difficilement quantifiables, mais dont le caractère dommageable est avéré . C'est ainsi que, selon la Chambre d'Agriculture de la région Poitou-Charente, si le processus d'érosion de l'élevage n'était pas combattu : « Outre d'importantes conséquences socio-économiques sur le niveau d'emploi, les milieux naturels des prairies et du bocage, réservoirs de biodiversité, continueront à disparaître : destruction des haies, substitution des prairies naturelles par des prairies intensives, progression des grandes cultures dans les zones les plus fertiles... » 9 ( * ) seraient à redouter.
Tel ne serait pas le moindre paradoxe d'une situation dans laquelle au moment où les consommateurs recherchent « une meilleure prise en compte de notre écosystème et le maintien d'activités agricoles sur le territoire » comme l'indiquait Mme Marie-José Nicoli, Présidente de UFC-Que choisir ?, lors de son audition, et alors même que des programmes européens favorisent la protection du paysage, de l'eau ou de la biodiversité, l'évolution des structures de production agricole aurait pour effet de faire disparaître un mode d'élevage qui répond à leurs attentes.
Les modalités de protection de l'environnement montagnard posent d'ailleurs des problèmes spécifiques. Il est paradoxal de constater que les modes de production caractérisés par un faible taux de chargement (0,44 UGB en moyenne par hectare en Lozère, par exemple) ne sont pas favorisés.
On commence, en outre, à observer les effets pervers de dispositions qui aboutissent à empêcher la pratique de l'élevage en altitude , au risque de voir les alpages disparaître. Dans les Pyrénées , votre rapporteur a visité des sites où l'on rencontre des difficultés pour produire du fromage. La construction des locaux spécifiques mis aux normes d'hygiène et de sécurité, se trouve compliquée, quant elle n'est pas interdite, faute d'obtenir un permis de construire. L'interprétation des dispositions de la loi « montagne », joue -même pour réaliser de simples extension de bâtiments- à rebours de l'objectif de développement que prévoit le texte. L'interdiction des pistes- même sommaires et intégrées à l'environnement- pour laisser passer des « quads » (véhicules tout terrain de 1 à 1,2 mètre de large), oblige de nombreux éleveurs à faire chaque jour plusieurs kilomètres à pied pour atteindre la route d'où il pourront acheminer leurs productions. Les problèmes rencontrés par les éleveurs, et tout spécialement par les éleveurs caprins, qui gèrent de petits troupeaux, tiennent à l'enclavement du relief, qui ne permet pas un développement suffisant des ressources herbagères. Or, toutes les aides à l'agriculture étant étroitement liées au nombre d'animaux des cheptels ou au nombre d'hectares, ces élevages qui permettent d'obtenir des produits de qualité tel que le pélardon sont structurellement défavorisés.
Même regroupés en coopératives, les éleveurs caprins ne sont pas aidés, alors même qu'ils créent en commun des emplois. Votre mission d'information a constaté que malgré cette formule, le contrat territorial d'exploitation ne pouvait pas tenir compte des emplois salariés créés par une coopérative d'éleveurs caprins, tandis que le PMPOA, prévu pour les exploitations agricoles, ne permettait pas d'attribuer une aide pour la mise aux normes de cette coopérative, dans le cadre de la réalisation d'une station d'épuration. Eu égard au caractère quasi « biologique » de ces modes de production, votre commission s'étonne de cet état de fait auquel elle souhaite voir porter remède.
Les dispositions destinées à la préservation des zones humides -dont l'application ne fait l'objet d'aucune compensation- posent des problèmes récurrents, signalés aussi bien dans le Jura qu'en Lozère où les interlocuteurs de votre mission d'information ont souligné tant les difficultés rencontrées pour la mise en oeuvre de la loi sur l'eau (concernant la définition des cours d'eau, et la détermination des distances d'épandage par rapport à ceux-ci, les mesures relatives aux zones humides remarquables et aux prairies naturelles), que les limitations au curage des rigoles ...
Est-il concevable d'appliquer sans distinction les mêmes règles aux régions d'élevage extensif qui pratiquent déjà une agriculture « raisonnée » et aux régions où règne une agriculture intensive ?
(2) Les difficultés de l'élevage intensif
L'élevage intensif pose des problèmes spécifiques qui appellent des réponses rapides, eu égard aux enjeux environnementaux et économiques qui sont les siens.
Parmi les sujets les plus brûlants, on relève, outre la nécessité d'assurer la compétitivité de la filière porcine, la détermination des zones d'excédent structurel et l'acceptabilité sociale du traitement des déchets azotés.
La production porcine constitue un enjeu économique majeur, eu égard à la croissance de la demande qui la caractérise et à l'importance de la concurrence à laquelle font face les éleveurs français (Danemark, Allemagne, Espagne notamment).
Dans ce contexte général, le développement des mesures de protection de l'environnement peut également constituer un nouvel obstacle à l'installation de jeunes agriculteurs. Dernier exemple en date, le problème de la délimitation de zones d'excédent structurel (ZES) en Ille-et-Vilaine se pose car l'application de nouvelles normes relatives à la surface potentiellement épandable a pour effet d'accroître le nombre des cantons classés en zones d'excédent structurel, renforçant de ce fait l'inégalité qui existe dans la prise en compte de l'azote issu des productions agricoles : en d'autres termes, l'azote organique est plus sévèrement comptabilisé que l'azote minéral. Ce choix a une incidence directe sur le nombre d'animaux élevés et donc sur le seuil de rentabilité des exploitations. Dès lors que l'accroissement de la production ne s'accompagne pas d'une augmentation de la pollution, est-il légitime de limiter cet accroissement : les contraintes environnementales ont-elles vocation à se muer en instruments de régulation du la production ?
La question de l'acceptation sociale des épandages mérite, elle aussi d'être résolue : sans une aide substantielle de la puissance publique il est illusoire de penser que l'on parviendra à mettre en oeuvre les nouvelles formes de traitement des déchets (énumération notamment) alors même qu'il apparaît clairement que les autres techniques d'élimination des déchets (compostage...) ne permettant de traiter que les effluents issus d'exploitations de faible volume : faute d'une solution à la question du traitement des déchets organiques, c'est l'acceptabilité de l'élevage par l'opinion publique qui serait mise en cause dans certaines régions.
* 9 Chambre d'agriculture de Poitou-Charente, Les marchés de la viande bovine, bilan de la crise en Poitou-Charente , avril 2002, p. 46.