B. UN DOUBLE ENSEIGNEMENT
La mission commune d'information estime qu'il est possible de tirer de cette hétérogénéité un double enseignement.
1. Quelles sont les différences entre la montagne et les autres zones rurales ?
Tout d'abord, la montagne présente par rapport aux autres zones rurales de fortes spécificités.
a) De fortes spécificités
La loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne 6 ( * ) fonde la délimitation des zones de montagne sur l'existence de fortes pentes et de conditions climatiques difficiles.
Ce constat ne doit pas dissimuler le fait que les conditions naturelles et historiques varient fortement d'une montagne à une autre.
b) Des problématiques parfois non spécifiques à la montagne
Cependant, certaines des difficultés rencontrées par les zones de montagnes peuvent également se rencontrer sur le reste du territoire.
(1) Des zones rurales en difficulté
Tout d'abord, certains cantons de montagne sont avant tout des cantons ruraux en difficulté. Ainsi, de nombreux cantons de montagne ont une population active constituée pour 25 % d'agriculteurs.
Ces cantons sont dans une situation difficile. Tous ont un faible revenu par habitant. Parmi eux, certains sont démographiquement attractifs (ce qui concerne principalement les Préalpes du Sud), d'autres en déclin démographique (ce qui est essentiellement le cas de nombreux cantons du Massif central).
Malgré certaines spécificités montagnardes (comme le type d'activité agricole), ces cantons présentent de fortes similitudes avec d'autres zones rurales en difficulté.
(2) Des zones industrielles en crise
De même, il existe en montagne des zones industrielles en crise, telles qu'on peut en rencontrer ailleurs sur le territoire national.
Tel est le cas de la quasi-totalité du massif vosgien, du sud du Jura, du Bugey, de la basse vallée de la Maurienne, des monts du Beaujolais, de la vallée de la Dore, des sites industriels anciens du Massif central, de la vallée de l'Ariège et des cantons du piémont pyrénéen.
2. Comment expliquer les écarts de développement entre zones de montagne ?
Plusieurs facteurs permettent d'expliquer les écarts de développement entre zones de montagne.
a) Les zones au revenu par habitant le plus faible sont celles qui emploient la plus forte proportion d'agriculteurs
Tout d'abord, un élément essentiel semble être l'importance du secteur primaire (c'est-à-dire agricole) dans les massifs les moins développés. En effet, alors que celui-ci représentait, en 1990, 9,7 % de la population active dans les zones de montagne (soit légèrement moins que dans les zones rurales hors montagne, où ce taux est de 11,6 %), il était de 12,5 % en Corse, 13,3 % dans les Pyrénées et 13,5 % dans le Massif central (pour un taux compris entre 3,9 % et 8,4 % pour les autres régions).
b) Les principaux facteurs d'inégalité de développement industriel entre les zones de montagne : l'enclavement et la faible densité de population ?
Ensuite, la faible densité de population et son corollaire, l'enclavement, constituent peut-être le principal facteur explicatif des écarts de développement industriel (mais pas de revenu par habitant) entre zones de montagne.
Contrairement à ce que l'on pourrait attendre, la densité de population ne semble pas empêcher un revenu par habitant élevé.
D'une manière générale, la corrélation entre densité de population et revenu imposable par habitant est faible. Ainsi, les Vosges et les Alpes du Sud avaient en 1990 un revenu imposable moyen analogue (de l'ordre de 11.000 euros par an), alors que les Vosges étaient, de loin, le département le plus densément peuplé (75,5 habitants au km²), et que seule la Corse avait une densité de population plus faible que les Alpes du Sud (17,2 habitants au km²).
En fait, l'enclavement semble principalement gêner la constitution d'industries, en réduisant les possibilités d'économies d'échelle par la réunion d'une main-d'oeuvre importante sur un même lieu de production. Ainsi, les zones à faible densité de population sont victimes d'un cercle vicieux : le faible développement industriel renforce la faible densité de population, ce qui incite les industries à s'installer ailleurs.
La faible densité démographique est à son tour génératrice d'enclavement, faute d'infrastructures de transports appropriées. Ainsi s'instaure un cercle vicieux, l'enclavement suscité par la faible densité démographique aggravant cette dernière.
Le graphique ci-après permet de mettre en évidence ce phénomène. Ainsi, la Corse et les Alpes du Sud, massifs dont l'industrie est la moins développée, sont aussi les massifs les moins densément peuplés. D'autres phénomènes entrent cependant en jeu : ainsi, le développement industriel du Jura est identique à celui des Vosges, alors que sa densité de population est nettement inférieure. Ces écarts par rapport à la tendance ne remettent cependant pas en cause la pertinence de l'analyse.
DENSITÉ DE POPULATION (1990) ET MAIN-D'OEUVRE
EMPLOYÉE
DANS LE SECTEUR SECONDAIRE (1996)
Densité de population
(hab./ km²)
Main-d'oeuvre employée dans le secteur secondaire (en % de la population active)
Source : données figurant dans le rapport du Conseil national de l'évaluation, Commissariat général du Plan, La politique de la montagne, rapport d'évaluation, 1999.
La faible densité de population peut cependant se révéler dramatique dans le cas de zones dépourvues d'activité de services, en particulier touristique.
Ainsi, elle constitue l'une des causes essentielles de l'existence de zones que le rapport du Conseil national de l'évaluation et le Commissariat général du plan qualifie de « très agricoles à très forts handicaps ».
Ces cantons, caractérisés par une extrême spécialisation agricole (44 % de l'emploi) et un recul de l'emploi dans tous les secteurs, sont essentiellement ceux du Massif central et de la Corse centrale, ainsi que quelques cantons des Pyrénées (principalement occidentales).
c) Le principal facteur de développement du secteur tertiaire : le tourisme
Le tourisme s'affirme comme le principal facteur de développement du secteur tertiaire, comme l'indique le graphique ci-après.
Emplois de l'hôtellerie et de la restauration et emplois du secteur tertiaire
(1996)
(en % de la population active)
Hôtellerie+restauration
Secteur tertiaire
Source : Conseil national de l'évaluation, Commissariat général du Plan, La politique de la montagne, rapport d'évaluation, 1999.
Ce phénomène s'explique notamment par le fait que les emplois de l'hôtellerie et de la restauration suscitent le développement d'autres services.
Il convient de distinguer les zones de grand tourisme confirmé (Alpes du nord-est, une partie des Pyrénées, cantons les plus touristiques du sud de la Corse) de celles s'efforçant de développer leur activité touristique (certaines régions du Massif central -rebord du Vivarais et des Cévennes, cantons isolés du Limousin et de l'Auvergne-, régions des Alpes du Sud périphériques des régions de grand tourisme, chaînes pré-pyrénéennes).
* 6 Celle-ci, dans son article 3, définit en effet la montagne comme « les communes ou parties de communes caractérisées par une limitation considérable des possibilités d'utilisation des terres et un accroissement important des coûts des travaux dus :
1° Soit à l'existence, en raison de l'altitude, de conditions climatiques très difficiles se traduisant par une période de végétation sensiblement raccourcie ;
2° Soit à la présence, à une altitude moindre, dans la majeure partie du territoire, de fortes pentes telles que la mécanisation ne soit pas possible ou nécessite l'utilisation d'un matériel particulier très onéreux ;
3° Soit à la combinaison de ces deux facteurs lorsque l'importance du handicap, résultant de chacun d'eux pris séparément, est moins accentuée».