AVANT-PROPOS

En décrétant cette année 2002, « Année des Montagnes du Monde », l'Assemblée générale des Nations Unies a utilement pointé le caractère d'extrême diversité des terres d'altitude, au moment où les pratiques simplificatrices de la communication contemporaine soumettent la montagne à quelques clichés réducteurs, à l'usage de nos sociétés urbaines : « espace de détente et loisirs », « poumon de verdure et d'oxygène », « cimes enneigées équipées pour les sports d'hiver... ».

En effet, la réalité est tout autre, et la montagne est faite de diversité, presqu'à l'infini :

- diversité des montagnes du monde, que la consistance géologique, comme les latitudes, les climats, et les hommes qui les habitent rendent si différentes.

- diversité des montagnes de France : « humides » au Nord, « sèches » au Sud ; ici, siège d'une monoactivité agricole, là riche d'une pluriactivité agro-industrielle ou agro-touristique ; montagnes encore et toujours frappées par l'exode quand d'autres sont soumises aux flux importants des populations saisonnières ou des véhicules en transit ; haut-plateaux herbageux si différents des aiguilles surplombant névés et glaciers ; montagnes métropolitaines, ou massifs insulaires de la Méditerranée, de l'Océan Indien ou de la Mer des Caraïbes.

Et pourtant, malgré cette extraordinaire et si riche diversité, les montagnes de France, qui couvrent 28 % de son territoire, où vit 13,5 % de la population nationale, offrent de très nombreux points communs, qui sont autant de questions posées aux responsables politiques.

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* Une agriculture, activité traditionnelle, dont le niveau de soutien public est inférieur à celui de la moyenne nationale, réalité en totale contradiction avec les principes de légitime compensation du « handicap montagne » affirmés depuis plusieurs décennies par la législation française ;

* Une industrie, souvent fortement enracinée, qui revendique de continuer à vivre dans une montagne incapable de lever, seule, les handicaps de l'enclavement, et qui ressent un fort déficit de solidarité nationale sur cette question essentielle ;

* Un tourisme, dont l'essor est freiné par une absence de politiques fiscales et sociales adaptées à la saisonnalité, et par le manque récurrent de réponse au besoin de créer un véritable régime de la pluriactivité ;

* La quasi inexistence de politiques nationales et européennes pour régler la question de la traversée des massifs frontaliers ou proches des pays voisins : l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, l'Espagne ; cette situation infligeant aux populations sédentaires les nuisances causées par une forte croissance du trafic routier et ne laissant entrevoir à échéance raisonnable aucune perspective de solutions alternatives susceptibles d'apaiser les tensions locales ;

* Des initiatives environnementalistes, telles la réintégration de grands prédateurs, prises sans concertation avec les responsables locaux et au mépris des activités ancestrales, comme le pastoralisme, avivent le sentiment que les « grandes » décisions concernant la montagne relèvent d'un processus centralisé, voire « colonial » ;

* La lente, mais apparemment inéluctable disparition de services : publics, médicaux, et privés, disparition qui dans beaucoup de massifs entraîne puis accroît la dévitalisation démographique.

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Telles sont, sans forcer le trait, quelques manifestations du sentiment très largement ressenti et exprimé par les habitants des montagnes, en charge de responsabilités socioprofessionnelles, électives, et même associatives.

Cette réalité ne devrait pas manquer de surprendre et d'interroger tous ceux qui, avec les Parlementaires ayant voté à l'unanimité la loi dite « montagne » du 9 janvier 1985, avaient mis tant d'espoirs dans cette loi d'auto-développement, de compensation des handicaps, d'équilibre entre développement et protection de la nature, en un mot, dans cette loi d'authentique décentralisation.

La déception aujourd'hui est à la mesure de l'oubli dans lequel est tombée cette loi, s'agissant de la plupart de ses dispositions, à l'exception de l'une d'entre elles, mais de taille celle-là : l'urbanisme.

En effet, la référence à la loi « montagne » est quotidiennement faite pour justifier l'application stricte par l'Etat, de quelques principes organisant l'inconstructibilité des terres de montagne (avec au besoin, l'aide en renfort du tribunal administratif), si bien que cette loi est devenue la pomme de discorde permanente entre tant d'élus locaux et de représentants de l'Etat, Préfets et DDE.

Devenue le chiffon rouge des collectivités territoriales, propriétaires et autres acteurs de l'aménagement, la loi « montagne » n'a pu, dans le même temps, faire reconnaître les mérites et atouts que le législateur avait placés en elle : parce que tant de décrets d'application ne sont jamais parus ; parce qu'en peu de temps, le Fonds interministériel d'aménagement de la montagne (FIAM) a fondu comme neige au soleil ; parce que le louable principe de maîtrise par les collectivités territoriales de leur développement est contrecarré par l'application du droit de la concurrence aux délégations des services publics de transports par remontées mécaniques ; parce que l'équilibre voulu entre les objectifs de développement et de protection de la nature a été rompu au profit du second ; parce que les comités de massifs ont échoué sur les récifs du centralisme renaissant et du découpage régional.

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Ce rapide état des lieux, qui explique pourquoi, ainsi qu'on l'a dit, la loi « montagne » est tombée dans l'oubli, traduit aussi une crise, dont il n'est pas exagéré de dire qu'elle est profonde, et que, pour concerner la montagne, elle n'en constitue pas moins une question prioritaire à l'échelle du territoire national dans son ensemble. Autrement dit, si les montagnards sont intéressés au premier chef par l'avenir de la montagne, ce défi concerne aussi, à l'évidence, la société française tout entière.

Ce défi doit également intégrer l'évolution annoncée des politiques communautaires. Les inflexions ou les réaménagements en profondeur de la politique des fonds structurels ou de la politique agricole commune auront des répercussions significatives sur l'aménagement et le développement des zones de montagne. L'avenir des territoires de montagne en Europe passe par la reconnaissance, au niveau communautaire, de leurs spécificités et la définition d'une politique transversale adaptée.

C'est pourquoi, conformément à sa vocation constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales de la République, le Sénat a jugé nécessaire de provoquer réflexions et débats sur la situation de la montagne française.

A cet effet, la Haute Assemblée a institué en février 2002 une mission commune d'information, composée de sénateurs issus de tous les massifs montagneux, et représentants des différentes sensibilités politiques.

La mission s'est mise au travail, sans retard, afin de déposer ses conclusions avant la fin de cette année internationale des montagnes.

D'avril à septembre, elle a conduit au Sénat près de 50 auditions au cours desquelles elle a entendu quelque 80 spécialistes et acteurs de la vie en montagne.

Elle s'est également appuyée sur les travaux très complets de l'instance d'évaluation de la politique de la montagne 1 ( * )

Elle a, en outre, visité les massifs de la France métropolitaine. Au cours de ces déplacements, environ 40 auditions ont été menées, réunissant au total quelque 400 élus locaux, professionnels, responsables des services publics et milieux associatifs. Elle a naturellement bénéficié, avec notre collègue Pierre Jarlier, secrétaire général de l'Association des élus de la montagne, d'un relais privilégié pour connaître la position des élus locaux.

Regrettant que les délais impartis ne lui aient pas laissé le temps de se rendre en Corse et dans les DOM, la mission a néanmoins longuement auditionné à Paris, les représentants des montagnes françaises insulaires.

Enfin, elle s'est rendue à Bruxelles pour échanger avec les responsables des cinq directions concernées par les « politiques-montagne ».

La mission remercie l'ensemble des personnes qui ont bien voulu apporter leurs contributions et permis ainsi de nourrir de façon très « vivante » l'information sur les réalités actuelles de la montagne et l'analyse entreprise par le présent rapport.

* 1 L'évaluation de la politique de la montagne. Conseil national de l'évaluation. Commissariat général du plan. La documentation français, 1999.

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