H. AUDITION DE MM. ÉRIC VILLENEUVE ET JEAN-RENÉ MARCHALOT , UNION NATIONALE POUR L'INSERTION DES TRAVAILLEURS HANDICAPÉS (UNITH)
M. Nicolas ABOUT, président - Nous allons terminer ce tour d'horizon de l'insertion professionnelle des personnes handicapées en entendant les acteurs de terrain. L'UNITH, dont vous êtes le président, regroupe les structures du réseau « Cap Emploi » qu'il s'agisse des équipes de préparation et de suites du reclassement (EPSR) ou des organismes d'insertion ou de placement (OIP). Vous avez, en quelque sorte, vocation à fédérer l'activité de placement et d'accompagnement des travailleurs handicapés en milieu ordinaire. Nous avons donc jugé très intéressant de vous entendre, car votre expérience d'acteurs de terrain pourra nous éclairer utilement sur les conditions de l'insertion professionnelle, sur ses difficultés, mais aussi sur les améliorations nécessaires.
Pouvez-vous, dans un premier temps, nous exposer brièvement ce qu'est l'action de l'UNITH et des organismes que vous regroupez, avant de répondre aux questions que notre rapporteur et les autres commissaires se feront un plaisir de vous poser ?
M. Eric VILLENEUVE, vice-président de l'UNITH - Je vous prie d'excuser l'absence de notre président qui, étant souffrant, n'a pu être des nôtres aujourd'hui.
Nous sommes très touchés et apprécions d'avoir été invités car l'UNITH est une association jeune, créée fin décembre 1998, dont le souci est de représenter au mieux les personnes handicapées que nous accueillons dans nos structures du réseau « Cap Emploi ». L'UNITH réunit en son sein un peu plus de la moitié de ces structures. Nous comptons 70 adhérents, dont la grande majorité se compose d'associations gestionnaires d'EPSR. Sa mission est effectivement de fédérer les EPSR et les OIP afin de capitaliser les savoir-faire en vue d'améliorer l'accompagnement vers l'emploi des travailleurs handicapés. Notre association souhaite également promouvoir et développer les unions régionales des structures d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. En effet, de plus en plus de régions se fédèrent en associations régionales. Elle représente aussi les structures d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés et leurs associations gestionnaires auprès des instances nationales. L'UNITH participe activement, en ce moment, à différents chantiers, notamment avec l'AGEFIPH, l'ANPE et la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).
M. Paul BLANC, rapporteur - C'est aujourd'hui un lieu commun que de dire que les difficultés sont multiples en matière de placement et d'accompagnement des travailleurs handicapés en milieu de travail ordinaire. Avez-vous le sentiment que la loi de juillet 1987 a apporté une amélioration à ce sujet ?
M. Eric VILLENEUVE - La loi de juillet 1987 a incontestablement amélioré les conditions d'accès à l'emploi des travailleurs handicapés et a permis de sensibiliser et de mobiliser les acteurs dans ce domaine. Il suffirait de rappeler les résultats en matière d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés avant 1988, le nombre de départements qui étaient dotés d'EPSR avant 1988, pour dire qu'effectivement, cette loi a permis de mettre en place une véritable dynamique en matière d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. Cependant, une loi ne résout pas tout et il reste encore un très grand nombre de personnes handicapées sur le bord de la route. Il faut savoir qu'environ deux tiers des insertions de personnes handicapées se réalisent dans des entreprises non assujetties à l'obligation d'emploi.
M. Paul BLANC, rapporteur - C'est d'ailleurs ce qui a été souligné par les représentants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).
A l'heure actuelle, ce placement relève de plusieurs organismes (« Cap Emploi », l'ANPE, les programmes départementaux d'insertion). Comment jugez-vous la coordination entre les différents acteurs ? Pensez-vous qu'elle soit suffisante ? Comment jugez-vous vos relations avec l'ANPE et avec l'AGEFIPH ?
M. Eric VILLENEUVE - Cela est très variable en fonction des régions et des départements. Cependant, l'ANPE doit être un partenaire naturel et légitime. Nos actions respectives doivent être complémentaires. Nous accueillons souvent simultanément les mêmes travailleurs handicapés demandeurs d'emploi. Dans le cadre de cette collaboration, nous avons tout de même notre spécificité par rapport à l'ANPE.
S'agissant de l'AGEFIPH, nous partageons un même objectif, même si nos missions diffèrent. Nous devons donc également travailler en parfaite concertation avec cette instance nationale.
M. Paul BLANC, rapporteur - L'AGEFIPH est surtout votre financeur. A ce titre, vous impose-t-elle des contraintes, notamment en termes de résultats à atteindre ?
M. Eric VILLENEUVE - Nous ne considérons pas uniquement l'AGEFIPH comme notre financeur. Elle est également notre partenaire. Il y a effectivement des obligations de résultats, mais cela est parfaitement légitime et nous revendiquons cette obligation de rendre des comptes.
M. Paul BLANC, rapporteur - Je suis d'accord, mais j'ai cru comprendre que l'AGEFIPH vous fixait un certain nombre d'objectifs. Ces objectifs font-ils l'objet d'une discussion entre vous et l'AGEFIPH ?
M. Jean-René MARCHALOT - Sur ce point, je voudrais apporter quelques précisions. Dans un premier temps, il est indispensable de définir, avec l'AGEFIPH, les objectifs communs, de manière à éviter toute « errance » et à avancer vers des caps bien définis. Je crois donc que la démarche de définition d'objectifs est un premier point positif et de nature à dynamiser notre action.
En outre, vous nous interrogez sur les modalités de définition de ces objectifs. Vous connaissez mieux que moi, Monsieur le sénateur, la tendance naturelle d'un financeur, qui est d'exposer ses souhaits et d'en demander la réalisation. Toute l'action actuelle de l'UNITH et des structures de terrain (EPSR et OIP) consiste à réfléchir ensemble et à demander à l'AGEFIPH de collaborer pour l'animation de leur réseau. L'AGEFIPH, en tant que financeur, n'a pas droit, de notre point de vue, à être l'animateur de ce réseau. M. Segura soulignait précédemment l'intérêt de la présence de l'Etat. Nous partageons ce point de vue et estimons que si l'Etat détermine les priorités, l'AGEFIPH et les acteurs de terrain, avec l'ANPE, qui est le partenaire technique naturel avec lequel nous travaillons, peuvent ensuite s'accorder sur la réalisation d'un certain nombre d'objectifs s'inscrivant dans le cadre de ces priorités. C'est un idéal vers lequel nous tendons, ce qui veut dire que nous n'y parvenons pas toujours.
Je voudrais revenir sur le thème de la relation avec l'ANPE. Nous estimons que la mission des structures « Cap Emploi » est en complémentarité totale avec celle de l'ANPE. Nous bénéficions effectivement d'une délégation de service public et, à l'occasion de la mise en place du Programme d'action personnalisée pour un nouveau départ (PAP/NP), qui a été initié par les partenaires sociaux et que le Gouvernement a mis en musique, des conventions ont été signées entre l'ANPE et la plupart de ces structures, pour que les demandeurs d'emploi s'en voient proposer un le plus rapidement possible. Le partenariat avec l'ANPE est donc naturel.
La question qui se pose concerne l'avenir. Vers quoi les choses vont-elles évoluer ? Le réseau « Cap Emploi » va-t-il devenir l'ANPE des personnes handicapées ? Si tel devait être le cas, nous mesurons un certain nombre de risques qui pourraient, si l'on n'y prenait pas garde, réduire ce réseau à un travail de plus en plus administratif, alors que l'identité, la force et la valeur ajoutée des structures « Cap Emploi » ont justement été de construire une relation contractuelle suffisamment forte avec les personnes handicapées, qui nous étaient envoyées par les COTOREP, et qui risquaient de ne pas pouvoir s'insérer professionnellement, afin qu'elles puissent effectivement trouver un emploi. Il y a donc là une forte identité à préserver. Dans la contractualisation des relations entre l'ANPE et le réseau « Cap Emploi », il est extrêmement important de ne pas perdre de vue que la force de ce réseau réside dans une démarche individualisée d'insertion professionnelle permettant de construire avec chaque personne handicapée l'itinéraire qui aboutit à cette insertion.
M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez de dire quelque chose qui m'interpelle. Ce sont les COTOREP qui vous envoient des travailleurs handicapés afin que vous les placiez. Or, selon une récente enquête de la direction des études et des statistiques du ministère de l'emploi (DARES), seuls 22 % des chômeurs handicapés ont sollicité les services des EPSR et des OIP. Comment expliquez-vous cette situation ?
M. Jean-René MARCHALOT - L'enquête de la DARES fait effectivement état du chiffre de 22 %. Nous n'avons pas pu prendre contact avec la personne qui a réalisé cette enquête, mais la lecture de ses résultats soulève un certain nombre d'interrogations.
Aujourd'hui, vous savez très bien que les EPSR sont regroupées sous le terme générique du « réseau Cap Emploi ». Les EPSR portent-elles réellement le nom d'EPSR dans tous les départements ou ne sont-elles pas quelquefois « masquées » derrière d'autres noms ? Dans un certain nombre de départements, comme le Morbihan par exemple, on parle plutôt d'Atlas. Or, je doute que les personnes handicapées interrogées dans le Morbihan se soient vu demander si elles connaissaient Atlas. De ce fait, les réponses qu'elles ont pu fournir demandent à être vérifiées, même si je ne les mets pas en cause.
M. Paul BLANC, rapporteur - Vous vous interrogez donc sur les limites méthodologiques de cette enquête.
M. Eric VILLENEUVE - Il serait effectivement intéressant de connaître la méthodologie qui a été employée, mais il faut aussi préciser que les structures « Cap Emploi » n'accueillent pas que des demandeurs d'emploi, mais également des salariés et des personnes en situation de soin. La décision de prise en charge d'une personne handicapée n'est pas liée au fait que ladite personne soit ou non inscrite à l'ANPE, mais résulte d'une orientation de la COTOREP.
M. Jean-René MARCHALOT - Le plus important est que le métier de l'ANPE s'achève au moment où l'intéressé trouve un emploi. La spécificité des structures « Cap Emploi », sur laquelle j'insistais précédemment, qui me paraît extrêmement forte, c'est de veiller à ce que la personne s'intègre dans son milieu de travail, que ce milieu soit une entreprise, une association ou une administration. Le placement en lui-même ne constitue pas l'aspect le plus important de notre travail. Ce qui fait la réussite de « Cap Emploi », c'est le fait de constater, au bout de 12 à 18 mois, -la durée varie selon les personnes- que la personne est réellement insérée dans une entreprise, c'est-à-dire qu'elle occupe un poste où elle est à même de rendre un service, que ce service a une valeur économique et que ses collègues de travail la reconnaissent en tant que collègue. A ce moment, il est possible de dire que le handicap a été compensé, dans la mesure où cette personne s'est vu offrir, non pas une prise en charge puisqu'elle est seule responsable de son parcours, mais les services qui lui ont permis de devenir un citoyen reconnu dans une entreprise.
Là se situe le point le plus important : l'ANPE s'arrête au moment où la personne est embauchée, et c'est précisément à ce moment-là que le deuxième versant de notre travail commence. Si, par hasard, cette personne perdait son emploi, « Cap Emploi » serait encore là pour lui apporter un appui. Toutefois, dans ce cas, il n'est pas certain que cette personne soit inscrite à l'ANPE, tant que dure son impossibilité de travailler. Or, c'est justement là que réside la force de « Cap Emploi », puisque le réseau a pour mission d'assurer une présence auprès de la personne pendant cette période, afin d'éviter qu'elle se retrouve exclue.
M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez de répondre à la question que j'avais l'intention de vous poser au sujet du mauvais procès fait au réseau « Cap Emploi », auquel on reproche de privilégier l'ambition de placement au détriment de celle de l'accompagnement. Pourriez-vous préciser quels types d'accompagnement vous apportez ?
M. Eric VILLENEUVE - Cela serait une aberration d'imaginer qu'il est possible d'accompagner les personnes handicapées sans prendre en compte la réalité économique, ou inversement, de sensibiliser les entreprises sans se préoccuper du profil des personnes handicapées. Il y aurait, de fait, une inadéquation entre l'offre et la demande. Ces deux activités doivent donc être menées de pair, ce qui nécessite une parfaite connaissance de l'entreprise et de la notion d'accompagnement des personnes handicapées. Concrètement, la première démarche consiste en une prise de contact avec une personne handicapée dans nos locaux. Dans 70 % des cas, la personne handicapée que nous rencontrons n'a pas ou plus de projet professionnel, suite à un accident. La première démarche est donc d'essayer de construire avec la personne handicapée un projet professionnel par des stages, des évaluations en entreprise, dans le cadre d'un multipartenariat, en faisant notamment intervenir un médecin du travail, pour valider l'aptitude médicale de la personne, ou une assistante sociale.
La priorité est donc bien de construire un projet professionnel cohérent, notamment en fonction des spécificités d'un bassin d'emploi donné, dans la mesure où 80 % de la population que nous accueillons n'a aucune mobilité géographique. Cela ne va d'ailleurs pas sans poser de problèmes dans nos structures, puisque les « Cap Emploi » ont cette particularité de n'avoir qu'un champ d'intervention strictement départemental. Nous n'avons pas, contrairement aux missions locales pour l'emploi, d'agences par bassin.
M. Paul BLANC, rapporteur - Cela confirme la nécessité d'une forte collaboration avec l'ANPE qui, elle, dispose d'agences dans les bassins d'emploi.
M. Eric VILLENEUVE - Tout à fait.
M. Nicolas ABOUT, président - On pourrait même imaginer l'inverse, c'est-à-dire que les missions locales travaillent à l'échelle du département et que vous puissiez intervenir sur des bassins d'emploi, puisqu'il faut, le plus possible, rapprocher la personne handicapée de son lieu de travail.
M. Eric VILLENEUVE - Ce sont des allers et retours avec des validations de projets, au cours desquels il faut établir une relation de confiance. Il faut parfois travailler sur le deuil du handicap, voire le deuil de son ancien métier. En règle générale, avant d'imaginer une insertion durable, comme le disait M. Marchalot, il faut compter une prise en charge de 18 mois au minimum.
M. Paul BLANC, rapporteur - Une fois l'emploi trouvé, un accompagnement s'impose...
M. Eric VILLENEUVE - Oui, car ce n'est jamais gagné ! Le fait qu'une entreprise prenne la décision d'embaucher une personne handicapée ne signifie pas que cette personne bénéfice assurément d'un contrat à durée indéterminée pour quinze ans ! Dans la plupart de nos équipes, des postes sont spécialement affectés à ce que nous appelons le suivi « post-placement ».
M. Paul BLANC, rapporteur - Aujourd'hui, après plusieurs années de forte progression, j'observe un tassement du nombre de travailleurs handicapés placés avec la contribution des réseaux « Cap Emploi ». Comment expliquez-vous cette situation ?
M. Jean-René MARCHALOT - Les statistiques indiquent effectivement que nous en étions à 26 000 personnes placées en 1996, contre 42.000 en 2000 et 42.258 en 2001. Nous assistons donc bien à une stabilisation. Plusieurs facteurs peuvent être évoqués, notamment le niveau de qualification des personnes handicapées, l'âge des personnes handicapées et les capacités des entreprises à prendre en charge des personnes handicapées.
S'agissant de la question du niveau de qualification, les rapports d'activités de l'AGEFIPH indiquent que 15 % des personnes handicapées ont un niveau baccalauréat, ce qui signifie que 85 % d'entre elles ont un niveau inférieur au baccalauréat. Par contre, près de 50 % d'entre elles sont de niveau inférieur ou égal au CAP. Nous constatons aujourd'hui que, parmi les personnes handicapées que les COTOREP nous adressent et celles qui arrivent dans le cadre du PAP/NP, un nombre croissant d'individus se trouvent dans une situation extrêmement difficile. Ainsi, un maçon de 50 ans licencié suite à une mise en inaptitude est demandeur d'emploi, mais n'a travaillé que dans le domaine de la maçonnerie et n'entend travailler que dans ce seul domaine, ce que refuse justement son médecin... Ces personnes sont donc confrontées à la révolution brutale que constitue un changement de métier, qu'elles n'avaient jamais envisagé jusque-là. C'est pour cette raison que l'évolution du niveau de qualification est actuellement primordial, dans la mesure où une personne n'ayant été formée qu'à une activité bien précise se retrouve dans une situation très grave le jour où, pour une raison ou pour une autre, elle ne peut plus exercer cette activité.
M. Paul BLANC, rapporteur - Vous évoquez l'exemple d'un maçon de 50 ans contraint à changer de métier suite à un accident du travail, mais le cas peut également concerner un maçon de 35 ans confronté à la même obligation, en raison d'une intolérance au ciment, par exemple. Ces personnes doivent donc recevoir une autre formation professionnelle, de la part de l'AGEFIPH. Mais, dans la mesure où la formation professionnelle est actuellement dévolue aux régions, ne pensez-vous pas qu'elles devraient également s'intéresser à la formation professionnelle des personnes handicapées, dans l'esprit de la préoccupation exprimée par notre Président, qui consiste à réclamer, pour les travailleurs handicapés, le même traitement que pour n'importe quel autre travailleur ? N'y aurait-il pas, en outre, des partenariats à construire entre l'AGEFIPH, qui finance, et les régions, qui ont en charge la formation professionnelle ?
M. Jean-René MARCHALOT - Je retiens plusieurs éléments de votre intervention. D'abord, en termes de financement, il convient de ne pas oublier que les centres de rééducation professionnelle sont financés, pour une bonne part, par la sécurité sociale et qu'effectivement, il s'agit d'une filière importante pour la formation des personnes handicapées.
M. Paul BLANC, rapporteur - En effet, mais vous savez comme moi que bien souvent, ces centres de formation professionnelle financés par la sécurité sociale ne sont que des voies de garage ! J'ai siégé pendant trop longtemps dans les COTOREP pour ne pas avoir encore en mémoire ce qui s'y pratiquait en termes de remise à niveau !
M. Jean-René MARCHALOT - Je partage votre analyse. La question que se pose l'UNITH porte sur le moyen de donner un maximum d'efficacité à ces circuits. La remise à niveau est particulièrement bien adaptée pour les personnes d'un certain âge. Si l'on arrivait à faire en sorte qu'il y ait une coordination des financements des dispositifs de formation professionnelle, pour ce qui est des préparations et des remises à niveau, ce serait un gain pour tout le monde, et peut-être une économie.
M. Paul BLANC, rapporteur - J'y vois une allusion à l'éventualité d'une agence du handicap...
M. Jean CHERIOUX - En ce qui me concerne, j'essaie de mieux visualiser la composition de cette population dont vous avez la charge et dont je suppose qu'elle est très hétérogène par ses origines. Je fais ici référence à l'origine du handicap et j'ai entendu parler de beaucoup de cas qui semblaient être des accidentés de la vie qui, pour des raisons diverses, avaient été obligés de recommencer un parcours professionnel. Mais il existe aussi beaucoup de personnes, en provenance des COTOREP, qui ont un handicap de naissance.
J'aimerais donc savoir si vous avez également des handicapés mentaux, des handicapés sensoriels, etc. Représentent-ils une part importante de la population sur laquelle vous travaillez ou ces personnes n'arrivent-elles pas à « émerger » et à arriver jusqu'à vous ? L'essentiel de votre action ne consiste-t-elle pas finalement en une action de « rattrapage » en faveur de personnes qui ont été blessées par la vie et qui ont besoin de se réinsérer dans l'économie ?
M. Eric VILLENEUVE - Les handicapés congénitaux représentent environ 15 % de la population que nous accueillons. Les « Cap Emploi » doivent accueillir toute personne handicapée susceptible, à plus ou moins long terme, d'intégrer un jour le milieu ordinaire de travail. Cela signifie que les « Cap Emploi » n'accueillent pas que des handicapés physiques. Le problème se pose lorsque la COTOREP prend la décision d'une orientation en milieu protégé. De par notre statut, nous n'avons, à ce jour, ni la possibilité ni les moyens humains de prendre en charge cette population.
M. Jean-René MARCHALOT - Ce chiffre de 15 % me paraît éloquent. Je souhaiterais rappeler trois principes. Premier principe : le droit de toute personne à vivre en bonne santé motive, de notre point de vue, l'intervention de l'Etat envers ceux qui doivent assumer un handicap, qu'il soit physique ou mental, afin de le compenser, dans la mesure du possible, et d'en réparer les conséquences. Deuxième principe : dans le domaine de l'insertion professionnelle, le choix du législateur français d'établir des dispositions spécifiques en faveur des personnes handicapées se justifie pleinement et ne doit pas être remis en cause sous prétexte d'uniformisation des législations au niveau européen. Troisième principe : l'insertion professionnelle d'une personne handicapée, qu'il s'agisse d'un handicap de naissance ou d'accident de la vie, ne se construit efficacement que si la personne est elle-même acteur et responsable de son parcours.
En tant que dispositif d'aide à l'insertion, nous appuyons et conseillons, mais c'est la personne qui compte avant tout, en tant que responsable de son propre parcours. En outre, cette personne a naturellement le droit à l'erreur et le droit à l'essai. Cela peut ne pas fonctionner du premier coup et, dans ce cas, la présence d'un accompagnateur se justifie d'autant plus.
M. Jean CHERIOUX - Le fait qu'il y ait une politique d'assistance systématique n'entre-t-il pas, justement, en contradiction avec la nécessité, pour l'intéressé, de s'investir lui-même dans ce projet ?
M. Jean-René MARCHALOT - J'aime bien votre question, monsieur le sénateur. Nous sommes effectivement confrontés en permanence à ce risque. Nous rencontrons parfois certaines personnes qui, à telle ou telle étape de leur parcours, préfèrent être dans une logique d'assistance que dans une logique de redémarrage. C'est toute l'intelligence du métier de « Cap Emploi » que de réfléchir avec ces personnes afin qu'elles comprennent que la logique d'assistance a des limites et que la seule façon, pour elles, de retrouver goût à la vie est de se mettre elles-mêmes dans une perspective plus dynamique.
M. Jean CHERIOUX - Sont-ce des cas isolés ou fréquents ?
M. Jean-René MARCHALOT - La majorité des personnes handicapées que nous accueillons sont des gens motivés pour se réinsérer professionnellement.
M. Nicolas ABOUT, président - J'ai le sentiment que ceci ne touche pas que les personnes handicapées ! Là encore, nous sommes dans une logique identique pour toutes les personnes. La personne handicapée ayant trouvé la juste compensation de sa déficience à travers les aides mises en place par la solidarité nationale se retrouve dans la situation de chacun et peut donc tomber dans les mêmes travers.