2. Des moyens insuffisants, une organisation peu cohérente
Malgré l'extension du rôle du parquet, l'activité des juges des enfants n'a cessé d'augmenter au cours des dernières années. Et malgré les recrutements effectués, le nombre de juges demeure insuffisant dans notre pays. Selon les informations transmises par le ministère de la justice, 405 postes de juges des enfants existent, l'effectif réel n'étant cependant que de 358 magistrats, soit un taux de vacance de 11,6 %.
Dans ces conditions, la commission a pu constater un malaise de ces juges qui souhaiteraient accomplir un travail plus approfondi.
M. Alain Bruel, ancien président du tribunal pour enfants de Paris, s'est exprimé en ces termes : « La réponse en temps réel, quand elle ne se limite pas à lutter contre des lenteurs injustifiables, devient le seul critère de l'efficacité, se retourne contre sa propre justification d'intelligibilité de la décision et devient un obstacle à l'intervention en profondeur. Elle génère une véritable thrombose institutionnelle (...) . »
M. Thierry Baranger, président de l'association des magistrats de la jeunesse et de la famille, a pour sa part pu estimer : « (...) j'ai de plus en plus souvent l'impression d'évacuer des stocks de dossiers plutôt que de faire le travail pour lequel je suis devenu juge des enfants. J'ai vraiment le sentiment de procéder parfois -pardonnez-moi ce terme un peu dur- à un « abattage », une notion que je ne connaissais pas, je vous l'assure, il y a une dizaine d'années. ».
A cette insuffisance de moyens s'ajoute une organisation peu cohérente de la justice des mineurs sur le territoire.
Il n'existe pas un tribunal pour enfants dans chaque tribunal de grande instance. Mais il existe en revanche plus d'un tribunal pour enfants dans de nombreux départements, ce qui rend complexe l'organisation des relations avec certains partenaires organisés au niveau du département, tels que l'aide sociale à l'enfance ou la protection judiciaire de la jeunesse.
Au cours des dernières années, la question de la réforme de la carte judiciaire n'a guère progressé ; en matière de justice des mineurs, la confusion s'est plutôt accrue.
En 1998, dans leur rapport sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck écrivaient :
« 74 départements ne comptent qu'un seul tribunal pour enfants, tandis que d'autres départements en dénombrent plusieurs. Ainsi, il y a cinq tribunaux pour enfants dans le Nord, quatre dans le Pas-de-Calais, trois en Moselle, en Seine-Maritime et dans les Bouches-du-Rhône et deux dans 21 autres départements. Ce véritable émiettement des juridictions pour mineurs dans 27 départements contribue au manque de lisibilité, pour les partenaires extérieurs, des décisions des juges. Par ailleurs, le fait que les juges soient rassemblés dans une même juridiction est de nature, sans attenter en rien à leur indépendance juridictionnelle, à favoriser leur concertation et donc le rapprochement de leurs pratiques.
« La mission propose donc le réexamen de la carte des tribunaux pour enfants pour qu'un certain nombre d'entre eux puissent être regroupés. ».
Tout au contraire, un décret du 25 avril 2002 vient de créer 15 nouveaux tribunaux pour enfants à Bourgoin-Jallieu, Cambrai, Carpentras, Castres, Châlons-en-Champagne, Compiègne, Dax, Guingamp, La Rochelle, Libourne, Montargis, Narbonne, Saint-Malo, Saint-Quentin et Thonon-les-Bains. Ces tribunaux entreront en activité le 1 er janvier 2003.
La question de la carte judiciaire dans son ensemble doit désormais être prioritaire afin que la France se dote d'un cadre cohérent . S'agissant des mineurs, chaque solution a ses avantages et ses inconvénients. L'existence d'un tribunal pour enfants par département serait de nature à faciliter l'exercice d'une certaine coordination entre juges des enfants et rendrait plus aisées les relations avec les partenaires des magistrats.
En revanche, il convient de garder à l'esprit que l'éloignement géographique entre les services de police judiciaire et les tribunaux pour enfants ne facilite pas les défèrements lorsqu'ils sont nécessaires. Quoi qu'il en soit, cette réflexion doit être globale et dépasse largement la question de l'implantation des juridictions pour mineurs.