2. La délinquance en germe dans l'échec scolaire
L'école doit admettre la responsabilité qui est la sienne dans l'extension de la délinquance. Les objectifs que lui confie la loi portent en eux la relégation d'une petite fraction des jeunes qui, dénués de perspectives, entrent en « jacquerie » ou se détournent définitivement des voies traditionnelles d'insertion.
a) Un lien indiscutable
Précurseur ou générateur de délinquance, il est impossible d'affirmer que l'échec scolaire, pas plus que les difficultés familiales, fabrique à lui seul la délinquance. Pour autant, plusieurs indicateurs mettent en évidence le rôle qu'il joue dans le basculement. En effet, si tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas des délinquants, une immense majorité de ces derniers n'a pas réussi à l'école.
Les conclusions des recherches 44 ( * ) menées sur les « noyaux durs », c'est-à-dire les élèves les moins contrôlables au sein des établissements sont nettes. « Les agrégats des élèves en grande rupture constituent une première approximation des noyaux durs » . Ce petit nombre d'élèves, inférieur à 5 %, mais le plus souvent incontrôlables, sont les plus défiants à l'égard de l'école. Rien ne trouve grâce à leurs yeux, ni les lieux, ni les méthodes, ni le corps enseignant. Plus dissipés et agressifs, travaillant peu ou pas, ils perçoivent les sanctions disciplinaires et leurs résultats comme une injustice qui leur est faite. Ces jeunes qui ont « la haine » de l'école constituent l'image la plus radicale des extrémités dans lesquelles l'échec scolaire peut enfermer.
D'ailleurs le même constat peut être tiré à un stade plus dramatique encore. Les statistiques concernant les mineurs incarcérés sont là encore sans appel. Selon le ministère de l'Education nationale, « La situation de dénuement culturel est particulièrement marquée chez les jeunes détenus de moins de 18 ans. 80 % d'entre eux sont sans diplôme et près de la moitié en échec au bilan lecture proposé pour le repérage systématique de l'illettrisme. Plus de 10 % relèvent de l'illettrisme » .
b) Collège unique, collège utopique ?
Mis en place en 1975, le principe du collège unique est d'inspiration généreuse. Il s'agit d'offrir à tous les enfants une chance de réussir au sein d'un même cursus. Pour cela, la disparition des orientations précoces est préconisée, car, bien qu'elles offrent des perspectives d'insertion, elles souffrent d'une image très dévalorisée.
Vingt ans après, le bilan du collège unique est mitigé. S'il a permis l'accès aux études secondaires et supérieures à des enfants issus de milieux qui n'y avaient accès qu'épisodiquement, il a également conduit à une radicalisation de l'échec, et est, à ce titre, « co-producteur » de délinquance. La démocratisation du collège laisse en fait sur le carreau un nombre non négligeable d'enfants.
Les enseignants eux-mêmes ont conscience de cette difficulté. Les chefs d'établissements rencontrés sur le terrain déclarent d'ailleurs devoir chercher aux confins du système réglementaire des propositions et des perspectives, notamment par le biais de stages, pour des jeunes à qui le collège ne convient plus.
Le système de l'Education nationale reconnaît les difficultés spécifiques de certains et des brèches existent déjà. Les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) au sein des collèges en sont une. Au sein de certains collèges, ces sections dispensent des enseignements destinés à faciliter le passage des jeunes vers un lycée professionnel ou vers l'apprentissage. Pour leur part, les cycles d'insertion professionnelle par l'alternance (CIPPA) visent également à mobiliser autour d'un projet les jeunes de plus de seize ans, c'est-à-dire dégagés de l'obligation de scolarité, et de trouver une solution dans un cadre professionnalisé.
Comment dès lors résoudre la difficulté de jeunes en situation d'échec profond précoce ? Il paraît indispensable d'offrir à ces jeunes, à qui l'horizon d'un maintien dans le système général jusqu'à seize ans n'offre d'autre perspective que l'échec, un enseignement adapté mêlant la transmission d'un savoir fondamental et non encyclopédique, un accès à la culture et des perspectives professionnelles par le biais d'une formation qualifiante.
c) La concurrence de l'école de la rue
Entendu lors de l'audition du Conseil communal de prévention de la délinquance de Valenciennes par une délégation de la commission, M. Grandamme, proviseur du Lycée de l'Escaut a déclaré, non sans humour, que la concurrence la plus féroce qu'il devait affronter était, non pas l'école privée mais l'école de la rue.
L'absentéisme scolaire régulier atteint dans certaines zones des niveaux très élevés. Cet absentéisme régulier est difficile à définir. L'article D. 552-4 du code de la sécurité sociale définit le manquement à l'obligation scolaire, passible d'une sanction financière, comme une absence non justifiée constatée « au cours de trois mois ou plus, consécutifs ou non, (...) quatre demi-journées dans le mois » ou « dix jours consécutifs ou au cours d'un même mois » . Mais, comme il a été dit, les services de l'Education nationale ne signalent qu'une infime portion d'un chiffre dont on estime qu'il touche entre 12 % et 15 % des jeunes.
L'enquête menée en 1993 par l'INSERM 45 ( * ) sur la santé de l'adolescent comprenait un volet sur l'absentéisme scolaire. Cette étude a mis en évidence que les jeunes absentéistes présentent plus que les autres un comportement délinquant. Les garçons sont plus souvent, par importance décroissante, fugueurs, toxicomanes, alcooliques et violents. Les filles, elles, sont plus souvent toxicomanes, violentes, et commettent davantage de vols. Il est également notable que ces jeunes sont plus souvent eux-mêmes des victimes de violences physiques ou sexuelles et en souffrance, voire suicidaires.
Les réunions entre groupes de pairs hors de l'école constituent donc un redoutable môle de concurrence à une école symbole d'échec ou d'inutilité. Attirés dans des groupes, les enfants et adolescents découvrent rapidement qu'un profil délinquant est susceptible de leur offrir une « intégration » au sein d'un quartier et, rapidement, par des trafics et des vols, une rétribution financière qu'ils jugent hors d'atteinte dans la légalité. Leur premier rapport avec l'argent est souvent délictuel. L'école de la rue les entretient dans l'illusion que « le crime paie ».
* 44 Rapport LARSEF, sous la direction d'Eric Debarbieux, « L'oppression quotidienne - Recherche sur une délinquance des mineurs », janvier 2002.
* 45 Partenariat INSERM Education nationale, enquête nationale sur la santé de l'adolescent, 1993.