INTRODUCTION

« L'homme n'est ni ange ni bête et le malheur est que qui veut faire l'ange fait la bête. »

Blaise Pascal
Pensées

« L'ancien régime est là tout entier : une règle rigide, une pratique molle ; tel est son caractère. »

Alexis de Tocqueville
L'ancien régime et la révolution

La primauté de l'éducation sur la répression qui inspire le droit applicable aux mineurs délinquants est un principe nécessaire, qui devient nocif quand cette primauté signifie dissociation. La sanction est partie intégrante de l'éducation : vouloir éduquer sans contraindre est « l'utopie par excellence du gouvernement des hommes dans le cadre de la société des individus : les conduire et les constituer entièrement mais sans jamais les contraindre, et de telle sorte que tout soit vécu par eux comme leur initiative autonome » 1 ( * ) .

La délinquance des mineurs donne trop souvent lieu à un débat idéologique au mauvais sens du terme, où les jugements ne sont pas confrontés au réel. Mais « le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire ; il est toujours ce qu'on aurait dû penser » 2 ( * ) .

La commission d'enquête du Sénat a souhaité se forger un jugement autonome par ses auditions et ses déplacements dans notre pays et à l'étranger. De ses travaux, elle retire notamment les constats suivants :

- si la délinquance des mineurs n'est pas un phénomène nouveau, la situation actuelle est réellement préoccupante , parce que cette délinquance s'est massifiée, qu'elle est plus violente et concerne des mineurs plus jeunes. Cette délinquance a aussi été sous-estimée et non exagérée comme on l'a parfois dit au cours des dernières semaines. Les mineurs délinquants ont souvent des personnalités fragiles, peu construites, comme l'a noté l'un des interlocuteurs de la commission qui a parlé de « délinquance par absence d'être ». Leurs victimes sont souvent elles-mêmes des mineurs ;

- la famille et l'école n'endiguent plus la délinquance . Tandis que de nombreux parents sont en grande difficulté pour assurer l'éducation de leurs enfants, l'école n'est plus ce sanctuaire à l'abri de la violence. A force de vouloir faire entrer tous les enfants dans un « moule » unique, l'école a fini par exclure plus gravement qu'auparavant une partie de ceux qui lui sont confiés et devra réinventer les moyens de faire une place à chacun ;

- l'insuffisance des liens entre les institutions exerçant à un titre ou à un autre une action de prévention crée des discontinuités, des ruptures de suivi qui nuisent à l'efficacité de cette prévention ; trop souvent, des enfants en difficulté sont repérés, à l'école notamment, sans qu'une solution adéquate puisse être trouvée dans des délais acceptables ;

- la justice des mineurs n'est pas particulièrement laxiste ; elle est erratique . Son fonctionnement a été éloquemment résumé par M. Malek Boutih, président de SOS racisme, lors de son audition : « Vue par les jeunes, c'est une succession de petites « emmerdes » et, un jour, c'est une grosse « emmerde ». La justice apporte bel et bien des « réponses » à la délinquance des mineurs, mais ces réponses ne font pas sens parce qu'elles interviennent trop tardivement, parce qu'éducation et sanction sont généralement dissociées.

Notre arsenal législatif n'est pourtant pas inexistant pour sanctionner les mineurs ou ceux qui les utilisent, pour exercer une contrainte sur les parents défaillants... Mais, comme en d'autres matières, les règles ne semblent faites que pour n'être pas utilisées, chacun prenant dans la loi ce qui lui paraît acceptable au regard de ses propres conceptions ;

- l'enfermement des mineurs donne lieu à un débat idéologique sur la possibilité ou non de conduire une action éducative en milieu fermé. La commission constate que nos partenaires européens, par exemple les Pays-Bas, plus pragmatiques, ont mis en place des parcours d'éducation et de réinsertion comportant des phases de liberté et des phases de contention pendant lesquelles le travail éducatif se poursuit ;

- la protection judiciaire de la jeunesse connaît une crise d'identité profonde. Malgré le fort potentiel humain que constituent ses éducateurs, elle peine à assurer l'ensemble des missions qui lui sont confiées et souffre d'une gestion qui est loin d'être irréprochable. La prise en charge des mineurs les plus difficiles au sein des structures d'hébergement ne semble plus motiver ses cadres, dont certains adoptent même une véritable stratégie d'évitement de ces mineurs.

*

Ces constats suggèrent que si telle ou telle mesure particulière peut être utile et constituer un bon « signal », la réponse à la délinquance des mineurs demande une approche globale et une politique menée dans la durée.

TRAVAUX DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

_______


Les étapes des travaux de la commission d'enquête

- La présente commission d'enquête a été créée par le Sénat à la suite du dépôt, le 18 mai 2001, d'une proposition de résolution n° 332 (2000-2001) présentée par MM. Henri de Raincourt, Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel et Josselin de Rohan , « tendant à la création d'une commission d'enquête sur les diverses mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs ».

- Au cours de sa réunion du 6 février 2002, la commission des Lois, sur la proposition de son rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest , a estimé que la proposition de résolution était juridiquement recevable et que la création d'une commission d'enquête était tout à fait opportune en précisant que cette commission devrait enquêter sur les moyens de répondre à la délinquance des mineurs , en particulier sur les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs.

- Dans sa séance publique du 12 février 2002, le Sénat a adopté, sur le rapport de M. Jean-Jacques Hyest (n° 213, 2001-2002), la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs et son article unique dans les termes proposés par la commission des Lois.

- Lors de sa réunion du 19 février 2002, la commission a constitué son bureau qui a décidé notamment que ses auditions seraient ouvertes à la presse et a arrêté les premières orientations de son programme de travail.

- La commission d'enquête a ratifié les grandes lignes de ce programme au cours de sa réunion du 6 mars 2002.

- Le 25 juin 2002, la commission d'enquête a approuvé les conclusions du présent rapport.


Les auditions de la commission d'enquête

Du 6 mars au 29 mai 2002, la commission d'enquête a organisé douze séries d'auditions au Sénat 3 ( * ) et convoqué 73 personnalités concernées à un titre ou à un autre par la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs : sociologues, associations familiales, représentants de l'Education nationale, pédopsychiatres, psychologues, éducateurs, policiers et gendarmes, magistrats, représentant des victimes, universitaires, épidémiologiste, directeur d'établissement pénitentiaire....

Toutes ces auditions, à l'exception de deux 4 ( * ) , ont été ouvertes à la presse. La commission tient à souligner le parfait déroulement de ces auditions. Les interlocuteurs de la commission, convoqués pour déposer sous serment, se sont pliés de bonne grâce à cette obligation et ont accepté 5 ( * ) que le procès-verbal de leur audition soit annexé au rapport de la commission.

Tout au plus, Mme Nicole Prud'homme, présidente de la Caisse nationale d'allocations familiales, a souhaité souligner que le questionnaire de la commission d'enquête ne lui avait été adressé que le vendredi 5 avril pour une audition le 10 avril : « vous comprendrez que la densité des questions posées et les chiffrages qu'elles impliquent obligent nos services à arrêter tout autre travail et à se concentrer exclusivement sur ce questionnaire. Les personnels sont donc obligés de travailler dans l'urgence qui est toujours de la sur-urgence » a-t-elle déclaré à la commission.

La commission d'enquête est profondément désolée d'une telle situation et doit faire part de son inquiétude à l'idée que l'ensemble des personnels de la Caisse nationale d'allocations familiales aient dû être mobilisés pour répondre aux 6 questions qu'elle avait cru courtois d'adresser à l'avance...

La commission n'a pas pu entendre toutes les personnes qui l'avaient souhaité et remercie celles qui se sont spontanément manifestées et qui ont bien voulu lui transmettre leurs observations par écrit.


Les déplacements de la commission d'enquête

Outre ces auditions, la commission a estimé indispensable de compléter ses investigations par une série de déplacements qui se sont déroulés entre le 7 mars et le 23 mai 2002.


Déplacements de la commission d'enquête

- 7 mars : Visite du centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis

- 12 mars : Déplacement à Bagneux

- 14 mars : Visite du Tribunal pour enfants de Bobigny

- 26 mars : Visite du tribunal pour enfants de Paris

- 28 mars  : Déplacement au Havre

- 4 avril  : Déplacement à Beauvais

- 8 avril : Déplacement dans le Rhône

- 9 avril : Déplacement en Haute-Savoie

- 11 avril : Déplacement à Valenciennes

- 15 et 16 avril  : Déplacement aux Pays-Bas

- 22 et 23 avril : Déplacement au Royaume-Uni

- du 22 au 26 avril   : Déplacement en Guyane et en Guadeloupe

- 29 avril  : Visite du centre JET juniors à La Souchère

- 16 et 17 mai : Déplacement dans les Bouches-du-Rhône

- 23 mai : Déplacement à Strasbourg

Le compte-rendu de ces déplacements figure en annexe du présent rapport.

Ces déplacements ont permis aux membres de la commission de voir fonctionner l'ensemble de la chaîne éducative et pénale et de découvrir quelques-unes des multiples actions de prévention conduites dans notre pays par des associations admirables.

A Paris et à Bobigny, la commission a pu assister à des audiences au tribunal pour enfants ou à des audiences de cabinet du juge des enfants. Le hasard a même voulu que le rapporteur ait la surprise de retrouver dans un centre d'éducation renforcée un mineur placé en détention provisoire quelques semaines plus tôt le jour de la visite de la commission au tribunal de Paris.

La commission d'enquête a découvert la diversité des conditions d'accueil des mineurs placés, visitant des foyers en pleine ville, le centre JET de la Souchère encadré par des militaires et où flotte le drapeau républicain, des établissements flambant neufs mais sous-occupés (l'école de la nouvelle chance de Beauvais), un complexe gigantesque et dont la restructuration paraît quelque peu désordonnée (les Chutes-Lavie à Marseille)...

La commission a également découvert la diversité des conditions d'incarcération des mineurs. Un gouffre sépare aujourd'hui le centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis, devenu la « vitrine » de l'administration pénitentiaire et le quartier des mineurs des prisons de Lyon que la commission d'enquête du Sénat sur les prisons qualifiait déjà de « sinistre »...


Les documents communiqués à la commission

Comme elle en a la faculté, la commission en se fondant sur l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée sur le fonctionnement des assemblées parlementaires, a demandé communication de nombreux documents aux ministres compétents et à leurs administrations, afin de compléter son information.

Dans l'ensemble, celles-ci ont volontiers répondu à ces requêtes et communiqué les documents souhaités.

Un questionnaire très détaillé a été adressé à chacune des 100 directions départementales de la protection judiciaire de la jeunesse. La commission tient à souligner le travail important réalisé par 98 directions sur 100 pour transmettre des informations très complètes.

La commission a également adressé un questionnaire à chacun des tribunaux pour enfants. 39 (trente neuf) tribunaux sur 134 (cent trente quatre) ont bien voulu répondre... Qu'ils en soient remerciés.

Enfin, la commission a demandé au ministère de la justice de lui transmettre les rapports que les juges des enfants doivent adresser chaque année au garde des sceaux après avoir visité les établissements de leur ressort accueillant des mineurs, conformément au décret du 16 avril 1946. Cinq documents seulement lui ont été adressés. Il semble que ces documents ne soient plus adressés au ministre de la justice, malgré les prescriptions réglementaires, de sorte que la commission est conduite à se demander si ces rapports continuent à être établis. Exemple typique de ces règles qui semblent n'être conçues que pour n'être pas appliquées .

* 1 Marcel Gauchet.

* 2 Gaston Bachelard.

* 3 La commission a consacré 51 heures à ces auditions

* 4 - Audition de M. Patrice Bergougnoux, directeur général de la police nationale et de M. Christian Decharrière, directeur central de la sécurité publique.

- Audition de M. Gérard Moreau, conseiller-maître à la Cour des comptes, de M. Rainier d'Haussonville, auditeur et de Mme Sylviane Miroux, rapporteur.

* 5 A l'exception des représentants de la Cour des Comptes, dont l'enquête n'était pas achevée à la date d'adoption du présent rapport.

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