2. Une solution présentant, certes, des inconvénients...
a) Pour l'opérateur
Dans le passé, la présence majoritaire de l'Etat au capital de France Télécom a, sans doute, limité la liberté de manoeuvre de l'opérateur en deux circonstances :
- l'acquisition d'Orange ;
- la fixation du prix d'attribution des licences UMTS.
Orange a en définitive été acheté fort cher à Vodafone en mai 2000, si on s'en rapporte aux 13 milliards d'euros auxquels les observateurs financiers évaluent la dépréciation de cette acquisition dans les actifs de France Télécom.
Le débours aurait été moins important si France Télécom avait pu régler une part des 35,47 milliards d'euros de cet achat en actions car, du coup, « l'effet de ciseau » qui a découlé de l'absorption, en définitive exclusivement financée en numéraire, 39 ( * ) d'une société ayant depuis perdu le tiers de sa valeur eût été moins ample.
Cependant, à l'époque, aller loin en actions aurait pu conduire à remettre en cause la majorité d'Etat au capital de France Télécom.
C'est sans doute la raison pour laquelle la demande de Vodafone de réaliser la transaction en numéraire a été acceptée, alors que la prudence eût sans doute dû conduire à négocier plus âprement un échange d'actions. Ces négociations auraient-elles alors pu aboutir ? L'Etat major de France Télécom le nie. Nul ne peut le dire avec certitude.
En revanche, il est clair que l'obligation de verrouillage du capital par l'Etat a constitué un obstacle à des négociations plus ouvertes et à des accords moins périlleux. Cela ne doit pas être oublié.
32,5 milliards de francs (4,98 milliards d'euros) la licence UMTS ! Tel était le prix fixé par le Gouvernement français au début de l'année 2000. Certes, depuis, le principe de réalité -et le retournement boursier- ayant fait leur oeuvre, la raison a fini par l'emporter : la facture a été divisée par plus de huit en octobre 2001 !
Il convient aussi de reconnaître qu'en France, la majorité de la classe politique, à la différence de certains milieux économique et de l'ART, a participé à ce phénomène d'engouement irrationnel pour l'UMTS.
Votre rapporteur était de ceux qui, en 2000, expliquaient que taxer à hauteur de 32,5 milliards de francs les opérateurs UMTS, en sus des investissements colossaux qu'ils auraient à mobiliser pour assurer la diffusion de cette technologie, était tout à fait excessif. Pour lui, cela revenait à « ouvrir le ventre de la poule aux oeufs d'or non seulement avant qu'elle ait pondu son premier oeuf mais avant même qu'elle ait picoré son premier grain de blé ».
Dans une interview donnée en mai 2000 40 ( * ) , votre rapporteur déclarait également : « Il ne faut pas brader les richesses du domaine public que constituent les fréquences hertziennes. Mais il ne convient pas non plus, au nom des appétits financiers de Bercy et des enjeux électoraux qu'ils recèlent, de sacrifier les intérêts des grandes entreprises françaises qui ont beaucoup oeuvré pour le développement du téléphone mobile dans notre pays. C'est pourquoi, une solution mixte avec redevance, reposant davantage sur un système de prélèvements progressifs des recettes que peut générer l'UMTS, plutôt que sur une forme de taxation préalable, m'apparaîtrait plus équilibrée. ». |
D'autres que lui, Autorité de régulation des télécommunications 41 ( * ) , économistes, responsables d'un grand groupe privé intéressé par l'UMTS, ont dénoncé l'aveuglement d'une taxation préalable puisant son inspiration dans le mirage des recettes colossales tirées des enchères britanniques et allemandes.
Parmi ces voix minoritaires auxquelles les faits ont donné raison, nulle prise de position de France Télécom. L'entreprise était pourtant intéressée à plus d'un titre par le débat. Ne devait-elle pas passer trois fois à la caisse : en France, pour acquérir une licence, mais aussi en Grande-Bretagne et en Allemagne, pour prendre le contrôle d'opérateurs (Orange, MobilCom) ayant obtenu cette licence ? Pourtant, sur le sujet, on ne l'a pas entendu. C'était « silence sur la ligne » !
Pouvait-il en être autrement ?
L'état-major de France Télécom aurait-il pu laisser supposer qu'il ne partageait pas le point de vue de son actionnaire majoritaire, même si celui-ci se comportait davantage comme un prédateur budgétaire que comme un actionnaire ? C'eût été difficile.
De fait, on touche là une autre limitation du statut actuel : il cantonne la liberté de parole de l'état-major de l'entreprise et le soumet à des arbitrages où l'intérêt de l'entreprise semble parfois second .
Aujourd'hui , l'exigence du maintien de cette présence majoritaire interdit le financement de certaines opérations par émission d'obligations convertibles ou cession d'une quantité d'actions remettant en cause cette majorité.
Sur le plan de la gestion courante de l'entreprise, cela introduit quelques éléments de complexité et des contrôles supplémentaires qui ne s'appliquent pas à ses concurrents (présence d'un commissaire du Gouvernement et d'un contrôleur d'Etat, contrôle de la Cour des Comptes, composition particulière du conseil d'administration, ...).
L'entreprise estime que ces diverses contraintes n'ont pas « à ce jour constitué un handicap pour France Télécom. L'Etat s'est comporté comme un actionnaire majoritaire « normal » ». 42 ( * ) Elle précise en outre que « certaines de ces particularités pourraient d'ailleurs être supprimées, de façon à se rapprocher le plus possible du droit commun des entreprises, indépendamment de toute modification de la part de l'Etat dans le capital de l'entreprise » 43 ( * ) .
En revanche, demain , si le secteur des télécommunications venait à se concentrer en Europe, comme c'est le cas aux Etats-Unis, alors l'impératif légal du maintien de l'Etat comme actionnaire majoritaire obèrerait les marges de manoeuvre pour la réalisation d'alliances d'envergure. De fait, compte tenu des valorisations des entreprises du secteur, seul un échange d'actions serait raisonnablement envisageable pour le financement de telles alliances. Ainsi, à la différence de Deutsche Telekom, France Télécom n'aurait pu projeter de prendre le contrôle de Telecom Italia sans remettre en cause la part de l'Etat dans son capital. Jusqu'à présent, une telle opération ne lui est pas apparue attractive et il ne l'a pas proposée à son actionnaire. Il pourrait en être autrement demain.
Ce handicap doit en conséquence demeurer présent à l'esprit car si une meilleure occasion se présentait, on ne saurait y renoncer sans réfléchir à l'utilité de conserver des règles pouvant entraver l'essor de notre champion national.
* 39 Voir, pour détails, Ch. I, B, 1, c.
* 40 La lettre A, n° 2012, 26 mai 2000.
* 41 Notamment dans sa position publique du 30 mai 2001.
* 42 Dans la réponse faite au questionnaire qui lui a été adressé par votre Commission et le groupe d'étude « Poste et télécommunications ».
* 43 idem.