D. DES PROPOSITIONS POUR UNE ÉVOLUTION EUROPÉENNE ET NATIONALE

1. Une ambition européenne

Dès le début des négociations sur la directive communautaire relative au service universel, la France a voulu intégrer dans la définition du service universel la couverture mobile et l'Internet à haut débit. Elle a été rejointe progressivement par l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg, la Grèce et l'Irlande. Le Comité économique et social a soutenu également l'inclusion de l'accès à Internet dans le service universel, considérant que cela contribuerait à aider certaines catégories de population défavorisées ainsi que les régions faiblement peuplées.

Toutefois, le Conseil s'en est tenu à la proposition initiale de la Commission. Comme cela a déjà été dit, l'article 15 de la directive prévoit cependant un réexamen périodique du contenu du service universel, le premier intervenant deux ans après l'entrée en vigueur du texte et les suivants étant réalisés tous les trois ans. Ce réexamen doit être mené à la lumière des évolutions sociales, commerciales et technologiques. Ceci peut laisser envisager un enrichissement futur de son contenu.

C'est pourquoi votre commission et votre groupe d'étude, considérant la grande rapidité du développement des usages d'Internet, estiment que la révision -prévue d'ici mars 2004- devrait avoir pour objectif d'inclure l'Internet à haut débit dans le service universel .

Lors de la prochaine révision, les autres Etats membres pourraient être plus réceptifs aux arguments français car la concurrence devrait avoir pu se développer sur l'Internet à haut débit, notamment grâce aux technologies hertziennes. L'inclusion du haut débit dans l'ensemble des services financés par le fonds de service universel ne pourrait alors plus s'analyser comme une subvention des opérateurs historiques qui dominent aujourd'hui le marché du haut débit filaire. En outre, à l'horizon de la moitié de la décennie, si ses usages sociaux se sont développés à la vitesse envisagée, cette inclusion devrait apparaître naturelle.

Il en va de la dynamisation de l'économie européenne et de la réduction de la fracture numérique qui tend à se creuser entre les populations au sein des différents pays de l'Union.

Par ailleurs, il convient de souligner qu'au socle de service universel garanti par la directive, les Etats membres peuvent ajouter des services obligatoires additionnels . L'article 28 prévoit que, si les Etats membres décident de rendre accessibles au public, sur le territoire national, de tels services additionnels ne relevant pas des obligations du service universel (énumérées plus haut), aucun mécanisme de compensation impliquant les entreprises ne peut être imposé . Cette disposition peut se comprendre comme ouvrant la voie à un enrichissement du service universel, mais hors financement par fonds de service universel.

Ceci ouvre des marges d'autonomie aux Etats membres qui le souhaitent. La France dispose, de ce fait, des moyens juridiques de conduire une politique autonome si elle en avait la volonté.

2. Des mesures nationales

Votre Commission des Affaires économiques n'est pas favorable à un abandon du fonds de service universel, prôné par certains. Il a fait la preuve de son efficacité et sa récente confortation par les directives communautaires rendrait quelque peu surprenant un renoncement à ce financement « à la française » du service universel.

En revanche, il lui apparaît souhaitable de modifier l'assiette des contributions qui alimentent ce fonds et d'examiner les conditions d'une extension nationale du périmètre du service universel.

a) Changer l'assiette et les modalités de versement de la contribution des opérateurs

Votre commission et votre groupe d'étude reconnaissent la force des arguments de certains acteurs du secteur, notamment des opérateurs fournisseurs d'accès à Internet, en ce qui concerne le mode de calcul des contributions au fonds de service universel. Il n'est en effet pas contestable que la prise en compte du volume des communications, avec imputation d'un coût unitaire à la minute identique, quel que soit le revenu moyen issu de ces communications, est particulièrement défavorable aux opérateurs spécialisés dans l'accès à Internet, dont les marges sont très sensiblement inférieures à celles des opérateurs de service téléphonique et des opérateurs de services mobiles.

C'est pourquoi, il est proposé que la contribution au fonds de service universel soit, à l'avenir, calculée sur la base du chiffre d'affaires de détail net des prestations d'interconnexion entre opérateurs et non plus sur la base des volumes de trafic.

Votre rapporteur et notre collègue Gérard Larcher avaient d'ailleurs déposé un amendement en ce sens au collectif budgétaire.

L'ART et la CSSPPT 95 ( * ) défendent également cette position.

Ce système est, en définitive, celui qui se révèle le plus équitable, chaque acteur contribuant à la hauteur de la valeur ajoutée économique qu'il retire de son activité dans les télécommunications.

Cette solution serait équivalente à ce qui se passe en Italie, seul autre pays européen où les opérateurs contribuent au financement du service universel, celui-ci étant formé des même composantes qu'en France (péréquation géographique, cabines et tarifs sociaux). En effet, la contribution au service universel s'y effectue sur la base du chiffre d'affaires, les opérateurs contribuant à son financement en fonction de leur part de marché en valeur au-delà d'un seuil fixé à une part de marché de 1 % 96 ( * ) .

L'ART estime 97 ( * ) , en outre, que la répartition au prorata du chiffre d'affaires facilite le contrôle a posteriori des informations, le chiffre d'affaires étant une donnée inscrite dans la comptabilité. Elle souligne également que cette répartition : « permet d'éviter les doubles comptes ou la non prise en compte de volumes de trafic en particulier pour l'activité Internet où la multiplicité des intervenants et la complexité des configurations techniques mises en oeuvre accroît ce risque. Les forfaits illimités avec l'apparition de la facturation à la capacité rendent en particulier délicate l'utilisation de la minute de trafic. Enfin, cette nouvelle clef de répartition devrait réduire le nombre de contentieux concernant le service universel qui commencent à apparaître et qui risquent de se multiplier »

L'ART remarque aussi qu' « un changement dans la clé de répartition emporte un déplacement des équilibres du dispositif actuel ; les opérateurs licenciés, fournisseurs d'accès à Internet réserveront le meilleurs accueil à cette nouvelle clé de répartition, puisqu'ils soulignent et contestent la forte proportion du coût du service universel, réparti au prorata du volume de trafic. Inversement, les opérateurs mobiles qui verront leur part augmenter, pourraient se montrer défavorables à la mesure. En l'état actuel de la situation sur le marché des télécommunications, il ne semble toutefois pas anormal économiquement que les opérateurs les plus solides financièrement contribuent plus significativement ».

Un tel changement nécessite simplement l'intervention d'une loi.

En outre, pour éviter le jeu complexe de l'évaluation prévisionnelle puis des régularisations a posteriori, il semble opportun de mettre à l'étude les modalités d'une perception a posteriori, en une seule fois, des contributions des opérateurs.

Serait appliqué à cette contribution le principe qui régit actuellement l'impôt sur le revenu (et l'impôt sur les sociétés) car le système de prélèvement à la source dont les opérateurs font l'objet, et qui se justifiait dans une phase de mise en place, apparaît aujourd'hui excessivement pénalisant pour les plus fragiles d'entre eux et n'a plus la même légitimité qu'il y a six ans.

b) Inclure une prestation de téléphonie mobile de base dans le service universel français.

L'immobilisme n'est pas une attitude satisfaisante

L'Union européenne a refusé d'inclure dès maintenant la téléphonie mobile dans le champ du service universel. Cependant, dès lors que la téléphonie fixe compte 34 millions d'abonnés et la téléphonie mobile 37 millions d'abonnés, le cantonnement des prestations de service universel à la téléphonie fixe fait courir à la notion même de service universel un risque d'asphyxie.

Maintenir encore quelques années une telle attitude conduirait à commencer à écrire la chronique d'une mort annoncée.

A l'inverse, la téléphonie mobile étant devenue d'usage quasi universel, une inclusion ciblée dans le service universel se justifierait pleinement :

- elle correspondrait à une aspiration des consommateurs, en permettant d'imposer des normes de qualité et une obligation de couverture territoriale étendue (par exemple : les lieux d'habitation et les principaux axes de circulation) 98 ( * ) ;

- elle répondrait au principe fondamental d'adaptabilité du service public , garant de sa pérennité 99 ( * ) ;

- elle ne serait pas déraisonnable, dès lors qu'elle correspondrait à une prestation GSM de base incluant l'accès à un réseau à un prix abordable .

Mais, en droit européen, nous venons de le souligner, si un Etat membre peut élargir à sa guise le champ du service universel des télécommunications, il ne peut prévoir de financement mutualisé par l'ensemble des opérateurs (par exemple par le biais du fonds de service universel) que pour le panier de services (fixe + annuaire + renseignements) composant actuellement le service universel des télécommunications, à l'exclusion, notamment, de la téléphonie mobile.

En conséquence, inclure le mobile dans le service universel sous sa forme actuelle reviendrait à faire peser sur France Télécom, à moins de prévoir un financement par l'Etat, une charge inéquitable liée à l'obligation de couverture des zones isolées peu rentables, sans financement possible de la part de ses concurrents.

Des solutions nationales dynamiques peuvent être « eurocompatibles »

D'autres solutions qu'un recours au fonds de service universel peuvent s'envisager

La première solution aurait consisté à affecter une partie des recettes tirées des licences UMTS à l'achèvement de la couverture territoriale en GSM . On aurait ensuite pu envisager une inclusion dans le service universel, selon des modalités à définir (par exemple, itinérance locale obligatoire), de la téléphonie mobile. Cette solution n'a pas été retenue 100 ( * ) par le Gouvernement.

Une deuxième solution consisterait à recourir à un financement sur budget public. La directive européenne le permet, mais votre rapporteur tend à écarter cet option car elle signifierait une rupture par rapport aux principes de la loi de 1996 et une accélération d'un mouvement de transfert des charges aux collectivités locales qui n'est que trop engagé (cf. chapitre III).

Une troisième solution, plus prometteuse, consisterait à inclure, sous forme de services obligatoires additionnels, un service de base de téléphonie mobile (voix) dans le service universel, mais selon un système particulier, distinct du service universel fixe :

- selon un découpage régional (ou avec un « panachage » de circonscriptions denses et moins denses, pour éviter que le « scénario BLR » 101 ( * ) ne se reproduise), un appel à candidature étant lancé auprès des trois opérateurs GSM pour fournir le service universel mobile ;

- un cahier des charges préciserait les prix, taux de couverture et normes de qualité (uniformes sur le territoire national) à atteindre pour être désigné opérateur de service universel mobile dans la (ou les) régions(s) considérée(s) ;

- le financement des coûts du service universel mobile serait, par région(s), assumé par les trois opérateurs suivant un système pay or play : le (ou les) opérateur(s) de service universel mobile dans la (ou les) région(s) remplissent les obligations fixées dans l'appel à candidature ; l'ensemble des trois -y compris ceux n'ayant pas été sélectionnés- finance les infrastructures et équipements nécessaires (par exemple au prorata de la part de marché national, en téléphonie mobile, de chaque opérateur).

Dans ce cadre, la question peut se poser de savoir si la loi organise un régime d'itinérance locale, en particulier dans le cas des zones les moins peuplées.

Indépendamment de cet arbitrage, les conséquences d'un tel système seraient :

- une extension de la couverture et une amélioration de la qualité des réseaux mobiles (voix) ;

- un découpage régionalisé du service universel mobile, mais selon des critères nationaux de prix, qualité et couverture ;

- éventuellement, une prestation du service universel mobile assurée par d'autres opérateurs que France Télécom.

Si on s'engageait dans cette voie, il conviendrait d'ailleurs de s'interroger sur le maintien d'une contribution à l'actuel fonds de service universel de ceux des opérateurs mobiles participant au dispositif.

Pour votre Commission des Affaires économiques et son groupe d'étude « Poste et télécommunications », l'exonération totale ou partielle devrait être la règle au-delà d'un certain seuil d'engagement.

Certes, d'aucuns pourraient faire valoir que les décisions prises au CIADT de juillet 2001 102 ( * ) devraient permettre d'obtenir -au prix, ne l'oublions pas, d'un prélèvement important sur les budgets des collectivités locales- en termes de couverture territoriale des résultats assez proches de ceux découlant du mécanisme suggéré ici. D'autres pourraient être tentés de dénoncer « l'effet d'aubaine » qui découlerait pour les opérateurs mobiles du cumul des deux mesures.

Ce serait toutefois faire preuve d'une perception à courte vue de la solution proposée car le service universel n'impose pas seulement des obligations de déploiement d'infrastructures, il exige aussi une qualité de service à des conditions tarifaires prenant en compte des préoccupations sociales. Il s'agirant, en particulier, d'accorder aux personnes éligibles aux tarifs sociaux du service universel fixe un droit à une tarification orientée vers les coûts pour des cartes mobiles prépayées 103 ( * )

En réalité, une réflexion sur l'extension du service universel à la téléphonie mobile amène à se poser la question de savoir si le marché peut répondre à toutes les attentes sociales, ou s'il convient de la compléter par des mécanismes de solidarité collective originaux ne reposant pas nécessairement sur le budget de l'Etat.

Pour votre commission et votre groupe d'étude, le choix est clair : assurer l'égalité républicaine et l'homogénéité du tissu social relève de la responsabilité du politique et ne saurait être laissé ni au marché ni à une logique exclusivement administrative .

* 95 Commission supérieure du service public des postes et télécommunications.

* 96 Ainsi, en 2000, deux opérateurs de téléphonie fixe, Telecom Italia et Infostrada, ont contribué au service universel pour respectivement 48,3 % et 1 % du coût net total, ainsi que deux opérateurs mobiles, Télécom Italia Mobile (TIM) et Omnitel, à hauteur de 31,4 % et 18,9 %.

* 97 Dans sa réponse écrite au questionnaire de votre rapporteur.

* 98 Il ne conviendrait pas d'envisager un décalque de la couverture filaire et de viser une couverture à 100 % du territoire, dont le coût serait exorbitant et tout à fait disproportionné par rapport au service rendu .

* 99 La loi du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications prévoit d'ailleurs, rappelons-le, un enrichissement périodique du contenu du service universel.

* 100 Solution approchante, le Sénat avait quant à lui proposé lors de la discussion de la loi de finance pour 2002, une dégressivité de la taxe UMTS en fonction du taux de couverture UMTS, pour inciter les opérateurs à une large couverture en UMTS.

* 101 Cf. chapitre III du présent rapport

* 102 Voir présentation détaillée des décisions prises au chapitre III ci-après.

* 103 Actuellement, 50 % des RMIstes n'ont pas d'abonnement fixe. Parallèlement, un grand nombre de personnes en situation de précarité utilisent des cartes « mobiles » prépayées dont les coûts de communication sont supérieurs à ceux des forfaits.

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