2. Les modèles opérationnels de mesure des émissions de protoxyde d'azote
Pour évaluer les émissions de protoxyde d'azote par les sols, des modèles opérationnels ont été imaginés. Mais ceux-ci se heurtent à plusieurs difficultés en sus de celles déjà évoquées ci-dessus.
Votre Rapporteur a choisi de les exposer en détail pour bien montrer, à partir d'un exemple très précis, à la fois tout l'intérêt, toute la complexité mais aussi toutes les limites d'un système de simulation .
Le GIEC est parti de l'idée que les émissions de N 2 O correspondaient à un pourcentage des intrants azotés, essentiellement les engrais, toutes origines confondues, soit 1,25 % (ce pourcentage étant le coefficient d'émission retenue), diminué du radical ammonium (NH 3 ) volatilisé. Cependant, des auteurs ont critiqué cette approche dans la mesure où les variabilités spatiales et temporelles des émissions de N 2 O aboutissent à des incertitudes sur les coefficients d'émissions. De plus, les coefficients moyens gomment en partie les variabilités spatiales et temporelles des émissions.
En fait, les émissions dépendent du mode d'apport des fertilisants azotés, et également des conditions environnementales qui se manifestent juste après ces apports .
Il est évident que l'utilisation d'un modèle à l'échelle régionale, et non à l'échelle des parcelles de terrain, peut impliquer la simplification des renseignements accessibles à cette échelle, mais, à un moment donné, une simplification excessive risque de rendre le modèle inopérant.
Une autre difficulté provient des échelles de temps , car les modèles doivent simuler des fonctionnements sur de longues périodes, négligeant la prise en compte de données importantes sur des durées de quelques jours . Selon les modèles, les calculs sont aussi effectués sur des pas de temps différents, allant de quelques heures jusqu'au mois. Dès que le pas de temps est important, le problème de la saisie d'évènements rares et fugaces mais significatifs se pose . Comment les prendre tout de même en compte ?
Ces quelques difficultés ont conduit des chercheurs à s'interroger sur la fiabilité de différents modèles opérationnels d'émissions de N 2 O . En particulier, Pierre RENAULT, de l'INRA, a rendu compte de ses recherches lors du colloque sur le bilan et la gestion des gaz à effet de serre dans l'espace rural, tenu en mai 1999, en analysant six modèles d'émissions (36 ( * )) . Pour s'en tenir à quelques observations pour illustrer les critiques relatives à ces différents modèles, il a été noté par ce chercheur que le modèle CARNEGIE ne faisait pas la distinction entre nitrification (37 ( * )) et dénitrification, que le modèle NLEAP-N 2 O simulait les émissions de N 2 O à l'échelle parcellaire, mais à partir d'une conception similaire à des modèles d'échelle régionale, que le modèle DNDC axé sur la description des processus microbiens était le meilleur sur ce point, et que tous les modèles considérés étaient associés à des programmes d'estimation régionale des émissions de N 2 O.
Dans son analyse, M. Pierre RENAULT a montré que pour être opérationnels, tous les modèles simplifiaient beaucoup la réalité, et de ce fait les conclusions dépendaient très fortement des hypothèses . De plus, tous les modèles ignorent l'effet du travail du sol sur la distribution spatiale des pores libres à l'air, alors que leur distribution influence fortement l'activité dénitrifiante du sol. Par ailleurs, même de très faibles apports d'azote par les pluies peuvent provoquer davantage d'émissions de N 2 O que des fertilisations élevées , d'où le problème de la prise en compte de l'accroissement des émissions de N 2 O des milieux naturels associé à la pollution anthropique de l'air.
Ainsi, l'action de l'homme peut avoir un effet sur l'émission de N 2 O autrement qu'à travers la culture des sols et du fait de la pollution de l'air qu'il occasionne.
A partir des différentes cartes d'émission de N 2 O produites par les modèles, la distribution des émissions mondiales semble provenir, à plus de 60 %, des forêts tropicales et des savanes . L'est des États-Unis d'Amérique et de l'Europe font également apparaître des émissions fortes de N 2 O.
Certains modèles, tout en aboutissant à des estimations annuelles similaires, montrent des résultats très différents par pays en Europe. A l'intérieur même de pays étendus comme les États-Unis d'Amérique, la distribution dans l'espace des émissions selon les régions varie sensiblement, sans qu'il soit possible d'analyser vraiment les origines de ces écarts.
En conclusion, il semble que si plusieurs modèles opérationnels régionaux couplent le fonctionnement du sol à celui de la végétation et du climat, ils se distinguent entre eux par la description des processus, des échelles d'espace et des pas de temps. Certains modèles n'entrent pas dans les mécanismes de la nitrification et de la dénitrification. De plus, les auteurs n'explicitent pas vraiment la méthodologie qu'ils utilisent pour définir les fonctions décrivant les effets des facteurs du milieu pris isolément.
Quant à la combinaison des différents facteurs, elle néglige les interactions entre les effets de ceux-ci, ou se limitent à des interactions simples.
Ainsi, lorsque les processus microbiens sont finement analysés, il arrive que le couplage entre ces processus et les processus de transfert soient assez rudimentaires. Or, l'auteur cité a relevé que des erreurs sur une partie du processus peuvent être à l'origine d'erreurs dépassant largement 100 % dans d'autres parties du processus. En outre, si la dénitrification est relativement bien connue, la nitrification l'est moins.
D'où la nécessité de « poursuivre » un effort de mise au point de modèles couplant processus de transport, cycles biogéochimiques de carbone et d'azote, croissance et développement de la végétation . Il apparaît aussi nécessaire de privilégier l'amélioration des données concernant les activités microbiennes, l'aération du sol et les transferts de gaz autres que le N 2 O et d'approfondir les connaissances sur certains processus.
* (36) Il s'agit des modèles DNDC, BOUWMAN - qui a servi de base aux travaux du GIEC- CARNEGIE- AMES- STANFORD, NGAS, ECOSYS, NLEAP-N 2 O.
* (37) Alors que ces processus sont censés agir en sens opposés.