2. Le bilan carbone des forêts
Là encore, un état des lieux des bilans de carbone s'impose. Contrairement à ce qui vient d'abord à l'esprit, la seule possibilité de stockage de carbone dans les forêts ne réside pas dans la biomasse végétale, mais également dans la matière organique du sol.
Depuis 1996, dans le cadre du projet européen « Euroflux » et avec le soutien du programme « Agriges », deux écosystèmes forestiers tempérés français sont étudiés : une hêtraie en Moselle et une pinède atlantique en Gironde. Seize autres sites, situés dans le nord de l'Europe, la France et l'Italie complètent cette étude.
Sans décrire les techniques de mesure du flux net de carbone et les mesures des composants du flux, non plus que l'estimation des stocks de biomasse, il a été observé sur les dix-huit sites opérationnels que la plus forte immobilisation de carbone était observée sur deux sites recevant les plus fortes précipitations annuelles (un couvert de hêtres de 90 ans de moyenne montagne en Italie, une plantation de jeunes épicéas de sitka en Ecosse). A l'inverse, une émission nette de CO 2 a été observée au-dessus d'un peuplement mélangé de conifères en Suède, d'âge équivalent (100 ans). Mais là, la pluviométrie était très faible.
Ce simple aperçu met en évidence la forte variabilité du bilan de carbone des forêts européennes. Le bilan de carbone est en effet très sensible à la température, et un léger changement des conditions climatiques peut suffire à en inverser le résultat. Mais, en forêt tempérée le bilan global de carbone constitue toujours une séquestration de celui-ci. En forêt boréale, les flux d'assimilation et de respiration s'équilibrent.
Il suffit de retenir que le flux net de carbone d'un écosystème forestier résulte de la somme de deux termes de signes opposés. D'une part la production brute, et d'autre part la respiration (autotrophe et hétérotrophe). Ces distinctions sont utiles dans la mesure où ces composantes n'ont pas la même sensibilité climatique et biologique, ce qui explique les fortes variations interannuelles observées sur les six sites étudiés, et également la forte variabilité spatiale en fonction de la pluviométrie annuelle. De plus, il n'existe pas de relation directe univoque entre la reproduction ligneuse et le bilan de carbone d'une forêt puisque, au-delà du feuillage, le sol et le sous-bois jouent un rôle important.
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Dans le cadre du suivi précis de l'évolution des forêts pour l'application du protocole de Kyoto , il serait utile de mettre en place une procédure de certification des forêts , de la traçabilité du bois issu de forêts certifiées et enfin de la labellisation des produits finis . Cette certification pourrait intervenir à travers une approche européenne que l'importance des forêts d'Europe justifie particulièrement. Cela ne remettrait pas en cause le rôle important et reconnu des divers Etats qui ont joué un rôle positif pour la gestion durable des forêts, bien avant qu'il soit question de gestion ou de développement durable, ni les divers modes de gestion de la forêt qui sont favorables à la biodiversité, ni la nécessaire reconnaissance de la multifonctionnalité des forêts.
Le rapport BIANCO a relevé qu'une vision de la gestion durable supposait la motivation démocratique de tous les acteurs et la certification d'un type de gestion davantage que d'un type de produit. Cette nouvelle approche englobe aussi une solidarité financière nord-sud , encore loin d'être acquise, et devant éviter toute mise en accusation des pays du Tiers-monde.
Dans ce contexte, il pourrait être souhaité une présence plus forte de l'administration française dans les négociations internationales sur la forêt , d'autant que les dernières négociations de Bonn ou de Marrakech n'ont pas montré d'avancées européennes substantielles de l'Europe sur cet aspect , alors que de nombreux atouts seraient à faire valoir et que d'autres pays ont marqué des points à partir de situations moins avantageuses.
Enfin, une mention particulière doit être faite de la forêt d'outre-mer . Elle couvre plus de 7,7 millions d'hectares, comprend pour l'essentiel la forêt tropicale humide située en Guyane , où la forêt occupe plus de 90 % du territoire et compte, par exemple, plus de mille espèces ligneuses, soit dix fois plus qu'en métropole. La Guyane est d'ailleurs devenue un pôle européen de recherche sur la forêt tropicale et son aménagement forestier.
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Au terme de ce rapide survol et à la lumière des auditions auxquelles il a procédé, votre Rapporteur ne peut que s'associer à l'analyse et aux conclusions du rapport BIANCO qui préconisent la mise en oeuvre d'une véritable stratégie forestière française à dix ans .
Les principaux axes retenus consistant à améliorer la productivité de tous les maillons de la filière, certifier la gestion durable des forêts, élaborer un plan bois-matériau, développer l'usage du bois comme source d'énergie sont d'autant plus indispensables que c'est seulement une forêt bien exploitée qui peut contribuer à la diminution de l'effet de serre additionnel . C'est grâce à une parfaite connaissance de sa forêt et des moyens de mieux la mettre en valeur que la France pourra faire valoir, mieux qu'elle ne l'a fait jusqu'alors, les atouts que constitue pour elle une exploitation optimale de sa forêt.
Cette politique peut trouver son prolongement naturel à l'échelon européen en permettant de mettre en oeuvre une stratégie forestière commune, comme cela avait été proposé par le Parlement à la Commission en 1997.
Votre Rapporteur note que la gestion durable de la forêt est un domaine où les échéances et le rythme d'action sont particulièrement en harmonie avec ceux de la lutte contre l'intensification de l'effet de serre . En effet, s'il faut environ 120 ans pour qu'une molécule de carbone libérée aujourd'hui dans l'atmosphère disparaisse, il faut également environ 120 ans pour faire un hêtre mais, dans les deux cas, il suffit de quelques minutes pour libérer une molécule de carbone ou encore abattre un arbre.
C'est pourquoi votre Rapporteur insiste à nouveau sur la chance que constitue pour la gestion durable de l'environnement l'existence d'une forêt française bien exploitée et la nécessité de relancer certaines politiques liées à l'exploitation de la forêt en prenant conscience de leur particulière adaptation aux impératifs de la lutte contre l'intensification de l'effet de serre.