II. LA GRANDE MUTATION DES ACTEURS ET DES SERVICES POSTAUX EN EUROPE
M.
Jean-Claude Larrivoire
Je passe la parole au représentant du Royaume-Uni, M. Graham
Corbett, président de la
Postal Services Commission
, organisme
correspondant à l'autorité de régulation outre-Manche.
Monsieur le Président, la
Post Office
du Royaume-Uni suit-elle
les directives européennes ?
M. Graham Corbett, président de la Postal Services Commission de Grande-Bretagne
Il
n'y a pas de domaine réservé
prédéterminé. Au Royaume-Uni, nous avons des zones de
licence qui correspondent à l'ancien système. L'Union
européenne, qui a des difficultés pour trouver un accord sur les
prix et sur les poids, devrait reconsidérer le système des
licences. La directive permet d'accorder des licences qui permettent d'avancer
pour introduire une concurrence efficace dans le cadre d'un système
harmonisé.
Un deuxième travail se consacrera aux services postaux universels. Deux
modèles existent : le modèle prix d'entrée et le
modèle du coût. Le modèle prix d'entrée se concentre
sur l'impact des pertes de marché. Il est utilisé pour
prédire les dommages que pourrait causer l'entrée de la
concurrence sur le marché. N'est-ce pas un problème qui se pose
pour tous les prestataires vis-à-vis des nouveaux entrants sur le
marché ? L'impact est non négligeable, mais il faut en
diagnostiquer les causes. Analyser les avantages commerciaux au niveau de
l'analyse de l'entrée de concurrents est nécessaire. Lorsqu'il
s'agit d'adopter des changements, il faut être réactif et
éviter les barrières qui pourraient affecter le choix des clients
ou des consommateurs. Il faut qu'il y ait une véritable transformation.
Ceci s'applique au Royaume-Uni et aux autres pays. Une meilleure prestation des
services offerts et plus d'efficacité s'imposent. D'autre part, s'il y a
la possibilité du choix, le client s'orientera vers le meilleur service.
La vraie menace n'est pas la concurrence, mais la lenteur face au changement.
Il faut donc assurer la continuité du service. Ces services auront un
coût. Certes, il s'agit d'un actif commercial. Le manque de
réponse à ce défi est problématique.
Néanmoins, les services universels pourront survivre dans une zone
ouverte à la concurrence. C'est en répondant à autant de
nouvelles réalités que nous irons vers un véritable
changement.
M. Jean-Claude Larrivoire
Nous allons poursuivre notre tour d'horizon des postes européennes avec
l'Espagne, représentée par M. José Marcos, directeur
des affaires internationales de la poste espagnole,
Correos y
Telégrafos
. Chez vous, M. Marcos, certains services sont
déjà libéralisés comme le courrier intra-urbain ou
le publipostage.
M. José Marcos, directeur des affaires internationales de la poste espagnole
Quelle
est notre position par rapport aux changements passés, présents
et à venir dans le secteur postal européen, surtout du point de
vue réglementaire ? Quelle est la situation du marché postal
espagnol et concrètement celle de
Correos y Telégrafos
,
opérateur chargé de la prestation du service postal universel en
Espagne.
Lorsqu'on défend l'ouverture à la concurrence du secteur postal
en Europe, on tend à citer fréquemment, comme justification des
initiatives, la nécessité d'établir des règles du
jeu communes avec un marché intérieur harmonisé dans
lequel les différents opérateurs postaux pourraient se
concurrencer dans des conditions équivalentes.
Cette idée, attirante dans sa conception, entraîne quelques
inquiétudes quand on observe que dans la réalité, les
positions de départ sont sensiblement différentes dans chacun des
pays membres de l'Union. Ces différences s'expriment surtout par le
degré d'ouverture du marché préexistant, dans le
degré de modernisation des opérateurs, dans les
différences socio-économiques entre les États et dans
l'hétérogénéité des statuts juridiques des
opérateurs.
À titre d'exemple, en Espagne depuis plusieurs dizaines d'années,
les services les plus rentables du marché, comme le trafic postal
urbain, le publipostage, et les colis exprès, sont déjà
libéralisés. Plusieurs centaines d'opérateurs postaux
enregistrés, de taille variée, opèrent dans le segment de
la lettre urbaine et du publipostage ; dans quelques cas, ils outrepassent
leurs droits, tout en transgressant la loi du service postal espagnol, en
accord avec la directive 97/67. Cette forte pression concurrentielle a
causé des distorsions dans la structure du marché espagnol, pas
toujours au profit des gros clients, et presque toujours au préjudice
des citoyens, usagers du service postal universel. La concurrence a
imposé des tarifs postaux très bas, ce qui a impliqué pour
tous les opérateurs des marges très réduites, très
éloignées de celles du marché, où un secteur
réservé important se maintient encore.
Il y a aussi des différences entre le degré de modernisation de
l'organisation et les systèmes des opérateurs postaux en Europe.
Je suis pleinement convaincu qu'une gestion efficace peut se réaliser
tant dans le secteur public que dans le secteur privé. J'ajouterai
même que, quand on parle de services d'intérêt
général, je crois plus convenable une gestion publique qui prend
en considération non seulement la valeur perçue par des
actionnaires privés, qui comporte une concentration des efforts de
l'entreprise dans les segments les plus rentables, mais aussi la
responsabilité sociale d'un service comme celui de la poste, avec
l'obligation du service public aux citoyens et aux entreprises.
Une gestion moderne est une gestion d'entreprise, basée sur la
satisfaction de la clientèle qui utilise les technologies modernes, et
qui produit une permanente augmentation de la qualité et de la
diversification des services. Les grandes transformations des opérateurs
postaux qui se montrent aujourd'hui leaders dans le secteur se sont produites
quand ils étaient encore des administrations publiques.
De même, ces dernières années, les opérateurs
postaux, en retrait par rapport à la tête du secteur, ont
initié des programmes de modernisation nécessitant un effort
énorme de la part des cadres dirigeants et des employés, et
s'accompagnant d'investissements très lourds en technologie, en
systèmes et en infrastructures générales. Ce besoin
d'investir dans les systèmes basiques a rendu difficile la
possibilité d'aborder des programmes ambitieux d'acquisitions que
d'autres opérateurs, qui avaient complété jadis leur
modernisation, ont développé récemment.
Tous ces efforts, qui peuvent s'exprimer dans l'amélioration des
paramètres de qualité, dans les index de satisfaction de la
clientèle et des employés et dans l'efficacité
économique, peuvent être considérés comme inutiles
si se produit une transition rapide à un marché ouvert sans
évaluer l'impact des mesures prises. Les différences
socio-économiques entre les différents États membres ont
une influence décisive sur le marché postal.
Le service postal est un marché basé sur le réseau qui,
s'il est homogène et si la densité de trafic dans le
réseau est élevée, atteint l'efficacité
économique. Pensez-vous que les coûts du système postal
soient les mêmes dans un État avec cent vingt cinq envois postaux
par habitant et par an, et dans un autre avec quatre cents ? Croyez-vous
que le service peut être le même dans un pays avec les dimensions
ou l'orographie de l'Espagne, ou avec la géographie insulaire de la
Grèce, que dans d'autres pays avec les dimensions ou l'orographie des
Pays-Bas, par exemple ?
On ne peut, on ne doit pas laisser les régions européennes
défavorisées sous la menace d'un service postal universel
à un prix croissant ou de qualité décroissante. À
mon avis, le service postal universel ne doit pas être un service
minimal, résiduel, mais doit jouer un rôle clé, non
seulement pour satisfaire les besoins de communication des usagers, mais aussi
pour satisfaire les besoins croissants de réception des envois
matériels, des colis par exemple. S'il n'y avait pas de service
universel colis à prix abordables, le commerce électronique
B
to C
en Europe ne se développerait pas d'une façon
adéquate.
Le dernier aspect différenciateur que je voudrais signaler est celui qui
concerne les statuts juridiques des opérateurs postaux. La plupart des
grandes postes publiques européennes ont adopté le modèle
de société anonyme, comme forme d'organisation.
L'opérateur public espagnol a été le dernier à
adopter cette formule par la loi de décembre 2000 ; cette
société anonyme sera constituée dans quelques jours.
À cet égard, voici trois réflexions : Pourquoi ce
modèle sociétaire pour l'Espagne ? Quelles ont
été les étapes du processus ? Quelles sont les
garanties qui ont accompagné le processus ?
Il s'agit du modèle d'organisation qui, à notre avis, et suivant
les alternatives que la législation espagnole nous offre, se
présente comme le plus convenable pour que l'État assure des
services mixtes, comme c'est le cas du secteur postal, dans lequel des
obligations de prestations universelles et des facteurs de marché
coexistent.
L'adoption de ce modèle d'organisation suppose un important élan
pour la modernisation de
Correos
et pour l'implantation d'une culture
d'entreprise adéquate au défi du
XXI
e
siècle. Mais du strict point de vue de la gestion,
on améliore significativement les capacités
opérationnelles. De cette façon,
Correos
élargira
ses sources de financement et d'investissement, aura de la flexibilité
pour adopter les prix selon les clients, les produits et la concurrence, et
finalement, pourra disposer d'une politique propre en matière de
ressources humaines, qui s'avère indispensable dans la première
entreprise du pays. Le processus de transformation en société
anonyme d'Etat, survenu dans notre pays, a été un processus
responsable, cohérent et participatif.
Au cours des dernières années, les modèles d'organisation
des opérateurs publics européens et les alternatives que la
législation espagnole présente ont été
analysés. Cette réflexion a visé la recherche d'une
formule juridique pour maintenir intégralement le titre public, et pour
favoriser une gestion plus flexible. Le processus d'approbation de l'initiative
pour transformer
Correos
en société anonyme s'est fait en
un temps record.
Au mois de mars 2000, le Parti Populaire a gagné pour la
deuxième fois les élections générales, et dans son
programme électoral s'annonçait déjà le projet de
transformation de
Correos
en société anonyme. Au mois de
juin, le ministère des Infrastructures, auquel appartient
Correos
, prévint dans une séance parlementaire que les
travaux visant la transformation allaient commencer. De juin à
octobre 2000, des travaux internes se sont développés et les
premiers contacts aux niveaux syndical et politique ont eu lieu. En
octobre 2000, les travaux parlementaires ont commencé, et en
décembre 2000, on a approuvé une loi et
démarré le processus.
En six mois, on a développé un intense processus de
négociations politiques et syndicales, qui va culminer avec la
transformation de
Correos
en société commerciale.
Trois garanties ont accompagné le processus :
Concernant le titulaire, le capital social de la société anonyme
Correos y Telégrafos
est complètement public. Pour toute
modification sur le capital social, il sera nécessaire d'avoir une
autorisation avec force de loi. Concernant le service public : se produit
une subrogation de la société dans les droits et les obligations
de
Correos
, surtout ceux qui touchent le service postal universel.
Concernant les travailleurs : tous les droits des travailleurs sont
respectés. Les fonctionnaires prêteront toujours leurs services
dans la nouvelle société anonyme, tout en conservant leurs
conditions de fonctionnaires de l'administration de l'État. C'est une
première pour l'Espagne car c'est la première
société anonyme avec des fonctionnaires.
Pour finir, voici un résumé concernant la libéralisation
et la gestion. La libéralisation du secteur postal doit se faire de
façon progressive, en tenant compte d'une évaluation de l'impact
social des mesures qui concernent l'emploi et la cohésion sociale et
territoriale.
Nous croyons aussi que l'harmonisation du marché postal ne pourra pas
s'opérer avec une législation homogène pour tous.
L'innovation et la gestion moderne ne doivent pas être
considérées comme étant incompatibles avec le mot
« public ». Du point de vue du statut juridique des
opérateurs postaux, les gestionnaires doivent demander des formules
juridiques flexibles, par exemple, la société anonyme qui assure
une capacité et une souplesse d'action similaires à celles des
entreprises concurrentielles.
M. Nunes aimerait faire passer le message suivant : « Les
solutions aux problèmes sont logiques et non
idéologiques. » Je vous invite à aller au-delà
des filtres idéologiques afin d'arriver à comprendre la
réalité actuelle d'un marché essentiel pour le
développement d'une économie européenne concurrentielle.
Je vous invite également à reconnaître les
différences et à réglementer pour que celles-ci ne
s'accroissent pas.
M. Jean-Claude Larrivoire
L'expérience espagnole montre que chaque pays a ses
particularités. La poste belge suit-elle à la lettre la directive
de Bruxelles ? Nous écoutons M. Bernard Damiens, directeur de la
régulation et des affaires internationales de la poste en Belgique.
M. Bernard Damiens, directeur de la régulation et des affaires internationales de la poste belge
Le
débat actuel sur l'ouverture des marchés entraîne nombre de
questions sur le maintien d'un service universel de qualité. La
définition même de service universel demande à être
clarifiée. Il existe en effet une confusion entre les notions de service
universel, de service public et de service d'intérêt
général.
Le concept de service universel a émergé dans la foulée de
l'affirmation du principe d'ouverture du marché. Il est apparu qu'il y
avait un risque, si on ne régulait pas ce marché, que seuls les
segments intéressants seraient desservis, entraînant l'exclusion
de certains citoyens de l'accès à certains services.
Quand on parle du service universel, il faut envisager trois
éléments essentiels, à savoir : le champ du ou des
services universels, le financement et la régulation.
Quand on parle du service universel postal, il faut l'entendre au sens de la
directive 97/67, dont a parlé M. Watershoot tout à l'heure,
qui a trait au service des envois adressés : le courrier au sens
large et le colis. Or, de nombreuses postes européennes sont
chargées d'autres missions dites de service public, notamment dans le
domaine dit de la poste financière. Le maintien d'un réseau
étendu de bureaux de poste ne se justifie pas sous la forme actuelle,
pour les activités liées au courrier. En revanche, les
transactions financières appartiennent soit à la prestation d'un
service universel bancaire, encore à définir sur le plan
européen, soit à une interface entre le monde non
bancarisé et le monde bancarisé. Ce dernier type de service ne
doit pas être sous-estimé, car certains citoyens ne veulent pas de
compte bancaire, ne peuvent pas en avoir, et doivent, pour effectuer des
paiements sur un compte de tiers, avoir accès à un système
de guichet, par exemple pour payer leur note d'électricité. Ces
prestations nécessitent une infrastructure plus spécifique,
dotée de personnels et de moyens spécialisés. La
Communauté doit donc définir les services qu'elle souhaite mettre
à disposition de chaque citoyen. Ce qui conduit à la
problématique du financement de ces services, et nous amène au
deuxième point : le financement du service universel.
En matière de courrier, le financement est, pour l'instant, dans la
plupart des pays, assuré par le service réservé. Nous
avons affaire dans le domaine du courrier à des domaines
emboîtés. Les services postaux ont trait aux services
combinés, ou non, de levée, de tri, de transport et de
distribution des envois adressés. Le service universel est une partie
seulement du service postal, il reprend les envois postaux jusqu'à
2 kg et les colis jusqu'à 20 kg. Ceci signifie que d'autres
opérateurs peuvent opérer en service universel avec ou sans
système de licence, selon les législations nationales.
Le service réservé est celui que seul l'opérateur
désigné peut effectuer, c'est une partie du service universel. Il
couvre les envois de correspondance, de publipostage jusqu'à un poids
maximal de 350 g et cinq fois le prix de base. Le service
réservé est destiné à couvrir les coûts du
service universel postal, donc du courrier exclusivement. Cette distinction est
préoccupante car nous serons confrontés demain à des
opérateurs qui n'ont pas la charge d'un réseau de bureaux. Si
nous voulons nous battre à armes égales, ce que réclament
les concurrents potentiels, on ne peut nous imposer dans ce marché
particulier des contraintes qui lui sont totalement étrangères.
Il appartient donc à la Communauté de définir le type de
services qu'elle souhaite offrir à tous pour un prix abordable, et de
veiller à ce que le financement de ces services soit assuré.
En matière postale, la création d'un fonds de compensation, qui
consiste à faire financer les parties non rentables du service universel
par tous les opérateurs du marché, a été
envisagée. Mais ce principe est extrêmement difficile à
mettre en pratique.
Premièrement, aucun principe de fonctionnement n'a encore
été défini.
Deuxièmement, la définition même des coûts qui
pourraient être supportés par le fonds peut différer d'un
État à l'autre, et risque de susciter une série de
polémiques, notamment quand il faudra déterminer si le fonds doit
payer les coûts réels de l'opérateur public.
Troisièmement, une autre polémique peut surgir quant à
savoir qui doit contribuer à ce fonds. Toutes sortes d'arguments seront
avancés pour justifier que, finalement, seul l'opérateur public
doit financer le fonds.
Quatrièmement, le système va engendrer une charge administrative
considérable, aussi bien auprès du régulateur,
qu'auprès de tous les opérateurs obligés de tenir des
comptabilités distinguant clairement les activités en service
universel des autres. Il est exigible de l'opérateur public une totale
transparence des coûts, ce qui l'exposerait aux attaques de la
concurrence qui pourrait ainsi analyser ses forces et ses faiblesses, sans que
la réciproque puisse être exigée. Vous comprendrez que nous
ne sommes pas favorables au système de fonds de compensation.
Le dernier point est celui de la régulation, élément
essentiel du débat. II est impératif d'organiser l'ouverture du
marché dans un cadre juridique extrêmement précis et de
trouver un arbitre capable de le faire respecter. Les concurrents potentiels
réclament de pouvoir faire jeu égal avec les postes, et
souhaitent obtenir les mêmes droits que l'opérateur historique.
La poste belge supporte l'idée d'un jeu équitable, mais d'un jeu
qui comporte des droits et des obligations respectés par les deux
parties. Le risque d'écrémage des marchés postaux sera
d'autant plus grand que les concurrents de la poste recevront des droits non
liés aux obligations correspondantes en matière de
qualité, de fiabilité, de régularité, de couverture
géographique, de prix et de respect des législations sociales.
Une fois les règles définies, il est essentiel de s'y tenir.
M. Jean-Claude Larrivoire
En 1989, il y a douze ans, le gouvernement néerlandais décidait
la privatisation des services postaux, ce qui n'empêchait pas
l'État de garder le rôle d'actionnaire principal. La TPG a donc
été la première poste cotée en Bourse en Europe.
Une politique à l'opposé de ce qui se passe en France. Nous en
examinons le bilan avec M. Philip Dobbenberg, membre du comité
exécutif de TPG.
M. Philip Doddenberg, membre du comité exécutif de la poste néerlandaise
Je suis
heureux de parler de certains problèmes concernant la
libéralisation aujourd'hui, parce qu'il y a eu peu d'avancées
dans ce domaine.
Pourquoi libéraliser ? La libéralisation est
nécessaire pour que le marché soit sain. La libéralisation
crée un marché normal où la concurrence peut se
développer, ce qui permet l'innovation. La loi de l'offre et de la
demande permet d'offrir une variété de services et de garantir la
satisfaction du client. Sans libéralisation, les clients, et en
particulier les entreprises, vont changer de fournisseurs et vont tenter de
trouver des alternatives au courrier traditionnel. Aujourd'hui, c'est chose
simple, surtout du fait des nouvelles possibilités technologiques
offertes par le marché. Stimuler le marché est donc
impératif. Aujourd'hui, en Europe, les premiers effets sont visibles, en
particulier lorsqu'on regarde les volumes des divers services postaux. Je pense
que les choses vont trop lentement.
Parlons de notre situation. Nous avons encore un domaine réservé
qui représente 27 % du marché des services postaux, sans
inclure les colis et le service exprès. En France, il doit être de
90 %, donc il y a une grosse différence. 27 % revient à
dire que près de 75 % du marché est déjà
libéralisé chez nous. Cela démontre que la
libéralisation est possible sans pour autant avoir des
conséquences négatives sur la société ou sur les
obligations des services postaux universels.
Avant de libéraliser le marché, l'opérateur traditionnel
doit être à même d'agir en tant qu'entreprise, il doit
pouvoir prendre ses propres décisions d'investissement et doit pouvoir
agir en fonction des lois du marché du travail. Je crois que les
avantages sont tout à fait importants. Aux Pays-Bas, depuis la
privatisation, les prix sont restés bas, la qualité s'est
améliorée, et l'industrie a employé plus de gens. Bien
sûr, me direz-vous, c'est un petit pays plat, facile à desservir.
Ce sont des arguments superficiels. La Suède, pays aussi grand que la
France, a réussi, tout en libéralisant son marché,
à avoir des services postaux qui fonctionnent dans un environnement
concurrentiel. L'argument lié à la taille du pays ne
représente qu'une faible partie des coûts totaux des services
postaux. Lorsque vous voyez ce qui se passe au niveau concurrentiel, je dirais
que les prix de transport seront les mêmes pour tous les acteurs.
Lorsqu'on compare les prix et la qualité, on se rend compte que nous
nous sommes considérablement améliorés, nous avons
introduit des systèmes de tris automatiques. Aujourd'hui, le niveau de
qualité est de 96 %. Nous avons pu maintenir des prix
modérés. Nous avons maintenu une stabilité des prix pour
les lettres pendant dix ans, ils ne seront augmentés qu'en juillet 2001.
Le nouveau prix sera de 0,39 euro, ce qui est particulièrement bas par
rapport aux autres pays.
Au niveau de l'emploi. Il y a eu un programme de restructuration très
important du tri. Huit mille personnes ont été licenciées
au cours des dix dernières années. Néanmoins, nous avons
créé d'autres emplois qui ont très largement
compensé ces pertes. Aujourd'hui, nous employons plus de gens
qu'auparavant, certainement plus à temps partiel et moins à plein
temps, mais lorsqu'on regarde la force de travail sur une base plein temps, on
constate qu'on est à cinq cents emplois de plus qu'en juillet 1994.
Nous avons été à même d'employer plus de
salariés dans un environnement concurrentiel.
Le nombre de points de vente a également progressé. Nous avons
des points de vente qui sont organisés en fonction d'un marché de
consommation. Nous avons des postes destinés aux entreprises, que l'on
appelle « points entreprises ». Le nombre de bureaux a
augmenté, ils se sont adaptés en termes de géographie, de
besoins des consommateurs et des différents segments de marché.
En ce qui concerne le marché mondial, on assiste à un processus
de consolidation. Il faut garder à l'esprit ce qui se passe dans les
domaines afférents, tels que le domaine des colis. Le marché des
services postaux s'intègre dans le marché en
général. En 1996, nous avons acheté TNT, mais d'autres
acteurs comme
Deutsche Post
n'ont pas encore fait leur entrée.
Nombre d'entre eux parlent déjà de grands desseins
stratégiques. Il existe trois ou quatre acteurs principaux, et des
rapprochements géographiques sont possibles, au niveau des services.
Que nous réserve l'avenir ? Comment aller de l'avant ? Le
marché doit être libéralisé, et il faut qu'il y ait
une date fermement inscrite.
Il faut définir clairement ce que le marché permet et ce qu'il ne
permet pas. Aujourd'hui, l'entrée est libre, ceci n'affecte pas les
services offerts par les services postaux car c'est l'un des rares segments qui
est en forte croissance. Il y a du potentiel, et les nouveaux entrants peuvent
prendre des parts de marché sans qu'il y ait d'effets négatifs ou
pervers sur les opérateurs traditionnels. Grâce au
développement du marché, les nouveaux venus
accéléreront la croissance du marché. Par
conséquent, je ne vois que des avantages à la
libéralisation des services postaux. Avancer dans ce domaine est positif
pour l'industrie, pour les entreprises et pour les clients en
général.
M. Jean-Claude Larrivoire
Merci pour ce plaidoyer pour la poste libérale aux Pays-Bas. Voyons maintenant la poste allemande qui est cotée en Bourse depuis novembre 2000, mais l'Allemagne qui s'était battue pour la libéralisation du marché postal en Europe a décidé de marquer le pas. Monsieur Gerhard Harms, vous êtes le vice-président de l'Autorité de régulation de la poste allemande.
M. Gerhard Harms, vice-président de l'Autorité de régulation des télécommunications et de la poste allemandes:
Nous
avons environ 1,7 million d'employés dans le secteur postal ;
1,4 million dans le secteur administratif, ce qui représente
environ 1,4 % de notre PIB. En 1980, l'Allemagne célébrait
ses cinq cents ans de service de poste. Traditionnellement, les services
postaux fournissaient un service simple concernant les courriers, les colis,
etc., et ils étaient considérés comme étant un
monopole naturel appartenant à l'État et à tous les
États de l'Europe.
Jusqu'au début des années 1990, les services postaux
étaient considérés comme une administration ; une gamme
très étendue de services postaux s'était pourtant
dessinée, mais les attentes des consommateurs ont été un
peu négligées. Depuis quelques années, nous assistons
à des développements économiques qui n'avaient pas
été possibles auparavant. Actuellement, les services postaux sont
le fruit du changement. Dans certains domaines, des clients commerciaux forment
la demande la plus importante, elle provient de la mondialisation de
l'économie, des opérations fournies par les spécialistes
à l'extérieur de l'entreprise, des contraintes de temps, du
désir d'améliorer la rentabilité. Les services de colis
express et de colis seront transformés par les services
électroniques. Les produits en ligne doivent être livrés
dans les plus brefs délais, suite à la commande. Les perspectives
sont excellentes, notamment dans le domaine de la logistique avec la gestion
des livraisons, des commandes, avec comme principe un seul endroit pour la
prestation de plusieurs services.
Les taux de croissance annuelle se situent au-dessus de 10 % , et il
reste encore un potentiel de croissance à travers les frontières.
Les services à valeur ajoutée pourront satisfaire les besoins des
clients, donc au-delà des services ordinaires de courrier. Or, seuls les
monopoles peuvent exploiter ces opportunités de croissance.
Beaucoup de choses ont changé du côté de l'offre
également. Les administrations nationales ont été
transformées en entreprises publiques, en entreprises privées, ou
en entreprises qui suivent les règles du marché privé.
À ces entreprises s'ajoutent d'autres entreprises privées de
coursiers, de livraisons de colis et également de distribution de
lettres.
La Constitution allemande, en 1994, a stipulé que les services postaux
ne seraient plus fournis par l'État, mais par plusieurs fournisseurs
prestataires privés. Je souligne le mot
« plusieurs ». De vastes changements se profilent dans ce
secteur. La plupart de ces agences ne seront présentes que dans leur
propre pays, et des réseaux de logistique et de ventes pourront fournir
des solutions pour les clients.
En termes d'activité, les acteurs du marché cherchent des
opportunités de croissance dépassant les frontières
nationales. Le cadre réglementaire n'a cependant pas beaucoup
changé. Il existe encore beaucoup de monopoles en Europe. Les limites de
prix ne changent pas cette situation, même si nous n'avons qu'une limite
de 50 g, comme la Commission l'a proposé, les opérateurs en
place gagnent tout de même 80 % du marché selon leurs propres
calculs. Le service continue d'être assuré car la part de
marché de ces monopoles diminue très lentement. En Allemagne, les
concurrents ont 2 % du marché au bout de trois ans. Cependant,
seuls 25 % de ce marché restent ouverts. Cela équivaut
à un potentiel de marché de 2,5 milliards d'euros. Si nous
groupons les revenus de tous les concurrents, ce chiffre reste peu
élevé. Cela indique que les opérateurs en place garderont
un monopole de fait, malgré l'élimination des monopoles. Mais une
telle entreprise peut encore décider des prix ; tel un monopole, il
n'est pas affecté par le marché, et cela a un impact sur la
couverture des coûts. Or, l'article 7 de la directive postale
indique que les services ne doivent être réservés que pour
maintenir un service de base.
En 1997, il était prévu que le marché allemand soit ouvert
entièrement à partir du 1
er
janvier 2003. Il est
peu probable que les monopoles soient éliminés d'ici à
2003. Le gouvernement fédéral a donc répondu à ce
problème en prévoyant la libéralisation complète
retardée, c'est-à-dire tant que les autres États membres
n'en seront pas au même stade.
Il faut regarder l'avenir des emplois. Les emplois vont être
assurés par un climat encourageant des activités, des produits et
des services stimulés par la concurrence. La demande pour les services
postaux pourra à ce moment-là partager la croissance du
marché des communications. Du point de vue allemand, l'Europe ne doit
donc pas tarder à libéraliser ses marchés postaux.
*
* *
Débat avec la salle
M.
Jacques Lemercier,
secrétaire général FO PTT et
vice-président de l'UNI-Europe Poste
On a l'impression, à écouter M. Dobbenberg, qu'il
piétine d'impatience et que la poste néerlandaise risque de se
trouver en difficulté si la directive met du temps à sortir.
Est-ce exact ? On dit que la poste néerlandaise a été
aidée par l'État pour faire des rachats, est-ce la
réalité ? Et n'est-ce pas en contradiction avec ce qui nous
a été dit sur le libéralisme ?
M. Philip Doddenberg:
Je piétine d'impatience car il s'agit de la survie des postes en tant
que moyens. Nous avons une obligation d'avoir une poste en tant que moyen de
communication, et si nous tardons trop, nous perdrons ce secteur. Ce n'est pas
uniquement lié à la situation néerlandaise. Le
gouvernement a financé ses postes et télécommunications au
moment de l'achat. C'était une entreprise un peu différente
à cette époque-là, mais je ne suis pas au courant d'aides
venant de la part du gouvernement.
Question de la salle :
Dans les pays qui ont fortement ou totalement libéralisé, a-t-on
vu apparaître des opérateurs de taille significative et ayant
apporté des innovations notables au service des consommateurs, comme
cela a pu l'être dans le marché des
télécommunications ?
M. José Marcos
En Espagne, il y a beaucoup d'opérateurs privés concurrents de la
poste. L'un d'eux s'annonce comme étant un opérateur alternatif.
Cet opérateur essaie d'apparaître comme un deuxième
opérateur. Dans sa campagne, il parle d'une innovation qui est l'usage
d'une enveloppe pré affranchie... Sinon, je ne vois pas d'innovations
significatives chez les autres opérateurs. Il y a peut-être une
valeur ajoutée qui n'était pas fournie par la poste espagnole,
mais il ne s'agit pas de vraies innovations.
M. Graham Corbett
C'est un peu tôt pour la Grande-Bretagne puisque ce n'est que depuis le
26 mars 2001 que le monopole a été cassé.
Jusqu'à présent, nous avions des applications de TNT pour
régulariser les services offerts. Récemment, nous avons
reçu une application de la part de
Heys
pour des services
concurrentiels.
M. Daniel Paris,
MEDEF
J'ai une question pour l'ensemble des intervenants. Pourquoi, les années
passant, les opérateurs privés n'ont-ils pas réussi
à prendre une part du marché plus importante dans les secteurs
ouverts à la concurrence ?
Monsieur Marcos, pourquoi s'est-on arrêté à la
libéralisation de la distribution pour le service urbain ? Y
a-t-il une coopération entre le réseau de l'opérateur
public et les opérateurs privés ? Y a-t-il
possibilité pour les opérateurs privés d'avoir
accès au réseau de distribution de l'opérateur public ou
non ?
M. José Marcos
En Espagne, il y a quarante ans, seuls les courriers interurbains sont
restés réservés, le reste a été
libéralisé. Cela veut dire que l'on peut collecter, trier et
distribuer une lettre tant que celle-ci ne sort pas d'une ville. De l'autre
côté, les opérateurs privés peuvent avoir davantage
d'offres pour le tri, la préparation du courrier, mais n'ont pas
accès à la distribution.
*
* *
M.
Jean-Claude Larrivoire
Au coeur même de la grande mutation des services postaux en Europe, la
European
Express Association
, qui regroupe les quatre principaux
organismes privés en charge du service postal. Nous recevons son
président, M. Mark van der Horst.
M. Mark van der Horst, président du comité postal de la European Express Association
La
European Express Association
est une association européenne qui
regroupe AGEA, FEDEX, TNT, UPS et les associations nationales au niveau du
courrier exprès.
Nous sommes partisans de la libéralisation du service postal. Par
rapport au titre de ce colloque « mythes et
réalités », je vous donnerai le point de vue de
l'industrie privée au niveau du courrier exprès.
Premier mythe : j'étais convaincu, après le Conseil des
télécoms de décembre 2000, que certains États
membres étaient tout à fait contre la libéralisation
postale de l'Europe. Quelle erreur, car il est visible aujourd'hui qu'ils sont
en train de se préparer d'une façon admirable. Mais, même
si une date finale semble s'esquisser, les États membres seront-ils
d'accord pour une date finale pour la libéralisation, avec un même
régime.
Deuxième mythe : la libéralisation a un impact négatif sur
l'emploi. Le fait que le marché évolue avec rapidité est
un aspect important à expliquer. Conserver les services tels qu'ils sont
fournis aujourd'hui, et l'emploi tel qu'il est aujourd'hui n'est pas
réaliste ; dans les sociétés privées, le
marché et les besoins des sociétés changent, et les
besoins des utilisateurs restent déterminants. Pour réussir, il
faut suivre le potentiel du marché et l'utiliser. Car, arrêter le
développement ou créer des circonstances qui freinent les
opérateurs privés et les opérateurs publics stopperait la
croissance.
Troisième mythe : le monopole est indispensable pour pouvoir offrir un
service universel. On peut utiliser le domaine réservé tant que
l'on montre qu'il est nécessaire pour offrir le service universel. Mais,
à l'usage, on constate que les monopoles ne sont pas
nécessairement utilisés dans ce but, mais plutôt dans celui
de développer les opérations des opérateurs postaux au
niveau international dans le domaine du service spécial. Si ce genre de
monopole permet de servir le consommateur au niveau du service universel, il ne
doit pas être utilisé pour obtenir des subventions croisées
dans les domaines qui sont déjà en libre compétition.
Quatrième et dernier mythe : il existe différentes
propositions au niveau de la directive. Le scénario possible est celui
d'avoir une libéralisation de 350 g à 150 g. L'impact
de cette ouverture du marché sera nul car, avec la diminution de
350 g à 150 g, il y aura une ouverture de marché de
moins de 10 %.
On se rend compte que le marché ne peut s'ouvrir entièrement
dès demain. Différentes étapes ainsi qu'une date finale
sont donc à prévoir nécessairement.
M. Jean-Claude Larrivoire
Quelle est la date finale que vous souhaiteriez ?
M. Mark van der Horst
La plus réaliste. Il y a la date de 2007 dans la directive actuelle,
c'est peut-être une date à discuter.
M. Jean-Claude Larrivoire
Après un opposant très diplomate à la politique du
monopole, le point de vue plus mesuré d'un syndicaliste, M. Jacques
Lemercier, secrétaire général de FO communication et
vice-président de l'UNI-Europe Poste.
M. Jacques Lemercier, vice-président de l'UNI-Europe Poste, secrétaire général de FO communication
J'interviens aujourd'hui au titre de l'UNI, l'
Union Network
International
, qui est la nouvelle internationale qui recoupe treize
secteurs, dont le secteur postal, et qui est l'interlocuteur à Bruxelles
de la Commission européenne. Mes propos seront d'abord européens
et ensuite, je me démarquerai un peu de la position européenne
qui est un consensus syndical, et je donnerai la position de Force
Ouvrière.
Au niveau de la Commission européenne, le débat sur la
libéralisation a subi des à-coups. Pendant de nombreuses
années, M. Bangemann a refusé tout dialogue et a
ignoré les organisations syndicales. Actuellement, M. Fritz
Bolkestein nous reçoit, nous écoute, nous entend parfois.
Il y a donc un effort de concertation réel. Pour répondre aux
propos du président Larcher, notre internationale n'est pas
corporatiste, c'est une internationale qui défend les salariés et
l'intérêt général. Nous sommes profondément
européens, nous estimons être un partenaire à part
entière dans la construction européenne, et on ne peut
écarter l'UNI qui est un syndicat prêt à collaborer,
prêt à trouver des compromis.
Notre objet à nous, syndicalistes, est de regarder la situation des
salariés, leur rémunération, leur carrière, leur
précarité, etc. Notre travail au niveau international est de nous
battre pour éviter le
dumping
social. Nous travaillons à
la mise en place d'une convention collective européenne, pour
éviter que des opérateurs émergents, en sous-payant leur
personnel et en n'offrant pas de protection sociale, n'appliquent des prix
défiant toute concurrence et n'écrèment le marché.
Nous réfléchissons également à l'avenir de nos
métiers, et nous travaillons beaucoup sur la e-économie pour
être capables de prendre le virage de façon que personne ne se
trouve exclu.
Après discussions et malgré les divisions, nous sommes
arrivés à des compromis, et nous avons accepté, nous qui
étions des tenants du monopole, une libéralisation graduelle et
maîtrisée. Nous avons accepté que l'ouverture se fasse
progressivement, et nous avons accompagné cela de demandes fortes,
notamment d'études d'impact sur l'emploi et sur les conséquences
du financement du service universel. À ce jour, elles sont
insatisfaisantes. Nous avons fait du
lobbying
, et avons réussi
à convaincre des députés de droite et de gauche à
un compromis validé par le Parlement européen. Ce qui a
été voté par le Parlement doit donc être
respecté, et nous nous battrons pour cela. La Commission ne doit pas se
substituer aux gouvernements.
Quelques remarques concernant les propos des interlocuteurs
précédents : Sur la Suède, je n'ai pas tout à fait
les mêmes chiffres. Sur l'emploi, il y a eu une recrudescence du temps
partiel ; le chiffre en ma possession est de 46 %. Si
l'ouverture à la concurrence conduit à détériorer
la qualité de nos emplois, vous comprendrez que les organisations
syndicales se battent. Les nouveaux recrutés en Suède n'ont pas
du tout les mêmes conditions de traitement que les anciens. Les jours de
congés sont passés de 35 à 23. Il y a donc des
salariés à deux vitesses.
Nous appelons de nos voeux à une véritable collaboration des
postes européennes, quels que soient leurs statuts. Nous nous battons
pour le tarif unique et la péréquation géographique. Nous
sommes opposés aux fonds de compensation.
Ce que nous souhaitons, c'est le respect des contraintes nationales. Le
principe de subsidiarité doit jouer. Il ne faut pas que cette directive
soit trop contraignante car elle risque de ruiner les services publics
nationaux. Nous sommes, enfin, opposés à la date d'ouverture
totale à la concurrence dans la prochaine directive.
M. Jean-Claude Larrivoire
Poursuite de la table ronde aux multiples facettes avec un opérateur
privé français. M. Alain Bréau, vous êtes le
président Transport et Logistique de France, TLF. Est-il confortable
d'être un opérateur privé en France ?
M. Alain Bréau, président de Transport et Logistique de France (TLF)
Je vais
avoir la charge redoutable et sacrilège de défendre le point de
vue des entreprises privées. L'organisation, dont je suis le
président, TLF, représente 4.500 entreprises qui interviennent
dans tous les métiers du secteur logistique et du transport, à
savoir : logistique, transit international, commissions de transport,
messagerie, transport de l'eau et de charges complètes. Tous ces
métiers concourent à une activité qui, au total,
représente un chiffre d'affaires de 300 milliards de francs et,
dit-on, 10 % de la formation des prix de revient industriels, ce qui,
à l'évidence, est un facteur très important de
compétitivité d'une économie. Je souhaite défendre
ces entreprises, ce secteur d'activités, et faire quelques remarques sur
l'objet de ce débat.
En particulier, sur l'une de nos composantes qui est le secteur de la
messagerie. Qu'est-ce que la messagerie ? C'est la distribution d'envois,
colis, palettes aux entreprises ainsi qu'aux particuliers et aux
commerçants. Il y a encore vingt ou trente ans, La Poste effectuait ce
travail jusqu'à 5 kg pour l'essentiel, et au-dessus
c'étaient les opérateurs professionnels (messagers, groupeurs
privés) qui assuraient le service. La taille moyenne de nos envois est
de 50 à 100 kg, et cela concerne aussi bien les entreprises que les
particuliers comme destinataires. L'activité en question est
effectuée par quelques centaines d'entreprises au maximum, pour un
chiffre d'affaires total de 40 milliards de francs. Il y a à peu
près trente mille camions, camionnettes émanant des entreprises
qui sillonnent la France tous les jours à des tarifs équivalents,
sans réclamer aucune aide de l'État. Nous pratiquons une
tarification identique parce que notre clientèle ne souhaite pas que les
destinataires, directement ou indirectement, acquittent un prix de transport
différent selon leur lieu d'habitation. Et, contrairement aux
idées reçues, la distribution dans les zones rurales coûte
moins cher qu'en région parisienne.
Jusqu'à ces dernières années, le secteur de la messagerie
vivait une vie normale, avec une crise économique qui était le
reflet de la crise économique générale du pays, et
même de l'Europe. La représentation importante du secteur public,
à travers les filiales de la SNCF et de La Poste qui, d'après mes
estimations, représentent à peu près 30 % du
marché, est une situation unique en Europe. Depuis deux ans, on assiste
à l'arrivée en force du capitalisme d'État dans le monde
du capitalisme privé, capitalisme d'État essentiellement postal,
mais aussi ferroviaire, puisqu'on a vu le capitalisme d'État prendre une
part de marché supplémentaire, d'environ 20 %, sous l'effet
des acquisitions de la
Deutsche Po
st qui reste à majorité
de capital d'État, de la poste française, de la poste anglaise,
ainsi que des chemins de fer belges.
Situation inquiétante car il est à craindre que d'ici peu, la
part privée du secteur de la messagerie ait disparu à la suite
d'un combat disproportionné. Les premiers d'entre nous auront
été achetés, les derniers risquent d'être
piétinés. Les entreprises privées du secteur peuvent-elles
survivre ?
Par rapport à ce scénario, permettez-moi de développer une
interrogation. Pourquoi l'initiative a-t-elle été prise d'envahir
le secteur de la messagerie industrielle ? Les postes donnent l'impression
de vouloir constituer, avant même l'ouverture de la concurrence,
l'architecture d'un cartel futur, cartel permettant d'éviter que les
concurrents potentiels ne viennent un jour sur le marché traditionnel du
courrier. Nous acheter maintenant permet d'éliminer à l'avance
toute concurrence future, c'est reconstituer une vie peu compétitive.
Les organismes habitués à vivre pendant des décennies sous
monopole sont plus enclins à se chercher des protections qu'à
vouloir affronter une concurrence réelle. Dans ce métier de
main-d'oeuvre, il est clair que le coût des personnels postaux est
supérieur à celui des personnels sous convention collective
transport. La deuxième raison est ce que j'appellerais une
stratégie imitative et nationale. Lorsque la
Deutsche Post
a
commencé à annoncer l'achat du transitaire
Swisslansas
, la
presse française et la presse économique libérale de
droite ne se sont pas interrogées sur le motif de ce rachat, mais ont
dit : que fait la poste française ? Chaque pays, chaque
gouvernement, à travers les lois et règlements, à travers
des aides publiques, semble vouloir défendre son champion national.
Pour éviter les excès, nous avons présenté les
demandes suivantes :
Premièrement : l'existence dans les groupes postaux d'une
comptabilité analytique pour permettre aux autorités du pays, aux
autorités européennes et à nous, comme concurrents, de
vérifier s'il y a ou non des subventions croisées. Le tarif du
courrier sous monopole en Allemagne est de 20 % supérieur à
ce qu'il est en France. Si l'on rapporte cela au chiffre d'affaires
concerné, cela doit faire environ 8 milliards de francs de recettes
et donc de résultat par an de différence. 8 milliards de
francs ou deux fois 8 milliards de francs pour être large, compte
tenu des prix d'acquisition considérables qu'ont accepté les
postes dans leur stratégie de croissance externe, ajoutés
à deux ans de très gros bénéfices donnés par
les différences et le tarifaire, permettent d'acheter la totalité
du secteur que je représente en France. Une comptabilité
analytique vérifierait que la rente du monopole n'est pas
utilisée pour constituer un nouveau monopole, à l'ombre du
marché.
Deuxièmement : la présence de véritables autorités
de concurrence, si possible au niveau européen, pour vérifier la
réalité des prises de marché et des risques d'abus de
position dominante.
Et enfin, nous réclamons, avec l'interlocuteur précédent,
une ouverture du marché postal.
M. Jean-Claude Larrivoire
Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit à l'université
Paris-Dauphine, comment la juriste réagit-elle devant tout ce que l'on a
pu entendre ce matin ?
Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit à l'université Paris IX (Dauphine)
Je
voudrais faire trois observations qui sont des observations
générales, prolongeant les précédentes dans une
perspective plus juridique. Il s'agit plus précisément
d'anticiper la façon dont le droit en la matière, parce qu'il
s'agit de décisions et de mouvements juridiques qui ont une certaine
autonomie par rapport aux évolutions économiques et politiques
déjà décrites, va encercler dans l'avenir les postes
européennes, mais aussi, parce que le droit est flexible, la
façon dont celui-ci pourra être utilisé.
Tout d'abord, il convient donc de revenir sur la nature même du
juridique. Le droit forme un système. Cela signifie que les normes qui
le composent, les interprétations dont celles-ci sont l'objet, ne sont
pas simplement empilées. Elles sont mises en corrélation, et
c'est cette corrélation qui évite au droit le vice de la lacune
parce que les raisonnements permettent de trouver une solution à un cas
particulier, même non directement prévus par la loi. Cette
puissance de système est particulière forte pour le droit
communautaire, agencé sur des principes et des buts poursuivis. Cela
n'apparaît pas à première vue lorsqu'on segmente l'analyse,
pour se concentrer notamment simplement sur les directives, lesquelles, prises
isolément, ne sont jamais que des compromis entre Etats signataires, un
balancement entre contraintes économiques et marges de manoeuvres
politiques. Cela ne doit pas masquer le fait que le droit communautaire avance
selon une hiérarchie de principes, une logique propre qui englobe et
dépasse l'adoption de telle ou telle directive. C'est le juge,
communautaire ou national, qui donne vie à cette logique. Dès
lors, alors qu'une directive ne peut venir à la vie qu'avec l'accord des
Etats qui peuvent mesurer ce à quoi ils s'engagent, aucun gouvernement,
pas même une alliance de gouvernements, ne peut arrêter le droit
communautaire quand il prend sa forme judiciaire, sa forme contentieuse.
Une fois rappelé cet effet systémique du droit communautaire, je
voudrais insister sur deux principes méthodologiques à l'oeuvre.
Ils ont tout deux pour objet l'appréciation que le juge fera des
comportements des opérateurs - publics ou privés, historiques ou
nouveaux entrants - et des Etats. Le premier principe a trait à la
légitimité du comportement, il est de nature probatoire. Le
second principe est un instrument de mesure pour apprécier
l'adéquation d'un comportement.
Le premier principe repose sur le fait qu'un comportement en accord avec un
principe n'implique pas la charge pour celui qui le tient de démontrer
sa conformité, alors qu'un comportement contraire à un principe
oblige l'opérateur ou l'Etat concerné à démontrer
sa légitimité exceptionnelle. Ce n'est pas que le droit
communautaire ne supporte pas d'exceptions, au contraire il est un entrelacs
complexe, et de ce fait difficilement pénétrable, d'exceptions.
C'est une question probatoire : celui qui se prévaut de l'exception
a la charge redoutable de prouver la légitimité de son
comportement. Alors, malgré l'accueil toujours plus favorable du droit
communautaire au service universel - si ce n'est au service public -, au droit
de la régulation - si ce n'est au droit public -, le principe reste
celui du marché librement ouvert et concurrentiel. Une autre
organisation a le rang d'exception. A partir de cette logique communautaire et
dès lors, même lorsqu'il s'agit de mettre en place une
régulation postale, partout où la concurrence sera possible,
celle-ci devra se déployer, partout où la dérogation
à la concurrence n'aura pas été expressément
stipulée, celle-ci devra être refusée. C'est une
règle qui s'appliquera automatiquement quels que soient les
gouvernements, les opinions politiques, les forces, les syndicats, les nouveaux
entrants.
Le second principe essentiel concerne la mesure de l'action. Le contrôle
exercé sur les comportements au nom du droit communautaire repose sur le
principe de proportionnalité. La proportionnalité suppose que
toutes les actions se mesurent au regard des objectifs qui ont justifié
qu'on donne à celui qui agit le pouvoir de le faire. Par exemple, les
services réservés, pour financer le service universel, ne devront
pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la
satisfaction de l'objectif. Cela implique la démonstration permanente de
la proportionnalité de ces systèmes très
sophistiqués par rapport aux raisons pour lesquels de tels
privilèges sont accordés ou tolérés. C'est le juge
qui opèrera le respect de ce principe de proportionnalité,
indépendamment des marges d'autonomie que la directive aura admise pour
les Etats dans la transposition qu'ils opéreront du texte dans leur
droit national.
Cette puissance du juge, on la retrouve encore dans le contrôle des
subventions croisées, qui pourront être sanctionnées au
titre de textes particuliers mais aussi en invoquant la prohibition
générale de l'abus de position dominante. C'est souvent les
textes de base qui développent la plus grande puissance, même sur
des secteurs très spécifiques et régis par des textes
particuliers. Les exigences précises sur la filialisations des
activités ou sur l'obligation de comptabilité analytique sont
ainsi relayées par le contrôle prenant la forme soit d'une
intervention du régulateur soit d'un contentieux devant le juge. Cela
sera d'autant net que la régulation spécifique sera inexistante
ou embryonnaire, le juge étant contraint de relayer la lacune par le
recours au droit commun. Mais le droit commun est beaucoup plus violent que les
dispositions particulières, parce qu'il ne peut affiner ses instruments,
qui sont destructeurs puisqu'il s'agit généralement d'interdire
purement et simplement un comportement, le juge ne pouvant, comme le feraient
des textes, réduire sa puissance à un encadrement de ce
comportement. C'est pourquoi d'une façon générale, les
opérateurs, y compris l'opérateur historique, a
intérêt à la mise en place d'une régulation
spécifique, plutôt que de subir la menace d'une condamnation pour
abus de position dominante, déclenchée par n'importe quel juge
appliquant le droit communautaire (la Commission européenne, la Cour de
justice des communautés européennes, le Conseil de la
concurrence, n'importe quel juge français, judiciaire ou administratif)
pouvant sanctionner au titre de l'abus des subventions croisées, des
droits exclusifs disproportionnés, des exceptions injustifiées.
Le danger est d'autant plus vif que la Commission européenne
possède la caractéristique d'être à la fois l'organe
politique de la concurrence et l'organe gardien du droit de la concurrence.
Elle aura donc naturellement tendance, quand elle n'arrive plus à
avancer avec sa casquette d'organe politique de la concurrence, notamment dans
l'élaboration des directives, à exercer son pouvoir de
surveillance et de sanction, sur le mode juridictionnel. L'expérience
montre qu'une telle stratégie facilite grandement la signature des
directives sectorielles de libéralisation.
Ainsi, de fait et de droit, les juges deviennent de plus en plus puissants en
droit de la concurrence. Par l'évolution des pratiques et des textes,
par exemple la loi française du 15 mai 2001 sur les
nouvelles
régulations économiques
, ils ne se contentent pas de
contraindre au versement d'argent, sous forme d'amendes ou d'indemnisations -
ce qui finalement n'est pas très contraignant, les opérateurs,
voire les Etats pouvant alors en quelque sorte acheter
l'illicéité de leur comportement. Ils exigent des adaptations
comptables, l'arrêt de certaines activités, ce qui équivaut
à un quasi-pouvoir de démantèlement des entreprises, de
cession d'actifs et rapproche singulièrement sanction des comportements
anticoncurrentiels et contrôle des concentrations.
Pour le moment, on peut considérer que le droit de la concurrence a
été clément avec le secteur postal. Ainsi, et par exemple,
le Conseil de la concurrence a validé les activités
financières de la poste française, notamment parce que la Poste
française avait pu démontrer qu'il y avait de fortes raisons
justifiant cette situation, le but et l'effet social de la façon dont la
Poste exerce cette activité justifiant cette activité.
Si l'on cherche à anticiper la réorganisation juridique du
secteur, au-delà d'une transposition de la transposition, on peut enfin
se demander quels seront les nouveaux principes juridiques de régulation
du secteur, principes qui ne réduisent pas nécessairement la
puissance et la liberté des opérateurs (le droit est trop
perçu en France comme une contrainte mutilante) mais peuvent être
des ressorts de comportements économiques dynamiques.
Quelles sont donc les idées déclenchantes d'un nouveau
système ? Il pourra s'agir de mettre en premier des droits subjectifs
des personnes qui bénéficient du mécanisme global,
c'est-à-dire les droits des utilisateurs intermédiaires et
finaux. Cette idée de prérogatives des opérateurs et des
consommateurs est assez étrangère à la théorie
classique du service public. C'est pourtant le passage d'avantages
concédés par l'Etat ou des collectivités publiques
à des assujettis à une organisation au service du public, qui a
droit à un service de qualité à un prix équitable,
qui s'est opéré à propos du secteur électrique. On
peut imaginer semblable mouvement pour le secteur postal.
Si l'on admet que l'organisation postale doit avoir pour objectif de
concrétiser de véritables droits des personnes à
être satisfaites, cette conception opère une meilleure
proximité de la régulation du secteur avec les mécanismes
de marché parce que le marché repose sur le droit du client. La
régulation a alors un rôle non pas frontalement contraire mais
simplement correcteur de l'effet d'exclusion produit par le
marché : la régulation fait en sorte que le service soit
fourni même aux personnes qui n'auraient pas les moyens de se l'offrir
sur un marché. Cette plus grande proximité avec le marché,
opérée notamment par le passage de la notion de service public
à celle de service universel, prend moins difficile la cotation des
titres de l'entreprise nationale en charge de ce service. C'est le cas de
France Télécom. Nous verrons pour les autres opérateurs
historiques dans les différents secteurs, notamment pour la Poste
française pour laquelle la cotation pose peut-être un
problème politique mais n'engendrerait pas de schizophrénie
juridique.
Enfin, si la régulation se met ainsi au milieu de l'État et du
marché, l'élément clé en est l'autorité de
régulation. L'autorité de régulation, qui doit être
nécessairement indépendante des opérateurs et de l'Etat,
qui peut être de nature administrative, est l'expression même de
cet entre-deux. Si l'on devait s'orienter vers la création d'une
autorité de régulation postale, celle-ci est beaucoup plus qu'un
arbitre de transition entre le présent et le futur, entre le public et
le privé. Elle devrait être l'organisme construisant les grands
équilibres des secteurs, en charge de les maintenir en disposant de tous
les pouvoirs nécessaires à cela. Si une telle autorité,
véritablement en charge de cette fonction et effectivement dotée
des pouvoirs requis pour cela, est mise en place, alors on pourra dire vraiment
que l'organisation juridique du secteur postal est passée d'un
système à un autre. L'avenir le dira.
M. Jean-Claude Larrivoire
M. Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie, membre de la
Commission supérieure du Service public des Postes et
Télécommunications, vous êtes aussi l'auteur d'un rapport
sévère pour la France sur l'ouverture à la concurrence des
services postaux de la Communauté.
M. Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie, membre de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications (CSSPPT)
Je
voudrais essayer de démontrer que la première des choses à
faire est de lever un certain nombre de tabous, si nous voulons moderniser la
poste française, en profitant de l'ouverture européenne.
Quelques mots pour planter le décor. Rappelons que dans la dynamique
concurrentielle, il y a manifestement un certain nombre de bouleversements
rapides du paysage postal mondial et européen. On a beaucoup
parlé de l'Europe, mais il y a aussi le phénomène de la
mondialisation à prendre en compte.
La poste française tergiverse dans l'ouverture à la concurrence
et la modernisation. Aujourd'hui, la poste française, c'est 17 000
bureaux de poste implantés sur un territoire national important et
beaucoup moins compact que dans d'autres pays. Dans le plus petit village de
notre pays, c'est parfois la seule activité économique, c'est
aussi 300 000 postiers qui font de l'opérateur le premier employeur
après l'État. Il existe dans notre pays un lien affectif puissant
entre La Poste et la nation française. Les origines remontent au roi
Louis XI.
Il faut noter que les syndicats postaux contestataires les plus radicaux,
après chaque élection, gagnent du terrain. Le nombre de jours de
grève des agents de La Poste au premier semestre 2000 représente
99 000 journées. Il s'agit d'un phénomène qu'il
convient d'introduire dans notre réflexion.
Majoritairement, les parlementaires et les personnes responsables en France,
reconnaissent qu'il est indispensable d'aller vers une réforme de La
Poste, en s'inscrivant dans les nouvelles règles qui doivent permettre
d'évoluer rapidement.
Préserver l'emploi ainsi que l'aménagement du territoire qui sont
liés, et maintenir une forme de service public auquel les
Français sont attachés en sont les données. Il faut du
courage politique pour entamer ce genre de réforme. Le
précédent gouvernement a su mener à terme la
réforme de France Télécom en 1996, cette
sociétisation (société anonyme de droit privé),
dont le gouvernement suivant a tiré les bénéfices.
Une troisième vague de privatisations est en cours dans notre pays, le
secteur gazier est lui aussi en attente de modernisation. Pour La Poste, on a
l'impression que le sujet est encore tabou, d'ailleurs rien n'a
été fait ou presque depuis la directive de 1997. Nous disons donc
avec le sénateur Larcher : Sauvez La Poste ! Pour que la
France garde toute sa place dans le paysage postal européen et mondial,
il faut une révolution postale, certes pacifique, mais réelle.
Je développerai à cet égard les trois axes suivants :
- Débattre et évangéliser, je crois que le mot est
approprié, sur la nécessité de la
réforme
postale.
- Proposer les contours de la révolution postale.
- Moduler le rythme de la concurrence européenne.
Pour évangéliser et expliquer la nécessité de la
réforme postale, il faut débattre des enjeux postaux, il importe
qu'il y ait véritablement une loi postale, telle que nous la
réclamons. Le gouvernement a empêché un véritable
débat parlementaire autour d'une vision stratégique de l'avenir
de La Poste. Nous avons provoqué un débat en séance
publique au Sénat sur la proposition de directives postales de la
Commission en décembre dernier Or, l'Assemblée nationale qui, en
toute logique, soutient le gouvernement, n'en a pas fait, ce qui peut
paraître incroyable compte tenu de l'enjeu.
Le deuxième axe, proposer les contours d'une révolution
pacifique, nous le faisons avec M. Larcher par divers rapports et
propositions : Il est nécessaire de sociétiser La Poste, en
reprenant tout simplement le processus expérimenté avec les
télécoms. La Poste a la nécessité de la
consolidation du pôle financier public autour de la Caisse des
dépôts et consignations et des Caisses d'épargne, pour des
raisons d'organisation juridique des services financiers postaux. Il n'est pas
question pour nous de séparer les services financiers de La Poste. Nous
voulons seulement une modernisation par paliers, avec un calendrier. Comment
mettre en oeuvre des stratégies internationales offensives de croissance
externe, dans la messagerie par exemple, avec le statut que nous avons
aujourd'hui ?
Je voudrais également parler du fait de moduler le rythme de l'ouverture
à la concurrence européenne. La réforme postale ayant pris
du retard en France, nous demandons à Bruxelles de modérer le
rythme d'ouverture de la concurrence. Nous avons d'ailleurs pris position pour
le périmètre des services réservés en faveur d'un
compromis proche de celui qui aurait pu être adopté au Conseil des
télécoms, le 22 décembre dernier. Nous avons soutenu
la fronde contre les propositions de la Commission européenne
derrière le gouvernement français, néanmoins nous
proposons autre chose, dans nos frontières, que le seul immobilisme qui
condamne notre opérateur. Entre le
statu quo
impossible et le
marché forcé proposé par la Commission, il nous faut
trouver une troisième voie qui, à la fois, consolide et
enrichisse le service universel postal. L'ouverture à la concurrence et
le maintien d'un haut degré d'exigence de service public ne sont pas
incompatibles, mais nécessitent des aménagements spéciaux,
des services réservés sont nécessaires, ainsi que la mise
en place d'un fonds de service universel. Nous sommes très favorables
à la mise en oeuvre du service universel.
Il y a un avenir pour La Poste à condition qu'on ait le courage de la
réformer et qu'on cesse de mettre en avant des tabous qui la mettent
dans une situation d'immobilisme, qui remonte à 1997.
*
* *
Débat avec la salle
M.
Régis
Lonchaud,
secrétaire
fédéral de Sud PTT
Une question à M. Bréau. Dans le transport, on voit se
développer un salariat déguisé qui est de plus en plus
condamné dans les tribunaux, à la Cour de Cassation. On
s'aperçoit que beaucoup d'entreprises du transport ne respectent pas le
code du travail et les conventions collectives. Je voudrais savoir ce qu'en
pense votre fédération.
M. Alain Bréau
Je ne suis pas sûr d'avoir un avis sur cette question. Mais à
l'intérieur du groupe de la poste française, sans faire de
délation, savez-vous à quelles conditions un certain nombre
d'opérations sont sous-traitées ?
Mme Francesca Coratel
, poste italienne
La poste italienne a dû faire face à un processus de modernisation
très difficile, compte tenu des conditions de départ. Les
résultats sont là, mais cela ne signifie pas que la poste
italienne s'équipe pour être une poste de succès, ni que
ses efforts ont été faits pour être la plus
compétitive. Le but principal de tous les efforts d'amélioration
s'est concentré sur une amélioration de l'offre du service
public, qui représente une charge importante, alors que la dimension de
notre monopole fait partie des plus réduits en Europe. Le fait d'avoir
une telle situation va nous aider à faire face à la
libéralisation, la libéralisation ne représentant pas la
solution à tous les problèmes. Les exemples de la Suède et
de l'Espagne ont bien démontré qu'il y a différentes
manières de décliner ce concept.
Mme Geneviève Meunier,
journaliste
Un très gros client de la poste française disait qu'en l'an 2000,
7 à 10 % de ses mailings sur l'année ne sont jamais
arrivés au jour J. La réponse du postier : les
35 heures. La voix syndicale européenne s'exprime-t-elle sur ce
problème de distorsion sociale. Y a-t-il une réflexion
aujourd'hui au niveau européen ?
M. Jacques Lemercier
Il y a une réflexion européenne sur les 35 heures, et la
France a été motrice en la matière. Vue de
l'extérieur, La Poste est dans d'excellentes conditions de concurrence
puisque les 35 heures ont eu un coût que les postiers ont
payé eux-mêmes. Il n'y a pas eu d'aide de l'État
malgré les 10 ou 12 000 créations d'emplois qui ont eu lieu.
Désormais, dans nos réunions internationales, nous recherchons
comment arriver aux 35 heures. Cela se fera par paliers avec discussions
dans les branches.
M. Philippe Thomas,
ADREXO, société
privée de distribution en boîte aux lettres
Y a-t-il un agenda pour la création de l'autorité de
régulation postale en France ?
Mme Marie-Anne Frison-Roche
On est mis en demeure de le faire. La distinction entre opérateur et
régulateur, ce qui est le grand principe constitutionnel de tous les
secteurs régulés, et qui revient à créer, selon des
modalités choisies, une autorité de régulation, doit
être faite.
M. Alain Rouvière,
FO Ariège
Je voudrais réagir aux propos du dernier intervenant et donner une
information : dans mon département, l'Ariège, suite à
l'ouverture du capital de France Télécom, on est passé de
230 à 120 emplois. Appliquera-t-on des méthodes similaires pour
l'emploi et le maintien de l'emploi à La Poste au niveau des
élus ?
M. Pierre Hérisson
L'exemple de mon département ferait la démonstration inverse
quant au nombre d'emplois ! En termes d'aménagement du territoire,
le maintien des emplois correspond à une réalité
économique, une réalité d'aménagement et une
réalité de développement. On ne maintient pas des emplois
si ce n'est pas véritablement nécessaire. Aujourd'hui,
globalement, l'entreprise France Télécom, société
anonyme de droit privé, est une entreprise qui a fait la
démonstration du maintien des salariés, et en a augmenté
le nombre dans tous les secteurs où c'était nécessaire. Au
bout de quatre ans, il y a une meilleure couverture de l'utilisation des moyens
offerts par les nouvelles technologies, sur le téléphone national
en particulier. Le souci du maintien de l'emploi, nous devons l'avoir, or, en
termes d'aménagement, des points difficiles subsistent, et c'est pour
cela que nous restons favorables au maintien du service universel car des
secteurs auront à régler le problème par un
équilibre à travers le service universel.
Question de la salle :
Les 35 heures ont été mises en place au sein de La Poste
sans appui financier de l'État. Le poids des retraites se fait de plus
en plus lourd et obère les capacités de développement de
La Poste en France. La poste n'est-elle pas tenue par l'État de
transporter gratuitement la presse ? Avant de parler de
sociétisation, le rôle des politiques n'est-il pas avant tout de
clarifier les relations financières entre l'État et La
Poste ?
M. Pierre Hérisson
Tout d'abord une précision, la poste française ne transporte pas
gratuitement la presse. Il y a un partage fait entre la contribution de celui
qui demande le transport, par une aide de l'État à La Poste, et
La Poste. Sur la question que vous posez, un certain nombre de parlementaires
demandent une véritable comptabilité analytique de manière
à assurer une transparence, puisqu'il s'agit bien d'une entreprise
chargée d'un service public. Quand je parle de modernisation, c'est
demander à La Poste d'avoir des exigences comptables telles que l'on
puisse mesurer le problème lié aux subventions croisées ou
aux aides.
Si la poste française n'a pas bénéficié des aides
telles qu'elles sont prévues sur la loi de la réduction du temps
de travail, il y aurait eu des compensations par ailleurs...