2. Remédier à la complexité et au coût de procédures qui n'atteignent pas les objectifs qui leur étaient assignés
Dans bien des cas, la lourdeur des procédures, leur durée et leur coût contrastent avec la limpidité de la situation et la faiblesse des enjeux, l'entreprise étant déjà exsangue lors de la déclaration de la cessation des paiements.
Ainsi, le rapport d'enquête sur l'organisation et le fonctionnement des tribunaux de commerce de juillet 1998 réalisé conjointement par l'Inspection générale des Finances et l'Inspection générale des Services judiciaires observe-t-il que « outre les liquidations judiciaires totalement ou presque totalement impécunieuses (c'est-à-dire, selon le mode de comptabilisation utilisé par les mandataires, les procédures dont le produit de réalisation des actifs ne permet pas le paiement du droit fixe de 15.000 F), soit 50 % des affaires, les procédures non impécunieuses mais pour lesquelles le produit de réalisation des actifs est inférieur à 50.000 F représentent 30 % de l'échantillon examiné. C'est donc près de 80 % du total des liquidations judiciaires qui ne produisent strictement aucune répartition au profit des créanciers (...) Il doit donc être mis un terme à l'absurdité économique résultant d'un dispositif qui, actuellement, engendre des frais de procédure non négligeables sans aucun résultat dans 80 % des affaires. Outre l'inutile encombrement des tribunaux et des mandataires de justice qui résulte du traitement de ces affaires, le coût de ces procédures en frais de procédure 42 ( * ) peut être évalué à au moins 500 MF annuel. » 43 ( * )
La mise en place d'une procédure de liquidation immédiate par la réforme de 1994 , évitant l'artifice de l'ouverture d'une période d'observation pour la clore immédiatement, révélait déjà une volonté de prendre en compte la réalité des situations. Rappelons que la proportion de liquidations immédiates rapportée au nombre global de liquidations prononcées s'est élevé à plus de 70 % en 1999 et que près des deux tiers des décisions d'ouverture concluent à une liquidation immédiate.
Cependant, malgré ce progrès législatif, tous s'accordent aujourd'hui sur la nécessité de franchir une étape supplémentaire en aménageant un traitement spécifique des affaires impécunieuses ou pour lesquelles les actifs correspondent à un montant très faible. Le rapport d'enquête se réfère au cas de l'Allemagne où une procédure de radiation administrative a été mise en place pour les affaires dans lesquelles aucune répartition au profit des créanciers ne paraît possible ; il précise qu'entre 1980 et 1990 cette procédure s'est appliquée à 78 % des affaires.
Cet exemple était déjà visé par le rapport intitulé « Propositions en vue d'une réforme de la loi n ° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises », présenté par M. Jean-Luc Vallens, conseiller à la cour d'appel de Colmar, au nom du groupe de travail mis en place à l'initiative de la Direction des Affaires civiles et du sceau du ministère de la justice 44 ( * ) . Ce rapport, publié en septembre 1993, soulignait qu'il convenait de « revenir à l'objectif premier de la procédure de liquidation judiciaire, qui est de désintéresser les créanciers de manière
collective par la réalisation d'actifs » et qu' « en l'absence d'actifs, l'ouverture de la procédure entraînait plusieurs conséquences néfastes :
« - des frais de justice inutiles, dont l'avance incombe au Trésor public (article 215 de la loi) ;
« - des diligences mal rémunérées pour les liquidateurs ;
« - une charge matérielle stérile pour les tribunaux ;
« - la libération définitive du débiteur de ses dettes (article 169 de la loi) d'autant plus injustifiée qu'il est souvent à l'origine de cette déconfiture ;
« - l'absence de tout règlement collectif des créanciers. »
Afin de tenir compte de ces observations et de tirer les conséquences d'un constat soulignant le caractère aberrant du traitement infligé à une proportion importante d'entreprises en difficulté, il serait envisagé, non d'instaurer un mécanisme de radiation administrative mais d'introduire une variante dans le régime de la liquidation judiciaire sans période d'observation, une procédure de liquidation très simplifiée et accélérée pour les entreprises à très faible actif .
Inscrire cette nouvelle modalité de liquidation dans le cadre juridique existant des procédures collectives paraît nécessaire pour éviter les fraudes : possibilité à tout moment de passer au régime normal, sanctions applicables en cas d'actifs dissimulés ... Une procédure de liquidation de ce type serait ouverte après un contrôle juridictionnel et une enquête préalable rapide . Emportant dessaisissement du débiteur, le jugement d'ouverture n'interromprait pas immédiatement les poursuites individuelles qui pourraient continuer à être exercées par les créanciers susceptibles d'obtenir un paiement « au prix de la course » pendant un délai de six mois. A l'issue dudit délai, les poursuites individuelles seraient interrompues et le liquidateur répartirait le produit de la vente des actifs résiduels au marc le franc.
Parallèlement à l'instauration de cette gradation en matière de procédure liquidative, une autre simplification consistant en une mise en cohérence des procédures prévues par la loi avec leur impact réel conduirait à supprimer la distinction entre régime général et régime simplifié .
Il apparaît en effet en pratique que le régime simplifié constitue le régime de droit commun et le régime général l'exception : selon l'annuaire statistique de la justice pour 2000, le régime général se serait appliqué à à peine plus de 2 % des liquidations judiciaires prononcées en 1999. Il s'agirait donc de ne plus appliquer tel ou tel régime selon le nombre de salariés employés par l'entreprise et le montant de son chiffre d'affaires annuel mais d'accorder au tribunal la faculté de désigner ou non un administrateur judiciaire selon la complexité du dossier. Rappelons qu'actuellement, si la procédure simplifiée peut toujours être convertie en procédure soumise au régime général par le tribunal, une entreprise atteignant les seuils d'application de la procédure normale est obligatoirement soumise à celle-ci, même lorsque sa liquidation n'entraîne aucune difficulté.
*
* *
Les études et enquêtes précédemment menées sur le régime juridique des procédures collectives et sa mise en oeuvre ayant consacré d'amples développements à la question de la transparence des procédures, votre rapporteur a fait le choix, au cours de la présente étude, de concentrer sa réflexion sur, d'une part, les possibilités d'améliorer la prévention et, d'autre part, la façon d'assurer une plus grande cohérence entre les mécanismes juridiques et la réalité des situations économiques auxquelles ils s'appliquent.
Les améliorations suggérées tendent à renforcer l'efficacité de ces mécanismes juridiques et à introduire une gradation dans les procédures de nature à permettre un traitement « sur mesure » des difficultés des entreprises. Le succès d'une telle réforme demeure cependant subordonné au renforcement et à l'harmonisation des moyens dont disposeront les tribunaux de commerce, en particulier pour la mise en oeuvre de la prévention.
* *
*
* 42 Les frais de procédure comprennent le coût des publications et des significations des décisions rendues, la rémunération des mandataires de justice ainsi que les frais annexes tels que les frais d'expertise, les frais d'inventaire, honoraires et dépens. Ils constituent des créances privilégiées prévues à l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 et sont payées par priorité avant les fournisseurs et les autres créanciers de l'entreprise, qu'il s'agisse de créances antérieures au jugement d'ouverture ou de créances postérieures.
* 43 Rapport susvisé page 80.
* 44 Rapport susvisé page 4.