3. La réconciliation progressive avec le reste du monde arabe
La signature de l'accord de paix avec Israël devait, par symétrie, inciter la diplomatie jordanienne à rétablir des liens de confiance avec l'ensemble des pays arabes. Cet objectif était notamment l'une des ambitions du sommet de la Ligue arabe tenu à Amman l'an passé.
Avec les pays du Golfe , le processus de rapprochement a été accéléré par le nouveau roi qui s'est rendu dans la région à trois reprises. Cependant les objectifs économiques recherchés n'ont pas encore été atteints. Le Royaume reste dans l'attente de flux financiers supérieurs à leurs niveaux actuels et la main-d'oeuvre jordanienne n'est pas encore parvenue à y retourner. L'Arabie Saoudite et le Koweït restent par ailleurs réticents à un resserrement des liens entre la Jordanie et le Conseil de Coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG).
L'arrivée du nouveau Président à la tête de la Syrie a permis de donner un nouvel élan à la réconciliation avec ce pays. Le roi Abdallah a fait le voyage de Damas lors des obsèques d'Hafez el Assad et le nouveau Président syrien a fait le déplacement d'Amman. Ce rapprochement a d'ailleurs débouché sur une relance de la coopération dans le domaine de l'eau avec le projet de barrage sur le Yarmouk et une fourniture d'eau -80 millions de m 3 - à la Jordanie lors d'une sécheresse particulièrement sévère.
L' initiative diplomatique jordano-palestinienne , prise au début de l'année 2001, pour tenter de sortir de l'impasse politique entre l'Autorité palestinienne et Israël, après une année d'Intifada, démontre la commune volonté du Royaume et de l' Egypte d'agir contre tout risque d'escalade de la violence. Cette concertation entre les deux pays transcende l'ambition de chacun de développer son propre rôle régional, qui a pu entraîner, ici ou là, une alternance de détente et de tensions entre Le Caire et Amman.
4. Le délicat voisinage irakien
Sur la frontière orientale aussi, la Jordanie est, politiquement et économiquement, contrainte d'assumer sa géographie. L'histoire avait cependant placé les deux royaumes voisins de Jordanie et d'Irak sous le signe familial puisque le trône d'Irak fut confié en 1922 à Fayçal, frère d'Abdallah I.
A partir de 1954, l'Irak a en commun avec la Jordanie de recevoir les premières aides américaines, symbolisant l'implication des Etats-Unis dans la région. En 1958, le coup d'Etat du général Kassem, l'assassinat de la famille royale, la proclamation de la République entraînèrent un refroidissement des relations entre les deux voisins.
L'accession au pouvoir de Saddam Hussein en 1979 a cependant modifié la donne. La Jordanie marqua rapidement sa solidarité avec le nouveau régime lors de la longue guerre Irak-Iran (1980-1988), et le Royaume refusa de s'associer à la guerre de libération du Koweït après son invasion par l'Irak en 1990. Le positionnement du roi Hussein en faveur de l'Irak à cette époque, a affecté l'alliance jordano-américaine et entraîné la suspension de l'assistance des Etats-Unis au Royaume.
La voie choisie par le souverain était cependant la seule possible, principalement dictée par deux considérations : une hostilité ouverte envers l'Irak n'aurait pas manqué d'entraîner un risque de tension parmi sa population palestinienne favorable à Bagdad. En outre, l'Irak était déjà -et il le demeure- le partenaire économique essentiel de la Jordanie.
Aujourd'hui l'Irak place donc en permanence le Royaume dans une situation politique et économique délicate et contrainte. L'essentiel des ressources du Royaume en pétrole lui sont ainsi fournies par Bagdad à des conditions extrêmement préférentielles -50 % gratuitement et le reste à prix réduit- dans le cadre d'une dérogation à l'embargo, spécifiquement accordée par l'ONU.
Dans ce contexte, le projet de « sanctions intelligentes » élaboré l'été dernier au Conseil de sécurité avait placé la Jordanie dans une situation difficilement tenable, l'Irak ayant fait savoir que tout pays qui collaborerait avec l'ONU pour la mise en oeuvre de telles sanctions se verrait suspendre ses livraisons de pétrole. Au cours de ses entretiens avec les responsables jordaniens, ceux-ci ont clairement exprimé aux membres de la délégation, leur hostilité à ce projet : aujourd'hui, la levée des sanctions imposées à l'Irak en échange d'un contrôle international constitue l'objectif prioritaire du Royaume.
Les interlocuteurs de votre délégation ont insisté sur le fait que l'affaiblissement de l'Irak, l'épuisement de sa population, le risque d'éclatement du pays étaient porteurs d'une grave déstabilisation régionale.
Aujourd'hui, dans cette logique, l'éventualité d'une action militaire américaine contre le voisin irakien est perçue à Amman comme une prise de risque majeure dont les effets seraient dévastateurs pour la Jordanie et pour toute la région.
Cette délicate politique d'équilibre n'occulte pas une prise de distance perceptible entre le nouveau monarque et le régime irakien. La dépendance économique elle-même est souvent perçue comme une entrave à l'ouverture du pays aux investisseurs étrangers. Les projets de diversification des ressources énergétiques, l'insertion du pays dans le commerce régional et mondial participent de cette même volonté d'alléger le fardeau de cette dépendance imposée par la géographie.