II. FAVORISER LA COPARENTALITÉ APRÈS LA SÉPARATION : FAIRE AVANCER LE DROIT POUR RÉFORMER LES PRATIQUES ?
« La fragilisation des liens entre les pères et les enfants est devenue l'une des questions les plus importantes de la société contemporaine, dont les femmes ne tirent aucune victoire, mais souvent la responsabilité d'assurer seules la continuité de l'éducation des enfants en affrontant de multiples difficultés matérielles. Plus qu'à l'éclatement de la famille ou à la stigmatisation des mauvais parents, l'attention devrait être portée sur les réticences et les blocages qui entravent l'élaboration de nouvelles normes de coparentalité dans les familles séparées. » 3 ( * )
Ces mots d'Irène Théry, sociologue, illustrent bien la problématique de la proposition de loi relative à l'autorité parentale ; la responsabilité de l'entretien et de l'éducation des enfants qui revient le plus souvent à la mère après le divorce est plus la résultante de la fonction sociale habituellement dévolue à la femme qu'un choix réel.
La doctrine distingue, selon une formule désormais commune, le couple parental du couple conjugal, le premier devant survivre au second après la séparation. En creux, se dessine un droit de l'enfant à être élevé par ses parents, présent dans la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Sur ce point, l'intervention du législateur ne suit pas les pratiques sociales : elle les devance et tente de les infléchir.
A. UN PRINCIPE DÉJÀ PRÉSENT DANS LA LOI MAIS QUI DOIT ÊTRE CONFORTÉ
L'article 286 du Code civil, tel qu'il résulte de la loi du 11 juillet 1975, dispose que « le divorce laisse subsister les droits et les devoirs des père et mère à l'égard de leurs enfants, sous réserve des règles qui suivent ». La proposition de loi relative à l'autorité parentale vise à faire disparaître les « réserves » au profit d'un plein exercice de la parentalité après séparation du couple.
1. La coparentalité, un principe en creux dans les textes actuels
L'exercice en commun de l'autorité parentale après le divorce a été rendu possible en 1987 par la loi « Malhuret » et généralisé par la loi de 1993.
La notion de garde de l'enfant a alors été supprimée au profit de celle de résidence habituelle.
Ce terme de résidence habituelle n'exclut pas en droit la possibilité de la résidence alternée mais il laisse subsister une incertitude que les juges ont hésité à lever.
S'il est difficile de quantifier ce choix de la résidence alternée (environ 1% des décisions au début de la décennie 1990), il n'est clairement pas une nouveauté pour les juges des grandes agglomérations où les facilités de transport et la proximité géographique des domiciles des parents rendent ce choix plus aisé.
L'audition par votre rapporteur d'un magistrat aux affaires familiales a permis d'apporter deux précisions : à Paris, la résidence alternée bénéficie d'un a priori favorable d'autant que les juges aux affaires familiales ont été confortés par un arrêt de la Cour d'appel de Paris de février 1999 4 ( * ) mais elle peut être source de confusion dans la mesure où elle est entendue comme résidence « paritaire ». De fait, la résidence alternée peut se décliner selon des modalités multiples, particulièrement pour les enfants les plus grands.
2. Un principe dont la mise en oeuvre n'est pas acquise aujourd'hui
Force est de constater, que la résidence habituelle est fixée chez la mère dans la plupart des cas (85 %) et que la résidence habituelle de l'enfant est fixée chez le père dans l'hypothèse où une résidence chez la mère poserait des difficultés réelles.
Au bout de quelques années, un quart des enfants de couples divorcés n'a plus aucun contact avec son père (chiffres de 1994). Ce chiffre est très largement lié à un contexte d'isolement familial, lorsque la mère n'a pas reformé un couple ; la recomposition de la famille n'est pas, au contraire, un facteur d'éloignement d'avec le parent chez lequel l'enfant ne réside pas.
Désintérêt, éloignement progressif, non paiement d'une éventuelle pension alimentaire, le devenir des relations père/enfant après le divorce est difficile à analyser.
Le discours des associations de pères divorcés s'articule souvent autour de l'opposition parent subsidiaire/parent pourvoyeur et lie le paiement d'une pension alimentaire à l'exercice effectif du droit de visite et d'hébergement. De fait, un tiers des pensions alimentaires ne sont pas payées.
Pour autant, la fixation du lieu de résidence habituelle ne semble pas donner lieu à conflit (15 % des pères seulement la demandent). D'après le professeur Fulchiron qui a mené une étude sur le contentieux des demandes de fixation de résidence habituelle pour le centre de droit de la famille, il revient plus aux pères qu'aux juges de changer leurs habitudes.
Cette faible conflictualité pourrait cependant s'analyser comme une intériorisation par les parents d'une norme sociale si forte que les pères ne demandent pas la résidence habituelle et que les mères se sentent obligées de l'obtenir.
3. Une conséquence matérielle : la contribution à l'entretien
La proposition de loi suggère une nouvelle rédaction pour le dernier alinéa de l'actuel article 288 du code civil : « chacun des parents est tenu de contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre ainsi que des besoins de l'enfant » , en supprimant la référence au parent chez lequel l'enfant ne réside pas habituellement. Le texte introduit une référence aux besoins de l'enfant, prenant en compte les difficultés de révision des pensions alimentaires pour les enfants adolescents.
La suppression de la notion de résidence habituelle dans cet article n'exclut donc pas le versement d'une pension alimentaire dans l'hypothèse où les parents ont fait le choix de la résidence alternée, point important qu'a tenu à souligner la ministre elle-même lors de son audition par la Délégation.
* 3 Couple, filiation et parenté aujourd'hui, Irène Théry, Odile Jacob, Paris, 1998.
* 4 s'il en était besoin puisque la résidence alternée est présente dans la loi du 16 mars 1998 relative à la nationalité : « l'enfant mineur, légitime, naturel ou ayant fait l'objet d'une adoption plénière, dont l'un des deux parents acquiert la nationalité française, devient français de plein droit s'il a la même résidence habituelle que ce parent où s'il réside alternativement avec ce parent dans le cas de séparation ou divorce ».