3. Une indemnisation insuffisante
a) Des pénalités peu dissuasives
- Un système qui repose sur les dommages et intérêts
L'article L.615-1 du code de la propriété intellectuelle est clair : « toute atteinte portée aux droits du propriétaire du brevet (...) constitue une contrefaçon. La contrefaçon engage la responsabilité civile de son auteur ».
En France, la victime d'une contrefaçon de brevet trouve donc réparation au travers du système de la responsabilité civile, consistant à octroyer des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice, qui n'ont pas de caractère punitif mais visent à réparer tout le préjudice démontré et seulement lui. Si l'indemnité doit réparer tout le préjudice, elle ne considère que le préjudice certain et directement imputable à la contrefaçon. La question de l'évaluation exacte de ce préjudice est alors centrale : les juges ont d'ailleurs souvent recours à une expertise pour cette évaluation, en matière de contentieux de brevets. Pourtant les entreprises sont déçues des indemnités allouées. Certains magistrats et avocats spécialisés ont indiqué éprouver une réelle difficulté à évaluer le préjudice subi, de sorte qu'il manque les éléments constituant les dommages et intérêts. Même en cas d'expertise, les parties peuvent d'ailleurs être réticentes à dévoiler à la partie adverse les éléments de stratégie commerciale qui permettraient de mieux argumenter leur demande de dommages et intérêts.
La méthode d'évaluation 68 ( * ) des dommages et intérêts en matière de contrefaçon de brevet est la suivante :
- détermination de la « masse contrefaisante » ;
- détermination de la marge que le breveté aurait réalisée s'il n'avait pas été privé du chiffre d'affaires correspondant à cette masse (dans le cas d'un breveté exploitant lui-même son invention) ;
- ou détermination d'une redevance indemnitaire (pour le cas où le brevet n'exploite pas lui-même son invention). Comme le soulignait déjà fort bien le rapport de M. Didier LOMBARD, cette indemnité peut ne présenter, dans certains cas, aucun caractère dissuasif pour le contrefacteur. L'exemple bien connu est celui d'une PME, titulaire d'un brevet qu'elle n'exploite pas, et qui est contrefait par une grosse entreprise. Cette dernière, si elle est condamnée, par le juge, le sera à verser à la PME le prix d'une « licence raisonnable », qu'elle aurait de toute façon acquitté si elle avait agi légalement. « Dans un tel cas, il y a, d'une certaine manière, encouragement à la contrefaçon , car le contrefacteur n'aura rien à payer ou, au pire, devra payer ce qu'il aurait dû normalement verser [pour l'obtention d'une licence] . De plus, en cas de conflit entre une grande entreprise et une PME, comme les dommages éventuellement dus par la première à la seconde sont évalués au prorata du chiffre d'affaires de la PME, ils peuvent s'avérer dérisoires du point de vue de la grande entreprise. La faiblesse des sanctions peut être un encouragement à la contrefaçon : c'est en tout cas la perception de certains PME françaises qui affichent une faible confiance dans la protection par le brevet ».
Plusieurs personnes auditionnées par votre rapporteur l'ont confirmé : en France, contrefaire un brevet peut être une bonne affaire, même si l'on est condamné ! Cette opinion, très répandue auprès des PME, disqualifie dans leur esprit le brevet.
- Des montants faibles
L'étude précitée de l'IRPI a établi les montants moyens des sanctions infligées par les juridictions parisiennes pour la contrefaçon de brevets. En première instance, pour l'année 1998, la contrefaçon de brevet est souvent (56 % des cas) sanctionnée par l'octroi de dommages et intérêts dont le montant moyen est de 460.000 francs (calcul réalisé sur 14 affaires). En appel, les affaires où le droit des brevets est mis en cause ne sont sanctionnées par des dommages et intérêts seulement que dans un tiers des cas. Le montant moyen des dommages et intérêts paraît élevé (543.750 francs), mais calculé sur la base de seulement 4 observations, il semble peu significatif.
DOMMAGES ET INTÉRÊTS OCTROYÉS EN 1998 EN MATIÈRE DE BREVETS PAR LES JURIDICTIONS PARISIENNES
1998 |
Nombre d'affaires où la contrefaçon de brevet est passible de sanctions |
Nombre d'affaires où la contrefaçon de brevet est sanctionnée par des dommages et intérêts |
% d'affaires où la contrefaçon de brevet est sanctionnée par des dommages et intérêts |
Montant moyen des dommages et intérêts |
TGI de Paris 3 ème chambre |
25 |
14 |
56 % |
462 435 F |
Cour d'appel de Paris 4 ème chambre |
12 |
4 |
33 % |
543 750 F |
Source : Institut de recherche en propriété intellectuelle.
Une étude de Maître Pierre VÉRON, président de l'Association des avocats spécialisés en propriété industrielle (ASPI), portant sur la période 1990-1996, a quant à elle recensé 88 décisions du TGI de Paris allouant des dommages et intérêts et fait ressortir que la plupart des décisions octroient une somme de dommages et intérêts inférieure à 500.000 francs, la médiane se situant à 200.000 F, et la moyenne ne « remontant » à 2,3 millions de francs qu'en raison de quelques « lourdes » décisions (9 décisions ayant octroyé plus de 5 millions de francs de dommages et intérêts).
* 68 Information tirée des actes du colloque « Le contentieux de la propriété industrielle en Europe », éditions du CEIPI. Propos de Maître Pierre LENOIR.