2. L'« indifférence » des chercheurs publics
La question de l'insuffisante valorisation économique du potentiel scientifique représenté par la recherche publique française a donné lieu à des travaux récents et d'excellente qualité. Il ne sera donc pas utile de s'étendre ici trop longuement. Les principales étapes de la réflexion ont été marquées par :
- un rapport de la Cour des comptes de 1996 sur la politique de valorisation des établissements publics de recherche ;
- le rapport de mission de M.Henri GUILLAUME sur la technologie et l'innovation, remis en mars 1998 ;
- l'adoption de la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche.
Pour schématiser -et au risque de caricaturer des situations en réalité très diverses à cet égard 50 ( * ) - , plusieurs phénomènes se conjuguent traditionnellement pour ne pas faire du dépôt du brevet un enjeu ou un objectif pour un chercheur public :
- l'absence d' intéressement financier des inventeurs publics aux résultats de l'innovation ;
- l'évaluation des chercheurs sur la seule base de leurs publications dans des revues scientifiques internationales, indépendamment de la valorisation de leurs inventions ;
- l'absence, dans certains organismes de recherche, mais plus encore au sein des universités , d'une part de politique claire en matière de valorisation et d'autre part de compétences (en droit civil ou en droit de la propriété industrielle, notamment) pour la rédaction des contrats de collaboration et notamment la fixation du régime de propriété des résultats, d'exploitation industrielle et commerciale ou de prise en charge de la contrefaçon ;
- le régime de la « nouveauté absolue » du système des brevets en Europe, toute divulgation, via Internet, une publication ou une intervention lors d'un colloque ruinant la possibilité d'un dépôt de brevet ultérieur.
Sur tous ces sujets, des réformes et réflexions ont été lancées par les gouvernements successifs 51 ( * ) . Il semble que la culture évolue, mais à un rythme lent. Les personnes entendues par votre rapporteur ont ainsi estimé que persistait une faible connaissance de la problématique de la propriété industrielle au sein de la recherche publique, même si cette sensibilité est très inégale (les universités étant les moins mobilisées). Certains estiment par ailleurs que les outils mis en place pour changer cet état de fait sont perfectibles : le système d'intéressement financier des chercheurs au dépôt des brevets, mis en place en 1996 et élargi en 2001, par exemple, laisserait encore planer des incertitudes, notamment quant au mode de calcul de ces rémunérations.
En outre, il semble que dans la pratique, les chercheurs soient toujours évalués sur la base de leurs publications dans des revues scientifiques internationales à comité de lecture, du type de « Science » ou « Nature », le dépôt de brevet n'ayant pas encore été réellement intégré comme critère d'évaluation par la communauté des chercheurs . Le brevet reste souvent incompris, certains chercheurs estimant qu'il ne relève pas du secteur public d'être profitable économiquement, d'autres cernant mal l'intérêt de la propriété industrielle. Enfin, le brevet peut être perçu comme une contrainte pour un chercheur, en ce qu'il oriente sa recherche ou requiert de lui des précautions supplémentaires en termes de divulgation de ses travaux. Face à ces contraintes, les contreparties à retirer d'un dépôt de brevet ne sont pas toujours bien identifiées. Il arrive que le dépôt de brevet intéresse plus l'organisme de recherche que le chercheur lui-même car il est, pour l'organisme, une source potentielle de revenus, au travers des licences.
* 50 Certains organismes de recherche comme le CNRS, le CEA, l'INSERM, l'INRIA etc... ont déjà une politique active de valorisation, parfois portée par une filiale ou une cellule spécifique.
* 51 Outre les rapports officiels déjà cités, M. Alain GALLOCHAT a rédigé sur ce sujet précis un rapport aussi complet qu'intéressant à la demande de M. Claude ALLÈGRE, ministre chargé de la recherche.