e) Une conception particulièrement large du champ de la brevetabilité
Pour être brevetable aux Etats-Unis, une invention doit satisfaire aux trois critères de « nouveauté », « non évidence » et « utilité ». Dans la pratique, le champ de la brevetabilité est entendu de façon particulièrement large aux Etats-Unis par rapport à l'Europe, qu'il s'agisse de la biotechnologie ou de brevets logiciels. Un champ nouveau entre désormais -toujours sous l'action des juges- dans le champ du brevetable : il s'agit des méthodes d'affaires. Un bref aperçu des grands arrêts de jurisprudence suffira à montrer la créativité des juges américains.
Les brevets de biotechnologie : la voie a été ouverte par une célèbre décision de la Cour Suprême des Etats-Unis rendue en 1980, Diamond v. Charkrabarty. Il s'agissait de savoir si un micro-organisme génétiquement modifié pouvait entrer dans le champ de la brevetabilité. La Cour a répondu par l'affirmative, en interprétant de façon large la loi sur le brevet (Patent Act) de 1952. Selon elle, ce micro-organisme devait pouvoir être protégé dès lors qu'il n'était pas un simple phénomène naturel. Or, la main de l'homme est nécessaire à sa réalisation , il peut donc être qualifié de machine ou de composition de matière brevetable.
A partir de cette date, les demandes de brevets de biotechnologie déposées à l'Office américain des brevets et des marques se sont multipliées et un nombre important de titres de propriété industrielle ont été délivrés en ces domaines. Les services du poste d'expansion économique à Washington indiquent que « cette jurisprudence libérale explique en partie la place prédominante des entreprises américaines dans le secteur des biotechnologies actuellement. Très tôt, elles ont su et pu protéger efficacement leurs inventions. Le brevet, en accordant à son titulaire un monopole limité dans le temps (20 ans à compter de la date de dépôt de la demande) l'incite en effet à développer de nouvelles technologies et à mettre au point de nouveaux médicaments. De plus, les licences concédées permettent au titulaire d'effectuer un retour sur investissement et de compenser les frais considérables liés à la recherche-développement ».
Avec le décryptage du génome humain, de nouveaux problèmes ont surgi, portant sur la question de l'éventuelle brevetabilité des gènes et sur la condition d'utilité des inventions. Sur ce sujet, les mêmes services précisent qu'aux Etats-Unis : « il n'est pas possible de breveter un gène en tant que tel, tel qu'il existe dans le corps humain. Il faut qu'il soit séquencé et isolé, ce qui implique, là encore, une intervention humaine. Par ailleurs, et la position de l'USPTO a récemment évolué à ce sujet , l'extraction d'une information génétique donnée n'est pas non plus suffisante pour prétendre à un brevet. Il faut pouvoir identifier la fonction précise de tel gène, savoir par exemple pour quelle protéine il va coder. L'invention en cause doit ainsi avoir une application pratique et commerciale ». En effet, l'USPTO vient d'adopter de nouvelles règles, plus strictes, en matière d'appréciation de la brevetabilité des inventions biotechnologiques.
Le système européen en la matière est basé sur la directive relative aux inventions biotechnologiques, intégrée par l'OEB et actuellement en vigueur sur le territoire communautaire -mais non encore transposée en France-.
Pour les brevets logiciels : c'est la décision de 1981 Diamond versus Diehr , rendue par la Cour Suprême des Etats-Unis, qui a ouvert la voie à leur brevetabilité. L'invention en question permettait, grâce à des capteurs thermiques et à un logiciel, d'améliorer le traitement du caoutchouc synthétique. La demande de brevet du déposant avait, en première instance, été rejetée, au motif que le seul aspect nouveau résidait dans le logiciel, non brevetable en tant que tel. La Cour Suprême a déclaré l'invention brevetable, estimant que, si en tant qu'il fait appel à un algorithme mathématique -loi naturelle, non brevetable-, un logiciel n'est pas brevetable, il l'est dès lors qu'utilisant un algorithme mathématique, il en tire une application pratique industrielle. Le critère est celui de la production d'un résultat utile et concret (comme dans le cas considéré, celui de la transformation physique du caoutchouc).
Le champ de la brevetabilité du logiciel a donc été largement ouvert par cette décision. Les services du poste d'expansion économique à Washington font toutefois remarquer que : « malgré la forte protection offerte par le brevet, peu de sociétés conceptrices de logiciels sont titulaires d'un ou plusieurs brevets. Au contraire, ce sont surtout les fabricants de matériel électronique qui ont été attirés par ce type de protection ».
A noter que la brevetabilité des logiciels a également été admise dans le système européen, sous certaines conditions (l'invention en cause, si elle a un « effet technique », est brevetable, même si son support est un programme d'ordinateur). En outre, la Commission européenne a engagé le 19 octobre 2000 des consultations sur la brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur 38 ( * ) .
La Commission des Affaires économiques a délibérément choisi de ne pas traiter cette question, qui est un sujet en soi. M. Pierre LAFFITTE a toutefois transmis à votre rapporteur une contribution écrite sur ce sujet, qui figure en annexe IV du présent rapport.
Les brevets portant sur les « méthodes d'affaires »
La différence la plus frappante actuellement entre le système américain et les autres régimes de protection de la propriété industrielle est en réalité centrée sur les « brevets de méthode », les systèmes s'étant, pour le reste, rapprochés.
La Cour d'appel pour le circuit fédéral, dans une célèbre décision rendue en 1995 Trust Co. Vs Signature Financial Groupe , a en effet ouvert la voie à la brevetabilité de simples méthodes commerciales , appréciant de façon large -et parfois très contestée en Europe- les critères traditionnels de nouveauté, d'applicabilité industrielle et d'activité inventive.
Les deux exemples les plus célèbres sont celui du système de « simple clic » ou ( one-click) d'Amazon.com, ou le système des enchères inversées ( reverse auction) de Pricelice.com, protégés par un brevet de l'USPTO. Cette évolution de la jurisprudence a été critiquée car, portant sur les méthodes qui semblaient parfois connues de longue date et pratiquées par l'ensemble de la profession, elles étaient jugées évidentes. Dès lors, leur protection par brevet pouvait bloquer des pans entiers d'activité, surtout dans les domaines de la finance et des nouvelles technologies. En Europe, beaucoup se sont émus des distorsions créées par cette attitude entre les possibilités de protection par brevet aux Etats-Unis et dans le reste du monde.
Face à ces critiques, l'USPTO a mis en place des méthodes d'examen destinées à être plus exigeantes sur les critères de brevetabilité (formation des examinateurs, recrutement de spécialistes, double examen pour certaines demandes de brevets de méthode...). Elles restent toutefois plus larges que celles appliquées en Europe, où ne sont brevetables (dans le système de l'OEB) que les inventions ayant un effet technique. Il y a, dans ce cas, possibilité de délivrance d'un brevet, même si l'invention en cause -souvent apportée par un logiciel- ne se situe pas dans un contexte industriel mais dans le domaine de la gestion, par exemple.
Mais, comme l'indique la note précitée du poste d'expansion économique : « Un consensus existe [aux Etats-Unis, ndlr] pour que l'USPTO améliore la qualité des brevets de méthode délivrés, mais personne ne souhaite une remise en cause dans leur ensemble de ces brevets : leur existence comme leur validité ne sont pas contestées, bien que les Etats-Unis soient isolés sur ce point ».
Ces questions devront être abordées dans le cadre de la négociation d'un futur traité sur le droit substantif des brevets, sous l'égide de l'OMPI. La France et ses partenaires européens doivent se mobiliser sur ces enjeux et obtenir une plus grande harmonisation internationale.
* 38 Voir les pages « Marché intérieur » du site Internet de la Commission européenne.