INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Sujet hier réservé à des spécialistes, la propriété industrielle a récemment fait irruption dans le débat public. Négociations multilatérales, initiatives du Gouvernement en exercice et de son prédécesseur, rapports officiels, « Livre vert » de la Commission européenne, débats de société sur les biotechnologies ou les logiciels, ont été autant d'occasions de faire sortir la question « brevets » de son isolement. Le débat actuel sur le régime linguistique du brevet européen n'en est qu'un des plus récents exemples.
Car il y a bien, en France, un « problème brevets », lié notamment à l'insuffisance du nombre de dépôts par les petites et moyennes entreprises et par les chercheurs publics. La propriété industrielle est devenue, pour l'entreprise, un enjeu stratégique, un instrument de pouvoir et de négociation, un outil de mesure du savoir immatériel, tout autant qu'un moyen de valoriser économiquement la recherche technologique et de protéger l'innovation. Or, tout se passe comme si cette mutation, enclenchée dans le monde industrialisé et dans des pays comme la Chine, la Corée ou l'Inde, par exemple, ne touchait, en France, que les très grandes entreprises.
C'est pour mesurer ce phénomène et pour tenter de lui apporter des réponses que la Commission des Affaires économiques a souhaité mener cette enquête sur l'utilisation des brevets par les entreprises françaises. Après avoir entendu une soixantaine 3 ( * ) de personnes, et s'être rendu à la Commission européenne, à l'Office européen des brevets et à l'Office mondial de la propriété intellectuelle, votre rapporteur soumet au débat public -et notamment à l'appréciation des Commissions des Affaires étrangères et des Lois du Sénat- une trentaine de propositions.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LA FRANCE, UNE PART MODESTE DANS LE DÉPÔT DE BREVETS
Par souci de clarté, le détail des différentes procédures d'octroi d'un brevet d'invention est renvoyé à l'annexe II du présent rapport.
A. L'IMPORTANCE ECONOMIQUE DES BREVETS
1. Au plan microéconomique, un outil stratégique pour l'entreprise
Le brevet est un outil essentiel pour formaliser une stratégie d'entreprise fondée sur l'innovation . Or, l'innovation est un des principaux moyens pour acquérir un avantage compétitif en apportant au marché une meilleure réponse. Innover, c'est anticiper sur les besoins du marché, offrir une meilleure qualité ou un meilleur service, cela peut être aussi maîtriser les délais ou contrôler les coûts. Le brevet est un outil de rentabilisation -et donc de pérennisation- de la recherche et de l'innovation.
Les auditions menées par votre rapporteur de praticiens de la propriété industrielle, dans l'entreprise ou dans les cabinets de Conseil, ont renforcé cette conviction et mis à jour le rôle de moteur de l'innovation que peut constituer un dépôt de brevet.
Un de ces praticiens dans une grande entreprise 4 ( * ) , détaillait ainsi, dans une contribution écrite remise à votre rapporteur, l'apport du dépôt de brevet à l'élaboration de la stratégie de l'entreprise :
« Le dépôt d'une demande de brevet n'est jamais obligatoire et a pour contrepartie la mise à disposition du public d'une information technique détenue par l'inventeur ou par l'entreprise à laquelle il appartient. De ce fait, la décision de déposer une demande de brevet nécessite une réflexion préalable sur l'opportunité d'un tel dépôt : faut-il breveter ou garder le secret ? Cette réflexion amène naturellement à analyser les rapports avec la concurrence, et plus généralement, fait prendre conscience que la position concurrentielle d'une entreprise résulte notamment des connaissances qu'elle détient, et que ces connaissances constituent un patrimoine qui doit être géré avec attention.
« Outre cette première décision, l'entreprise doit se poser la question de la portée géographique de la protection qu'elle recherche (...). Cette deuxième question amène naturellement à réfléchir à l'exploitation future de l'invention et à la structure de la concurrence . En effet, par exemple, afin de minimiser le coût de la protection recherchée, l'entreprise peut se poser la question de savoir s'il faut protéger dans des pays producteurs ou dans des pays consommateurs. Elle peut également se poser la question de savoir si elle doit ou non envisager des accords de licence, et dans ce cas, avec qui et où. En outre cette réflexion doit se faire dans une perspective de long terme puisqu'un brevet dure 20 ans, et les décisions de non-protection qui auront été prises à un moment donné ne pourront pas être corrigées ultérieurement. L'entreprise est ainsi amenée à faire une réflexion stratégique, et il est clair que cette réflexion ne peut être menée qu'en faisant travailler ensemble les responsables d'un certain nombre de fonctions complémentaires (...).
« Bien souvent, les actions de développement sont effectuées dans le cadre de collaborations avec des tiers, que ce soit des partenaires exerçant le même métier ou des prestataires de service ayant des compétences particulières complémentaires de celles de l'entreprise. La pratique de la propriété industrielle conduit mécaniquement à structurer de telles relations à l'aide de contrats . Elle fait prendre conscience d'une part que chacun des partenaires dispose de connaissances propres qu'il faut préserver, et d'autre part que la collaboration pourra faire naître des connaissances nouvelles dont il faudra définir à la fois les conditions d'appropriation et les conditions d'exploitation.».
Le rapport de M. Didier LOMBARD « Le brevet pour l'innovation », remis au ministre de l'industrie en 1998, remarquait ainsi que le brevet pouvait avoir des rôles très divers au service de la stratégie de l'entreprise. Il décrivait ainsi ces différents rôles :
- le portefeuille de brevets renforce le pouvoir de négociation de l'entreprise ;
- il permet d'obtenir une situation de monopole temporaire ou d'avantage concurrentiel qui pourra ensuite être maintenue et consolidée ;
- il permet de développer une politique de licences génératrice de revenus ;
- il facilite les coopérations techniques ;
- il convainc ou rassure les partenaires techniques ou commerciaux ;
- il assure le succès d'une technologie ;
- il gêne la concurrence ;
- il permet de se protéger des attaques.
Bien sûr, breveter ne peut être une fin en soi pour l'entreprise. D'une part, dans un certain nombre de cas, la protection par le secret reste la meilleure possible. D'autre part, le brevet doit s'intégrer, pour être efficace, dans une stratégie globale d'innovation, comprenant une veille technologique et concurrentielle.
En France, les enjeux de la propriété industrielle sont méconnus. Si notre culture dans ce domaine progresse peu à peu, elle reste très en retard par rapport à nos partenaires anglo-saxons, allemands, japonais et d'Europe du Nord.
* 3 Liste en annexe n°I.
* 4 M. Jacques LAGRANGE Vice-président du Groupement Professionnel « Innovation et propriété industrielle » de l'Association des anciens élèves de l'Ecole Centrale.