b) Le secteur offshore
Le secteur offshore a été instauré par les autorités chypriotes dans les années soixante-dix pour accueillir les capitaux en provenance du Liban voisin. Il a rapidement connu un vif succès en deux vagues successives : celle des sociétés occidentales et des pays du Proche-Orient dans les années quatre-vingt, puis celle de la Russie, des autres pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI) ainsi que des pays d'Europe centrale et orientale dans les années quatre-vingt-dix.
En contrepartie de leur statut, les sociétés offshore ne sont autorisées à traiter des opérations qu'avec des non-résidents, en devises étrangères, et en dehors du territoire chypriote. Outre leur fiscalité spécifique, elles ne sont pas soumises au contrôle des changes et aux ratios prudentiels de la banque centrale. Ce secteur est devenu au même titre que le tourisme un pilier de la prospérité chypriote . En 1999, le nombre des sociétés offshore établies à Chypre s'élève à plus de 41.000, dont un peu plus de 1.000 disposent d'une implantation physique (bureaux et personnel), les autres étant représentées par un avocat ou un expert-comptable chypriote.
Les recettes du secteur ont atteint environ 2,7 milliards de francs en 1999 ; sa contribution à la formation du produit intérieur brut serait d'environ 5 %. Cette dernière estimation ne tient cependant pas compte des effets induits sur l'économie nationale : un taux de l'ordre de 10 % serait certainement plus proche de la réalité. Le poids des sociétés françaises dans ce secteur serait marginal, autour de 1 ou 2 %. Par comparaison, le montant des investissements étrangers à Chypre dans le secteur « réel » s'est élevé à environ 354 millions de francs en 1999.
Chypre est couramment utilisée comme plate-forme de transit pour des investissements en Russie, dans d'autres pays de la CEI et dans les PECO . Aucune information n'est de fait disponible sur la véritable origine des flux financiers : capitaux étrangers investis dans ces pays via Chypre ou capitaux qui ne font en réalité que regagner leur pays d'origine. En tout état de cause, la place de Chypre en tant qu'investisseur dans certains de ces pays est totalement disproportionnée par rapport à son potentiel économique. Selon les statistiques officielles russes, le stock de l'ensemble des investissements chypriotes en Russie s'élevait à 3,4 milliards de dollars à la fin de 1999, plaçant Chypre au quatrième rang derrière l'Allemagne, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. A la même date, Chypre se situait au troisième rang des pays investisseurs en Bulgarie, au sixième rang en Ukraine et au septième rang en Roumanie.
Le statut des sociétés offshore, et leur succès, reposent sur un régime fiscal préférentiel évoqué plus haut et sur des garanties de confidentialité quasi absolue . La pérennité de ce statut paraît menacée à terme dans le contexte du processus d'adhésion et du renforcement de la lutte contre le blanchiment.
Dans ce domaine, Chypre a mis sa législation en conformité avec la directive communautaire relative au blanchiment de capitaux.
La lutte contre le blanchiment repose sur une loi de 1996 complétée par des circulaires d'application qui concernent à la fois les établissements onshore et offshore. Les banques sont par exemple tenues de mettre en oeuvre des procédures adéquates d'identification de leurs clients à l'occasion de l'entrée en relation et de l'ouverture de comptes. Elles doivent également enregistrer, analyser et conserver pendant au moins cinq ans les opérations financières transitant par leurs comptes ; elles doivent être en mesure de fournir des précisions sur la provenance et la destination des fonds, sur l'identité de la personne à l'origine de la transaction. Elles doivent également transmettre à la banque centrale des informations sur les transactions supérieures à certains montants, avec des bases mensuelle et annuelle, ainsi que tout « soupçon raisonnablement étayé ». Une autorité de lutte contre le blanchiment, créée par la loi de 1996, est placée auprès du procureur général de la République et a vu ses effectifs augmenter ces dernières années. Les banques doivent enfin sensibiliser leur personnel à ces questions, assurer leur formation et les informer de leur devoir de rapporter tout soupçon à un « conseiller » nommé par la banque. Cet employé est chargé, au sein de la banque, de recueillir et traiter les informations susceptibles de conduire à soupçonner un client de se livrer à des opérations de blanchiment et de décider, le cas échéant, de porter le dossier à la connaissance des autorités.
La Commission européenne constate ainsi dans son rapport 2000 sur les progrès réalisés par Chypre sur la voie de l'adhésion que, dorénavant, « la législation relative au blanchiment de l'argent semble être en conformité avec l'acquis. Son application effective devra cependant être contrôlée attentivement » . En effet, le dispositif mis en place par les autorités paraît à la fois rigoureux et convaincant, mais, au niveau opérationnel, son impact réel est difficilement mesurable compte tenu de l'ampleur prise par le secteur des sociétés offshore et du nombre limité d'affaires que la justice chypriote a eu à traiter . Contrairement au dossier du transport maritime, les statistiques ne peuvent guère éclairer le niveau effectif de la transposition de l'acquis communautaire.