4. Un rôle ambigu
a) Des études parfois plus polémiques que scientifiques
Les études des Think Tanks sont pour l'essentiel des travaux de recherche empirique .
Pour ce faire, les Think Tanks bénéficient d'un accès étendu aux données fiscales et sociales « anonymisées » rassemblées par les administrations publiques, de sorte qu'ils peuvent ainsi évaluer le coût budgétaire de propositions de loi ou leur impact sur la distribution des revenus et constituent ainsi un pôle de contre-expertise face aux administrations fédérales et aux offices du Congrès.
Par ailleurs les Think Tanks composent souvent des séries ou des indicateurs statistiques plus ou moins originaux à partir des données statistiques publiques.
Par exemple, le Conference Board a créé et publie une série statistique originale relative au nombre de salariés à temps complet qui sont en deçà du seuil de pauvreté, ainsi que des indicateurs avancés de la conjoncture économique, pour les États-Unis, et, depuis peu, pour les principaux pays européens.
De même, certaines institutions diffusent les données statistiques sur lesquelles elles souhaitent mettre l'accent. Par exemple, le Center on Budget and Policy Priorities diffuse des données relatives à l'évolution des revenus dans chaque Etat fédéré.
Enfin, certains Think Tanks collectent des données statistiques originales.
Par exemple, le Conference Board publie des indicateurs de confiance des ménages et a lancé en partenariat avec un cabinet de consultants, et sous le patronage de Paul Volcker, ancien Président du conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale, une enquête auprès des grandes entreprises relative à l'impact des variations de taux de change sur leurs stratégies.
Contrairement aux administrations statistiques publiques, les Think Tanks ne disposent évidemment d'aucune prérogative réglementaire : ils ne collectent donc ces données que sur une base volontaire. Le Conference Board estime toutefois que le taux de retour de ses enquêtes auprès des entreprises est relativement satisfaisant.
Cependant, au delà de ces initiatives ponctuelles, les Think Tanks disposent de moyens techniques très inégaux.
En effet, si certains d'entre eux, comme le Center on Budget and Policy Priorities ou l' Heritage Foundation , sont en mesure de conduire des évaluations de coût analogues dans leur principe à celles réalisées par le CBO, ils ne disposent toutefois que de moyens humains relativement limités.
En outre, aucun Think Tank n'exploite de modèle macro-économétrique, et leurs capacités de modélisation théorique ou économétrique demeurent relativement modestes.
Le « plateau technique » des Think Tanks est donc souvent assez réduit.
En fait, même si les Think Tanks sont très réactifs et peuvent analyser rapidement des propositions de loi ou les développements de l'actualité, ils ne produisent guère de travaux originaux sur les grands débats récurrents de politique économique et sociale, leur rôle étant alors davantage de synthétiser , de traduire en langage courant et de diffuser les résultats des recherches scientifiques ayant des implications en matière de politique économique.
Enfin, les travaux des Think Tanks sont parfois extrêmement provocateurs . En effet, ce sont les travaux les plus mordants et les plus polémiques qui attirent le plus l'attention des média.
A titre d'exemple, l'un des chercheurs les plus connus de l' American Entrerprise Institute est Mme Chistina Hoff Sommers : spécialisée dans l'étude « du féminisme, de la culture américaine et de la formation du caractère », elle a récemment acquis une grande notoriété médiatique grâce à des ouvrages intitulés « Qui a volé le féminisme ? Comment des femmes ont trahi les femmes » (1994, une critique des mouvements féministes), « Le vice et la vertu dans la vie quotidienne » (1996) et surtout « La guerre contre les garçons » (2001). La thèse de ce dernier livre est la suivante : les jeunes garçons sont « blessés » par le large courant d'opinion qui estime que les valeurs masculines sont mauvaises, et constituent la racine des violence contre les femmes. Cet ouvrage vise donc à réhabiliter les valeurs masculines traditionnelles.
Ces livres, très polémiques quoique soigneusement argumentés, ont permis à Mme Hoff Sommers de publier des tribunes dans une dizaine de quotidiens prestigieux, comme le Wall Street Journal ou le Washington Post , et surtout d'être invitée à une dizaine d'émissions de télévisions sur les principales chaînes nationales (ABC, CBS, NBC, CNN), dont l'un des plus fameux talks shows , celui d'Oprah Winfrey sur ABC.
Les travaux de Mme Hoff Sommers bénéficient ainsi d'une audience médiatique bien supérieure à ceux de la plupart de ses collègues.