2. Un rôle modeste
Malgré ces initiatives ponctuelles, il convient de ne pas exagérer le rôle institutionnel des universités en matière de débats économiques.
Au regard du nombre de centres universitaires (plusieurs centaines), comme du nombre d'enseignants-chercheurs en économie dans l'enseignement supérieur (une dizaine de milliers), ce rôle demeure en effet assez modeste .
Cela résulte principalement de ce que le débat public est d'ores et déjà animé par d'autres institutions , comme les offices du Congrès ou les Think Tanks , qui disposent de capacités d'expertise opérationnelle supérieures et qui sont mieux organisées pour communiquer avec les média.
Dans l'ensemble, les travaux des centres universitaires sont ainsi assez peu repris par la presse.
De même, les commandes d'études à des centres universitaires de la part des administrations fédérales ou du Congrès sont relativement rares.
Par surcroît, la contribution du système universitaire américain aux débats de politique économique est structurellement limitée par deux facteurs contingents :
- le manque d'économistes-statisticiens hautement qualifiés, en raison notamment de la séparation des fonctions de statisticien et d'économiste, qui détourne les étudiants des études statistiques ;
- la part croissante des étudiants étrangers dans les troisièmes cycles d'économie aux États-Unis. On peut en effet rappeler que les études d'économie sont relativement difficiles pour les étudiants américains, moins bien formés en mathématiques que leurs collègues européens, et qu'elles sont beaucoup moins rémunératrices et moins prestigieuses que les études de droit (la filière d'excellence aux États-Unis).
En conséquence près de la moitié des doctorants en économie des grandes universités américaines sont des étudiants étrangers, a priori moins intéressés aux débats relatifs à la politique économique et sociale américaine.
3. Un rôle plus actif qu'en France
Il n'en demeure pas moins que les universités américaines contribuent globalement davantage aux débats de politique économique que les universités françaises.
Les mésaventures du GAMA en illustrent d'ailleurs assez bien les raisons.
Fondé en 1972 par un ancien expert de l'INSEE, le GAMA, qui dépend de l'université de Paris-Nanterre, fut en 1978 la première institution en dehors de l'INSEE et de la direction de la Prévision à développer un modèle macro-économétrique, constamment remanié depuis lors.
Le GAMA collecte encore aujourd'hui des séries statistiques originales sur la consommation des ménages et réalise des prévisions économiques à l'aide de son modèle. Ces prévisions sont publiées dans une lettre d'information mensuelle dont la qualité scientifique est reconnue.
Le GAMA a bénéficié d'un soutien public important dans les années 1970, quand les autorités publiques s'efforçaient de favoriser le développement de l'expertise économique en dehors de l'administration.
Le rapport au Président de la République rendu en 1979 par MM. René Lenoir et Baudoin Prot citait d'ailleurs le GAMA comme une démarche exemplaire de décloisonnement de l'université, et l'annexe à ce rapport relative à la prévision économique (rédigée par M.Yves Mansion) concluait que les chercheurs du GAMA composaient l'une des deux équipes susceptibles de constituer les germes d'instituts indépendants.
Pourtant, le GAMA a vu les moyens qui lui étaient accordés se déliter progressivement : ces moyens se limitent aujourd'hui à trois postes de chercheurs, assistés par des étudiants thésards bénévoles, et à une subvention de fonctionnement de quelques dizaines de milliers de francs par an (contre près d'un million de francs dans les années 1970), par surcroît souvent versée avec retard.
Cette subvention de fonctionnement n'est pas abondée par des financements privés : contrairement aux entreprises américaines, les entreprises françaises n'ont pas l'habitude ou ne voient pas l'intérêt de ce type de mécénat. Pourtant, le recueil, le traitement et la diffusion de données empiriques sont coûteux.
En conséquence, le budget de fonctionnement du GAMA ne lui permet de diffuser sa lettre d'information qu'à une centaine d'exemplaires (à des responsables publics et aux entreprises qui lui fournissent ses statistiques).
En outre, le GAMA indique rencontrer des difficultés pour accéder à des informations méthodologiques sur les statistiques publiées par l'INSEE, ou pour accéder à ces statistiques elles-mêmes, qui sont pour la plupart vendues.
Enfin, les débouchés offerts en France aux étudiants formés au GAMA sont très étroits, en raison notamment du quasi-monopole dont disposent les anciens élèves de l'ENSAE, de l'ENA ou de l'Ecole Polytechnique dans les administrations économiques publiques.
Au total, le GAMA aurait dépéri depuis longtemps si l'enthousiasme de son fondateur n'était intact.
Cet exemple illustre assez bien la situation des universités françaises en matière : faute de demande, de soutien financier et d'un accès aisé aux données, elles n'ont guère d'incitations à développer des capacités d'expertise appliquée en matière de politique économique.